La fin de l’empire gaulois : point, point d’exclamation, point d’interrogation. On va peut-être travailler autour de ce trois de la ponctuation, d’une tiercéïté. Cela nous donne un espace pour penser autrement que dans le binaire qui ne peut que nous contraindre, nous limiter et bien sûr nous normer. L’empire gaulois : peut-être serait-ce la fin du seul empire qui n’est pas totalitaire ? Goscinny ne me contredirait pas, lui qui n’a pas été sans jouer des stéréotypes.
Comment vous parler aujourd’hui ? comment m’adresser à vous alors que nous sommes dans un temps où il semble que l’argumentation n’est plus de mise et que les idéologies progressistes actuelles sont souvent sourdes aux avertissements tel celui que le professeur Sicard, parlant à propos de l’euthanasie sur France Culture , lançait en soulignant que « l’espace vital de l’Homme, sa finitude, son humanité sont maintenant sous la coupe du médical et du financier » (Sicard le 17/02 sur France Culture) La parole n’est pas sans condition pour tous : s’il n’y a plus de déterminisme qui nous échappe, on ne peut plus parler dans ce que parler veut dire, ce qui suppose la dimension de la vérité. Aujourd’hui on nous impose une unique détermination du sexe par le social. Alors comment m’adresser à vous à partir de ma place de psychanalyste et de clinicienne ?
Je vais commencer par une confidence: mes collègues ne trouveront pas cela politiquement correct, bien sûr ! Les confidences sont d’habitude réservées au divan et il est vrai que les confidences débordent toujours un petit peu ! Donc j’ouvre mon poste un matin et un journaliste réellement questionnant (rare chez les journalistes !) qui disait ne pas comprendre les avancées de la loi sur la parité femme/homme et les propositions de l’ABCD de l’éducation interrogeait une dame du ministère, pas très paritaire lui, celui des droits des femmes ! Il lui demandait ce qu’une nouvelle loi allait apporter. La dame du ministère annonçait que c’était une révolution, une grande désaliénation par rapport aux valeurs imposées, qu’une femme allait pouvoir être plombier, non : plombière comme on est auteure, penseure ou penseuse (la langue résiste un peu !), et un homme danseur. Alors là je me dis ouf ! Pas trop de changement : les femmes se sont toujours intéressées aux tuyaux et aux robinets (cf la statue de Miro à Barcelone : « jeune fille s’évadant » 1968) et quant à danser, les hommes les ont toujours fait danser, les femmes, il y a toujours eu un pas de 2 entre hommes et femmes ; et puis, tant que l’homme tient à ses valseuses ça ira !! Je me suis souvenu aussi d’un passage du mariage de Figaro de Beaumarchais (acte 5 scène 3) concernant la nomination d’un ministre où Figaro disait: « j’y étais propre, il fallait un calculateur ;
on y mit un danseur » ; rien de nouveau, donc, sur ce registre ! la révolution veut dire tourner en rond.
Je pensais à l’homogénéisation des places et des lieux dans les équations paritaires ou égalitaires et je me disais que cela devait avoir pour effet de remettre en question, démonter la séparation des espaces privés et publics et ne serait pas sans incidence sur la clinique ordinaire, en particulier celle des adolescents.
Et puis surtout, à propos des frasques de notre jeune Gaulois de président je me suis intéressée à un livre annoncé comme politiquement correct sur le débat privé/public, ce livre sous la direction d’Anne Muxel s’appelle « la vie privée des convictions : politique affectivité, intimité » et là je tombe sur un article de Jeanine Mossus Lavau qui est une sociologue très scientifique du CNRS, qui a fait des recherches sur la sexualité des français en comptabilisant le nombre de masturbations, de fellations, de sodomies, etc… C’était comme cela qu’elle envisageait le commerce entre les humains, un commerce plus marketing–sexe qu’amoureux. Le commerce amoureux est plus du ressort du discours, du récit, de l’imaginaire que de la compta alors que madame Mossus Lavau ne voit dans l’amour qu’ « une sorte d’imposition sociale, inhibant le sexe pour le sexe »! Mais la note était bonne et elle trouvait que les français faisaient des progrès, alors ! … Son article s’appelle :« la marche vers l’indifférenciation » ; elle souligne que nous y allons mais qu’il y a encore quelques embuches.
Là je me dis : Zut ! je venais de recevoir un garçon entre 6 et 7 ans dyslexique, avec une dyscalculie annoncée qui me semblait aller mieux dans l’entreprise de différenciation où je l’amenais lui avec sa famille, car comment traiter ce collage imaginaire sur le corps de la mère ou des parents de la même paire, pour pouvoir décoller la lettre et l’amener à lire et écrire ? Je me dis que quand j’ai commencé ma pratique il y avait 10% de dyslexie, qu’aujourd’hui nous sommes en train de dépasser 30%. Madame Mossus-Lavau a raison : nous sommes en train d’organiser l’indifférenciation et je me dis : mince ! La loi organise le symptôme ! Je le savais déjà : la victimologie ambiante aliène de façon quasi- définitive ceux ou celles qui en deviennent les otages identitaire.
J’avais lors des journées préparatoires situé mon propos sous le signifiant de l’embarras qui est resté le signifiant de cette demi-journée. Mon embarras premier (et je vais vous faire état de plusieurs autres !) résulte du fait que lire demande du temps et que c’est dans l’après coup qu’il faut appréhender le sens de ce qui se passe pour ne pas tomber dans la moralisation ou les travers d’une sociologie idéologique. Toutefois la temporalité a changé et efface les scansions et demande de réduire le temps pour comprendre ; les choses sont déjà là et j’espère vous en parler.
Mon 2°embarras est d’une autre nature. Il résulte de la lecture de la première page du projet de loi du 13 juillet proposé au Sénat par notre ministre des Droits de la Femme qui passait
allègrement de la nécessité d’une « politique des droits des femmes redevenue une priorité politique » à l’annonce d’une « ambition : celle de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », parité réelle dans la loi mais la ministre formulait pour l’assemblée nationale : égalité réelle
Mon embarras est celui suscité par l’usage de ce mot « réel » et de l’inversion proposée dans le terme d’égalité « femme-homme » qui annule le générique homme pour les femmes. Bien sûr on entend que l’égalité femmes- hommes, ce n’est pas pareil que l’égalité « hommes femmes ». J’ai tout de suite supposé que notre ministre et son cabinet savaient ce qu’elles écrivaient, cad F=H.
On devrait éclater de rire entre femmes : les hommes, on est supposées les connaître ! Puisqu’on accuse la domination masculine d’être la cause de notre malheur. Les femmes veulent-elles être réellement des hommes ? Je n’en ai pour ma part jamais écouté le dire, je n’ai curieusement entendu que des hommes qui voulaient devenir des femmes, la transsexualité est plus manifeste dans ce sens, on peut se demander pourquoi !
Enfin quel paradoxe de vouloir être le dominant que l’on récuse ! Comment comprendre la fureur législative actuelle qui se fonde sur une définition victimaire des femmes, définies comme une classe sociale victimisée et discriminée ? N’avons-nous pas toujours été en tant que femmes ce qui fait tourner le langage, « das ding », la chose énigmatique informulable, qui fait parler. N’avons nous pas la charge de transformer les vagissements des marmots en performances linguistiques !
Verrions- nous la représentante de la liberté (le tableau de Delacroix), de la victoire (Samothrace), de la vérité sortant toute nue du puits, du dreyfusard Jean Gérôme, ou Marianne représentées par des barbus ? Substituer une femme par un homme dans ces représentations en transforme, vous l’entendez bien, le sens et le rend pour tout dire croquignolet. Ce serait comme mettre des moustaches à la Joconde !
En faisant fi du sens et de la portée civilisatrice de ces représentations pour l’humanité, ne voudrait-on pas ravaler les femmes et leur identité dans la dimension mesquine du semblable ?
Avant de vous situer l’autre dimension de la femme, son altérité qui tuerait la civilisation si on ne la prend pas en compte, je voudrais vous dire que les femmes ont besoin de la loi, elles ont besoin du tiers pour exister et aujourd’hui pour se défendre, elles à qui on demande tout, cad l’égalité avec les bonshommes. Il y a bien sûr à tenir compte des déplacements qui organisent des mutations puisqu’elles ont appris mieux que les garçons à l’école, puisque les hommes ne meurent plus au champ d’honneur( c’est peut-être triste pour les femmes) et que la place qu’elles occupaient entre nature et culture a été modifiée par la science.
Donc c’est cette autre dimension d’altérité que je voudrais vous rappeler car elle a l’air aujourd’hui annulée, déniée, en m’excusant de vous infliger ici mon topo alors que nous pourrions lire ensemble « Les mamelles de Tirésias », drame surréaliste d’Apollinaire écrit en 1916, « quand
les obus ont fait tomber les astres », désastre, et qu’est apparue la garçonne. Les femmes, on s’en aperçoit à cette époque, peuvent tout faire, elles ont fait tout ce qu’on leur avait demandé ; elles se dévouent maintenant à être égales et à se désaliéner. Thérèse crève ses ballons de mamelles et se transsexualise : c’est un drame qu’Apollinaire dit surréaliste car il n’y avait pas les progrès transformationnels du bistouri et de la science. Thérèse devenue Tirésias déclare dans l’enthousiasme d’une égalisation réelle comique et pathétique qui la fait devenir un homme :
« Je me sens virile en diable, je suis un étalon, de la tête au talon »
et après avoir été soldat elle veut être : « artiste, député, avocat, sénateur, ministre président de la chose publique, médecin physique ou bien psychique, mathématicien philosophe, chimiste, groom télégraphiste, mais faire des enfants, la cuisine, non, c’est trop ! » Est-ce là le projet d’une égalité réelle ?
Avec beaucoup de sérieux, le copain du corniaud de mari de Thérèse, un vrai débrouillard aussi, se pose la question de la nomination des femmes en ces termes :
« Comment faut-il que tu les nommes, elles sont tout ce que nous sommes, et cependant elles ne sont pas hommes »
Autrement formulé, elles sont autres et outrepassent la dimension qu’on pourrait dire fonctionnelle qu’on voudrait bien leur assigner. En effet, si la participation à l’Un les identifie au même titre que les hommes, elles ne sont pas limitées à l’Un et excèdent comme hétéros, comme autre. Peut-on dire qu’elles bénéficient d’un gain d’être par rapport à l’autre sexe ? Est-ce cela qui justifierait toutes les revendications ?…. Elles sont autres mais aussi entre elles, et là c’est plus qu’un embarras que je vous transmets quand, dans le projet de loi sur la parité, on fait appel à tous les représentants symboliques de la nation et qu’on en appelle à ce qui est désigné comme : « le mouvement féministe » au singulier. Le pire malheur pour les femmes, ce sont ces identités imposées pour toutes. Les femmes ont à tenir à un minimum d’éthique entre elles qui consiste à accepter que les femmes soient plurielles car en cela réside leur liberté.
Mon embarras principal est donc d’être face à un projet sociétal qui a pour intention d’accélérer le rythme d’une histoire dont on tient la direction comme inéluctable, qui serait celui d’une refondation des jouissances imparties aux hommes et aux femmes ; cela suppose une possible jouissance égalitaire et donc une parité comptable qui sous-entendrait que la jouissance est calculable.
Ce qui bien sûr dans mon embarras m’a amené à poser la question : est-ce tenable ? Le devin grec Tirésias, transformé en femme, le premier vrai transsexuel, avait répondu à la question de Zeus qu’elles, les femmes, jouissaient sept fois plus que les hommes. Mais n’oublions pas que cette loi n’apparait pas seule, elle apparaît avec ce qui est amené comme une évidence idéologique, la théorie du genre dont je vous reparlerai, et qui s’attaque aux dites stéréotypies sexuelles ; mention en est faîte dans la loi même, ce qui est une nouveauté! Je savais que l’on n’avait pas le droit de se promener tout nu, je ne savais pas qu’on n’aurait plus le droit d’avoir des stéréotypes
ni qu’il pouvait advenir des hommes nouveaux et des femmes nouvelles qui n’en auraient pas, ceci grâce aux bienfaits d’une rééducation!…
Bien sûr je ne suis pas dans la naïveté de penser que les imaginaires ne dépendent pas d’un collectif et d’un état de civilisation, mais il y a là une intervention de l’état et un contrôle, via la loi, des imaginaires qui, vous l’entendez bien, n’est pas sans conséquences!
Je vais vous en donner des exemples :
– dans les pages suivantes du projet de loi, la séparation des espaces privé et public se trouve annulée puisque la première disparité combattue est celle des tâches domestiques, ce que l’on appelle faire le ménage apparemment assuré à 80% par les femmes. Je me suis dit que faire le ménage c’était faire le couple, et c’est le rôle imparti aux femmes dans la civilisation. Cette intrusion par le législatif dans ce qui fait le style d’un couple me paraît pousser vers un couple stéréotypé (50/50) et donc qu’il s’agit de défaire les couples qui ont chacun leur dosage ; je me suis demandé s’il s’agissait aussi que les femmes fassent à 50/50 les poubelles, la problématique du déchet étant dans nos sociétés plutôt dévolue aux H.
– D’autre part vous avez peut-être été témoins de la présentation d’une émission de télévision sur FR3 à 21h20 le 3 mars sur la loi sur l’égalité et la lutte contre les stéréotypies sexuelles, présentant une enquête menée par l’éducation nationale sur 2 villes ( je ne me souviens que de Limoges) Il était posé à des enfants de CM1, de 8/9 ans donc, 3 questions frappantes dans leur libellé et dans l’interprétation qu’en donnait l’éducation nationale :
1°) qu’est-ce qu’une mère ?
2°) qu’est-ce qu’un père ?
3°) pourquoi le papa gagne plus que la maman ?
J’espère que vous avez les réponses ? Moi je les cherche encore en m’étant pas mal trompée. Pour les enfants elles étaient les suivantes : maman s’occupe de la maison et des enfants, papa travaille et regarde donc la télé (qui comme chacun sait est une fenêtre sur le monde !) les enfants répondent très bien à la 3° question en disant que c’est normal, papa gagne plus parce qu’il est plus gros ou parce qu’il est plus grand. Vous pouvez par vous-même penser que pour certains enfants il est compliqué d’y répondre. Mais ce qui est particulièrement choquant, c’est à nouveau une intrusion questionnante de l’état dans l’imaginaire de l’enfant.
Que penser de cette instrumentalisation de la parole des enfants que l’on amène à dénoncer ce qui se passe chez eux ? On y reconnaitra des actions qui ont eu lieu dans toutes les dictatures. Ne peut-on être inquiet d’une éducation qui confond les dimensions du symbolique, du réel et de l’imaginaire. Pour un enfant répondre que la mère s’occupe du dedans et que le père est plus à l’extérieur n’est pas un rendu réaliste de la situation familiale mais se réfère à une topologie qui tient compte de ces différentes dimensions qui sont coextensives à l’acquisition du langage.
Comme le situait fort bien récemment Marcel Gauchet sur France Info, le malaise actuel se situe d’une part dans le fait que l’on pourrait légitimement considérer qu’il y a dans notre école des choses plus urgentes à corriger sur les enseignements fondamentaux qui sont, selon toutes les enquêtes actuelles, mal assurés et d’autre part dans le fait que l’on se situe non pas dans les apprentissages mais dans une frange idéologique dont les concepts ne sont ni bien explicités ni bien maîtrisés par ceux à qui il est demandé d’en faire enseignement. Et simultanément on voyait dans cette émission des petites filles de 8/10 ans aller à l’école maquillées et les ongles faits, dans la suite des promotions mercantiles d’Euro Disney ; l’école n’est pas ce lieu là, le lieu de cet affichage, le lieu d’une exacerbation du sexuel à l’instigation de stéréotypies marchandes.
Est-ce bien tenable d’écrire F=H, nous qui parlons et qui parlons avec des mots et entre les mots ? Le signifiant en lui-même n’est rien d’autre qu’une différence avec un autre signifiant. Vous l’avez entendu égalité H/F et égalité F/H : ce n’est pas le même mot. Cela introduit donc, si F=H, à une signalétique que l’on rencontre très bien dans cette histoire de la théorie des genres et dans la dénonciation des stéréotypes. Dès à présent je tiens à souligner que cette équation F=H n’entraine pas un acte de reconnaissance ou l’appui d’un sexe sur l’autre. Je me souviens d’un texte préfacé par Pierre Vidal Naquet qui s’appelle : « Histoire de l’autre », il s’agissait des juifs et des Palestiniens qui dans une reconnaissance réciproque ne pouvaient qu’être amenés à de la tolérance et de la tempérance. Pour être dans une laïcité égalitaire ne tombons pas dans l’unicité totalitaire du Un. Des féministes subtils comme D. Lessing, prix Nobel, soulignaient la responsabilité de tenir ce Un par rapport l’Autre pour éviter les excès de l’un et peut-être de l’autre aujourd’hui ou d’une Autre qui se voudrait être un Un dans le champ exclusif de la réalité.
L’équation F=H pousse à une indifférenciation, donc à une désexualisation qui est une entreprise d’asepsie par rapport à la consistance affective de tout imaginaire qui est toujours gorgé d’amour (et vous venez de l’entendre dans la réponse des enfants sur « il est plus gros » ou « il est plus grand » !), et parfois de haine : cette haine, l’indifférenciation ne pouvant la traiter, sera la source de tous les passages à l’acte.
Je reformule donc mon embarras, en espagnol « embarasada », je suis embarrassée, étant porteuse de cet enfant amour, le petit éros. Et je formulais récemment lors des journées que nous avions à l’AMC PSY que les analystes ont une responsabilité par rapport à l’éros. Dans sa 2° topique, Freud, je vous le rappelle avait mis en place éros et thanatos : faut-il entendre que l’éradication d’éros, ce principe d’union, dans cette signalétique qui ne couple plus les humains a à voir avec de la pulsion de mort ? Dans cet éros, la libido que Freud avait en s’opposant à l’anglais Jones définie comme paritaire, une même libido pour l’homme et pour la femme, Lacan disait le phallus, il se conjuguait homme et femme dans une répartition dissymétrique entre l’être et l’avoir. Mais est-ce une discrimination ? L’être est-il moins bien que l’avoir ? La passion d’un objet paritaire et d’une jouissance calculable ne peut que placer les hommes et les femmes sur un axe imaginaire qui les sépare, qui les compare et qui ne les conjugue plus, ce qui ne peut que raviver à l’infini la guerre des sexes. Ne se prive-t-on pas de l’exigence de l’amour et du singulier que représente le féminin, et de la portée civilisatrice de l’amour jaloux des femmes dans le lien social
du conjugo, articulation de l’un à l’autre. Ce mouvement d’égalisation ne prend pas en compte la mission civilisatrice des femmes qui a fait barrage de longue date à la « touthommie ».
L’égalité réelle F/H est-elle vraiment une avancée civilisatrice pour les hommes et pour les femmes ? Le respect de l’altérité n’en est-il pas plutôt la condition ?
Bien sûr qu’il faut remédier aux excès que cet ordre masculin impose, avec une visée qui peut être unifiée et mondialisée, mais faut-il pour cela araser les différences culturelles et les moyens que les différentes cultures avaient trouvé dans la conjugaison des hommes et des femmes ? La nôtre n’avait pas été mauvaise sur le discours amoureux, le bien dire et la galanterie.
Je me souviendrai toujours de ce petit garçon qui aujourd’hui, je l’ai appris, a trouvé compagne et qui trouvait que son côté n’était pas le meilleur, que c’était sa sœur qui avait eu le meilleur lot et qui me disait : « vous vous rendez compte, on me dit en plus qu’il faut que je lui tienne la porte ! »
Dans cette nouvelle signalétique y a-t-il une place pour le discours amoureux ? Et si on veut traiter les choses de façon vétérinaire (un sexe=un sexe) on est arrêté, par exemple, par le fait que la PMA réussit à 99% chez les vaches et à moins de 25% chez les humains : peut-être peut-on dire que le différentiel ce sont les difficultés imparties à l’amour, le propre des humains ?
Peut-on imposer une parité libidinale ? Peut-on toucher si facilement à la disparité libidinale des hommes et des femmes en la considérant comme le fruit de stéréotypies ? Il y a danger si la parité doit aboutir à l’arasement de la disparité, comme cela est proposé dans la 1° page du projet de loi.
Il n’est pas suffisant de dire que nous sommes tous d’accord sur l’égalité des droits et qu’il faudrait revoir la répartition des places. Il y a bien sûr une question très importante, difficile à traiter pour le citoyen et les politiciens qui est celle-ci : comment introduire de l’hétéros dans l’homogène économique et social alors que l’hommes et la femme ne sont pas dans la même dimension et ne participent pas à l’humanité de façon identique ? Pour traiter cette question il faut au moins en mesurer la difficulté et ne pas répondre dans une passion aveugle, une utopie égalitariste.
Les femmes sont autres et cela serait une erreur que de faire de la femme un équivalent masculin, cad de ne pas tenir compte de son statut d’altérité. Faut-il instrumentaliser les hommes et les femmes jusqu’à les indifférencier ou transformer les hommes en femmes ou les femmes en hommes, ce qui ne résout pas la question ? L’axe paritaire imaginaire proposé par la loi qui met les hommes et les femmes en équivalence, en concurrence, en alternance sans tenir compte de ce réel outrepasse son projet.
Il y a d’ailleurs plusieurs signes par lesquels ce réel se rappelle à nous :
-on constate maintenant que les filles réussissent mieux que les garçons dans leur scolarité et que la suite montre des inégalités professionnelles et salariales au détriment des femmes ; on trouve dans Eduscol, le portail national des professions de l’éducation, l’analyse suivante : « Le genre est un système de normes de sexe qui institue une différenciation sociale et psychologique hiérarchisante des sexes, subordonnant sous couvert de complémentarité ce qui est reconnu
comme masculin à ce qui est reconnu en miroir comme féminin. Ce système de normes de sexe est un puissant outil de naturalisation de la différence des sexes qui légitime dans notre univers symbolique la domination masculine »
Et ailleurs: « cette division socio sexuée des savoirs se prolonge en une division socio-sexuée du travail socioprofessionnel et familial…contre ce stéréotype puissant l’école n’agit plus ! »
Tout est de travers dans cette mauvaise sociologie ! L’interprétation par la domination masculine et par le fait d’en rajouter pour favoriser les filles à l’intérieur de l’éducation n’est pas prendre la question là où elle est, me semble-t-il. Et le but évident est plutôt de faire rentrer les femmes dans le marché du travail et pour ce faire de les homogénéiser (je vous rappelle au passage l’étymologie du mot travail : tribalium cad torture)
-on constate par ailleurs, sans qu’Eduscol le souligne, que certaines professions normalement valorisées sont actuellement totalement féminisées : l’éducation nationale, le travail social par exemple ; je vous apprends aussi que depuis l’an dernier il sort plus de femmes médecins que d’hommes, que l’on a péniblement réussi à nommer au concours de la Magistrature 11% d’H. Ce succès des femmes dans ces dimensions ne sont pas sans rapport avec leur position d’altérité. Est-ce que d’assurer plus de parité dans l’école va avoir de l’effet dans l’emploi ? Elle a rempli son office puisque les filles travaillent déjà mieux. Cela m’inquiète beaucoup sur la façon dont on apprend l’intelligence critique à nos enfants. N’aurait-il pas mieux fallu se demander quel est ce réel qui fait obstacle et qui amène les femmes à s’orienter, à l’heure où elles deviennent femmes (18/20 ans), dans des choix qui tiennent compte de leur altérité.
-si l’on se plait à souligner que les hommes constituent une forte majorité des dirigeants du CAC 40, on ne dit pas qu’ils sont aussi dans une écrasante majorité dans les professions les plus basses de l’échelle sociale et parmi les laissés pour compte de la société….
Bien sûr l’évolution de la société et l’advenue des femmes sur la scène publique impose des redistributions mais il ne semble donc pas suffisant de proposer que les femmes soient conducteurs de poids lourds et les hommes puériculteurs pour réaliser une égalité professionnelle.
Avant de passer de mon embarras à l’angoisse, je voudrais vous faire partager ma perplexité : je l’étais parce que je ne comprenais rien à l’articulation théorie du genre / parité ; je me disais : y’a quelque chose qui ne va pas, qui cloche, avec cette même colère lorsque les vis ne rentrent pas dans les bons trous ; je ne comprenais rien à la parité de l’anti culture de la Queer theory, à ces traductions de performatifs, performance en lien avec l’idée de spectacle et au constat d’une certaine discordance historique dans l’histoire du mouvement féministe. Je vais remercier ici une de mes patientes car ce sont nos patients qui nous permettent d’aller plus loin, qui nous imposent de comprendre au-delà de l’évidence et des façades. Cette patiente m’a apporté un livre : « Le grand théâtre du genre » d’Anne Emmanuelle Berger. Un mot rapide sur l’auteur : madame Berger cherche à préserver une position non partisane à partir d’une connaissance très exhaustive des textes, articles et confrontations sur les études de genre, bref un travail universitaire de très
grande qualité, après quelques 20 ans d’enseignement à Cornell et depuis un poste de professeur à Paris 8 et la direction du nouvel institut du genre CNRS/Université.
A.E. Berger m’a fait comprendre que « tous les passeurs de frontières connaissent cette dislocation des espaces et des lieux par téléscopage d’espaces temps hétérogènes à l’heure de la mondialisation », des échanges matériels et symboliques, me faisant entendre que les théories passant les frontières, dans un sens et dans un autre, de la French Theory (Foucault, Derrida, Freud et Lacan) importée aux USA et en retour la théorie du genre non pas telle que l’entendent les US mais telle que , comme le dit Eric Fassin, se la sont appropriés les mouvements féministes. Ces théories subissent des dislocations, des transformations tant dans les difficultés de traduction que du fait du réel de leur advenue. La lecture de ce livre ouvre à un mouvement d’idées assez foisonnant outre atlantique qui n’avait pas les mêmes enjeux qu’en Europe, l’enjeu majeur aux USA étant celui de la reconnaissance et de la dépénalisation de certaines pratiques sexuelles. Ces auteurs (Butler, Gayle Robin, Monique Wittig, Joan Scott, également Goffman mais autrement) imprégnés de Lacan, Foucault, Derrida et Freud, n’ont pas pu articuler leurs théories sans en passer par la psychanalyse ; on est étonné en France que le genre soit utilisé pour une mise à l’écart de la psychanalyse, ça reste une question sauf si l’on comprend que cette mise à l’écart sert à l’imposition d’un déterminisme uniquement social.
Tous ces auteurs sont donc embarrassés par les problèmes de traduction majeurs : le mot sexe en anglais recouvre l’idée des caractéristiques sexuelles et la pratique de la sexualité. Faire l’amour se dit : « to have sex », vous voyez déjà l’écart ! Inversement différence des sexes est intraduisible en anglais et si l’on traduit littéralement cela veut dire différence des pratiques sexuelles, ce qui n’a rien à voir. Il en est de même du mot performance, performatif qui a accompagné la théorie du genre et qui veut dire en anglais spectacularisation, exhibition et autofiction qui fait référence à la nécessité pour ces mouvements homosexuels, transsexuels, etc… d’être dans un souci de visibilité avec pour idéal de la représentation féminine la « drag queen » en tant que pur système sémiologique, femme parfaite dans l’image et la surface, et c’est un mec !
Sous jacent à cette question le débat culturaliste contre naturaliste est bien dépassé outre atlantique, ce qui ne semble pas être le cas en France ; les « penseuses » de là-bas l’ont trouvé intenable. Joan Scott s’est interrogée récemment dans un article paru dans la revue Diogène sur l’utilité du concept de genre qu’elle avait pourtant contribué à promouvoir dans les années 80. « Pendant qu’on fait sauter toutes ces définitions outre atlantique, nous dit A.E. Berger, on s’essaie à les consolider de ce côté ».
Rien à voir aussi entre un état américain hétérogène en ses multiples communautés qui font souvent lobby et l’inscription au frontispice de nos mairies « liberté, égalité, fraternité », qui sont la traduction de l’universalisme de la République. L’importation des standards américains a plutôt l’effet de constituer des chimères.
On se lance ainsi actuellement dans la dénonciation des stéréotypes de genre, comme s’il y avait un possible degré zéro des stéréotypes et comme si les stéréotypes n’avaient pas plus d’épaisseur
que celle d’un comportement. Tout idéal s’habille de modèles et de stéréotypes. La négation des stéréotypes est la négation de l’imaginaire qui fait lien entre les sexes.
Il est certain que la clinique des banlieues, ce point difficile d’assimilation des populations immigrées, a favorisé l’accusation des traits de stéréotypies dans les communautés comme défenses identitaires.
Le traitement comportementaliste du sexe en genre, en prônant inversion et neutralisation, ne fait que générer d’autres stéréotypes, par exemple celui de l’indifférenciation. On voit bien là ce que sont les comportementalistes, des techniciens de surface qui ne sauront pas reconnaître les passages à l’acte résultant d’une normativation sans fondement.
Il va s’agir donc pour ces mouvements du genre ,du nivellement des différentes pratiques sexuelles pour qu’elles s’équivalent et non de la parité entre les sexes, au moment où même les Queer abandonnent l’idée du féminisme, où Monique Wittig prône l’abolition du signifiant femme et Gayle Robin l’apologie de la désertion de la cause féminine. Et il y a plus : vous pourrez constater par vous-même que dans le dictionnaire des sexualités très récemment paru sous la direction de Mme Mossus Lavau, a disparu comme entrée le terme d’hétérosexualité !
L’indifférenciation conduit bien à l’abolition du fait féminin, un crime commis contre l’Autre, au cœur de tous les racismes. Et par le biais d’une colonisation internationale, nous aboutissons à une norme internationale de l’indifférenciation.
Alors voilà comment avec cette désexualisation, cette indifférenciation attendue, cet hygiénisme des comportements, on peut avec les meilleures intentions neutraliser la question des femmes. Ne serait-ce pas plutôt l’advenue de l’unisexe, « le 3° sexe pour tous » ?
Est-ce le progrès annoncé par notre République au monde entier dans les débats sur la loi à l’assemblée nationale?
Et c’est là où je passe de l’embarras à l’angoisse : dans la version du projet de loi sur l’égalité F / H proposée au Sénat en juillet 2013 en 1° lecture, p.7, Mme NVB a eu cette phrase : « les mères subissent une pénalité à la naissance dont les pères sont exonérés ».
A la télévision la ministre a aussi situé la maternité comme un handicap. J’entends bien que notre ministre voulait dire que la reprise du travail pour les femmes n’est pas simple, en particulier de part la gymnastique subjective que cela requiert de passer de leur enfant au travail, ce qui n’a rien à voir avec le retour d’un père d’un congé paternité. Autrement formulé, la maternité ce n’est pas du plus pour une femme, c’est du moins pour l’emploi ! C’est une curieuse inscription de la maternité, une destitution de la relation privilégiée et fondamentalement disparitaire de la relation mère/enfant, le refus d’entendre l’inouï au sens étymologique du terme de chaque naissance pour une femme si on ne veut pas considérer la maternité comme un simple fait biologique. Je vous ferai remarquer que je ne crois pas qu’un homme dans un texte de loi aurait
eu l’outrecuidance d’écrire cela : il y a pour lui ce réel qui n’est jamais totalement absorbé par du symbolique, de sortir d’un corps féminin. Si un homme avait dit cela, on aurait crié au scandale.
La révolution française avait en 1789 introduit l’idée que la maternité était d’utilité publique ; c’était la 1° trace de l’instrumentalisation des femmes et de l’intime dans le social. Aujourd’hui on va plus loin : c’est une pénalité ! On n’est plus dans un monde surréaliste d’Apollinaire mais dans un monde sous réaliste du marché de l’emploi. J’avais aussi rappelé lors des journées préparatoires que cette conception participe à la genèse de petits délinquants : car si l’enfant est une pénalité et non un don, nous avons là, la naissance du délinquant qui cherchera toujours dans le réel par ses actes le don symbolique et imaginaire qui ne lui a pas été octroyé dès le départ.
Autre remarque importante : dans l’idée de n’introduire aucune disparité, il n’y a pas dans ce projet de loi de proposition d’allongement du congé maternité. Pour ma part, en tant que clinicienne, alors que l’on porte en grande pompe le congé accordé au conjoint à 6 mois, je déplore un congé maternité si court quand on sait les difficultés de laisser en crèche ou à une aide maternelle un enfant qui n’est pas advenu dans la relation, temps qui s’accompagne de nombreux symptômes (dépression, angoisse, manifestations psychosomatiques) tant de l’enfant que de la mère et les bienfaits de l’allaitement pour la protection des enfants des épidémies ( Un amendement à la loi proposera peut-être un allaitement par les pères en mettant les femmes à la trayeuse!)
Même si cet allongement n’était pas réalisable en temps de crise, on aurait pu le déplorer. On fait simplement prévaloir un principe d’équivalence père/mère dans l’attribution des congés, la mère pouvant être remplacée par les pères ( Les PMI ne pensent surement pas cela !)
Nous avons en souvenir Mr Eribon, Foucaldien émérite, grand théoricien de la procréation masculine homosexuée qui avait commencé à dépecer les mères en mère d’intention, mère porteuse et mère d’éducation ; il se reconnaissait dans la première et la troisième. La GPA lui offrira le titre absolu de mère ! Donc, aujourd’hui, il faut que les femmes retournent au travail au plus vite et les pères aux langes et aux couches. Bon courage pour les PMI dans les zones de forte précarité !
Je parlais avec une jeune pédo-psychiatre , praticien hospitalier de ce dé-nouage de la relation mère enfant qui est en route. Elle me faisait remarquer que parallèlement on ne parlait dans les abords conceptuels contemporains de la clinique de l’enfant que de troubles de « l’attachement » et de la « séparation ». Faisons le lien !
On peut se demander pourquoi un discours abolissant les disparités entre les hommes et les femmes est possible aujourd’hui : il l’est, et le professeur Sicard le mentionnait, par l’évolution de la science qui, comme nous le savons, est folle si on ne sait pas lui mettre quelques balises ou bien est un outil propre à servir la perversion. La procréation comme le corps féminin sont aujourd’hui la propriété de la science et travaillent de conserve avec la marchandise.
Il faut savoir le prix que nous payons de ces progrès : pilule, PMA, GPA et bientôt procréation hors utero.
La science a déplacé les femmes de là où elles se situaient, à la jointure entre nature et culture en tentant de les exproprier de l’énigme de la vie et de l’énigme qu’elles recèlent pour elle-même et pour les hommes. Le mariage pour tous n’entraine-t-il pas la mercantilisation des gamètes en Fr, à l’identique des USA, ouvrant son champ à la stérilité sociale qui homogénéise les divers couples dans la procréation.
Autre question (il y en a beaucoup quand même !) qui poursuit le malmenage des femmes : comment une femme dans l’égalité peut-elle appréhender sa féminité, l’égalité ayant pour fonction d’écraser tout ce qui serait de l’ordre du manque et toute adresse ?
Je vous ai situé tout à l’heure que les symptômes n’étaient pas égalitaires : il faudrait peut être demander à nos législateurs d’en tenir compte !
Les troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysorthographie et autres dys…), l’hyper activité touchent presque uniquement les garçons. Il y a un symptôme féminin qui aujourd’hui flambe dans la parité : c’est l’anorexie qui touche aujourd’hui 20% des jeunes filles et 1% en meurent. L’anorexie est une passion qui rencontre dans notre modernité la passion de s’affranchir du réel sexuel, cad de la mixité ; elle « s’effemme », réalisant le vœux de la Queer theory ; c’est une égalitariste à tous crins ; on pourrait la prendre comme l’égérie de la femme indépendante, se refusant à tout partage avec l’autre sexe et allant jusqu’à récuser ce que le langage trimbale entre les mots, l’éros porté par la lettre. On peut toujours constater que ces jeunes filles qui sont en fin de ce parcours don quichottesque n’ont plus qu’un discours signalétique du type de celui que j’ai précédemment annoncé. Ces petites anorexiques, elles ne parlent pas, elles meurent et les sortir de leur symptôme consiste à les réintroduire dans la parole c\’est à dire les sortir de la signalétique qui les cadavérise.
Un petit mot pour finir à l’adresse des hommes : quel serait le fantasme d’un homme dans la parité ? D’être une femme comme les autres ?