ALI-Provence

Clinique actuelle de l’hystérie

Séminaire sur « les structures psychiques » – AFI-Provence

Ghislaine Chagourin – Année 2006-2007

Comment aborder la clinique de l’hystérie aujourd’hui ? Quelques remarques :

1 – Comme le rappelle Melman, l’hystérie a existé bien avant le sujet moderne (celui-ci étant un pur produit de la science). Elle a toujours été identifiée de façon formelle depuis la nuit des temps ce qui déjà en soi va dans le sens de l’existence d’une structure. Or, force est de constater que notre science moderne tend à méconnaître l’hystérie, elle la rejette dans le champ de l’aliénation, voire des psychoses, au point que la notion de structure hystérique a disparu de la nosologie psychiatrique. Ceci en raison du fait que la science refuse de considérer que le symptôme n’est localisable ni dans le champ de la maladie ni dans le champ de l’accident lié à un tort du sujet ou de son entourage mais dans la structure car il est proprement constitutif du fonctionnement psychique de chacun (cf C. Melman « nouvelles études sur l’hystérie »).

2 – Il me semble que la désignation « crise d’adolescence » participe de cette tendance actuelle à considérer le symptôme comme relevant du champ de la maladie (ou de la pathologie) ou de l’accident. J’ai choisi la « crise d’adolescence » car finalement, il est facile de voir que Dora présente beaucoup des traits de l’adolescente en crise telle qu’on la décrit aujourd’hui. Je voudrais tenter de voir avec vous ce que ladite «crise d’adolescence » moderne doit à l’hystérie (entre autres structures), c’est en quelque sorte un passage de la nosologie à la structure que je vous propose d’opérer. A l’hôpital pédiatrique, je dois sans cesse effectuer ce travail puisque les pédiatres adressent les patients à partir d’un repérage clinique basé sur une nosologie médico-sociale qui correspond à autant de prises en charge médico-chimiques ou socio-éducatives. Ex : conduites addictives (alcool, drogues), TS, troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie), troubles du comportement (crises de colère, tics, hyperactivité, fugues, délinquance, insomnies), de l’apprentissage (dyslexie, échec scolaire), conduites à risques, dépression, douleurs diverses (abdominales, migraines), anxiété, atteintes fonctionnelles etc. Nosologie à laquelle il faut tout de même rajouter une large panoplie de douleurs et troubles somatiques divers sans étiologie médicale.

3 – A quelle batterie théorique pouvons nous nous référer pour réaliser ce passage de la nosologie à la structure ? Du côté de Freud, vous le savez, le cas Dora a été écrit par Freud en 1905 et repose sur des concepts qui relèvent de sa première topique. Or Freud a écrit sa 2ème topique en 1923 et n’a ensuite jamais repris ses études sur l’hystérie à la lumière de sa nouvelle batterie conceptuelle. Tout ce dont nous disposons sont des notes qu’il a rajoutées au texte de 1905.

Lacan pour sa part n’a quasiment pas écrit de clinique (sauf sa thèse) et il n’a ni écrit ni donné un séminaire sur l’hystérie en particulier. Il a toutefois repris le cas Dora pour éclairer la question du transfert (cf « Ecrits », « fonction et champ de la parole et du langage ») et celle du discours hystérique («la psychanalyse à l’envers », leçon VI de l’édition du seuil). Par contre il a conceptualisé des outils qui permettent un repérage structural de cette névrose dont nous avons vu que plus qu’une névrose, elle est aussi un discours et finalement peut-être une modalité ordinaire de la subjectivité.

C’est Melman que s’est collé à reprendre des études sur l’hystérie que Freud avait annoncées sans jamais le faire. Melman tient compte des conséquences de la 2ème topique et les articule aux concepts lacaniens. Ce qui ne change rien à la clinique sinon à l’éclairer sous un jour nouveau. La batterie conceptuelle minimale a connaître pour faire une relecture du cas Dora concerne le grand Autre (ou S2 : lieu où s’abritent les serviteurs), l’objet a, le trait unaire (en tant que support du phallus) qui s’indique en S1 (lieu, place des maîtres)

4 – Si nous en avons le temps on pourrait aussi voir que la science n’est pas la seule à méconnaître l’hystérie, la religion s’y emploie aussi en lui réservant un traitement tout à fait intéressant. Je pourrais vous en donner un petit aperçu à travers l’évocation de la vie d’une Sainte du 3ème siècle : Sainte Foy. Là aussi, vous verrez que l’on peut retrouver un portrait d’adolescente.

De l’adolescente victime d’abus sexuel (de nos jours) à Dora hystérique

Ce qui m’est apparu à propos de Dora après avoir travaillé Freud, Lacan et Melman c’est que Dora pourrait ressembler à une jeune adolescente comme j’en rencontre aux urgences pédiatriques.

Sur le plan symptomatique, au sens actuel, voilà comment on pourrait voir les choses : Dora c’est cette adolescente en révolte contre son père, insolente et ayant mauvais caractère (crises de colère, changements d’humeur = troubles du comportement), tombant en pâmoison se convulsant et délirant dès que son père lui refuse quelque chose, (ce qui serait aujourd’hui décrit comme une crise de spasmophilie, voire une psychose du fait du délire), en conflit avec sa mère (c’est une « conne » qui a toujours un chiffon à la main), évitant les relations sociales (ce qui aujourd’hui pourrait se dire phobie sociale et se retrouve dans le repliement dans la chambre ou derrière l’ordinateur), tout le temps fatiguée, migraineuse, éternellement « malade » sans maladie (toux, aphonie, douleurs aiguës d’estomac), un peu déprimée (nous parlerions de dépression de l’adolescent) au point de laisser une lettre « négligemment » traîner dans laquelle elle fait ses adieux (ce qui évoquerait aujourd’hui des idées suicidaires). Toujours sur le plan symptomatique, on trouve chez Dora une difficulté à s’alimenter du fait d’une sensation de dégoût (ce qui aujourd’hui serait vite étiqueté comme anorexie), une hallucination sensorielle celle d’une pression sur le haut du corps (ce qui actuellement pourrait faire l’objet d’un diagnostic de schizophrénie), et l’horreur des hommes en tête à tête avec une dame (ce qui serait peut-être considéré comme une phobie des hommes).

Du point de vue de la petite histoire, celle livrée par Dora comme vérité 1ère (mais pas dernière nous dit Lacan), qu’avons-nous sur le plan familial :

  • la mère est centrée sur le ménage (on parlerait sans doute de TOC). Quand Dora vient se plaindre à elle des agissements de M.K. elle ne la prend pas au sérieux,

  • normal car le frère c’est le chouchou de maman,

  • la tante paternelle est morte d’un état avancé de cachexie nous dit Freud (ce qui aujourd’hui serait sans doute qualifié d’anorexie),

  • l’oncle paternel est hypochondriaque (c’est-à-dire toujours malade),

  • du côté du père que se passe t-il ? Il est très malade et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il apparaît comme ayant une éthique de « chiottes », dont on peut se demander si ce n’est pas ce que sa femme passe son temps à nettoyer. En effet, selon le père, sa fille est une « enquiquineuse » et c’est la faute de sa femme, c’est-à-dire la mère de Dora, si Dora va mal, car elle est trop prise par son ménage (sic !). Lui n’y est pour rien. Or, il se trouve qu’il a une liaison avec une femme mariée, Mme K. Ce qui n’est d’ailleurs pas ce qui me fait dire qu’il a une éthique de « chiottes ». Pas plus que le fait que cette liaison il la nie en la faisant passer pour de l’amitié ou de la reconnaissance (celle de l’avoir empêché de se suicider quand il était très malade). Ce qui est plus que moyen au niveau de l’éthique c’est que dans le même temps il fait mine de ne voir dans les agissements de M. K. avec sa fille que d’innocentes gentillesses, semblant la pousser ainsi littéralement dans ses bras pour acheter sa complaisance pour couvrir sa liaison avec Mme K.. Bref, le père est un peu maquereau,

  • du côté de M. K. (ami de la famille et mari de Mme K.) on a des allégations de tentatives répétées de séduction : il la coince pour l’embrasser quand elle a 14 ans, lui fait des cadeaux, vient la voir dormir nue dans sa chambre et lui fait une nouvelle offre quand elle a 16ans.

  • Enfin, concernant Mme K., on apprend qu’elle a fait des confidences d’ordre sexuel à Dora et que Dora garde ses enfants.

On voit le tableau qui pourrait tout à fait trouver sa place dans le registre de ce qui se dénonce de nos jours dans le champ des mœurs comme « abus sexuel »: la « petite » se fait draguer, peloter par « l’ami » de la famille, on l’accable en disant qu’elle déborde d’imagination et on la fait passer pour une menteuse. Je me suis demandée si de nos jours, Dora n’aurait pas eu gain de cause à porter plainte contre M. K. pour abus sexuel sur mineure (ou détournement de mineure) et contre Mme K., son père voire sa mère pour complicité.

Par ailleurs, on pourrait aussi concevoir que Dora amenée aux Urgences en état délirant par ses parents aurait pu être étiquetée psychotique.

Pour faire la part entre ce qui relève de la petite histoire et ce qui relève de l’hystérie allons voir sur le plan de la structure comment on peut repérer les choses. Bien sûr il va s’agir de repérer la part de Dora dans la situation. Part qui est sans doute de plus en plus rarement prise en compte dans le repérage clinique actuel.

Lacan dans « intervention sur le transfert » (« les Ecrits ») va faire apparaître à partir du travail de Freud comment Dora a pris part à cette situation. Ainsi, très vite on se rend compte que c’est avec la complicité et la protection vigilante de Dora que la liaison de son père et de Mme K. a pu durer, ainsi que la fiction qui la voile. Dans la relation quadrangulaire qui se met en place entre son père, Mme K., M. K et elle- même, s’échangent des cadeaux qui matérialisent le circuit de l’objet a, phallicisé ou pas ; entre les partenaires. On y repère vite aussi que Dora s’identifie à son père par le trait de la toux qui est le trait à même de signifier l’impuissance de son père. Cette identification permet de questionner sa jalousie envers son père qui en fait masque un intérêt pour Mme K.. C’est parce que cette attirance homosexuelle est inavouable qu’elle se cache derrière une jalousie envers le père. Et enfin, cet attachement homosexuel à Mme K. masque la valeur réelle de l’objet qu’est Mme K. pour Dora à savoir le mystère de sa propre féminité au sens corporel. Féminité qui est perçue par Dora de façon imaginaire du côté de l’oralité et non du génital. L’image de Dora suçotant son pouce gauche pendant que de la main droite elle tiraille l’oreille de son frère (ce qui se dévoile dans les associations liées au 2ème rêve) constitue la matrice imaginaire de ce que signifie pour elle la femme et l’homme. Pour elle la femme c’est l’objet d’un primitif désir oral. L’aphonie de Dora n’exprime pas tant un fantasme de fellation que celui d’un « seule à seule » avec Mme K. Elle n’a pas encore accédé à la reconnaissance de sa féminité en réalisant l’assomption de son propre corps ce qui la laisse ouverte aux phénomènes de conversions somatiques. Cet accès à sa féminité n’a pu se faire, toujours selon la matrice initiale, que par le truchement d’une identification à un partenaire masculin plus âgé et ce sur le plan moïque (et non pas symbolique). Ce qui fait qu’elle s’identifie aussi à M. K. et même à Freud (cf l’hallucination de la perception d’une odeur de fumée) de façon narcissique d’où les rapports agressifs qu’elle entretient avec eux.

Comme le note Lacan, il est tout à fait étonnant que pour Freud il apparaisse comme allant de soi qu’une jeune fille « normale » (c’est-à-dire ayant accédé à la féminité) se débrouille d’une telle situation de séduction avec M. K. sans manifester tous ces symptômes et causer tous ces désordres dans sa vie et celle de son entourage. Par ailleurs, on sait que Freud lui-même dit avoir commis une erreur avec Dora, ce n’est pas sur ce plan là qu’il l’a commise c’est plutôt sur le plan d’avoir voulu lui appliquer un traitement de bon père de famille, comme le préconisaient déjà les médecins dans l’antiquité. En effet, comme le souligne Lacan, il veut à tout prix lui faire reconnaître l’objet caché de son désir en la personne de M. K. sans avoir suffisamment amené Dora à reconnaître ce qu’était pour elle Mme K. En quelque sorte, il veut une « victoire de l’amour », il veut le bien de M. K. et de Dora ce qui est l’erreur qui va entraîner l’arrêt de la cure de Dora. Car, pour l’hystérique justement le problème est « de s’accepter comme objet du désir de l’homme ». C’est pour cela qu’elle ne peut répondre à M. K. en femme désirante, car elle ne s’accepte pas elle-même comme objet du désir.

« C’est ainsi que l’hystérique s’éprouve dans les hommages adressés à une autre, et offre la femme en qui elle adore son propre mystère à l’homme dont elle prend le rôle sans pouvoir en jouir. En quête sans répit de ce que c’est qu’être une femme, elle ne peut que tromper son désir, puisque ce désir est le désir de l’autre, faute d’avoir satisfait à l’identification narcissique qui l’eût préparée à satisfaire l’un et l’autre en position d’objet » (Lacan in Ecrits, « la psychanalyse et son enseignement ») Ce qui résume tout à fait le cas Dora.

En fait, pour Lacan, l’erreur de Freud vient d’un préjugé de Freud concernant la prévalence du personnage paternel dans le complexe d’Oedipe : pour Freud, cette prévalence est « naturelle » et non pas « normative ». Le point pivot des manœuvres amoureuses de Dora c’est justement que son père est un homme châtré, impuissant (« cf. Leçon VI de « l’envers de la psychanalyse »). Ce que Melman reprend pour articuler que dans l’hystérie, ce qui prime, c’est le sort qui est fait au père en tant que père fondateur, en tant que S1 (ou trait unaire en tant que support du phallus). Chez l’hystérique, le refoulement porte électivement sur S1 qui ne peut usuellement advenir dans la chaîne signifiante que par le refoulement originaire, celui du phallus (donc refoulement d’une activité phallique ce qui est la voie de la féminité). Tout le problème de l’hystérique va donc être de chercher à se faire reconnaître car elle va venir se placer au lieu Autre, en S2, à la place des serviteurs, de ceux qui ne peuvent se réclamer d’aucune autorité ou filiation contrairement aux maîtres qui eux ont une place authentifiée certifiée par un fondateur, un géniteur, un père. Du coup, « l’hystérique va chercher à se faire identifier soit par un semblable soit par ce père, ce géniteur hypothétique » (Melman) car elle ne peut se reconnaître en S2.

Vu sous cet angle, Dora n’est qu’une jeune femme qui veut être reconnue en tant que femme et s’y emploie à divers titres en déclinant toutes les identités possibles de l’hystérique :

Dans une tentative de se faire identifier par le semblable elle va se faire représentante de l’objet a auprès de celui-ci dans une modalité de séduction. Séduction qui ne peut s’entretenir que par la dérobade : elle se dérobe aux tentatives de séduction de M. K. qu’elle a pourtant soigneusement entretenues en acceptant ses cadeaux. Cette dérobade ne peut que susciter de la culpabilité qui viendra déterminer chez Dora 2 modalités de résolution identificatoires:

1 – Elle va tenter de réparer : elle fait « la bonniche » en faisant la fille au pair pour les enfants de Mme K  pour couvrir la liaison que celle-ci entretient avec son père: c’est une « tentative de se faire la servante parfaite, appliquée du partenaire » (Melman) ici Mme K.. En cela elle tente de réparer de ne pouvoir répondre de façon satisfaisante à celle-ci pas plus que ne le peut son père d’ailleurs.

2 – En se plaignant que ça ne va pas et en faisant porter par le partenaire la responsabilité des insuffisances de tout ordre : c’est quand Dora fait « l’enquiquineuse » et revendique avec virulence la rupture de son père et de Mme K : si ça ne va pas c’est de la faute à son père. C’est aussi quand elle se plaint de l’hypocrisie des uns et des autres.

Dans une tentative de se faire identifier par le père, Dora va décliner une 2ème grande modalité d’identification ayant pour support le trait unaire. Le trait un c’est ce qui vient donner corps au phallus et l’identification virile du maître se fait en endossant un trait un (S1)

3 – Là c’est quand par exemple Dora s’identifie à son père à travers divers symptômes somatiques dont la toux : elle se fait la représentante du trait un, elle se présente comme habitée par le phallus mais un phallus défaillant. Elle fait « le mec plus mec que le mec » C’est aussi me semble t-il quand elle gifle M. K., si cette gifle constitue un passage à l’acte, il constitue une réaction de rivalité virile vis à vis de M. K. qui vise à la castration de celui-ci dans le sens qu’il renonce à sa virilité vis à vis d’elle.

4 – en se faisant « victime » : elle met en avant le trauma dont elle a été l’objet à travers les tentatives de séduction de M. K..

5 – C’est aussi quand elle s’identifie à Mme K. Celle-ci représentant une image féminine plus apte à valoir un regard favorable de la part du grand Autre. (cf aussi sa fascination pour l’image de la madone de Desdre) et notamment du père. Melmam dit dans les « nouvelles études sur l’hystérie » que l’hystérique « postule l’être ailleurs d’un objet authentique dont la féminité ne devrait rien à la facticité »

Tout son manège décline les réponses qu’elle apporte à la question du mystère que représente pour elle sa propre féminité.

Eu égard au symptôme de la toux et d’enrouement de Dora qui est un symptôme dit de « conversion » par Freud : il dira qu’au départ, il y a sans doute une réelle irritation organique qui va devenir susceptible de fixation car elle concerne une région du corps qui a gardé chez Dora le rôle de zone érogène. Puis, la fixation se fait par « imitation du père malade » (il est atteint de tuberculose) et ensuite par le biais des auto-accusations à cause du catarrhe qui renvoie à leucorrhée (écoulement nasal = écoulement vaginal) puis à masturbation et enfin à la dépravation sexuelle du père (syphilitique). La toux est aussi le signifiant des relations avec M. K. : elle exprime le regret de son absence et le désir d’être pour lui une meilleure femme que la sienne propre. Puis la toux c’est la représentation d’une situation de satisfaction sexuelle par succion de la verge : par identification avec Mme K., elle sert à exprimer les rapports sexuels avec le père. On a vu ce que ce symptôme indique pour Lacan, Pour Melman, le symptôme est bien inhérent à la structure puisque l’hystérique estime devoir endosser la responsabilité du défaut de rapport sexuel, elle est coupable de ne pouvoir l’accomplir pour son conjoint et son corps est marqué de ce défaut radical.

Je conclurai sur ladite « crise d’adolescence » que j’évoquais au départ. Grâce à ce repérage structural on peut tout à fait identifier ce qui y relève de l’hystérie sans tomber dans une classification « symptomatique ».

Comment la religion sanctifie une hystérique

« Fidès », c’est son nom (ça veut dire foi), est née à Agen en l’an 290. En S1, les maîtres de l’époque sont les romains et leurs dieux païens. La famille de Fidès est du côté de ces maîtres là. Les chrétiens eux sont en S2, du côté des persécutés. Fidès est confiée à une nourrice chrétienne qui en cachette la fait baptiser. Il est dit : « la jeune enfant suça avec le lait de sa pieuse nourrice les 1ers enseignements de la religion de Jésus-Christ ». En quelque sorte, elle est « reconnue » par un substitut maternel du côté de S2, celui des persécutés et initiée à cette jouissance par l’objet sein. Dans la maison de son père, il est dit que tout respirait « l’idolâtrie et la frivolité », elle, elle garde sa « vertu », entendez : se garde bien de la sexualité. Quand elle n’est pas recluse au fond de sa villa (aujourd’hui on dirait qu’elle se replie dans sa chambre), elle s’occupe des opprimés en leur distribuant de la nourriture volée dans les cuisines de son père (de nos jours se sont les habits ou les gadgets électroniques qui se donnent entre ados au grand dam des parents). Ces petits actes délictueux, déclarés « innocents » par la religion car autorisés par Dieu, sont découverts par son père qui veut la surprendre. Sur le plan clinique on note que ces larcins sont des actes (de délinquance ?) visant à dérober ce qu’elle pense qui doit lui appartenir de droit divin et qui manque à ses semblables (on entend bien de quoi il s’agit). Un jour alors qu’elle a dissimulé ces larcins dans un pan de sa robe, son père lui demande ce qu’elle emporte. Et alors là magnifique réponse : « ce sont des fleurs » et miracle, des fleurs apparaissent. Véritable tour de passe-passe de la part de la religion qui métaphorise le penisneid par ce larcin transformé en bouquet de fleurs qui tient lieu de féminité. En tout cas, à partir de là, son père a compris qu’elle est chrétienne, elle lui donne à voir ce qu’il devrait donner lui même (à savoir la bonne parole, laquelle ?) s’il n’était pas impie (c’est-à-dire impuissant) et elle se met à prêcher publiquement. Par cet acting out (qui est une monstration phallique), elle se rend « maître » de l’idolâtrie du père, ce qui de nos jours pourrait être traduit par une mise en opposition vis à vis du père (rébellion de l’adolescent). Foy (Fidès) a 12-13 ans, l’histoire dit « sa beauté virginale et candide excitait une vive admiration, même parmi les païens, mais elle avait déjà voué sa virginité à l’Epoux céleste ».

Cette virginité offerte étant me semble t-il le mythe construit par la religion pour écarter la sexualité en tant que rapport sexuel. La sexualité est interdite ainsi que la jouissance qui va avec, seule la reproduction est autorisée et la jouissance de l’Autre, le grand, celui qui n’est pas barré (donc finalement c’est une façon de dire le non rapport sexuel). Avec Lacan, il n’y a pas de rapport sexuel et c’est la castration qui met une barrière à la jouissance tout en rendant possible la jouissance sexuelle. Ce mythe de la virginité venant répondre à la question de l’hystérique qui est « qu’est-ce qu’une femme ? » : la Sainte Vierge ou la Bonne Mère.

La suite de l’histoire dit que le nouveau proconsul d’Agen arrive à Agen et menace les chrétiens de supplices s’ils ne renient pas leur religion, ceux ci fuient sauf Foy qui est protégée par la position dominante de son père. Mais celui-ci n’obtient pas de Foy qu’elle se renie ni qu’elle se marie (la bonne vieille solution des familles est refusée). Du coup, il est dit que son père la jette lui-même dans la « gueule du monstre » et la dénonce au proconsul. Il y va du bâton phallique le père ! En vain !

Cette réaction du père rappelle la réaction actuelle de certains parents qui face à nos adolescents bornés actuels, qui ne veulent rien écouter, souhaiteraient les voir plus souvent devant le juge ou en prison (tentative « d’injecter » du S1, du phallus).

Foy comparaît devant le proconsul sans crainte, en bonne petite adolescente insolente, et renie non pas sa religion mais sa filiation (s’il ne peut me reconnaître comme femme-chrétienne, je ne le reconnais pas comme maître-père). Elle refuse de sacrifier à la déesse Diane même en échange de pouvoir rester vierge. Foy est alors flagellée (quelle jouissance !) ce qu’elle supporte avec « un courage surhumain » est-il précisé (la belle indifférence !). En désespoir de cause, le proconsul la condamne donc au supplice de ce que j’appelle la « grillade » – en référence à ce que Lacan dit des moyens de la jouissance – c’est-à-dire qu’on la dévêt et qu’on l’étend sur un lit d’airain pour y être brûlée à petit feu (la métaphore sexuelle est tout à fait limpide, on veut la faire jouir à tout prix, on la met sur le grill !). Foy ne laisse pas échapper une seule plainte (le « même pas mal » ou « même pas peur » des adolescents dans les conduites dites « à risques »). Un nouveau miracle va même la revêtir d’un linge blanc qui fait que Foy ne reçoit aucune atteinte des flammes dont elle est entourée (elle est donc mise à l’abri des « flammes » du désir). Finalement, elle aura la tête tranchée non sans avoir conduit « une légion d’hommes » (ce qui m’évoque la séparation tête/corps qui est une expression des symptômes somatiques de l’hystérique et aussi le fait qu’elle se rend « maître » des hommes). Depuis, elle est devenue une Sainte et sa fête est célébrée tous les 6 Octobre à Conques.

Belle illustration de la façon dont la religion se débrouille de l’hystérie