ALI-Provence

Patricia Le Coat – Qui était Daniel Paul Schreber ? (séminaire d\’hiver ALI 2018)

Denkwürdigkeiten eines Nervenkranken,

„Mémoires d’un névropathe“

« Les mémorables pensées d’un malade des nerfs »

Cher Daniel Paul,

« Haben Sie herzlichen Dank für Ihre „Denkwürdigkeiten eines Nervenkranken“.

Selten haben wir ein vergleichbares Dokument gelesen. Was wollten Sie mit Ihren Schriften eigentlich bewirken?» Quel était votre première intention en écrivant ceci ? C’est bien curieux mais nous le lisons comme si vous l’aviez écrit pour nous, comme s’il nous était adressé. Denkwürdigkeiten …quel titre ! Denkmal, le mémorium …Une affaire tellement importante et extraordinaire qu’elle mérite de rester gravé dans nos mémoires. Vous vous qualifiez de : malade des nerfs ! Ah, les nerfs, les fibres nerveuses, ces tissus fibreux. Nous ne savons jamais comment ils nous orientent !

Votre travail constitue un précieux document pour nous, psychanalystes. Nous ne cesserons pas de vous lire, de nous laisser surprendre par cette structure discursive si particulière … de découvrir grâce à votre écriture, ce qui fait vérité pour vous, si évidemment votre vérité, l’Une vérité, La vérité ?

Elle se manifeste un beau matin au réveil sous la forme d’une pensée : qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement. Une pensée ? Une révélation ! L’univers entier aspire à cette plénitude ! Dieu n’attend que cela, vous attend, vous envoie des signes…est en relation directe avec vous, branché sur vos nerfs par l’intermédiaire de rayons. Une mission divine vous attend : sauver le monde et créer une nouvelle humanité. Dieu vous donne ses serviteurs, tous ces petits êtres sans valeurs … vous donne sa grandeur. Vous allez l’incorporer « La femme », femme de dieu, dieu homme et femme en Un/Une grâce au processus de transformation, ce « transsexualisme » subi par votre corps, une castration nécessaire qui vous donne accès à ce champ divin des fêtes orgiaques féminines, de la complétude, à la volupté, die Wollust, -quel mot, signifiant, la Wollust-, la concupiscence féminine ? Un chemin au-delà de l’envie et du désir qui vise une jouissance parfaite, divine.

Votre autobiographie est devenu un précieux document.

Votre autobiographie, cher Daniel Paul Schreber est le fruit de votre rapport au symbolique, au signifiant et à la signification. Vous, en tant que Président de chambre à la cour d\’appel de Dresde et écrivain, tentez de nous expliquer ce qui, sur vos deux des trois séjours passés dans des soins psychiatriques fermés, vous a soumis à un système particulier, « ein Wahnsystem », un système de pensée, un système délirant selon vos propres dires pendant votre second internement de 1884 à 1903.

Il nous semble que votre travail vise à révéler ce qui vous est arrivé, ce système dans lequel vous avez été enfermé. Vous êtes pourtant un homme cultivé, instruit, produit de votre époque. Vous n’ignorez certainement ni le parcours de votre médecin favori, ni l’existence d’ « …un neurologue viennois, juif baptisé et slavophile …qui voulait concrétiser par son truchement ses visées panslavistes sur l’Allemagne et fonder du même coup la suprématie du judaïsme ; en sa qualité de neurologue, il semblait être investi, tout comme le professeur Flechsig l’était pour l’Allemagne, l’Angleterre et l’Amérique… » Mais vous ignorez que grâce à lui, Sigmund Freud, votre histoire prendra une autre tournure.

En attendant la suite, veuillez, cher président, recevoir nos remerciements sincères.

Daniel Paul Schreber n’avait pas prévu de devenir psychanalyste ni de participer aux journées d’hiver de notre association. Mais 3 années après la parution de son livre, en 1906, Karl Gustav Jung publie un article « Über die Psychologie der Dementia paecox ». Freud ne se saisit de cet étonnant travail de Schreber que tardivement en rédigeant son article sur le cas Schreber „Psychoanalytische Bemerkungen über einen autobiographisch beschriebenen Fall von Paranoïa (Dementia Paranoïdes) “ qui ne sera publié qu’en 1911, année du décès de Schreber. Daniel Paul Schreber, né le 25 juillet 1842 à Leipniz décède le 01 juin 1911 dans la clinique de Leipniz-Dösen lors de sa dernière hospitalisation. Bien qu’il n’a pas cessé de tenter le suicide (s’échapper aux forces qui le poussent au suicide), il meurt de la suite d’une pneumonie.

Quand Jacques Lacan consacre une année à l’étude des „Mémoires d’un névropathe“, « Les structures freudiennes des psychoses » il ajoute 2 ans plus tard, en 1957/58 « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose ». Le passage du pluriel au singulier, des psychoses (nosographie) à la psychose invite à penser la structure psychique par rapport au langage, en terme de structure langagière là, où le diagnostique clinique psychiatrique traditionnel induit la distinction entre différentes maladies : schizophrénie, paraphrénie, paranoïa …La structure lacanienne des psychoses parle de la structure du Président Schreber dans son rapport au symbolique et au Réel, dans son rapport au signifiant et à la signification. Schreber n’est pas dans la parole mais il est dans le langage écrit. Il est « ein Schreiber » et place des lettres sur papier, écrit avec une conviction inébranlable sa perception du monde, sa réalité si particulière, une réalité en rupture avec le monde extérieur, fermé sur elle-même remplie par le jaillissement d’une expression fantasmatique bien ciblée. Ainsi se constitue une réalité « schreberienne », -objective, dit-il- qui ne laisse aucune place, ni au doute ni à l’articulation qui organise l’espace Autre entre deux signifiants, espace de la subjectivité, de la réalité subjective et du malentendu.

Si, habituellement la rencontre avec le Réel appelle le traitement du Réel par l’intermédiaire du fantasme, et si ceci assure une sorte de réalité perpétuellement menacée par l’incertitude et la possibilité de la feinte, chez Schreber cette rencontre semblerait instaurer un rapport avec un Réel pur, sans bordure, une sorte de dictature du signifiant en panne quant à son lien avec le monde des signifiés … nous y reviendrons.

Un article du Dr. Franz Baumeyer « Der Fall Schreber » rédigé en 1955 en langue allemande nous donne accès à une grande partie du dossier médical de D. P. Schreber. Franz Baumeyer, psychiatre trouvait dans sa clinique de Arnsdorf, près de Dresde, peu après la guerre, un petit tas de documents dont des dossiers médicaux de Sonnenstein près de Pirma et des écritures concernant Schreber lors des deux premières hospitalisations. Il les publia dans une petite revue en décembre 1955 au Klett Verlag Stuttgart. Il est fort probable que Lacan en ait eu connaissance. Ce qui est particulièrement intéressant dans la lecture de ces documents se situe justement du côté de la différence d’une réalité clinique, extérieure et du témoignage écrit de Daniel Paul Schreber– du réel et de la réalité- de son histoire.

Le diagnostic mentionné dans le dossier médical de la clinique de Leipniz-Dösen où Schreber séjournait de 1907 à 1911, durant sa dernière et troisième hospitalisation est « Paranoïa », suivi d’un point d’interrogation. C’est en effet un diagnostique qui permettra à Jaques Lacan de penser non pas La Paranoïa mais la structure paranoïaque en tant que structure langagière.

Le Réel « schréberien »  est une surprenante rencontre avec le signifiant vibrant sur lui-même, ouvrant et refermant dans le champs du réel un monde fantasmatique. L’étrange vécu de notre président s’éclaire au regard d’un certain nombre de signifiants parmi lesquels quelques noms et prénoms. Je tacherai de vous faire entendre l’impact d’une nomination en défaut sur l’éclosion délirante de Daniel Paul Schreber.

Démarrons avec Daniel Gottlob Moritz Schreber, le père de Daniel Paul, qui était médecin et éducateur, fils de Johann Gotthilf Daniel Schreber, avocat.

Daniel Gottlob Moritz était connu pour ses travaux sur la reforme de l’homme, portant sur la bonne conduite et son comportement en société. Il préconisait des activités strictes dites « orthopédiques » pour la « bonne ténue du corps et de l’esprit », des gymnastiques thérapeutiques soutenues et assistées par des moyens technologiques « barbares », et enfin il était l’inventeur des « Schrebergärten », jardins ouvriers ou jardins associatifs qui lui procuraient une réputation de grand philanthrope. Bref, un homme respecté et connu.

L’histoire se déroule en Saxe dans le 19ème siècle. La fondation de l’Empire allemand en 1871, se fait dans la guerre et sous la conduite de la monarchie prussienne. Le protestantisme devient la religion du nouvel Empire. L’unité allemande est saluée comme une providence divine par les Églises protestantes et par les fidèles. La nation allemande, dans la forme de l’Empire, apparaît alors comme une victoire du protestantisme voire même son incarnation politique. Martin Luther devient alors le premier « héros national » de l’Empire. Mégalomanie nationale.

Les Églises protestantes sont alors perçues comme un allié précieux pour le renforcement du nouvel État et combattent à ses côtés contre le internationalisme catholique et social-démocrate.

C’est dans ce contexte que la famille Schreber vit dans la religion protestante, dominante en Saxe. Je vous invite de lire Schreber en allemand afin d’entendre le rôle et l’influence de la religion sur l’évolution délirante de notre écrivain, sur le réel (et pas la réalité) de sa rencontre avec les sphères célestes.

Moritz, père, selon les nombreuses témoignages, donnait à chacun de ses enfants un billet pieux au nom de « Paroles paternelles » pour leur confirmation (protestante) qu’il avait rédigé en avance. Il informe ses enfants ainsi de ce qu’est la volonté de dieu et comment la pratiquer par « les chemins de la conquête de soi ».

La volonté de dieu, Schreber la situe au royaume divin au sein d’une divinité fragmenté en dieu supérieur et inférieur, dieu noir et dieu blanc, des rayons divins, les tribunaux divins, …dans un système binaire qui parcourt l’ensemble de son œuvre et finit par s’enliser dans le champ intime de notre patient dans lequel aura lieu l’union des deux dans la volupté, Wollust « La volupté est désormais une chose pieuse … excitez-vous donc sexuellement » (Chapitre XXI). Dans une lettre à son épouse en juillet 1896 il écrit en italien que les nuits sont si agréables car il y a toujours « un pou de volupté feminae » (en français).

Le thème délirant schréberien, l’univers de Schreber, tourne autour de dieu, ces représentants et la création. Mais à la lecture du texte de Schreber vous entendez oh combien tout le texte est également parcouru d’une sensualité érotique. Il y a femme associé à diable et au Teufelsgeruch, l’odeur du diable …Dieu et la diable !

Bref, « Dieu » est. Il est avec Schreber. Il y est non seulement du fait des croyances, approches imaginaires du paradis et de l’enfer ou de la réalité politique, mais par la présence insistante dans l’écriture des prénoms des pères : Johann Gotthilf (aide Dieu) Daniel Schreber le grand-père, Daniel Gottlob Moritz Schreber, le père. Moritz, trichait avec ce dieu, car il signait Daniel Gottlieb Moritz Schreber. Un détail ? Sûrement pas ! « Gottlob ». Deux substantifs accolés, dieu et -das Lob, le louange. En découle : Gott zu Lob, à la gloire de dieu … Enfin, Gottlieb, un substantif accolé à un adverbe qui induit toute la question qui tourne autour de l’amour et de la haine. « Er war Gott lieb », il était aimé de dieu, être l’aimé de dieu … Dieu l’aime. Je l’aime, lui (l’homme). Peut-être n’est pas lui qu’il aime, c’est moi qu’il aime (« Un enfant est battu ») ou je ne l’aime pas, je le haïs. Le père, Flechsig … Nous devons nous poser la question de l’influence de ces éléments, de ces noms et leurs usages sur le thème délirant de Schreber : dieu lui parle, les diables et les vampires jouent un jeu avec lui, des jeux d’amour et de haine … les deux en un …Schreber aboli l’altérité. En ce que concernait Flechsig, Schreber lui accorde un Flechsig Fürchtegott, un ascendant qui a peur de dieu. Quelle drôle d’histoire. Un des médecins assistants se nomme Täuscher … celui qui induit la tromperie… le leurre.

La mère de notre patient, Pauline Haas née en 1915 est 7 ans plus jeune que Moritz. Le couple avait 5 enfants : Daniel Gustav, Anna Jung, Daniel Paul, Sidonie Schreber et Klara Krause. Aucun des deux garçons ne portait le nom de Dieu, Gott- mais Daniel Paul portait bien le prénom maternel auquel s’ajoutait le traditionnel Daniel. Une inscription, un nom qui unit en une seule écriture deux pôles différents : le père et la mère, Daniel Paul. Dans son enfance Schreber est décrit comme un jeune homme doué, excellent élève, vif, bienveillant, sociable mais également irritable, agité et précipité. « Nervös » dit-on ! Nerveux. De ce trait de caractère, cette nervosité, découlera le « Nervenkranker » le malade des nerfs.

Daniel Paul n’a que 9 ans quand Moritz sombre dans une « dépression nerveuse grave » suite à un fâcheux accident. Assommé par une échelle, qu’il vécut dès lors dans la crainte de sombrer dans la « nuit mentale », s’enferma et resta à l’écart de ses enfants tout en réclamant d’une manière insistante la présence de sa jeune épouse. Dans l’anamnèse de notre président, la petite note : « père souffrant d’une névrose obsessionnelle avec idées suicidaires » résume la situation. Quand Daniel Paul a dix-neuf ans Moritz meurt à l’age de 53 ans d’une perforation d’ulcère peu après la terminaison de son dernier œuvre : Der Hausfreund als Erzieher und Führer zu Familienglück und Menschenveredelung (1861) « L’ami du foyer, éducateur et guide vers le bonheur familial et l’amélioration de l’humanité ».

Autres publications : Kallipädie oder Erziehung zur Schönheit durch naturgetreue und gleichmässige Förderung normaler Körperbildung, lebenstüchtiger Gesundheit und geistiger Veredelung und insbesondere durch möglichste Benutzung spezieller Erziehungsmittel (Leipzig, 1858)

Die Eigenthümlichkeiten des kindlichen Organismus im gesunden und kranken Zustande (1852)

Die ärztliche Zimmergymnastik (1855).

7 ans plus tard, en 1877, son frère aîné se suicide en laissant une lettre qui témoigne de son impossibilité d’envisager une paternité et un mariage qui venait juste d’être annulé. Il était en poste au tribunal de district de Bautzen et devait être nommé à un poste élevé à Berlin après ses études de chimie et de droit. L’année suivante Daniel Paul se marie à l’age de 36 ans avec une jeune femme issue d’une famille d’artistes. Bien que Sabine connaisse une série des fausses couches, 2 avant et 4 entre les deux internements de son époux, elle ne lui donna aucune descendance. C’est environ à ces moments que les premières manifestations d’hypochondrie apparaissent chez Schreber. Ils prendront un aspect progressivement grandissant.

La première maladie qui l’emmenait d’un court séjour de cure à Sonneberg à la clinique des nerfs de Leipzig, avait complètement guéri en juin 1885. Le Docteur Flechsig, dont le prénom fut également Paul, psychiatre dans la clinique dans laquelle notre malade passa alors six mois, qualifiait cet état d’accès d’hypocondrie grave, dans une expertise qu’il fit ultérieurement. La rencontre avec Flechsig ne pouvait laisser Schreber indifférent car en langue allemande : « flechsig » est un adjectif qui signifié « parcouru de fibres ». Gottlob, Gottlieb, Dieu idolâtré, aimé et haït, les rayons divins, les « Nervenanhänge », adjonctions de nerfs …le Dr. Täuscher, qui induit la tromperie et enfin le Docteur Paul Flechsig, médecin-chef des fibres nerveuses, qui, en plus était un des précurseurs de la neuropsychiatrie et s’intéressait aux neurones et à leurs ramifications ! Le malade de Flechsig, Schreber malade des nerfs, était-il malade à cause de Flechsig ? Le névropathe, « ein Nervenkranker » subit l’assassinat d’âme. Seelenmord.

Notons à part que le mot Seelenmord n’est pas un néologisme. Dans la bulle XXVII du pape Innocence IV (1252) est écrit : « Iatrones et homicidas animarum, et fures Sacramentorum Dei et fidei christianae » … (des envahisseurs et des Meurtriers d’âme et voleurs des sacrements de dieu et de la croyance chrétienne …)

Nous sommes au tout début de l’aire neuronale.

Paul Flechsig était connu pour ses travaux portant sur l’anatomie du cerveau. Etudiant, il était à Leipzig. Son professeur d’anatomie Ernst Heinrich Weber, auquel il vouait une grande admiration, était probablement celui qui publiait la première autobiographie de Moritz Schreber. Dans les années 1870 Flechsig occupait un poste d’assistant chez Ernst Leberecht Wagner à l’institut de pathologie et d’histologie où apprenait l’étude des coupes histologiques du cerveau. A la suite il publiait une série de recherches dans lesquelles il donnait une localisation précise aux sensations tactiles, olfactives, visuelles et auditives ainsi qu’aux fonctions psychiques supérieures, telles que les associations, la mémoire, les états affectifs …

Le 05 mai 1875 alors qu’il étudiait le cerveau d’un jeune enfant de cinq semaines au nom de Martin Luther il note sur les fines coupes anatomiques des images de larges plaques blanches qui évoquaient pour lui un processus évolutif du cerveau. Quelques années plus tard on allait découvrir la myélinisation.

Pour la „petite histoire“ : Paul Flechsig intitula son autobiographie (publié en 1927) « Meine myelogenetische Hirnlehre ».

Ce n’est pourtant qu’en 1894, que Ramón y Cajal ( prix Nobel 1906) présente lors d’une conférence à Londres (Croonian Lectures) ses arguments en faveur de cellules individualisées comme élément de base du tissu nerveux, les neurones et pose alors définitivement les bases du développement des neurosciences.

Revenons à Daniel Paul Schreber. La relation que Schreber entretenait avec Paul Flechsig, connut un grand virement au cours de sa maladie « des nerfs ». Le médecin sauveur aimé et idolâtré (son épouse gardait même une image de Flechsig sur sa table de nuit) se transforma en un puissant persécuteur, assimilé aux fibres nerveuses …en âme examinée. Rappelons-nous que les âmes dans le délire de Schreber étaient des êtres morts, liés à toutes sortes de sentiment de transformation, échange corporel, intrusion corporel etc.

En ce qui concerne la première période de sa maladie, Schreber assure que cette maladie-là, cette hospitalisation se déroula « sans que survienne aucun incident touchant à la sphère du surnaturel ». Elle se déclara lors des sa candidature au Reichstag comme libéral national en face des socialistes. Dans les rues il lisait sur des affiches : « Ne votez pas pour l’inconnu Schreber ». Schreber est battu (25% contre 60% des voix) et part en cure à Sonneberg. De là, il entre dans la Nerven-Klinik Leipniz, Clinique des maladies nerveuses du Professeur Flechsig pour six mois. A son arrivé il présente des troubles du langage et une grande labilité thymique. Il pense qu’il est condamné et inguérissable. En clinique il tente à deux reprises à sa vie, se montre suspicieux à l’égard de son épouse ; (misstraurisch). Il sort le 01 juin dans l’idée d’avoir maigri de 30 à 40 livres alors qu’en réalité il aurait grossi de deux kilos.

En 1893 au mois de juin, on annonça, à Schreber sa prochaine nomination à la présidence de la Cour d’Appel à Dresde ; il entra en fonction le 1er octobre de la même année. Entre ces deux dates, il eut quelques rêves auxquels il ne fut amené que plus tard à attribuer de l’importance. À plusieurs reprises, il rêve qu’il était de nouveau malade, ce dont il était aussi malheureux en rêve qu’heureux au réveil lorsqu’il constate que ce n’était là qu’un rêve. Un matin, dans un état intermédiaire entre le sommeil et la veille surgit, « l’idée que ce serait très beau d’être une femme subissant l’accouplement », idée que, s’il avait eu sa pleine conscience, il aurait repoussée avec la plus grande indignation.

Le second épisode pathologique débute fin octobre 1893, par une insomnie des plus pénibles, ce qui amène Schreber à entrer de nouveau à la clinique de Flechsig pour six mois. (21 novembre 1893 au 14 juin 1894)

Mais là son état empire rapidement. Le dossier médical témoigne de troubles importants de l’humeur ; on l’aurait enfin rendu fou de manière heureuse, il souffrirait de « Gehirnerweichung » pour le reste il était inaccessible. Il crie la nuit, se bat avec des tables et des chaises, pleure, dit qu’il capitule…tente la pendaison, a des hallucinations visuelles, se prend pour une jeune fille et craint des attentats à la pudeur, promet au gardien une paye de 500 Mk pour la préparation d’une tombe, tente de se suicider dans la baignoire, demande de la cyanure prévue pour lui …. Il présente des hallucinations auditives et olfactives, dit être atteint de la peste, demande si cela ferait longtemps qu’il soit mort etc.

Dans ce contexte, il fut transféré au Lindenhof, puis à Sonnenstein près de Dresde où le Dr. Weber s’occupa de lui pendant huit années.

Le 1. Janvier 1896 il se voit mis à la retraite à 54 ans. L’évolution de cette maladie est décrite dans une expertise ultérieure par le directeur de la maison de santé Sonnenstein: « Au début de son séjour là-bas, il manifestait plutôt des idées hypocondriaques, se plaignait de ramollissement du cerveau, disait qu’il allait bientôt mourir, etc…, mais déjà des idées de persécution se mêlaient au tableau clinique, basées sur des illusions sensorielles qui au début, à la vérité, semblaient apparaître assez sporadiquement, tandis qu’en même temps s’affirmait une hyperesthésie excessive, une grande sensibilité à la lumière et au bruit. Ultérieurement, les illusions de la vue et de l’ouïe se multiplièrent et, en liaison avec des troubles cœnesthésiques, en vinrent à dominer toute sa manière de sentir et de penser. Il se croyait mort et décomposé, il pensait avoir la peste, il supposait que son corps était l’objet de toutes sortes de répugnantes manipulations et il souffrit, comme il le déclare encore à présent, des choses plus épouvantables qu’on ne le peut imaginer, et cela pour une cause sacrée. Les sensations morbides accaparaient à tel point l’attention du malade qu’il restait assis des heures entières entièrement rigide et immobile, inaccessible à toute autre impression (stupeur hallucinatoire). D’autre part, ces manifestations le tourmentaient au point de lui faire souhaiter la mort ; il tenta à plusieurs reprises de se noyer dans sa baignoire, il réclamait le cyanure de potassium qui lui était destiné. Peu à peu, les idées délirantes prirent un caractère mystique, religieux ; il était en rapport direct avec Dieu, le diable se jouait de lui, il voyait des apparitions miraculeuses, il entendait de la sainte musique, et en vint enfin à croire qu’il habitait un autre monde

Le témoignage que Schreber lui-même apporte de cette période est d’un tout autre style : Fluide et persuasif tissé de certitudes ! Il est capable de livrer des descriptions d’une fidelité photographique.

Bien que malade de nerfs, en occurrence des nerfs de la volupté qui le traversent et le transforment « je ne suis pas malade mental » déclare-t-il et pourtant il se livre à d’étonnantes expériences notamment ceux qui concernent cette transformation progressive en femme (Weib) dans l’attente de pouvoir enfin atteindre ce bien-être sensuel qui correspondrait à une approximation de ce que pourrait être « der weibliche Geschlechtsgenuss beim Beischlafe » la jouissance sexuelle féminine lors d’un acte sexuel.

Quand il parle du fait que cultiver la volupté, die Wollust «  ceci est devenu pour moi ainsi dire mon devoir mais ceci ne veut aucunement dire que je parle d’attirance sexuelle d’autres (femmes), ni d’actes sexuels avec quiconque mais le fait que je me considère comme homme et femme en une seule personne, effectuant l’acte sexuel avec moi-même… » … «  Dieu se trouve engagé vis-à-vis de moi … dieu le veut…. Dieu est par la puissance de mes nerfs indissolublement lié à ma personne … dieu exige un état constant de jouissance (Geniessen) … c’est de mon devoir de lui offrir cette jouissance … sous la forme du plus grand développement possible de la volupté d’âme… Ce qui se dépose en moi sous la forme d’une jouissance sensuelle, je m’autorise de l’accepter en tant qu’indemnisation pour tout ce surplus de souffrances et des manquements que je subis depuis des années … »

Voici donc quelques extraits du texte de Schreber,

Dans le Réel « schreberien », du deux, il n’y en a pas. Rappelons-nous, c’est dans la différence de un à trois que procède le deux. La jouissance de Schreber est une jouissance divine, un jouir de la possession de l’autre, du lien étroit et exclusif de l’autre à l’autre, (axe a-a’), de l’union de dieu et de Schreber dans une relation d’égalité, homme et femme en Un. Effectuer l’acte sexuel avec soi-même c’est permettre de récupérer un bout de jouissance de l’autre. Et dans le style habituel de notre « Höllenfürst », Prince de l’enfer, d’unir deux champs de jouissance radicalement différents en un seul excluant ainsi toute Alterité.

Daniel Paul accède en tant que femme de dieu et dieu à la fois –en tant que Un ou grand Phi- à une jouissance Toute, qui est à la fois Autre-de l’Autre, -jouissance divine en tant que femme de dieu et -du fait de sa position divine et diabolique- phallique, deux en Un. En tant que homme et femme en une seule personne, effectuant l’acte sexuel avec lui-même « Dieu » il accède à ce qu’il y ait  rapport sexuel. Daniel Paul Schreber, dans l’ascèse de son écriture accède au rapport sexuel. Il y accède dans la limite où pour lui, l’Autre, l’hétéros est absent –autrement dit, il n’est pas empêché par le drame du couple voire d’un inconscient qui sème le doute. (Lacan dit : il n’y a pas de rapport sexuel pour les êtres qui parlent, le rapport sexuel dans la parole est interdit. –Il ne cesse pas de ne pas s’écrire-Il n’est pas possible d’écrire le rapport sexuel, sur ce principe même de fonder ce qu’il en est de la fonction qui règle tout ce qu’il en est de notre expérience, en ceci qu’à faire question, le rapport sexuel qui n’est pas, en ce sens qu’on ne peut l’écrire, ce rapport sexuel détermine tout ce qui s’élabore d’un discours dont la nature est d’être un discours rompu (ou pire)))

En juin 73 Encore, Lacan dit : S’il est vrai qu’il n’y a pas de rapport sexuel parce que simplement la jouissance de l’Autre prise comme corps est toujours inadéquate : perverse d’un côté en tant que l’autre se réduit à l’objet petit a, folle de l’autre en raison de la nature énigmatique dont se pose cette jouissance de l’Autre comme telle.)

Nous nous posons la question de l’écriture du nœud de Schreber. Serais-ce le même que pour Joyce ? Pour Joyce il y a à la fois rapport et non-rapport dans la mesure où il y a le sinthome, Nora. Nous savons que pour Schreber la relation avec Sabine est un drame dont il parle en lui adressant des menaces …

En 1900 Schreber entame un procès en réclamant sa sortie et écrit ses mémoires pour faire valoir sa cause. Il gagne en 1902 en appel et quitte l’asile du Dr. Weber. Selon certaines sources, il retourne chez sa mère, selon d’autres il construit une maison avec son épouse et se constitue famille d’accueil pour une jeune fille de 13 ans.

Schreber achève les Compléments et rédige un avant-propos aux Mémoires.

Schreber sera hospitalisé une troisième fois en 1907 au moment où les litiges concernant les legs faits aux associations Schreber après la mort de sa mère lui pèsent.

Cette même année sa femme subit une apoplexie avec aphasie de quatre jours.

Schreber entra de nouveau en Clinique de Leipzig-Dösen. Les descriptions de cette hospitalisation ressemblent étrangement à ceux de la seconde hospitalisation. Schreber se bat, il hurle beaucoup et fortement, cri « ha-ha » jusqu’à sa mort. A-a’ …la femme étant l’avenir de l’homme à condition qu’elle puisse le rendre fou ? A-a : pied de nez…au pionnier Daniel Paul Schreber

Wollust: man begegnet das Wort häufiger im Mittelhochdeutschem des 13. Jh., nicht in der höfischen, aber in der Legendendichtung, der Predigtliteratur und namentlich vor und nach 1300 in den texten der Mystik, sowohl in dem mehr sachlichen Sinne :

A \’was Freude bereitet\’ wie in der psychologischen Bedeutung .

B \’Lustgefühl\’. Die älteren Glossare und Lexika setzen Wollust vornehmlich für Delicium, Deliciae, Voluptas, Voluptuositas u. ä., ohne damit das Wort in engerer Bedeutung und ethischer Wertung eindeutig zu bestimmen. Seit dem älteren nhd. verengt sich A jedoch mehr und mehr zur Pejorativbedeutung, das Gewicht des Wortgebrauchs verlagert sich im Übrigen nach B hin, besonders seit der mitte des 18. Jh.; als Bezeichnung des triebhaften (C) und in prägnant erotischer Anwendung (D) begegnet Wollust schon früh und durchstehend bis in die junge Sprache, ohne sich in diesen Bedeutungen allein gültig durchzusetzen oder den positiven gebrauch des Wortes völlig zu verdrängen.