ALI-Provence

La rencontre du féminin

Enseignement de l’ALI- Provence – Ghislaine Chagourin – Année 2010-2011

Séminaire sur la féminité, la maternité et leurs articulations au «pas tout » et au phallus

Séance du 17 janvier 2011

La féminité ne peut pas se transmettre mais elle s’invente au singulier à partir de cette rencontre

La dernière fois, vous m’avez demandé si la féminité pouvait se transmettre. Aujourd’hui, je vais tenter de répondre à cette question. Je partirai de ces propos de Vannina Micheli-Rechtman, qui nous rappelle que si, comme l’a énoncé Lacan, « La Femme n’existe pas », « alors chaque femme, une par une aura à inventer sa propre solution afin de suppléer à ce défaut du symbolique, donc à inventer sa propre façon d’être une femme »1. Je partirai aussi de ces propos de J.P. Lebrun : « le féminin n’est pas la propriété des femmes. Car effectivement, dès qu’il s’agit de dire le singulier , de créer, c’est le féminin qui est à l’œuvre »2. Ces propos qui pointent la nécessité d’une invention, d’une création, au singulier, écartent toute possibilité de transmission et relativisent la place de l’anatomie. En tout cas, concernant la créativité je ferai cette petite parenthèse clinique : si la créativité, notamment artistique, relève du féminin et s’entend aussi bien dans les paroles et les actes d’hommes que de femmes, on comprend mieux pourquoi il est souvent si difficile de s’appuyer dessus que ce soit pour gagner sa vie ou pour être socialement reconnu, c’est encore plus marqué du côté des femmes. Sans doute faut-il que cette créativité vienne se crocheter au phallique pour avoir une chance d‘émerger socialement.

Je me suis ensuite demandée comment se faisait cette rencontre du féminin pour les deux sexes et le rôle qu’elle jouait dans cette invention d’une solution pour chacune? Freud nous a légué que l’instauration de la vie sexuelle est diphasée, qu’elle débute avec la sexualité infantile et se parachève à la puberté avec l’inscription dans l’inconscient de l’opposition masculin-féminin et la génitalité. En d’autres termes, pour Freud, la différence des sexes comme logique organisatrice de la sexualité ne se parachève qu’à ce que nous appelons aujourd’hui l’adolescence. Comme nous l’avons vu, avant cela, la différence des sexes est connue des enfants mais dans un registre binaire « châtré, pas châtré » ou autrement dit « avoir, ne pas avoir le pénis » donc selon une référence toute phallique, une construction préœdipienne qu’il faut bien qualifier d’imaginaire.

Grâce aux avancées de Lacan nous pouvons dire que nous ne naissons pas homme ou femme, que nous naissons tous au phallique tout aliénés au désir de la mère. Ensuite Freud disait que nous devenons homme ou femme en nous identifiant à notre sexe selon notre position eu égard à la castration en fonction de notre sexe anatomique. C’est ce qu’il a développé avec le complexe d’Oedipe. Mais je pense aussi que cela dépend de la façon dont nous allons rencontrer le féminin. Ce qui va permettre de passer à une logique de l’être et de l’avoir et introduire le pas tout dans le meilleur des cas.

Pour rappel, le devenir femme pour Freud revient, sous l’effet de l’angoisse de castration, à passer du clitoris au vagin (passage d’une logique phallique à une Autre logique ?) puis de la mère au père et à l’homme (changement de sexe de l’objet d’amour mais selon quelle grammaire ?) et à transformer l’envie de pénis en un désir d’enfant. Toutefois avec cette lecture, l’acmé de la féminité se situe dans la maternité ou dans un désir de maternité càd dans un registre résolument phallique; Freud le dit d’ailleurs lui même puisqu’il note l’équivalence phallique de l’enfant, encore plus s’il s’agit d’un garçon. Il est vrai que dans de nombreuses cultures, mettre au monde un enfant mâle est le sommet de la consécration pour une mère.

Dans un article paru dans le JFP n° 32 sur l’Anorexie Boulimie, Vannina Micheli-Rechtman dit que si Freud a eu l’air de réduire la position féminine à la maternité, c’est qu’il faut le resituer dans son époque dans laquelle, la maternité était le seul substitut phallique socialement toléré pour une femme. Mais le fait que les femmes puissent aujourd’hui avoir accès à des substituts phalliques autres que les enfants « ne règle pas pour autant la question du manque phallique sur le versant de l’être »3 nous dit-elle. Ce qui laisse entendre que pour une femme cela va se jouer dans le registre d’être le phallus, nous y reviendrons. Ainsi, Freud rate la question du désir féminin hors de la mère, de ce qui du féminin échappe au phallique. Si le mérite de Freud a été de replacer les femmes dans le champ de l’humain en les incluant dans l’universel phallique, il ne leur fait pas la part belle quand il s’agit de décrire quelques uns de leurs traits (La féminité, 1933). Traits dont il avoue lui même qu’il est difficile de savoir s’ils relèvent d’une spécificité de la fonction sexuelle ou de l’influence du dressage social. Je vous propose qu’en fin d’exposé nous y revenions pour en discuter. Parmi ces traits relevons :

  1. un degré élevé de narcissisme qui fait que pour une femme être aimée est plus fort qu’aimer

  2. une vanité corporelle exacerbée par l’envie de pénis en dédommagement de son infériorité sexuelle initiale

  3. la pudeur qui est une façon de masquer le défaut de pénis et l’aptitude au tressage et au tissage qui poursuit le même but par métonymie

  4. un choix d’objet qui se fait sur « l ‘idéal narcissique de l’homme que la petite fille aurait souhaité devenir » ou d’après le père s’il y a eu fixation à cet attachement

  5. un sens de la justice et de la morale moindres du fait de la prédominance de « l’envie » dans sa vie psychique et d’un surmoi moins rigide

  6. des intérêts sociaux et une capacité de sublimation pulsionnelle moindres que chez les hommes

  7. une psychorigidité psychique plus précoce que chez l’homme

    Si ces traits restent à analyser à la lumière du pas tout de Lacan et des discours qu’il a formalisé, ils posent déjà à ce stade la question du type de lien social que peut entretenir une femme ? Car si elles aspirent à être aimées mais ne savent pas aimer, ne pensent qu’à leur apparence, à leur image et à cacher leur manque de pénis, qu’elles n’envisagent une relation à un homme qu’à travers un idéal narcissique, qu’elles sont injustes, immorales, non altruistes et psychorigides,

    comment peuvent elles venir se rattacher à un collectif, faire institution si elles incarnent le singulier ? Vannina Micheli-Rechtman, nous amène une première réponse et dit que la façon féminine d’être dans le lien social serait à travers l’amour, à travers le maintien de liens amoureux pour pallier à l’a-socialisation qui découle du discours de la science. Cela contredit Freud qui disait l’amour très asocial (repli amoureux) et les femmes moins versées dans les sublimations et les investissements sociaux que les hommes du fait d’un surmoi moins développé. Qu’en est-il ?

    Il est intéressant de noter que les institutions de femmes, c’est une entité clinique que Freud n’a jamais analysé, on peut se demander pourquoi, alors qu’il a parlé d’institutions d’hommes à travers l’armée ou l’église et des phénomènes de groupe autour d’un idéal du moi qui fait trait d’identification. Mais y a t-il institution de femmes ? Les premières qui me soient venues à l’idée sont les ordres religieux de femmes puis les prisons de femmes. Mais sont-elles autre chose que des institutions phalliquement organisées et regroupant des femmes. La seule institution de femme à laquelle je puisse penser et qui se développe aujourd’hui est celle de la famille matrocentrée.

    Car force est de constater qu’aujourd’hui les femmes fuient l’institution traditionnelle familiale en même temps que la violence conjugale se développe – c’est la plupart du temps elles qui demandent le divorce. Ces femmes forment de plus en plus souvent des familles dites monoparentales dans laquelle la relation à la mère devient prévalente. Au point que Ch. Melman parle de l’émergence d’un matriarcat. Ne serait ce pas l’effet de ce que dans l’institution familiale traditionnelle beaucoup de femmes n’y sont prises en compte que pour se faire traiter comme des hommes pour être maltraitées et battues et ce malgré tous les discours féministes? La question mérite d’être posée. J.P. Lebrun, dans La condition humaine n’est pas sans conditions, avance même que notre société n’aime pas les femmes, malgré les discours féministes, car elle aime les mères. Il semblerait intéressant d’être plus précis quand on parle d’une féminisation de la société.

    Autre point sur lequel Freud ne s’est pas étendu : comment un garçon va passer de sa mère aux femmes ? Il précise simplement que le garçon n’a pas à changer de zone génitale directrice ni de sexe d’objet d’amour et que c’est la menace de castration qui l’amène à renoncer à la mère. Mais Freud ne dit pas grand chose sur ce qui va le pousser à désirer du côté des femmes. Dans la logique freudienne, un garçon doit passer du désir incestueux pour sa mère à un désir pour une femme qu’il fait mère. Comme si vis à vis d’une femme il ne faisait que répondre à un désir d’enfant. Si dans la clinique on rencontre encore des hommes qui s’empressent de faire un enfant à chaque femme qu’ils rencontrent, cela ne semble pas épuiser la question. Pas plus que le fait que de plus en plus de femmes ont un enfant avec chaque homme qu’elles rencontrent. Reste à savoir si et comment pour un homme une femme peut être autre chose qu’une mère, y compris pour lui, ou une putain avec qui il fornique. Cette difficulté expliquerait la banalité clinique de la misogynie ou de l’homosexualité avec leur corollaire de violence tant sociale qu’individuelle.

    Comme l’écrit Ch. Melman, « le narcissisme du mâle l’amène facilement à dénigrer la femme, et quand il y renonce , c’est pour se faire son enfant »4ou encore « il est évident qu’à aimer le pouvoir du Un et à le respecter je ne peux l’aimer que dans le partage avec un partenaire semblable, identique lui même et qui vient rappeler la toute puissance de ce Un. Il y a là une forme d’homosexualité que vous connaissez et qui ne passe pas par une féminisation quelconque. Forme d’homosexualité adepte du culte, de la force, de la violence et du totalitarisme. D’ailleurs tout totalitarisme est une forme comme une autre d’homosexualité et vous voyez là où ça s’est produit les femmes être transformées ne serait ce que par le costume etc »5. En effet, l’actualité du monde avec les exactions des divers totalitarismes notamment envers les femmes sont tout à fait éclairantes sur ces impasses toutes phalliques. Une autre impasse toute phallique est celle du Don Juan puisqu’il s’agit là de trouver La Femme en tant que phallique. Dans notre social actuel nombre de femmes se plaignent de la lâcheté et de l’inconsistance des hommes qui semblent avoir renoncé au phallus, nombre d’entre eux étant passés dans un pas du tout phallique dont on sait la prédilection pour la toxicomanie et qui n’est pas à confondre avec un positionnement dans le pas tout mais plutôt du côté d’une jouissance Autre qui fait question. Ce qui fait que l’articulation de l’Un à l’Autre n’est plus toujours possible. C’est dire que la rencontre du féminin fait toujours et encore difficulté. Grâce à l’ouverture fantastique qu’apporte J. Lacan avec la logique du pas tout phallique les femmes peuvent sortir de l’enfermement dans lequel les laissait l’envie de pénis freudien et les hommes peuvent sortir du tout phallique.

    Pour ma part, il me semble que ce passage de la mère aux femmes pour un homme va beaucoup dépendre de la façon dont la mère se positionne elle même eu égard à la féminité et aussi du cas que le père fait de cette féminité. Lors de journées d’Espace Analytique à Paris intitulées Quel homme, Markos Zafiropoulos disait que la mère primordiale est du côté du réel, d’un rapport corps à corps avec l’enfant et qu’elle va partir en fragments (objets a) pour faire place à la mère symbolique. C’est-à-dire que peu à peu par l’entremise du langage, elle va devenir sans corps pour l’enfant et continuer à exister parce qu’un père prend le relais. J.P. Lebrun dans La condition humaine n’est pas sans conditions dit la même chose en ces termes: « c’est à la mère de faire ce travail qui consiste à transformer un rapport de corps à corps en un rapport qui passe par le langage » (p. 171). Cette place de la mère va être prépondérante aussi pour que la fille puisse construire sa féminité même si on ne peut pas parler de transmission. Claude Noëlle Pickman dit que le féminin ne renvoie jamais à un originaire d’avant le langage de type « sensoriel » sans mot ou « archaïque d’un corps à corps » mythique avec la mère.

    Cette rencontre du féminin, de l’au-delà phallique à travers la logique du pas tout va avoir lieu pour le garçon et la fille lors du passage adolescent sur les bases de ce qui s’est passé pour eux dans l’enfance. Ils vont rencontrer « cette part [d’eux mêmes] ignorée dans leur enfance, le féminin »6 comme le dit S. Lesourd à qui je me réfère pour les développements suivants.

    Il développe que l’adolescence est ce passage où il va s’agir de s’inscrire dans un lien social sous un signifiant partiellement autre que celui sous lequel l’enfant l’était dans le roman familial. Il va devoir découvrir un signifiant qui le représente dans le social. Afin que l’adolescent et l’adolescente puissent se construire une place structurale qui soutienne le rapport aux autres dans le lien social, il faudra qu’ils reconnaissent la place symbolique du phallus et qu’ils rencontrent chacun le féminin en soi. Il me semble que ceci est aujourd’hui complexifié par le fait que dans le social la valeur primordiale du phallus n’est plus soutenue ce qui peut faire croire à l’adolescent comme à l’adolescente que le phallus lui même n’est qu’un leurre et n’est pas symbolique alors même que ce n’est que par la destitution du phallus imaginaire de l’enfance qu’ils vont être confrontés à la jouissance Autre et à la position féminine. Jean Christophe Brunat dans son article le cours du phallus avance que « le phallus n’est plus en position d’exception, le seul à organiser notre social. Nous voilà passés d’une société toute phallique à une société pas toute »7. Là encore ne faut-il réfléchir avant d’en déduire que nous allons vers une féminisation de la société ?

    Jusqu’à l’adolescence, Freud nous a appris que le féminin est exclu de la construction de l’inconscient, ce qui d’un point de vue logique veut dire que jusque là, il n’y a rien qui vienne objecter à l’idée même d’un tout, de l’universel du phallus. Claude Noëlle Pickmann dit que le pas tout c’est ce qui sur le plan logique va permettre d’objecter à l’idée même d’un tout8. S. Lesourd rappelle qu’à partir de cette rencontre du féminin, l’adulte, homme ou femme, sera confronté au manque dans ses 3 registres:

  8. Symbolique : il n’y a pas de vérité absolue

  9. Imaginaire : il est impossible d’avoir le phallus en son nom propre

  10. Réel : il n’existe pas de rapport sexuel

    Comment peut se faire cette rencontre avec le féminin, avec l’Autre sexe ? Pour S. Lesourd, elle se fait, tant pour le garçon que pour la fille, à partir du bouleversement du corps pubertaire et des effets qu’il va produire sur l’image narcissique du corps telle qu’elle s’était construite lors du stade du miroir mais c’est aussi et avant tout une opération langagière. Cela passe aussi à travers la question de la jouissance (puisqu’il s’agit du corps). La jouissance de l’enfant est réglée sur le primat du phallus, c’est la jouissance phallique. Il précise que les adolescents garçon et fille vont être conviés à la rencontre avec la Jouissance Autre lors de la destitution du père phallique imaginaire.

    Par rapport au stade du miroir, S. Lesourd rappelle que c’est le stade au cours duquel l’anatomie avait déjà joué un rôle puisque ce qui différenciait garçon et fille c’était la présence du pénis comme visible, spécularisable pour le regard du grand Autre maternel ou son absence. Ce qui veut dire que l’anatomie n’est pas exclue de l’accès au féminin et fait d’ailleurs que pour la fille la pulsion privilégiée sera le regard à travers ce qui ne se voit pas sur son corps. S. Lesourd poursuit en disant qu’elle va représenter par son corps entier le fait que la mère est une fille aussi et par ailleurs elle n’a pas dans son corps le représentant de ce que la mère désire.

    Donc la fille est prise dans un désir de l’Autre dont elle attendra le regard (sans doute source de ce que Freud a repéré en termes de pudeur ou d’importance de l’apparence. Aujourd’hui cela se traduit par l’attrait à faire circuler des photos sur les blogs, portables et autres sites internet). Par rapport à la question du regard, les conséquences logiques à l’adolescence vont être pour la fille que le corps peut « prendrevaleur imaginaire de signifiant phallique » ce à quoi elle va pouvoir réagir de différentes façons qui sont autant de façons de refuser de renoncer à « être » imaginairement le phallus: S Lesourd donne 3 voies possibles à laquelle j’en rajoute une :

  11. exhibitionnisme de l’hyper séduction : cf string, cuissardes, vêtements moulants et décolletés, maquillage, coiffure etc

  12. refus de la féminité : cf tenues unisexes, jogging larges

  13. déni de son corps de femme : cf l’anorexique

  14. le port du voile intégral (quand il est voulu par les jeunes filles et n’est pas politisé) me semble pouvoir être aussi une façon de refuser de renoncer à être le phallus puisqu’il faut cacher le corps. Ce n’est pas un refus de la féminité toutefois mais c’est une sorte d’exhibitionnisme en négatif.

    Pour le garçon, S. Lesourd dit qu’au au stade du miroir, la présence spécularisable de l’objet pénien fera que la pulsion privilégiée sera la voix. Le garçon sera pris dans un désir de l’Autre auquel il lancera un appel (sans doute source de l’attrait pour la tchatche, la drague, bien qu’aujourd’hui la voix le cède à l’écriture sous forme de textos, SMS, MMS etc). Dans Le cours du phallus, J.C. Brunat dit que si le référent commun aux femmes et aux hommes renvoie à l’image de l’organe mâle, c’est je cite :

    « parce qu’il est possible de faire un nouage borroméen avec le sexe masculin :

    1/ C’est un organe en relief possédant une image spéculaire. [ imaginaire]

    2/ Il est impliqué dans le réel de la différence anatomique des sexes et de la reproduction. [réel]

    3/ Enfin et surtout, son fonctionnement physiologique est compatible avec la physiologie du symbolique [symbolique]:

  15. quand il n’est pas en état de marche il est quand même là et quand il est en état de marche il peut se dérober, donc présence sur fond d’absence et vice versa

  16. il échappe au contrôle de la volonté et il semble répondre à un commandement Autre, à savoir qu’il lui arrive de marcher quand il ne faudrait pas et vice versa

  17. enfin, son implication dans la reproduction et la filiation nécessite une certaine foi, ‘ pater incertus’ »9

    Mais l’anatomie ne recouvre pas la question, car l’enjeu du regard et de la voix du grand Autre maternel au stade du miroir sont étayés et renforcés par les dires parentaux précise S. Lesourd. En effet, il rappelle que dès la plus petite enfance, il n’y a pas la même adresse des parents à un bébé fille ou un bébé garçon, la place du regard et de la voix de la mère est déterminée par la différence sexuelle et est déterminante pour l’accès de l’enfant à son image sexuée mais le corps se constitue comme sexué avant tout dans le langage.

    Cette identité sexuée précoce au stade du miroir va faire que l’Oedipe, qui n’est que la remise en forme de l’image narcissique du stade du miroir, ne sera pas abordé de la même façon pour le garçon et pour la fille. L’entrée et sortie différente dans l’Oedipe est plus articulée à la façon dont le corps a été constitué comme sexué dans le langage au temps du stade du miroir, qu’au réel du corps.

    La fille va être confrontée à l’angoisse de castration du fait de la non spécularisation du pénis et va rester dans l’Oedipe alors que le garçon sera confronté à la menace de castration du fait de la présence du pénis ce qui le fera sortir de l’Oedipe. L’Oedipe qui va venir réordonner les raisons signifiantes et langagières du désir autour de la construction d’un signifiant maître :le phallus. L’Oedipe c’est ce qui sert à constituer le phallus comme objet symbolique comme le dit S. Lesourd. Cela répond à la nécessité pour l’enfant d’élaborer autour de ce qui lui manque pour répondre au désir de la mère, pour la satisfaire. D’une logique de « l’avoir ou ne pas l’avoir » imaginaire et pré-oedipienne, va devoir se construire une logique autour de « l’être et de l’avoir  (le phallus)» dans laquelle le phallus doit se constituer comme objet non plus imaginaire mais symbolique. C’est par le biais du devenir de l’attribution phallique faite au père dans l’enfance que cela va passer. Dans l’enfance, le phallus est attribué au père car « le père serait pourvu de ce qui satisfait le désir de la mère »10 c’est lui qui l’a par un don que lui fait l’enfant mais avec cette attente que cela lui soit rendu quand il sera grand. Pour la fille, le manque de pénis sur le plan anatomique va lui indiquer plus facilement qu’elle ne l’a pas et qu’il n’y aura pas réalisation future de la promesse oedipienne d’où l’angoisse de castration. Cette angoisse de castration est une signe du manque fondamental du phallus, de son inexistence ce qui facilite son passage au registre du symbolique et fait qu’elle va tenter de l’être. Il semble qu’aujourd’hui, pour de nombreuses petites filles et petits garçons, cette attribution phallique faite au père est très souvent problématique : le père est rejeté par la mère ou n’assume plus rien ou est humilié socialement etc : il est réellement déphallicisé. Comment alors constituer le phallus symboliquement, il va au mieux fonctionner sur un registre imaginaire du côté de la mère ou de l’être le phallus ou ne fera plus référence ou sera réduit à un objet comme un autre. Par exemple, on voit de plus en plus d’hommes faire la « mère bis », ils mettent leur honneur à faire mieux que la mère comme le dit J.P Lebrun dans La condition humaine n’est pas sans conditions.

    Mais pour revenir à la féminité, c’est donc en tant que « n’étant pas sans l’être (le phallus) que la jeune fille construit sa féminité », on la verra par exemple s’investir dans ce qui satisfait le désir des parents pour ne pas perdre leur amour (la petite fille modèle). Le danger pour une fille est qu’elle tente de le devenir, de l’être imaginairement ce phallus. La difficulté étant pour elle d’articuler les registres du réel du symbolique et de l’imaginaire sans tomber dans le registre hystérique. Le passage de la fillette à la jeune fille doit être parlé et notamment par la mère car c’est un moment crucial de reconstruction narcissique.

    Lors de journées de l’ALI qui ont eu lieu à Chambéry et qui s’intitulaient aliénation-séparation : qu’apprend une fille avec sa mère ? Il a été dit qu’il ne peut y avoir « transmission » d’un savoir sur le féminin que dans une communauté de différence : une fille ne peut apprendre que le pas tout de la féminité et éventuellement comment faire avec cette féminité dans le lien social avec la position masculine. Càd qu’elle apprend à « tisser », à faire du lien avec cette position Autre mais le reste, ce qui relève du phallique, elle l’apprend avec le père. Pour qu’une mère puisse apprendre quelque chose à sa fille, il faut qu’elle puisse supposer être apprise elle aussi par sa fille, qu’elle suppose à sa fille un savoir y faire autrement avec la différence. S. Lesourd pour sa part avance que sous l’effet de la désillusion phallique, l’image de la mère va être mise à mal car jusque là, elle était prise dans une pure logique phallique et l’enfant ignorait qu’elle est aussi une femme. Si elle est une femme désirante ailleurs que sur son enfant, si elle n’est « pas toute » dans la jouissance phallique et a elle même un accès à la jouissance Autre, elle va permettre à la fille comme au garçon de découvrir la position féminine. « par l’ex-istence de la femme dans la mère, par cette mise à l’extérieur de la femme dans la mère, du fait de la reconnaissance de la valeur symbolique du phallus, s’ouvre, pour l’adolescent, garçon ou fille, la question de la jouissance Autre de la femme ». J.P. Lebrun ne dit pas autre chose quand il avance « qu’il n’y a pas de mère sans femme » et que c’est seulement à condition de prendre en compte le sexuel, le mortel et le féminin qu’une mère peut être au service du symbolique.11

    Mais précisons un peu plus ce qu’il se passe pour une fille avec S. Lesourd. Pour la fille, les formes et les fonctions du corps changent donc à l’adolescence avec la puberté. Le corps devient contenant des représentants phalliques : le pénis et le bébé. L’image inconsciente du corps s’invagine. S. Lesourd rappelle qu’Annie Anzieu disait « le pénis est un objet, le vagin est un lieu ». Ce que Ch. Melman a pu formuler différemment en disant que « les organes en creux ne peuvent pas valoir comme un trait »12 càd qu’il ne peut y avoir un référent féminin symbolique comme le phallus côté homme. La jeune fille va donc devoir constituer le phallus comme symbolique et se positionner :

    1/ comme objet a, comme celle qui fait désirer l’homme avec pour corollaire l’acceptation d’un corps contenant du phallus. Le vaginisme étant un exemple de refus imaginaire et réel de ce type de positionnement du corps. Une autre défense plus classique se fait sur le mode hystérique du rapport à l’Autre, le corps restant le lieu fantasmatique du désir et de la revendication phallique. La défense dépressive existe aussi, le corps étant dévalorisé et ne pouvant plus servir de support narcissique. La défense obsessionnelle n’est plus si rare avec une mise en avant de l’ignorance de la transformation de son corps et une érotisation des rapports intellectuels. Il existe aussi la défense anorexique qui est un refus de la sexuation du corps

    2/ L’autre positionnement c’est d’accepter que son corps puisse être un lieu contenant d’un bébé. Comme on le sait, le symptôme étant là le surgissement d’une grossesse réelle précoce qui vise le bébé comme représentation du phallus. Je cite S. Lesourd : «  l’adolescente peut être tentée de mettre en acte une réassurance narcissique ‘en tombant enceinte’ ou au moins en en prenant le risque »13 ce qui constitue une « réassurance sur son corps en tant que lieu contenant qui constitue son être phallique » ces grossesses étant à distinguer d’un désir réel de maternité et finissent souvent par un avortement, elles sont des passages à l’acte qui situent imaginairement l’adolescente du côté masculin de la sexuation.

    S. Lesourd soutient que les règles, qui sont une perte sanguine réelle vont aider la fille à marquer symboliquement son accès au statut de jeune femme (ce qui est différent d’un statut de symbolique de femme et ne veut pas dire que ce sang soit Le signifiant féminin). Il me semble que le « sang » perdu tous les mois renvoie inexorablement au signifiant du manque, au « sans »; mais le sang vient aussi dire la possibilité future d’un bébé, il peut toutefois faire office d’un « pas tout sans » ou d’un pas « sans rien » qui diffère du pas tout. La perte d’un contenu vital vient inaugurer un corps de femme mûre qui peut être mère et contenir en son sein un bébé et qui peut être amante et contenir en son corps un pénis. Pour S. Lesourd, les règles ont fonction de rappel récurrent de, je cite, « la vacuité du contenant, qui l’empêche d’être tout à fait le phallus »14. C’est ce qui fait office de surmoi à une femme. Mais on sait aussi comment les règles peuvent être vécues de façon totalement différente d’une femme à l’autre. Par contre on peut se demander la pertinence du traitement scientifico-médical des règles à travers les pilules et hormones qui les suppriment.

    En définitive revenons sur les traits « féminins » décrits par Freud :

  18. On a vu que Freud disait qu’une femme avait un surmoi moins rigide que l’homme. Or le surmoi est un effet de la fonction symbolique du phallus. Si une femme n’est pas toute phallique, Freud avait raison,

  19. Sur le fait de préférer être aimée qu’aimer et sur l’importance de son apparence: cela vient de sa propension à fonctionner comme si elle était le phallus. Si le regard d’un garçon la constitue mieux dans son désir d’être le phallus, le corps entier étant pris comme objet d’amour, elle va se tourner vers lui et sera renforcée narcissiquement. C’est pour cela que les ruptures subies provoquent de graves failles narcissiques. Elle peut alors s’identifier à un déchet rejeté et peut passer à l’acte suicidaire.

  20. Sur la question du type de lien social à partir du féminin : Cl. Noëlle Pickman dit que le pas tout fait objection à l’exception et se présente comme une figure non ségrégative car il supprime la norme universelle qui fonde l’exception mais sans lui substituer un autre universel non phallique. Ce qui fait que le pas tout est « une critique radicale de la prise en masse des groupes », « c’est le dernier obstacle qui s’oppose à la stratégie en marche de la mondialisation, stratégie d’éradication de l’hétéros au profit de l’Un tout seul »15. Le pas tout remet en cause la norme de façon logique et non imaginaire, il n’implique pas le pas du tout (tout pas phallique).

1 Vannina Micheli-Rechtman, l’anorexique une hystérique contemporaine, JFP n°32 anorexie-boulimie, approche clinique et théorique, érès

2 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions, Denoël, 2010

3 Vannina Micheli-Rechtman, l’anorexique une hystérique contemporaine, JFP n°32 anorexie-boulimie, approche clinique et théorique, érès

4 Ch. Melman, clinique de l’homosexualité féminine, Le bulletin lacanien n°4, Sex and gender, publié par l’Association lacanienne internationale, 2008, p. 40

5 Ch Melman, la psychopathologie : état des lieux, inventaire et projet, conférence faite le 16 décembre 2010 à l’Ephep, Paris

6 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009, avant propos

7 Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

8 C.N. Pickmann, Le pas-tout….ou la déception, in La clinique lacanienne de la féminité n° 11, érès, 2007

9 Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

10 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009, p. 30

 

11 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions, Denoël, 2010

12 Ch. Melman cité par Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

13 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009

14 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009

15 C.N. Pickmann, Le pas-tout….ou la déception, in La clinique lacanienne de la féminité n° 11, érès, 2007