Le point de départ de mon travail était la question suivante : qu’est-ce que l’autorité parentale, une fois inscrite dans le texte du droit positif (le S1 législatif anonyme), a bien pu avoir pour effet sur la façon dont des parents conçoivent l’autorité et surtout l’exercent et également sur la façon dont les enfants perçoivent cette autorité, l’acceptent ou la rejettent ?
Très vite, bien entendu, j’ai été amené à me poser la question, toute simple et complexe à la fois : qu’est-ce que l’autorité ? Et ma réflexion m’a permis de dégager plusieurs cas de figure :
Il y a l’autorité légitime de l’état, dont le but est de maintenir un certain ordre social. Et puis il y a aussi l’autorité de l’enseignant, soit celle qu’il exerce en faisant régler une certaine discipline dans ses cours, mais aussi ce qui chez lui fait autorité, du fait de ses connaissances, de sa capacité à transmettre un savoir organisé, le S2 en place d’agent.
A ce stade et avant d’avoir inscrit S1 et S2, je me suis rendu compte que je déclinais le discours du maître, le discours de l’université (qui peut également être dans le discours du maître et souvent ne s’en prive pas) et cela m’a conduit aux trois fonctions impossible de Freud ; gouverner, éduquer et psychanalyser. Poursuivant ma réflexion, je me suis d’ailleurs demandé s’il y avait une autorité de l’hystérique, dont il faut rappeler que son discours n’existe que parce que le discours du maître existe, et une autorité de l’analyste et ce qu’elles pourraient être.
Je voudrais maintenant souligner quelques points qui me semblent importants en ce qui concerne l’autorité parentale, telle que cette notion est mise en place par le droit.
C’est la loi du 4 juin 1970, qui, sous l’influence notamment de Carbonnier, professeur de droit et auteur des avant-projets de lois de réformes du droit de la famille français durant plus d\’une décennie, a considérablement modifié le droit de la famille et remplacée la puissance paternelle par la notion d’autorité parentale, désormais dévolue aux deux parents (art 372 du Code civil).
Puis, la loi du 22 juillet 1987 a instauré la notion d’autorité parentale conjointe en cas de divorce et a augmenté l’exercice conjoint de cette autorité par les parents naturels. La loi du 8 janvier 1993 a ensuite instauré le Juge aux affaires matrimoniales, devenu depuis Juge aux Affaires Familiales, comme juge de droit commun en matière d’autorité parentale.
Enfin, la loi du 4 mars 2002 (n° 2002-305) a consacré l’idée d’un droit commun de l’autorité parentale, toutes les dispositions relative à cette notion étant désormais réunies dans un seul chapitre du Code civil qui intègre les conséquences du divorce sur la personne de l’enfant. Cette loi fait suite à un projet de loi destiné, je cite, à « refonder, rénover et soutenir » les parents : tout un programme !
Il faut savoir encore qu’une proposition de loi, qui reflète bien selon moi le contexte actuel, a été présentée à l’Assemblée Nationale le 7 février 2012, destiné à supprimer la notion d’autorité parentale et à la remplacer par celle de responsabilité parentale[1]. Les motifs en sont les suivants : « Les évolutions successives du droit mettent aujourd’hui l’accent sur le rôle éducatif des parents ainsi qu’en atteste la modification de l’article 371-1 du code civil (…) La loi du 31 mars 2002 relative à la protection de l’enfance permet d’affirmer la notion d’intérêt supérieur de l’enfant et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance précise, à l’article 375 du code civil, l’intérêt de l’enfant comme étant « son développement physique, affectif, intellectuel et social ». La loi du 9 mars 2006 pour l’égalité des chances introduit la notion de responsabilité éducative par la création du contrat de responsabilité parentale. En prenant en compte cette évolution du rôle des parents, force est de constater que le terme d’autorité parentale renvoie à une notion de « droit sacré » des parents et à la subordination de l’enfant vis-à-vis de l’adulte. La notion d’autorité occulte trop souvent la place centrale de la responsabilité des parents dans l’éducation des enfants et peut conduire à des dérives brutales de la part des parents qui « justifient » les maltraitances imposées à leur enfant au nom de l’autorité qu’ils ont sur lui. À l’inverse le terme de responsabilité parentale renvoie à l’intérêt de l’enfant ».
On ne saurait être plus clair sur la volonté d’évacuer toute hétérotopie dans ce qui a pu fonder l’autorité et cela étant évacué, il n’y aurait donc plus de raison de conserver le terme d’autorité parentale. Exit définitivement l’autorité pour les auteurs de cette proposition.
On entend bien à la lecture de ce texte comment la notion de rôle vient remplacer celle de fonction, ou, comme on le verra plus loin comment les deux termes sont devenus équivalents, faisant ainsi disparaître le caractère opérant du Nom du père. Ce qui fait écho à la question de savoir si la relation à l’autorité est détachable du symptôme[2].
L’autorité parentale se définit (art. 371-1 du C. civil) comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ».
Il s’agit également avec ce texte comme le souligne plusieurs auteurs « d’améliorer la parité parentale » en instaurant la coparentalité. Cette parité est, notamment, assurée par le principe, en cas de séparation des enfants, de la garde alternée. En effet, pour reprendre les termes d’un député lors des débats parlementaires précédant l’adoption de la loi : « le système classique fixant une résidence principale et un droit de visite et d\’hébergement chez l\’autre parent contribue à « fragiliser le lien entre l\’enfant et le parent chez lequel il ne vit pas au quotidien », l\’hébergement alterné étant la « condition d\’une coparentalité réelle et l\’élément fondamental pour lutter contre la précarisation de l\’une ou l\’autre des fonctions parentales »[3].
La loi du 4 mars 2002 instaure également la possibilité pour l’un des parents ou les deux de demander volontairement au juge aux affaires familiales (JAF) à ce que leur autorité parentale soit déléguée à un tiers, membre de famille ou non (article 377 du C. civil al. 1) . Cette délégation de l’autorité parentale peut également intervenir, oserais-je dire autoritairement, « En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l\’impossibilité d\’exercer tout ou partie de l\’autorité parentale » (art. 377 C. Civ. Al. 2). C’est ce texte qui permet le placement des enfants mineurs.
Pour compléter le tableau, il convient d’ajouter qu’une proposition de loi (encore une) a été soumise à l’Assemblée Nationale le 24 octobre 2012[4], dans l’exposé des motifs de laquelle on peut lire : « il nous faut être dissuasif à l’égard du parent qui prend le risque de rendre son enfant otage d’un conflit dont il est innocent. La prolongation des conflits familiaux a, sur le comportement de l’enfant, des conséquences importantes en termes de santé publique ou de défaillances scolaires. En outre, ce texte tend à inverser la charge de la preuve. Il appartiendra dorénavant à celui qui souhaite s’opposer à cette résidence paritaire de l’exprimer et de justifier sa position. La question n’est pas de généraliser la résidence alternée mais de remettre l’enfant au centre du débat en lui offrant la possibilité, si les conditions sont réunies (notamment l’âge de l’enfant supérieur à deux ans et demi), d’être élevé par ses deux parents car nous défendons l’idée que la construction d’un enfant se fait en présence de ses deux parents. Nous pensons qu’il est nécessaire de traiter avec une plus grande égalité les demandes des deux conjoints et ce, même si l’un des deux s’oppose à la résidence en alternance ».
Une infraction pénale est envisagée : « Le fait, par tout ascendant, d’entraver l’exercice de l’autorité parentale par des agissements répétés ou des manipulations diverses ayant pour objet la dégradation voire la rupture du lien familial est puni d’un an emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
On entend bien au passage comment, dans ce texte, la présence des parents est conçue comme une présence réelle et non pas comme une présence symbolique et comment on est passé du « développement » de l’enfant à sa « construction ».
Que pouvons-nous tenter dégager de tout ceci ?
Tout d’abord, une évidence, qui est la place centrale de l’enfant dans tout ce dispositif, enfant présumé victime potentielle, y compris de la maltraitance de ses parents qui pourraient exercer abusivement leur autorité. On peut même y déceler le présupposé que finalement toute autorité est entachée du péché originel de l’abus dont l’enfant serait victime.
Ne peut-on voir là, le fait que notre société a parfaitement perçu le caractère tuant (« tu es » ) du S1 et qu’elle tenterait de s’en débarrasser en instaurant un autre impératif qui se résumerait à « tu dois aimer l’enfant » ? Et puis, pour les parents, exercer l’autorité au sens classique du terme, c’est aussi prendre le risque, pensent-ils, de n’être plus aimé de l’enfant, ce qui fait qu’ainsi l’autorité n’est pas rentable, puisqu’elle induit le risque d’une perte.
Il y a donc, une défiance de l’autorité, qu’il s’agit d’évacuer au profit de la responsabilité, ce qui n’est quand même pas tout à fait la même chose.
Il est intéressant de repérer le mouvement qui nous a fait passer de la puissance paternelle à l’autorité parentale et qui vise maintenant à faire disparaître cette autorité au profit d’une responsabilité, qui soulignons-le, n’est pas une responsabilité subjective au sens où nous l’entendons habituellement, mais une responsabilité juridique, qui suppose une faute, un préjudice et donc une victime et un lien de causalité entre faute et préjudice. La faute ne serait rien d’autre que la défaillance des parents dans l’exercice d’une des taches qui « font » leur autorité
En effet, l’autorité parentale est conçue comme « un ensemble de droits et de devoirs » et non plus comme l’exercice d’une puissance due à une instance particulière.
Ainsi, l’autorité est découpée en tâches : assurer la sécurité, protéger la santé et la moralité, assurer l’éducation, permettre le développement de l’enfant dans le respect de sa personne et les parents doivent associer[5] l’enfant à toute décision le concernant, ce qui contribue un peu plus à faire disparaître l’hétérotopie des places, faisant de la place de l’enfant une place homogène à celle des parents, dans un espace artificiel, créé juridiquement, ce qui a pour effet de solliciter l’enfant à exercer une fonction phallique.
En outre cela induit, me semble-t-il, un risque de dérapage pervers, quand par exemple, un enfant fantasmatiquement mal aimé peut invoquer la défaillance de l’une des taches parentales pour réclamer que son droit soit reconnu.
Il résulte de cette éclatement de l’autorité parentale en tâches que si l’une de celles-ci dysfonctionne, le juge pourra intervenir en mettant en place une mesure « d’assistance éducative » en direction de l’enfant (art. 375 et s. du C. civil), et/ou éduquer (ré-éduquer ?) les parents par un appareillage social consistant en des stages de « soutien à la parentalité »[6], à propos desquels un ensemble de « bonnes pratiques » a été édicté :
- Diversifier les objectifs, les services et les modalités d’intervention pour répondre à l’hétérogénéité des besoins et des attentes des parents.
- Articuler une offre généraliste avec une autre destinée à répondre aux besoins spécifiques de certains publics, de façon à couvrir toute la population.
- Développer l’évaluation des actions de soutien à la parentalité pour mettre en évidence leur impact sur les trajectoires scolaires, professionnelles et personnelles.
- Banaliser le recours à ces services et mélanger les publics grâce à une politique de communication ambitieuse et coordonnée.
- Développer les programmes animés par les parents pour les parents, à l’aide d’une formation et d’un accompagnent spécifiques (Home Instruction for Parent of Preschool Youngsters – Israël).
- Faciliter l’accès aux services de soutien en les développant dans les lieux déjà fréquentés par les parents (services d’accueil de la petite enfance, établissements scolaires, services de santé, voire lieu de travail).
On assiste, dans une logique capitaliste, au développement d’un marché de prestations de services destinées à « soutenir la parentalité » dans ce qu’elle peut avoir de défaillant : la parentalité flacide. Elle le serait à moins.
On entend bien aussi combien toute subjectivité est évacuée, puisque « être parents » consiste à exercer un ensemble de taches d’une façon optimisée et évaluable. Il est possible d’évaluer les performances du service rendu, au regard du service attendu. On pourrait presque, comme dans les contrats informatiques, mettre en place ce qu’on appelle une « métrique » permettant d’évaluer les performances et de mesurer la « satisfaction client », en l’occurrence celle de l’enfant.
On est là dans une affaire de pairs (les parents entre eux, mais aussi les programmes développés pour les parents par les parents). Et les pairs chassent les pères.
Si l’autorité est un droit, droit dont les parents sont co-titulaires, elle ne peut être exercée que comme tel, à savoir :
- un droit, peut être modifié à tout moment par la loi,
- il peut faire l’objet de dispositions contractuelles. Or, précisément, les parents peuvent conclure un « contrat d’éducation » avec leurs enfants dans le cadre du devoir d’entretien des enfants majeurs non encore autonomes, mais également aménager entre eux, conventionnellement, l’exercice de l’autorité parentale en cas de divorce (art. 373-2-7 du C. civil) ou, hors divorce, dans le cas de parents non mariés.
- Un droit peut faire l’objet de sanctions judiciaires s’il n’est pas respecté (retrait de l’autorité parentale, total ou partiel)
- L’exercice d’un droit suppose généralement un débiteur d’une obligation, ici les parents et un créancier de l’obligation, l’enfant, qui, en cas d’inexécution dispose de droits.
- Un droit peut aussi se céder ou se déléguer : La loi autorise la délégation d’autorité parentale à un tiers, avec lequel l’autorité peut également être partagée.
- Enfin, un droit, en en jouit.
A ce propos, Lacan nous dit que le droit sert à répartir la jouissance et, en ce qui concerne l’autorité parentale, on entend bien à quel point il s’agit de na pas céder une once de jouissance à l’autre, de jouir, en l’occurrence de l’enfant, non pas tant ensemble, qu’à égalité, paritairement. Pas étonnant qu’en cas de dissolution du conjugo, il devienne si difficile d’exercer « conjointement » cette autorité. C’est d’ailleurs ce que souligne l’exposé des motifs de la proposition de loi du 24 octobre 2012 (cf. ci-dessus).
La question qui est la mienne à ce stade est la suivante : comment accepter une autorité, dans a mesure où elle incite à renoncer à un part de jouissance, dans une société où le discours du capitaliste fonctionne à plein régime, ce qui a notamment pour effet qu’ au lieu de sacrifier à un idéal collectif et d’accepter de se soumettre à un « Un » organisateur, qui ne va pas sans l’Autre, se présente, non pas cette altérité, mais une multiplicité d’objets à consommer ? L’injonction de consommer ne se substitue-t-elle pas à l’autorité ?
Et ces objets ouvrent sur l’échange, le negocium : si je te donne ceci, alors tu feras cela. Combien de fois ne l’entend-on pas dans les rayons ou aux caisses de supermarchés : « tiens toi tranquille et tu auras un… » jouet, un gâteau ou quoi que ce soit d’autre » ?
Clinique de super – marché. Le sacrifice de jouissance consenti ne l’est pas en raison d’une autorité qui s’exerce : « L’autorité c’est trancher », mais en contrepartie de la promesse d’une jouissance d’un objet à consommer, jouissance plus ou moins immédiate. L’autorité a fait place à la négociation.
Enfin, comment trancher quand la règle juridique relaye la doxa sociale qui affirme que cette néo-autorité doit être exercé « conjointement », paritairement, dans la négociation et au passage sans plus aucune considération pour la différence des sexes, le terme de « parent » étant neutre et asexué ?
En conclusion, il n’échappera à personne qu’aujourd’hui cette nouvelle autorité est une offre de services comme les autres et qu’on attend des « psys » de tout crin qu’ils en soient les prestataires, des « coachs » parmi d’autres.
En cela la parentalité (l’a-parentalité ?) se conjugue avec rentabilité.
Mais, dans le cabinet de l’analyste, à bon entendeur salut : à lire et à entendre avec toute l’équivocité possible.
Il est clair que notre société fait tourner le discours du capitaliste et qu’elle a très bien perçu l’intérêt de se débarrasser de l’autorité dans la mesure où toute autorité, quelle que soit sa forme, exige l’éclipse du sujet, pour ne proposer qu’une jouissance radicale, mortifère. Ce serait ainsi une sorte de « pulsion de vie » qui se manifesterait là par l’abandon de la jouissance proposée par l’autorité, celle de l’esclave, au profit d’autres jouissances, sans cesse renouvelées, tout aussi asservissantes, sinon plus.. Autrement dit, la société contemporaine a appris à se passer du Nom du Père,…sans savoir, ou vouloir s’en servir.
C’est parce qu’elle ne sait plus s’en servir que certains dans notre société finissent par ne plus vouloir s’en servir, ce qui s’appelle « jeter le bébé avec l’eau du bain »…
[1] Consultable à l’adresse http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion4320.asp
[2] MELMAN (C.) : Problèmes posés à la psychanalyse, Erès, 2009, p. 149.
[3] Débats consultables à l’adresse : http://sospapabretagne.free.fr/sos/pdf/debats_parlementaires.pdf ou,, pour obtenir l’ensemble des débats : http://www.assemblee-nationale.fr/11/cra/2001-2002/2001121115.asp#P229_60404 , (deuxième lecture), http://www.assemblee-nationale.fr/11/cra/2001-2002/2002022115.asp#P213_56622 (troisième lecture).
[4] Consultable à l’adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion0309.asp
[5] Art. 371-1 du C. civil : « les parents associent l’enfant aux décisions le concernant, selon son âge et son degré de mâturité »
[6] Cf. à ce propos la note d’analyse stratégique n° 277 de septembre 2012 intitulée « aider les parents à être parents. Le soutien à la parentalité, une perspective internationale » : http://www.strategie.gouv.fr/content/rapport-aider-les-parents-etre-parents-le-soutien-la-parentalite-une-perspective-internation