ALI-Provence

CONSTRUCTION PSYCHIQUE DE LA FEMINITE Du « pénis rabougri » au « pas tout » On ne naît pas femme, on le devient

Enseignement de l’ALI- Provence – Ghislaine Chagourin – Année 2010-2011

Séminaire sur la féminité, la maternité et leurs articulations au «pas tout » et au phallus

séance du 15 novembre 2010

 

 Le thème de ce séminaire m’a été inspiré par les journées de Mars 2010 sur l’Unité spirituelle de la Méditerranée. Unité spirituelle supposée autour des 3 monothéismes dont nous avons pu constater qu’elle restait problématique sauf sur ce qu’il en est de la jouissance : « jouissance objectale d’un côté, narcissique de l’autre »1 comme a pu le dire Charles Melman en conclusion des journées. Donc frontière entre « Islam » et « Occident » par outrance de consommation d’un côté et outrance narcissique de l’autre indiquant que l’altérité et la borne phallique ne jouent plus leurs rôles et que les lois du langage ne sont plus repérées comme structurales ni déterminantes dans la constitution du sujet. Ce qui rend difficile voire impossible tout discours entre les deux rives. Pour ma part, il m’a semblé que si l’altérité et la borne phallique ne jouaient plus leur rôle c’est que dans le social, quelque chose autour de la question du féminin fait problème. Car comment entendre cette « jouissance objectale » sinon comme une jouissance sans limite, organisée hors borne phallique autour d’objets de consommation qui ne causent plus le désir mais poussent à l’addiction par exemple. Et comment entendre la « jouissance narcissique » autrement que comme une jouissance qui ne fait aucune place à l’Altérité et donc au féminin. Pourtant Lacan avec le « pas toute » de la position féminine nous a montré que l’Un ne va pas sans l’Autre sans que cela se réduise à une complémentarité imaginaire mais tient de la logique de la sexuation à savoir que , comme a pu le dire Charles Melman lors des mêmes journées, « le petit a, c’est ce qui fait que le Un n’est pas Tout»2c’est aussi ce qui permet d’échapper au tout phallique du totalitarisme ou au pas du tout phallique de la psychose. Alors, qu’en est-il aujourd’hui de la féminité et de son articulation au masculin ? Pour cela je vous propose 4 volets que j’ai découpés ainsi :

1/ Lundi 15 novembre : une séance introductive sur Construction de la féminité (outils de base de Freud à Lacan)

2/ Lundi 17 janvier : Rencontre du féminin à l’Adolescence avec S. Lesourd. Clinique

3/ Lundi 21 mars : Féminité et maternité, avortement et déni de grossesse. A partir de l’affaire Courjeault et autres exemples cliniques

4/ Lundi 16 mai : Féminité, matriarcat, patriarcat, NEP. Conséquences cliniques et politiques du pas tout.

Freud a découvert l’inconscient et la psychanalyse en travaillant avec des femmes et notamment des femmes hystériques. Il s’est intéressé à la féminité et a tenté d’en percer les modalités de construction psychique tout en parlant de « continent noir » et en disant que « l’énigme de la femme » dont les hommes parlent serait en fait l’expression de leur bisexualité. Comment entendre cette bisexualité qu’il dit plus importante chez les femmes? Mais il ne s’estimait pas très satisfait de ce qu’il avait réussi à théoriser notamment du fait que c’était, « incomplet et fragmentaire » et que « cela (ne) rend(ait) pas toujours non plus un son agréable ». Freud a donc essayé de dire la féminité alors qu’avec Lacan, on verra que ce qui se passe du côté des femmes si ça ne peut pas se dire, ça peut s’écrire. Lacan va aussi « sortir les femmes du préjugé freudien qui fait d’elles des hommes castrés » (une femme n’est pas un homme castré. Elle est pas-toute, nuance, Virginia Hasenbalg, 2010). Lacan éclaire les travaux de Freud sous une autre lumière qui prête moins le flan aux accusations de phallocratisme de misogynie ou de réductionnisme à l’anatomie qui ont été faites à Freud pas plus tard qu’avec Onfray. Dans Encore, Lacan lui-même disait concernant « la chère femme » que « Freud [qui] ne lui fait pas la partie belle » mais il le prend au sérieux sur ce qu’il a pu entendre dans sa clinique et dans le lien social.

Comment se construit cette féminité selon Freud ? Il a mis en évidence une sexualité infantile organisée autour de ce qu’il appelle le primat du phallus tant chez le garçon que chez la fille. Concernant ce primat du phallus il avoue ne pouvoir bien le décrire que chez le garçon ce qui est à entendre comme un universel mais qui est descriptible pour « pas tous ». La sexualité infantile est donc une sexualité qui vise à une satisfaction (le développement de la fonction sexuelle, 1938) et non à la reproduction et qui intéresse le devenir et l’organisation des pulsions sexuelles dès les premières années de la vie (jusqu’à 5 ans environ). Ainsi, il y a 3 stades d’organisation de cette sexualité infantile: le stade oral, le stade anal et finalement, le stade phallique. Le processus d’organisation de la sexualité est dit diphasé par Freud (le développement de la fonction sexuelle, 1938) car la phase infantile est suivie d’une phase de latence (eu égard à la sexualité) et l’organisation se parachève à la puberté avec l’accès à la génitalité et à l’opposition masculin-féminin. Serge Lesourd qui fait une lecture lacanienne de Freud a repris cela en disant que l’adolescence est ce passage où l’adolescent, garçon ou fille, devrait rencontrer « cette part de lui-même ignorée dans son enfance, le féminin ». Nous y reviendrons. L’adolescence consistant en une réorganisation de la sexualité qui avant était régie par une « libido d’essence mâle » comme a pu l’avancer Freud quand il dit que le stade phallique est un moment déterminant pour la construction du sujet en tant que sexué car dans cette phase : « un seul organe génital, l’organe mâle joue un rôle » (L’organisation génitale infantile, 1923). Au stade phallique: le pénis et le clitoris fonctionnent de la même façon (tumescence, détumescence) mais Freud rapporte que le clitoris est perçu comme un « pénis rabougri » (l’abrégé de psychanalyse, 1938). Freud dit qu’au stade phallique, « l’organe génital féminin semble n’être jamais découvert » (L’organisation génitale infantile, 1923) et que « la petite fille est un petit homme » (La féminité, 1933). Sur le plan clinique on vérifie bien qu’une petite fille ignore tout de son vagin y compris au sens anatomique. Si tel n’est pas le cas et qu’elle a par exemple des gestes obscènes sans pudeur, on retrouve, des abus sexuels ou des situations dans lesquelles la petite fille a pu voir des films pornos par exemple ce qui ne l’empêche pas d’avoir des théories sexuelles infantiles dont le vagin est forclos. La méconnaissance du vagin n’et pas à rabattre sur une question anatomique, c’est plutôt lié à l’idée que tout le monde a un phallus y compris la mère. Par ailleurs, quand Freud parle de l’organe mâle, il faut entendre le phallus au sens de symbole et non pas au sens de la réalité anatomique, au sens de pénis comme c’est souvent entendu et comme les travaux de Freud l’ont donné à entendre. Au point qu’Onfray, à la suite de nombreux autres détracteurs, traite Freud de misogyne notamment sur le fait qu’il ait dit en 1912 « le destin c’est l’anatomie » (du rabaissement généralisé de la vie amoureuse, 1912).

Comment Freud explique que seul le phallus joue un rôle ? Cela vient de ce que pour la fille comme pour le garçon, le premier objet d’amour c’est la mère et que le garçon ou la fille ont ce même désir inconscient de faire un enfant à la mère ou d’en mettre un au monde pour elle, cela étant plus prégnant chez la petite fille précise Freud (désir d’enfant qui n’est pas à confondre avec le vœu conscient de vouloir un enfant). Sur le plan clinique, il est effectivement très fréquent de recevoir aux urgences des enfants (filles et garçons) se plaignant de maux de ventre incompréhensibles pour les pédiatres et qui sont l’expression de ces vœux inconscients. Ces maux de ventre surviennent par exemple au moment de la grossesse de la maman ou après la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur. J’ai même rencontré une petite fille de 5 ou 6 ans qui avait développé une phobie des insectes qui était l’expression d’un tel vœu : elle avait peur de voir sortir une « phasme » de sa manche, équivalent imaginaire d’un accouchement. Bref, Freud avait bien entendu que les enfants ont un désir tout sexuel à l’égard de la mère bien qu’il ne s’agisse pas d’un désir sexuel au sens adulte et génital. La mère est d’autre part elle-même perçue comme détentrice d’un phallus, ce qui correspond à une théorie infantile, quelque soit le sexe, de la possession universelle du phallus. On conçoit qu’un tel propos pris au niveau anatomique puisse attirer les critiques. Au point qu’Onfray, toujours, met ces développements sur le compte des relations « tortueuses » de Freud aux femmes : relation incestueuse à sa mère puis à sa fille Anna, adultère avec sa belle soeur. Alors que l’on doit entendre cela comme la question de ce qui fait universel et du rapport que l’on entretient à cet universel.

Comment la fillette va devenir une femme dans ce contexte phallique décrit par Freud ? Il précise que c’est plus compliqué pour une fille de devenir une femme que pour le garçon de devenir un homme car elle doit accomplir 2 tâches de plus que le garçon et c’est l’attachement tendre préoedipien qui est déterminant pour l’accès à la féminité, c’est-à-dire l’attachement premier à la mère puis l’oedipe. Ce que Lacan a repris sous l’angle des premières interactions avec le grand Autre maternel (ou ses substituts) et notamment avec le stade du miroir.

Quelles sont ces 2 tâches supplémentaires, décrites par Freud, qui incombent à la fillette?

1ère tâche supplémentaire : elle doit changer de zone directrice: c’est-à-dire passer du clitoris – qui fonctionne au stade phallique comme un petit pénis – au vagin. « Le clitoris doit céder sa sensibilité, et du même coup son importance, au vagin, totalement ou en partie » (La féminité, 1933). Sur le plan clinique, beaucoup de femmes disent n’avoir d’orgasme que clitoridiennement et se demandent si c’est bien normal, si elles ne sont pas frigides. En tout cas, la formulation freudienne sonne comme un traité d’anatomie qui convoque l’imaginaire, càd la question de l’image corporelle que Lacan a repris avec le stade du miroir. Si on l’entend sur un plan plus métaphorique, on retiendra l’idée de la nécessité d’un passage d’une position phallique à une position Autre qui échappe en partie à la dialectique phallique (quelque soit le sexe anatomique) pour accéder à la féminité.

2ème tâche supplémentaire, elle doit changer d’objet d’amour, et aussi de sexe d’objet d’amour, c’est-à-dire passer de l’attachement préoedipien à la mère à l’attachement au père. Ceci se fait, dit Freud, quand elle s’aperçoit que la mère est castrée et qu’elle réalise son « infériorité » sur le garçon en cela qu’il est détenteur du pénis et pas elle. Elle se considère alors castrée comme la mère (Freud parle de « castration accomplie »). Voilà en quoi Freud fait d’une femme un homme castré. Ce terme « d’infériorité » de Freud n’est pas à prendre comme la preuve de sa misogynie mais comme le témoignage de ce qu’il a entendu et que l’on entend toujours dans l’inconscient sous diverses formes et quelque soit le sexe: mépris des femmes pour les hommes et pour les femmes, mépris des hommes pour les femmes, manque d’estime personnelle et de confiance en soi des femmes etc. Freud précise que la fillette tient sa mère pour responsable de ce manque de pénis et de sa castration ce qui va provoquer sa haine à l’égard de sa mère. Elle va alors succomber à « l’envie de pénis » qui, dit Freud, « laisse des traces indélébiles » dans son psychisme et n’est que très difficilement surmontée. Cette envie de pénis, ce pénisneid, est ce qui la fait entrer dans l’oedipe (la fillette rentre dans l’oedipe par la castration) et va éventuellement la conduire à la féminité. Du coup cela pose le problème du déclin de l’oedipe pour la fille : en effet comment renoncer au pénisneid sans sortir de la féminité? Freud disait qu’il n’y avait pas de motif de destruction de l’oedipe chez la femme alors que chez le garçon, le complexe d’oedipe disparaît sous l’effet du complexe de castration par la constitution d’un surmoi.

L a petite fille dispose de 3 façons pour réagir à cette « envie de pénis »:

1/ la blessure narcissique est telle qu’elle va rejeter l’amour pour sa mère, et refouler ses aspirations sexuelles, c’est l’inhibition sexuelle ou la névrose,

2/ elle peut développer ce que Freud appelle un fort complexe de masculinité càd refuser de renoncer à une sexualité phallique. Cela peut parfois déboucher sur une homosexualité manifeste ultérieure ou constituer le lit d’une homosexualité secondaire par régression à ce complexe de masculinité,

3/ La voie féminine normale est lorsqu’elle se tourne vers le père comme détenteur de ce pénis dont elle a envie. Elle ne deviendra femme que lorsque cette envie de pénis se sera muée en désir d’enfant (qui existait déjà avant) et que pour atteindre son but, elle s’identifiera à la mère. Càd en acceptant la castration de la mère, en la voyant comme celle qui a pu obtenir le pénis du père (qui a causé son désir) c’est-à-dire comme une femme. Cette identification pose de nombreux problèmes sur le plan clinique. Freud dit que peut-être l’envie de pénis même quand elle est remplacée par le désir d’enfant reste un désir masculin et que c’est peut-être un désir féminin par excellence ! Cela est intéressant car nous verrons avec Lacan qu’une mère est dans un rapport particulier au phallus.

Dans tous les cas, pour Freud, les avatars ultérieurs de la féminité sont des séquelles de la période masculine antérieure et de l’envie de pénis qui en résulte. Pour lui c’est donc l’envie de pénis qui règle la sexualité féminine. Cette envie de pénis peut se présenter sous diverses formes qui vont du désir inconscient de posséder soi-même un pénis à l’envie de jouir du pénis dans le coït ou encore, par substitution, au désir d’avoir un enfant. Bref, la féminité rime avec une certaine insatisfaction que seule la maternité peut venir alléger puisqu’elle correspond à une appropriation du pénis à travers l’équivalence symbolique enfant-pénis. Avec « l’envie de pénis », Freud témoigne de ce qu’il a entendu dans la clinique mais se fourvoie dans une impasse imaginaire qui rejoint celle couramment répandue (toujours de nos jours) qui confond différence de position et différence de valeur ce qui effectivement est difficilement surmontable. Confusion qui se forge sur une notion de complétude de type « tout » ou « nul » que la psychanalyse grâce aux mathématiques et à Lacan a pu relativiser. Toutefois, par l’emprunt de ces diverses formes, on voit bien qu’avec Freud, le pénis s’élève déjà à la valeur de symbole. C’est en effet autour du symbole phallique que s’organise la sexualité humaine, cela vaut pour tous. Ce « tous » est important, il induit un universel sur le plan logique. C’est ce que nous amène Lacan qui pour sa part et dans un esprit d’élargissement de la notion de sexualité va proposer le terme de sexuation. C’est-à-dire la façon dont dans l’inconscient, au-delà de la sexualité biologique, les 2 sexes se reconnaissent et se différencient. Cette question de la sexuation relativise la notion freudienne de l’envie de pénis puisque Lacan va encore accentuer la dimension de symbole du phallus. Lacan dans le séminaire Encore va proposer des formules de la sexuation qui supposent au moins comme préalable une redéfinition du phallus, ou de la fonction phallique, et une interrogation sur sa dimension d’universel. Puisque ce tableau montre comment le sujet a à se déterminer par rapport au phallus, à la castration et à la jouissance. Phallus ici est pris au sens de fonction phallique ou plus exactement de fonction de la castration. Elle porte symboliquement sur le phallus en tant qu’objet imaginaire (pas réel ou anatomique).

Position masculine le sexe anatomique

Position féminine le sexe anatomique

___

x Φx

x Φx

___ ___

x Φx

___

x Φx

$

Φ

s (A)

a La

Les quantificateurs :

: il existe

: quelque soit, pour tous

x : un être parlant, on voit que cette lettre se situe aussi bien d’un côté que de l’autre du tableau ce qui traduit bien que Lacan se démarque de l’idée d’une essence, d’une nature masculine ou féminine.

Φ: grand phi, fonction phallique, phallus symbolique

$ : le sujet de l’inconscient, le sujet divisé

Certaines formules sont surmontées d’une barre pour indiquer la négation de la formule. Le haut du tableau donne plutôt la répartition collective entre hommes et femmes alors que la partie basse est plutôt éclairante des relations privées entre un homme et une femme.

DU CÔTE HOMME:

Haut du tableau : 1ère ligne à gauche:

On peut lire: Il existe un x tel que non phi de x. Autrement dit: il y a un x qui n’est pas soumis à la castration, à la fonction phallique. c’est à dire que du côté homme, tous partent, tous s’ordonnent à partir d’un ancêtre, d’un père non castré. C’est le père de la horde primitive de Freud, c’est le père mort. C’est à dire que c’est ce père symbolique, tyrannique, qui a l’origine des temps régnait sur une horde de femmes dont il était le seul à avoir la jouissance, le commerce sexuel. Ses fils, sous peine de mort, n’avait pas droit aux femmes. un jour, ils se révoltèrent, tuèrent et mangèrent le père afin de pouvoir jouir des femmes. Mais ils furent vite pris de remords et se rendirent vite compte qu’ils se déchireraient à leur tour entre eux pour pouvoir jouir des femmes. Ils firent alors un pacte, celui de s’interdire – au nom du père mort – la jouissance des femmes du père afin de pouvoir vivre en paix et en communauté. C’est ce pacte qui rend possible la civilisation, la vie en groupe et plus largement en société. Ce pacte symbolique, c’est la castration, c’est l’interdit de la jouissance des femmes du père et donc de la mère mais il autorise une jouissance bornée par le phallus. Du côté homme c’est donc le passage pour tous, sauf un, le père, par la castration qui va permettre au sujet d’accéder au commerce des femmes et à la jouissance des biens. C’est en acceptant un interdit qu’il y a autorisation à une certaine liberté sexuelle.

Haut du tableau : 2ème ligne à gauche traduit cet universel de la castration du côté homme: quelque soit x, pour tous x, phi de x:. Il faut en passer par la castration. pour avoir le droit d’être un homme. Ces 2 formules indiquent que l’exception paternelle confirme la règle universelle phallique.

Dans le bas du tableau à gauche: Lacan place le sujet en tant que divisé, ce qui veut dire en tant qu’aux prises avec son inconscient et son désir.

C’est aussi là que trône le grand phi, la fonction phallique, la référence phallique. Du côté homme, on se prévaut de cette référence. Du côté homme, c’est le phallus qui fait la bannière sous laquelle on se rassemble.

On comprend bien alors la crainte que peut avoir un être parlant dans cette position, de ce côté ci du tableau, de le perdre (c’est imaginaire). Ce qui fait dire à Lacan, qu’un homme « n’est pas sans l’avoir ». Le défaut est du côté de l’avoir.

Dans le bas du tableau, il y a aussi cette flèche qui part du S barré vers l’autre côté du tableau, le côté féminin, vers le a. Dans le discours psychanalytique, cette flèche écrit la formule du fantasme. C’est à dire qu’un sujet en position masculine va trouver ce qui détermine son désir du côté féminin. C’est ce qui fait dire à Melman « le petit a, c’est ce qui fait que le Un n’est pas Tout»3.

DU CÔTE FEMME:

De ce côté pas d’ancêtre, c’est ce que l’on peut lire sur la première ligne des formules (en haut à droite): Il n’existe pas de femme qui échappe à la castration et à la fois, la 2ème ligne nous indique que « pas-tout » x est soumis à la fonction phallique. Ce « pas-tout » est à entendre comme cela: du côté femme on est pas entièrement soumise à la dialectique phallique, quelque chose y échappe. Et ceci est un grand apport par rapport à l’universel phallique de Freud. La dialectique phallique ne pèse pas de la même façon selon que l’on se tient du côté homme ou du côté femme.

C’est à dire que la castration est abordée de façon singulière du côté femme. On le conçoit puisque la petite fille aborde la castration, sous l’angle imaginaire de la privation et de la frustration, cette privation est attribuée à la mère phallique avant d’être transférée sur le père. A son propos, Lacan dira, une femme « est sans l’avoir » mais « n’est pas sans l’être » dans le sens où elle va être un semblant de phallus pour un homme puisque ne l’ayant pas, elle va faire fonction de signifiant du désir en tant qu’objet a.

Il n’y a donc pas de bannière sous laquelle puissent s’inscrire les femmes, c’est ce que traduit le « La »: « La femme n’existe pas », elle n’a pas vocation à faire universel.

le bas du tableau à droite : Comme on vient de le dire, une femme va faire fonction de signifiant du désir, c’est à dire que le « a » va s’inscrire de son côté. Elle va incarner pour un homme ce qui cause son désir. Alors bien sûr cela ne veut pas dire que pour être du côté femme il faut être l’objet d’un homme. Mais du côté femme, il y a ce qui détermine le désir d’un homme. Alors vous me dirai mais une femme, elle fantasme aussi ! Oui mais fantasmer pour une femme, c’est se glisser dans le fantasme d’un homme. Sinon c’est fantasmer comme un homme et on sort du côté femme du tableau. Etre femme c’est toujours pour un homme sinon la question ne se pose pas. D’où le fait que l’on puisse dire pas l’Autre sans l’Un.

Le point suivant dans le tableau côté femme c’est le S (A). C’est quelque chose de nouveau par rapport à Freud. Cela vient de ce fait qu’une femme n’est pas toute dans la dialectique phallique. Du côté femme, il y a un signifiant du manque. C’est à dire que c’est en tant que manquant qu’une femme va avoir à faire au phallus.

On voit bien les 2 flèches qui partent du « La » barré: d’un côté; elle franchit la ligne, elle va vers le côté homme, pour un accès au phallus, à la jouissance phallique et de l’autre, elle a à faire au phallus en tant que manquant. C’est à dire qu’elle va avoir accès à ce que Lacan a appelé la jouissance Autre. Cette jouissance est typiquement féminine. Un exemple de cette jouissance: la jouissance des mystiques.

Il faut bien percevoir qu’il y a des passages d’un côté à l’autre du tableau, on ne cesse de naviguer d’un côté à l’autre, ce n’est pas figé. Il n’y a que des semblants d’hommes et de femmes. D’autre part, il permet de repérer qu’on ne peut pas parler de rapport sexuel, rapport pris au sens mathématique, on ne peut parler que de fornication puisque « la femme n’existe pas ». Pour faire rapport, il faut 2 entités. Seul prévaut le phallus. Par contre il y a un rapport entre un avoir phallique et un être phallique: un homme pour une femme est celui qui détient le phallus, une femme pour un homme est le phallus mais de façon imaginaire. Ce qui nous différencie, les hommes et les femmes c’est plus en terme de jouissance : La jouissance sexuelle est une jouissance de type phallique, à laquelle ont accès les hommes et les femmes, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre du tableau. La jouissance Autre est une jouissance typiquement féminine, uniquement du côté femme, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des hommes au sens anatomique qui y aient accès.

1 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

2 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

3 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »