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Bernard Moullé : \ »Dans la hotte du père noël : l\’injonction de parité\ »

 

L’injonction de parité peut se lire dans des assertions parentales qui se soutiennent de gommer toute disparité entre fille et garçon.

Ainsi d’un père( d\’une petite fille) à qui je présente un jouet égaré et inconnu que je viens de trouver, en formulant cette hypothèse qu’il pourrait s’agir d’un jouet de fille, je reçois cette réponse : « parce qu’il y a des jouets de fille et des jouets de garçon ?!!! ».

Les jouets doivent maintenant être unisexes et ne doivent pas discriminer dans leur adresse filles et garçons.Il s’agit pour les parents de ne pas imposer à leurs enfants des repères qui pourraient, redoutent-ils, les formater selon leurs sexes.

Ces repères ne sont plus perçus que comme socioculturels, ne véhiculant que des prescriptions de rôles caricaturaux.

A Marseille, la première exposition temporaire de notre très réussi MUCEM, s’est appelée de façon très moderne : « Au bazar du genre ». « Au bazar du sexe », cela aurait pu être porteur mais aurait fait mauvais genre.

Une partie y est consacrée aux jouets et s’intitule sans ambiguïté : « Contre les jouets sexistes ». Le texte (intégral dans le catalogue de l’exposition) est signé par Florence Rochefort. Comme toute l’exposition il ne s’appuie que sur des données sociologiques et dans ce domaine les chercheurs sont surpris. Je cite Florence Rochefort : « L’univers du jouet résiste aux mutations dugenre…s’agit-il d’une résistance concertée ou d’une stratégie commerciale… ? »(1) Parents et enfants seraient d’un conformisme inexplicable selon les chercheurs pourtant très en avance. « Des enquêtes de terrain en milieu scolaire ont été menées et ont inspiré des expériences mises en place dès la maternelle et même dans des crèches pour tenter de changer les habitudes,notamment celles concernant l’offre des jouets. »(2)

Pourtant les mouvements homosexuels font tout ce qu’ils peuvent pour dénoncer les normes de genre. Ces jouets sexués induiraient une contrainte à l’hétérosexualité. Ils sont qualifiés de « sexistes ». Ce terme, d’abord employé pour désigner la discrimination à l’égard du sexe féminin prend un autre poids quand le concept de sexisme est assimilé à celui de racisme par ces mouvements, avec la portée juridique que cela implique. Verrons-nous bientôt la justice venir vérifier le choix des jouets dans la hotte du Père Noël ?

Pourtant ce qu’il choisit n’est pas sans effet sur les petits parlêtres qui ne font pas que reproduire des rôles qui seraient prescrits dans les jouets. Ils sont bien accessibles à la dimension du semblant inhérente au jeu.

Faisons l’hypothèse que ce que Florence Rochefort appelle « résistance » soit chez une mère et un père un savoir sur ce qu’ils peuvent donner à leurs enfants pour se repérer et construire leurs identités sexuelles.

La mère d’un jeune garçon qui jouait devant nous me confiait comment elle avait souffert quand elle était petite fille de n’avoir jamais reçu de ses parents aucune poupée qu’elle demandait, n’obtenant d’eux que des jeux de construction.Ils partageaient déjà les bonnes intentions antisexistes. Cela a- t- il à voir avec sa difficulté actuelle à se mirer en son enfant ? Qu’est-ce qui a manqué pour elle dans le fait de ne pouvoir être ainsi reconnue symboliquement comme fille par un père et une mère ? Qu’est-ce qui en a été marqué d’un interdit, quel message est passé dans ce choix sociologiquement correct ?

Les enfants disent ce qu’ils en pensent sans détour. Nous avons tous le souvenir de ces chagrins de filles ou de garçons qui manifestent que cet adulte s\’est trompé d\’adresse en ne les reconnaissant pas dans leur sexe par ce qui pour eux est le signifiant d\’une différence.

 

Ce qui fait penser les enfants sont les questions fondamentales : d’où viennent les enfants, qu’est ce que la vie, qu’est ce que la mort ? Pour y répondre ils deviennent chercheurs et échafaudent des théories sexuelles qui sont typiques et constantes chez tous les enfants selon Freud(3).

La première théorie sexuelle infantile, celle du sexe unique( nous pourrions l’appeler celle du tout phallique), aboutit à l’échec inévitablement. Aucun lieu de recel n’est pensable.

Avec la seconde, la théorie cloacale, un grand pas est fait : c’est en mangeant quelque chose de «  spécial »(4) que les humains conçoivent un enfant. Une origine est concevable à partir d’une disparité qui s’avère fondamentale : il faut bien que ce soit d’ailleurs que vienne cette chose « spéciale » ou cette petite graine. Les contes de fées nous le confirment. La parthénogénèse n’est pas une théorie sexuelle infantile mais un fantasme d’adulte.

En grandissant, tout ceci étant passé dans les dessous, c’est ce qui constitue la différence entre fille et garçon qui anime les recherches des enfants.Cette différence est chantée, dansée, jouée dans les cours de récréation.

Par exemple voici un jeu qui occupe une de mes petites patientes âgée de 8 ans, qui ne sait comment y faire avec les garçons. Nous l’appellerons Ludivine.

C’est un jeu avec un élastique. Avec les doigts des deux mains les enfants forment une figure.

1 (deux triangles opposés par leurs sommets) « ça c’est une fille ». Ludivine me montre sur cette figure le bas de sa robe.

2 (un ovale) « ça c’est un garçon, ça c’est un homme ».

La surprise est qu’il y en a une troisième.

3 (le rond se retourne vers le bas et ressemble ainsi à un sexe masculin)

« ça c’est un homo, un homme et un homme, une boucle plus une boucle »

L’affaire est bouclée : voici comment les enfants se débrouillent avec la modernité.

 

La parité,les deux mêmes, nous amène un troisième.

Parce que les enfants ne doivent pas être limités par leur genre (ce sont mot à mot les termes employés) une crèche suédoise décide de bannir les pronoms masculin ( han :il ) et féminin(hon :elle ) et de les remplacer par un pronom neutre (hen ) qui n’existe pas dans la langue (5). C’est un journaliste lassé de décider entre les deux pronoms qui a créé ce néologisme.

A ne pas vouloir choisir entre « il » et «  elle », un troisième s’impose, celui de l’indécidé où tout est possible,où rien n’est perdu. L\’indécidé qui relève d\’un choix, se différencie de l\’indécidable qui renvoie à la catégorie de l\’impossible.

Ce père paritaire qui ouvre mon propos a tenu par la suite à m’informer de la toute dernière évolution de la législation allemande qui permet de déclarer à la naissance un enfant de sexe indéterminé sous une troisième rubrique: sexe neutre. Une organisation d’intersexués (OLL) en réponse aux réactions dans la presse a dénié qu’il s’agissait d’un troisième sexe.

A gommer toute disparité dans les repères proposés par les parents à leurs enfants, pour ne pas prescrire des rôles de genre, pour les laisser en fin de compte choisir celui qui leur convienne, ces enfants se trouvent seuls en charge de soutenir une disparité qui leur donne quelques repères symboliques pour construire leur sexualité.

Il semblerait qu’une conséquence de cette prescription de parité puisse être la promotion d’un troisième sexe qui serait le bon.

 

 

Bernard Moullé

 

 

 

 

Bibliographie

 

1. Rochefort F., Au bazar du genre, Textuel, 2013, p. 115

2. Ibid., p. 118

3. Freud S., Les théories sexuelles infantiles, La vie sexuelle, puf, 1989

4. Freud S., Trois essais sur la théorie de la sexualité, idées/Gallimard, p. 93

5. Hivert A.F., Libération, 20-3-2012