cours EPhEP 21 Octobre 2011
Nous allons poursuivre donc, cette année, ce séminaire avec Charles Melman. Il se trouve que Charles Melman n’est pas là ce soir, enlevé, il s’est, là encore, enlevé.
Depuis le week-end, Charles Melman a disparu. Donc, voilà, la personne qui devait également faire ce séminaire qui était prévu concernant donc les femmes du XVIIe siècle, les Salons, a dû partir à l’étranger pour des raisons personnelles. Voilà, nous serons tous là, Charles Melman y compris, le 25 novembre, si vous voulez bien noter la date tout de suite. Par ailleurs, comme nous avons un peu de temps ce soir, j’aurais bien aimé avoir vos noms et numéros de téléphone, au cas où j’aurais besoin de vous prévenir. C’est parfois plus sûr que je le fasse moi-même, plutôt que ça ne passe par Mme Pignarre, étant donné que parfois nous sommes dépendants, donc, des obligations de Charles Melman et que, donc, il se peut que les dates soient changées. Il manifestait beaucoup son regret, il s’excuse, il sera là, assurément, les autres séances mais, bon, un certain nombre d’obligations traversent son emploi du temps qu’il ne peut pas toujours prévoir. Donc, j’aimerais bien que vous ne partiez pas sans me donner votre numéro de téléphone. Si vous voulez faire circuler une feuille, Nelly, vous serez gentille, que je puisse vous prévenir en personne au cas où il y aurait certains changements.
Donc en principe, la date du prochain séminaire est le 25 novembre ; au mois de décembre probablement, j’essaierai de vous faire à nouveau un séminaire. J’espère que j’aurai terminé parce que ça me demande d’assez longues recherches historiques sur Madame de Maintenon et Louis XIV. Donc, ce ne sera forcément pas le 4ème vendredi de décembre qui tombera pendant les vacances, donc probablement le 2ème. Enfin, on verra aussi d’après les disponibilités de Charles Melman.
Donc, ce soir, si vous voulez bien, je vais faire une petite introduction, vous m’arrêterez si vous la trouvez trop longue, trop compliquée, à un moment donné, une petite introduction théorico-clinique, bien sûr, qui tourne autour d’une certaine perplexité me concernant, ma perplexité, mon questionnement. Voyez, j’annonce quelque chose de très vaste concernant la conceptualisation, pas moins, de la question féminine par Lacan. Cette perplexité m’est venue petit à petit. C’est une perplexité qui n’est pas refus du tout, qui concerne cette difficulté de penser la question féminine tout simplement. Je vais être cursive, bien sûr, parce que vous voyez bien que cela nécessite un développement sûrement que je reprendrai au cours de l’année. Peut-être qu’il y aura un groupe de travail, alors vous serez invités, que je ferai dans le cadre de l’EPhEP aussi, concernant cette question, qui ne redoublera pas le séminaire. Mais comme nous ne le faisons ici qu’une fois par mois, comme nous faisons des exposés divers, je vous dirai le titre que m’a suggéré Charles Melman quand je lui parlais de ma perplexité.
On peut constater en effet que, dans l’œuvre de Lacan, il y a à la fois des fils conducteurs qui présentent une certaine fixité d’un bout à l’autre des séminaires, mais aussi un certain nombre de propositions, que je dirai pour l’instant mouvantes – le terme n’est peut être pas exact –, mouvantes, en tout cas paradoxales parfois apparemment, je dis bien apparemment contradictoires et qui, bien sûr, cherchent à serrer ce réel difficile qu’est l’abord-même, n’est-ce pas, de la féminité — et ce terme en général. Alors l’année dernière, je vous avais déjà à plusieurs reprises, fait part d’un certain nombre de points dans le début de l’œuvre de Lacan, c’est-à-dire lorsqu’il commente Freud de très près, que je vais reprendre très cursivement.
J’essaierai de reprendre ce qui m’a frappée dans l’après-coup, ce que j’ai introduit aux Journées d’été sur la question du nœud borroméen, et puis de toutes petites avancées dans RSI. Et donc, évidemment, le travail est loin d’être terminé puisque mon intention est, bien sûr, d’aller jusqu’au bout, jusqu’au dernier Séminaire, c’est-à-dire au Moment de conclure, pour relever cette mouvance de la pensée de Lacan à propos de la question féminine, certains allers et retours, certains pas en avant, pas en arrière, que je questionne pour l’instant, et dont, évidemment, je serai très loin d’en conclure quelque chose ce soir.
Je vous rappelle très brièvement d’abord ce que j’avais évoqué à plusieurs reprises, que, dans ce qu’on a pu appeler « la querelle du phallus » qui avait opposé Freud aux post-freudiens et aux tenants donc de l’ego-psychologie, et qui avait opposé, bien sûr, aussi Lacan, le jeune Lacan, eh bien, comment, donc ?
Lacan avait pris d’abord une position apparemment strictement freudienne, dont vous trouvez l’expression-même dans le célèbre texte « La signification du phallus » que vous trouvez dans les Écrits : texte, par exemple, dans lequel le phallocentrisme de l’inconscient est clairement posé, et où il nous dit, par exemple, que le complexe de castration structure les symptômes, régule l’installation du sujet dans une position inconsciente, qui lui permet de s’identifier au type idéal de son sexe.
Pas moins : « s’identifier au type idéal de son sexe », c’est Lacan qui parle, c’est strictement freudien. En ce qui concerne le type idéal freudien, on sait que pour Freud, il s’agissait de la femme mariée et mère de famille, confortablement installée dans sa position d’infériorité par rapport à son homme, ne le menant néanmoins par le bout du nez que si celui-ci n’avait pas su prendre la position d’autorité qui convient à l’idéal de son sexe à lui. Ça, c’est Freud.
Mais l’incontestable sympathie que Lacan a pour les femmes ainsi que sa passion pour le langage lui fait très vite remanier les thèses freudiennes.
Dès 1957, dans ce célèbre Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine, donc, Lacan avance le concept majeur d’Autre. C’est, je pense, la première fois qu’il apparaît pour désigner la position féminine. Donc, Autre pas seulement ici comme lieu du langage d’où nous proviennent tous nos messages, mais, nous dit-il, dans la dialectique phallocentrique, elle, représente l’Autre absolu.
Voilà qui met un point définitif à la querelle du phallus, qui déboute Jones et qui, bien sûr, déplace considérablement Freud. Car ce n’est plus comme homme châtré en proie au Penisneid qu’il faudra penser la féminité, mais comme Autre, altérité.
L’altérité, vous le savez – je ne vais pas développer, je fais juste un petit rappel ; ça mériterait un jour que nous fassions une étude un peu sérieuse –, l’altérité, vous le savez, a été pensée par la philosophie depuis Platon, notamment depuis le célèbre Parménide que Lacan a aussi commenté et aussi par Hegel. Donc, il y aurait beaucoup à dire sur ce concept d’a/Autre que Lacan avance tout de go, pourrait-on dire. Mais la philosophie, on peut le dire aussi, a eu beaucoup de difficultés à penser cette altérité. Et en tout cas, elle a échoué à penser la féminité comme heteros, donc comme altérité. Le terme d’absolu, lorsque dans cette phrase, il nous dit, n’est-ce pas, qu’elle est…, que c’est… l’Autre absolu, je pense que le terme d’« absolu », en revanche, sera abandonné par Lacan, et même, dans RSI, vous verrez qu’il nous dit que l’Autre absolu, c’est l’impossible et c’est ce même à cause de quoi il y a de l’impossible. Donc, l’Autre absolu, on peut entendre que c’est peut-être La femme, mais c’est intéressant, n’est-ce pas, de lire dans RSI – on aura sûrement à le commenter plus –, je vous le signale juste aujourd’hui que c’est ce à cause de quoi il y a de l’impossible, c’est-à-dire ce qui constituera véritablement le trou, le trou dans la structure, La femme. Petite parenthèse à développer plus tard, donc.
Mais alors, ce concept d’Autre, Lacan va essayer de le penser en le monnayant à travers d’autres concepts car, bien sûr, il ne suffit pas de dire l’Autre, comment va-t-on penser cet A/autre, quel visage on va lui donner.
Alors là aussi, l’année dernière, j’avais dit, j’avais rappelé un certain nombre de choses. Je vais les rappeler brièvement pour essayer d’aller plus loin ce soir. Effectivement, le premier concept à travers lequel il va essayer de penser cette altérité, c’est, bien sûr, celui de phallus, qu’il reprend à Freud, mais en le déplaçant.
Le phallus, en effet, ne fait pas que représenter la différence sexuelle, selon l’ordre de l’avoir ou pas, qui est la première manière de penser l’altérité, ne pas avoir le phallus, pour Freud. Mais le phallus, Lacan marque tout de suite que le phallus est le manque que tout sujet rencontre, d’être parlant, donc les hommes autant que les femmes. Donc Lacan, voyez, rétablit donc immédiatement, une certaine symétrie – j’évite le mot égalité – entre les hommes et les femmes : les hommes manquent, les femmes manquent. Mieux, de plus, Lacan va donc gratifier les femmes, d’un être phallique, ce qui n’existe absolument pas chez Freud, alors que l’homme n’est pas sans l’avoir, pas sans l’avoir. Le manque féminin se trouve donc converti, sorte de miracle, en un effet d’être, effet, effectivement miraculeux, extraordinaire, où son corps manquant de ce fameux pénis se revêt tout entier d’un voile phallique, tout entier, brillant, l’appelant en position d’objet du désir. Donc, on est tenté de dire : « Ah, bien, elle y gagne » : le manque du phallus, n’est-ce pas, la fait briller. Évidemment rien de tel n’était dit chez Freud – je suis cursive, je ne développe pas ; tous ces points pourraient être développés en détail ; je me contente de rappeler des points qui pourront guider vos lectures.
Mais attention, cette sorte d’avantage assez spectaculaire accordé à une femme ou aux femmes se trouve très vite relativisé du fait que ce miracle n’a lieu que grâce au regard et au désir d’un homme, d’un partenaire. Elle n’est pas le phallus en soi, si je puis dire, mais seulement si un homme la reconnaît comme telle. Elle est donc strictement dépendante de son bon vouloir. Même si ce bon vouloir est inconscient, bien entendu. Rien de tel pour lui, l’homme, qui, effectivement, n’est pas sans avoir le phallus, donc marqué du manque bien sûr, mais par la grâce de la castration liée au père et non pas à une femme. Un homme, lui, autrement dit, n’a pas besoin d’une femme pour être reconnu dans son avoir phallique. Il n’a besoin que d’un père. Vous voyez comment la dissymétrie, qui avait un instant semblé à l’avantage de la brillance de l’être phallique féminin, cache toujours la même dissymétrie, puisqu’une femme n’est pas le phallus toute seule, et même pas grâce à son père et à sa mère.
Mais justement – petite remarque là-dessus –, Lacan voit très bien la difficulté, il la voit très, très bien, parce que Lacan, vraiment, tout au long de ses séminaires, cherche à penser la femme correctement et à la sortir de cette ornière, si je puis dire. Je ne sais pas s’il va y arriver, franchement, je vous le dirai peut-être avant la fin de l’année quand j’aurai bien saisi ce qu’il dit dans les tout derniers séminaires. Mais à ce moment-là de son œuvre, il voit bien la difficulté et, d’ailleurs, il soulignera que la mascarade féminine par laquelle elle s’efforce de séduire son partenaire qui doit la reconnaître comme femme, aboutit, nous dit-il, dans le Séminaire V, à une véritable forclusion, vous entendez le terme Verwerfung, forclusion de son être. Et vous allez me dire : de quoi il parle, là ? Eh bien, effectivement, de quel être parle-t-il tout d’un coup ? Non pas de l’être phallique, non pas de son être phallique, mais en quelque sorte, d’une sorte d’être entre guillemets « naturel » qu’elle aurait comme femme, qui ne serait pas obligé de se faire reconnaître comme femme par un homme. Vous voyez, c’est curieux, n’est-ce pas ? Évidemment, on se dit mais de quoi parle-t-il là : Verwerfung de l’être de la femme dans la mascarade… ? de quel être ? eh bien d’une femme « naturelle ».
Il y a une Verwerfung, c’est forclos, ça n’existe pas, ça ne se retrouve pas, c’est forclos. Elle ne peut exister que dans la mascarade, même si cette mascarade est très discrète, même si elle s’habille en homme, elle n’existe que dans la mascarade.
– Que dans le semblant ?
– Effectivement dans le semblant. Mais l’homme aussi n’existe que dans le semblant, parce que le semblant, ça veut dire, effectivement, vous avez raison, qu’elle est prise par le réseau du Symbolique, par le réseau du langage. Il n’y a de femme que dans le langage, c’est ça que ça veut dire, bien sûr. Alors, mascarade ajoute un petit cran de plus, qui n’est pas tout à fait la parade masculine, parce qu’on peut dire aussi que les hommes sont dans une mascarade. Ce n’est pas une mascarade, c’est une parade, mais ce n’est pas tout à fait la même. Ça n’a pas tout à fait la même valeur puisque le plaire masculin est tout de même très relatif et ne l’empêche aucunement de se positionner dans sa qualité subjective d’être phallique, justement, tandis que la mascarade féminine l’oblige plus à rentrer dans un certain imaginaire où sa propre subjectivité peut-être mise entre parenthèses et notamment sa parole.
Alors, donc, c’est d’ailleurs ce qu’impliquent certaines femmes qui réduisent au minimum la mascarade, voire la refusent, la dénoncent, et notamment dans les mouvements féministes américains, comme vous savez, la lutte contre la mascarade dans les mouvements féministes bien sûr. On peut aussi entendre un écho de cela dans une affirmation beaucoup plus tardive de Lacan, de 1972, dans L’étourdit, n’est-ce pas, une affirmation assez énigmatique, lorsqu’il va affirmer que, au fond, une femme attend plus de substance de sa mère que de son père, contrairement à ce que l’œdipe pourrait nous faire croire, bien que cette attente soit régulièrement déçue, la mère ne pouvant transmettre structuralement le féminin, mais pouvant seulement transmettre…, elle peut transmettre beaucoup de choses, la mère, mais pas la position sexuée justement. Elle peut seulement transmettre quelques trucs, on va dire, de séduction féminine. Mais c’est bien le père qui sexualise le lieu de l’Autre, c’est-à-dire, au prix pour une femme de recevoir l’ordre du père d’avoir à plaire. Bon, donc voilà, plus de substance de sa mère. Mais c’est effectivement ce que nous rencontrons assez souvent dans la clinique : nous savons bien que cette attente, loin de projeter une femme du côté de la féminité, très souvent l’en retient, la retient du côté maternel et ne lui permet que difficilement d’accéder à la féminité. Alors voilà, cursivement, quelques points de rappel concernant la première manière dont Lacan va essayer de penser l’Autre comme être phallique.
La seconde tentative de Lacan, puisqu’il va s’apercevoir évidemment que la question phallique est insuffisante, cette seconde tentative, vous la connaissez aussi. Elle sera de faire d’une femme non plus l’objet phallique seulement, mais l’objet a, cause du désir. Voilà comment il va penser la différence entre l’homme et la femme et comment il va penser l’altérité. C’est une femme. C’est une femme quand je dis la femme par facilité ou lapsus de langage : une femme est en position d’objet cause du désir, objet a, semblant d’objet a, bien sûr, la malheureuse ! Mais elle est en position de semblant d’objet cause du désir.
Là aussi, une femme semble promue dans un premier temps à la place secrètement la plus puissante de la structure. Quoi de plus puissant que l’objet cause du désir ? C’est celui qui mène, comme vous le savez, le discours analytique. C’est celui qui est au cœur de l’inconscient. Donc voilà, quelle place plus puissante ? il n’y en a pas. L’année dernière, Melman ici même avait évoqué la question du fantasme qui est organisé par ce qui ne peut se dire, mais du même coup me fait parler, et du coup peut s’écrire S barré poinçon a. $ ◊ a
C’est une écriture, c’est-à-dire ce qui peut s’écrire du fantasme inconscient d’un locuteur frappé par la castration, qui reste ignoré bien sûr du locuteur, tout comme l’objet qui l’anime, sinon que le sujet le recherche à travers une image féminine. Lacan, vous le savez, adhère tout de suite à la thèse freudienne sur le point de la perte ; cet objet cause du désir, est perdu et Lacan adhère à la thèse freudienne de la perte de l’objet primordial – c’est la mère pour Freud – et qui doit être retrouvé.
Lacan, ultérieurement, va élaborer la question de la castration en la détachant de ce renoncement à l’objet primordial maternel. Il en fait un phénomène uniquement d’abord lié à l’organisation du signifiant et du langage. C’est ce qu’il déploie notamment dans le Séminaire de L’angoisse. L’objet chu par la dialectique signifiante est une lettre, et c’est une lettre qui constitue ce fameux objet cause du désir, lettre donc qu’un homme va supposer habiter le corps d’une femme. C’est une lettre ou une séquence de lettres, en tout cas, c’est du littéral.
L’objet a est avant tout donc littéral, ce qui ne veut pas dire, comme il le dit dans les Non-dupes errent, que cet objet a ne s’imagine pas, bien sûr, comme objet pulsionnel, oral, anal etc. Il s’imaginarise, dit Lacan dans Les Non-dupes errent, sous ces formes que vous connaissez : pulsionnelles. Mais il est avant tout résultat de la structure du langage dont nécessairement certaines lettres choient.
À vrai dire, c’est évidemment aussi le premier texte des Écrits : La lettre volée. Mais, puisque les femmes parlent – comme il le dit dans L’angoisse, Lacan, c’est regrettable, mais c’est comme ça ; il le dit avec ironie –, le processus de constitution du fantasme, et du même coup donc, de division du sujet, puisque c’est la chute de la lettre qui en même temps divise le sujet, devrait être le même : voilà, nous retrouvons la symétrie ; ça devrait être le même qu’on soit homme ou femme. Je dirais, là aussi : une symétrie retrouvée, pourquoi ça serait différent ? Pourquoi S barré poinçon a, $ ◊ a est une écriture qui convient seulement au fantasme masculin, alors que le fantasme féminin ne s’écrit pas — peut-être même qu’on ne peut pas dire qu’il y ait un fantasme féminin ? Eh bien non, ce processus est uniquement constitutif de la subjectivité mâle. Les femmes y sont, comme il dit dans L’angoisse, les femmes y sont a-ïser, pas h, a,ï,ser, les femmes y sont a-ïser, ou a-ïsées é e s comme vous voulez, c’est-à-dire faites objets a. Pourquoi ? A-ïsées, elles sont faites objet a, elles ne sont pas… Donc, effectivement, il faudrait rentrer dans le détail. Je l’ai fait plus dans une intervention sur le fantasme féminin. On aura peut-être l’occasion d’en reparler. Je vais vous en donner la raison, seulement la raison principale, ce soir. La raison principale, c’est qu’il faut que le sujet reçoive l’ordre du père au-moins-un, l’au-moins-un, de renoncer à cet objet a, et donc ensuite de le chercher, comme objet perdu. Autrement dit, tu le perds, et après, tu cours après, c’est l’ordre, reçu par les hommes, qui provient du père. Il faut donc un référent à ce que Lacan appellera dans les formules de la sexuation, le tout homme. Ça, ça concerne le côté mâle.
Or, dans l’Autre, dans l’altérité, qui est donc infinie – il n’y a pas de borne véritable à l’Autre, c’est un infini particulier mais c’est un infini, c’est un ensemble ouvert, si vous préférez – rien ne vient ordonner à une femme de partir à la recherche de cet objet, ni même de le perdre et de l’abandonner. Toujours pour la même raison, parce que il n’y a pas le référent La femme qui pourrait seul lui donner l’ordre de courir après son objet perdu. Donc, fausse joie : pas de fantasme symétrique à l’homme pour une femme qui ne peut que s’inscrire, donc, dans le fantasme de son partenaire.
Ce qui se retrouve aisément dans la lecture des formules de la sexuation, puisque vous voyez dans les formules de la sexuation, que le petit a – qui est bien du côté féminin, mais c’est le petit a de l’homme –, c’est de l’objet perdu de l’homme qu’il va chercher du côté féminin, tandis qu’une femme ne cherche aucunement du côté masculin un objet a. Elle va chercher – j’en parlerai un tout petit peu tout à l’heure –, ce mystérieux, néanmoins, grand phi, Φ, et comme vous savez, l’autre flèche va rejoindre, désigner cet S de grand A barré S(% ) qui indiquera la jouissance Autre. Une femme n’est pas toute dans la castration, cela signifie d’abord que son objet a n’est pas validé par le père. Et que, donc, elle va avoir certains choix d’en faire certaines choses, par exemple, le sublimer, mais pas d’en faire un objet directement sexuel ; sauf à être homosexuelle, ce qui est autre chose, qu’il faudra aussi développer, il faudra qu’on parle de l’homosexualité féminine qui est une question assez complexe.
Alors, avec le nœud borroméen, la question semble brusquement se poser de façon toute nouvelle, et alarmante, puisque, justement, il semble que cette catégorie de l’Autre que Lacan poursuit depuis 1957, tout d’un coup, elle disparaît purement et simplement. Les femmes et les hommes deviennent-ils tout à coup identiques ? Il n’y a qu’un nœud borroméen pour les deux, plus d’Autre. Alors, bien sûr, là aussi, Lacan voit tout de suite le problème, et dans Les Non-dupes errent, il va s’efforcer de montrer que les femmes et les hommes, c’est pas pareil. Mais c’est très étrange, je trouve, comment beaucoup de lectures, même à l’ALI, n’ont pas vu cela, alors que je pense que ça crève les yeux quand on lit Les Non-dupes errent.
Alors, je vais vous rappeler juste les points essentiels. Dans la première partie du Séminaire, Lacan va s’efforcer de montrer qu’il y a deux objets topologiques différents : il y a les tresses et il y a les nœuds. Ce sont des objets topologiques distingués rigoureusement par les mathématiciens et par les topologues, par les mathématiciens des nœuds. Les tresses, vous en avez un exemple tout simple par les tresses que toutes les femmes se font. Alors, il y en a de beaucoup plus complexes ; elles ne sont pas forcément à trois, il peut y en avoir de très très compliquées. Et puis, les nœuds : vous avez tous les nœuds, il y a une quantité de nœuds absolument faramineuse. Alors, ce que nous disent les mathématiciens, c’est qu’un nœud, aussi compliqué soit-il : de marin, compliqué, tordu, tout ce que vous voulez, il peut toujours redevenir une tresse. Alors, pas forcément, encore une fois, à trois brins, mais on peut toujours dénouer le nœud en arrivant à un certain nombre de brins. Le nœud borroméen se dénoue facilement en trois brins, les bonnes tresses dont nous avons bien l’habitude, nous femmes. Il y a même un logiciel pour cela et le logiciel en un quart de seconde, vous dénoue un nœud en brins de tresse. Le logiciel a été mis au point, j’ai plus son nom, Alexander ?, un informaticien français.
En revanche, une tresse, si vous prenez une natte, une de nos nattes, et si vous faites donc…, qui se noue donc…, c’est intéressant, qui n’est pas trois d’un coup…, puisqu’on noue les brins deux à deux, comme vous savez. Si on fait donc six coups, donc six nouages deux à deux dans une tresse, et que l’on raboute la tresse début des brins avec la fin de brins, eh bien, on obtient un nœud borroméen. Et il y a bien nombre de cas où effectivement on peut à partir d’un nouage donc de brin à brin – c’est ce qui caractérise les tresses, même s’il y en a plus que trois –, en raboutant la tresse, en la fermant sur elle-même, on peut obtenir un nœud ; mais ça n’est pas toujours le cas.
Il y a bien des cas où, à partir d’une tresse, on ne peut pas obtenir un véritable nœud mais seulement ce que les mathématiciens appellent un entrelacs, c’est-à-dire une espèce de torsion de bouts de ficelle mais qui ne fait pas un nœud. Donc les objets topologiques sont différents. Alors Lacan dit : les femmes font des tresses et les hommes font des nœuds borroméens. Une femme peut donc faire un nœud borroméen, si avec sa tresse, c’est-à-dire en six coups, elle arrive à refermer sa tresse et en faire un nœud. Alors, bien sûr, à l’arrivée, vous aurez l’impression que les deux nœuds sont semblables, mais ils n’ont pas été du tout construits de la même manière.
– Lacan dit que les hommes font des nœuds borroméens, les femmes font des tresses, et que, finalement, à partir d’une tresse telle qu’elle est tressée par ces nouages deux à deux, c’est ça que vous avez dit, on peut faire un nœud borroméen. Alors ça veut dire que la structure est comparable entre homme et femme ?
- Ça veut dire qu’une femme ne nouerait les dimensions que deux par deux, Réel avec l’Imaginaire, Réel avec le Symbolique et non pas trois d’un seul coup. Il dit d’ailleurs : je tranche, Lacan est vraiment radical là-dessus. Lacan dit : je tranche, c’est comme ça, et je m’appuie sur la clinique.
Il y a une page que j’ai un peu commentée cet été, mais qui est complètement ébouriffante, parce qu’il nous dit qu’effectivement, les femmes ont l’intuition que le mental des hommes, il est fermé. Il est Un, parce qu’ils ne savent pas du tout qu’il y a les trois dimensions qui font un nœud borroméen. Non, ils ont l’impression d’être un cercle fermé, et ça les femmes en ont l’intuition. Et c’est sur ce Un qui n’est pas tout à fait exact, puisqu’il est 1-3, mais où n’est aperçu que le Un, que les femmes, elles, vont faire leur tresse pour i-mi-ter les hommes. Imiter, voilà, ce concept qui m’a fait grincer des dents : imiter les hommes. Mais alors, du coup, elles, elles vont arriver à faire du trois, du 1-3, et alors les hommes, tout d’un coup, vont piger qu’ils sont trois. Donc, en quelque sorte, les hommes apprennent des femmes qu’ils sont trois, mais elles, elles ont fait leur tresse à partir du Un qu’elles percevaient chez les hommes. Je vous assure que cette page est vraiment incroyable.
En même temps, on ne peut pas dire qu’elle soit intuitivement fausse. Si vous voulez, c’est vrai que…, quand on dit hommes et femmes, ce n’est pas l’anatomie : c’est les hommes en position masculine, et les femmes, c’est les femmes en position féminine. Mais il peut y avoir des hommes en position féminine, comme vous le savez, plus rarement des femmes vraiment en position masculine ; elles sont plutôt là dans l’imitation, pour le coup… mais des hommes en position féminine, et puis, il y a des femmes en position masculine.
À tel point que, même dans ce Séminaire, Lacan va dire constamment : au fond, même quand je prends quelqu’un dans mes bras, je ne sais pas si j’ai affaire à un homme ou une femme. Donc il faut un certain temps pour arriver à le savoir. C’est très amusant, ça aussi, ça fait partie des choses drôles que dit Lacan, en résumé, en bref, comment il y a cette espèce de dialectique entre les hommes et les femmes. Mais c’est quand même les femmes qui restent imitatrices.
Alors, constamment, j’essaie de vous faire sentir comment, à chaque fois, il y a quelque chose qui se met en place. On fait « ouf, on en est sorti », et puis, hop, la différence, voyez. Il ne faut pas s’étonner si à la fin du Séminaire, dernière partie dont j’ai parlé plusieurs fois l’année dernière, mais dont je m’étonne à chaque fois que mes collègues ne veuillent absolument pas tenir compte de ce Séminaire, les deux derniers, alors qu’il est parfaitement congruent avec ce que Lacan a avancé sur la différence entre les tresses. Non, ce n’est pas la dernière partie du Séminaire. Il va à nouveau jouer la carte forcée de la clinique, et il va dire, il le dit : l’expérience analytique m’apprend ; il le dit comme ça : « l’expérience ». Lui apprend quoi ? Le privilège de la jouissance phallique qui se trouve incarnée par l’organe de l’homme. Alors, c’est formidable là, parce que les lacaniens ne veulent pas lire ça. Il y a un privilège de la jouissance phallique, pas de la jouissance Autre, là, qui est incarnée par l’homme. C’est une expérience, dit-il, n’est-ce pas, que les femmes n’ont pas. Alors quand il dit ça, ce n’est pas la jouissance sexuelle. Quand il dit ça, Lacan, vous le voyez, ça se dit à la fin du Fantasme, n’est-ce pas, de La logique du fantasme, il parle de l’érection. C’est très précis ce dont il parle, parce que, pour Lacan, l’érection, c’est la jouissance sexuelle des hommes. Ce n’est pas l’orgasme, voyez, c’est l’érection.
Et c’est de ça dont il parle, et ça, les femmes, niet, elles n’en savent rien. Elles ne savent pas ce que c’est, et, donc, il dit : voilà, il y a un privilège et, donc, la jouissance phallique ne fait pas irruption dans le corps féminin comme dans le corps masculin. Et la jouissance phallique pour une femme ne peut faire irruption qu’en référence au corps masculin, c’est-à-dire, en quelque sorte dans une sorte d’identification.
- D’imitation ?
- Oui, c’est ça, d’imitation mentale de l’érection.
- Voilà, c’est comme si elle y participait.
- On sent bien chez les hommes, chez certains hommes…
- On sent bien qu’il y a ça chez les femmes, c’est-à-dire que ce que dit Lacan, c’est que les femmes…
- Par imitation ?
- Alors, il dit : par référence.
- Je le vois bien chez les hommes, mais je n’arrive pas à le saisir.
- Par référence à qui pour les hommes alors ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? Aux femmes ?
- Oui, dans leur façon d’être, ou alors je me trompe complètement.
- Ça serait alors une imitation plutôt du côté de la jouissance Autre, qui va être propre aux femmes.
- Non, ce que je veux dire, c’est que les femmes imitent à un moment donné cette espèce de jouissance phallique.
Alors voilà, d’accord, nous sommes bien d’accord, d’accord, oui, c’est les femmes qui imitent. Voilà, alors lui, il dit là : en référence au corps masculin ; là, c’est la référence au corps masculin, et c’est bien pourquoi il nous dit que seule une femme fait une identification sexuée. Elle s’identifie comme femme, mais elle peut s’identifier comme femme dans une sorte de participation, de référence au corps masculin comme tel. Alors évidemment, la différence homme/femme – là, vous voyez où on en arrive dans ce Séminaire –, ne peut-elle se penser qu’en termes d’imitation, de référence, d’identification ? Alors Melman…, pardon…
- Excuse-moi, est-ce que tu peux redire ce que tu as dit ? Seule une femme…
- … fait une identification sexuée, dit Lacan, puisque les hommes sont, en quelque sorte, ils le sont, ils n’ont pas besoin de faire une identification, ils sont la jouissance phallique, voyez. Donc, ils n’ont pas besoin de faire d’identification sexuée, sauf s’ils s’inscrivent dans le lieu de l’Autre, bien sûr.
- Mais une femme… l’identification sexuée que réalise une femme ?
- C’est de s’identifier femme, mais en passant par cette référence au corps masculin et à l’érection masculine.
- Et ça, tu le situes, par exemple, dès le stade du miroir ?
- Bonne question. Le stade du miroir, moi, je serais tentée de dire que oui, c’est possible. Mais l’objection que je me ferais, c’est qu’il n’y a pas encore véritablement sexuation, elle n’est qu’imaginaire, à ce moment-là.
- Par rapport à l’Autre et à la demande de l’Autre, elle ne peut pas être imaginaire…
- Oui, je sais, je sais, oui, c’est une question difficile, c’est une question intéressante. De même que celle qui a été posée, quand même, là, aux Journées sur les psychoses : comment se fait-il que les enfants très tôt, donnent un phallus à tous les êtres vivants ? Mais alors justement, est-ce que, à l’époque du stade de miroir, les enfants en sont à marquer d’un trait phallique imaginaire, tu dirais symbolique toi, tous les êtres vivants, parce que, sinon, on ne voit pas très bien comment la mise en place du signifiant phallique alors va être aussi traumatique, puisque c’est là que la castration maternelle… ?
- Je pensais, en t’écoutant, que ton propos permet de réévaluer ce moment de l’adolescence comme ce moment où une femme effectue cette identification.
- Parce que, oui, là elle l’effectue définitivement.
- Elle doit l’effectuer.
- Effectivement, et abandonner son phallicisme.
- On voit bien d’une petite fille qui est beaucoup dans l’imaginaire, d’une imitation qui serait donnée aux poupons comme aux poupées, si je puis dire, qui sont tous les deux des poup-quelque chose. Par contre, à l’adolescence, c’est terminé. Là, il y a quelque chose qui est d’une certaine manière irrémissible.
- Tranché… Tout à fait, c’est très juste. C’est définitivement à l’adolescence, bien sûr, que les choses se mettent définitivement en place. On pourra reprendre.
Vous voyez quand même que c’est difficile de squizzer ce Séminaire de ses derniers chapitres – je parle des Non-dupes errent –, puisque c’est parfaitement logique, n’est-ce pas, entre la tresse et le nœud, que Lacan le prenne au niveau de la mise en place effectivement de l’identité et de la jouissance, et donc va se jouer la question de l’irruption de la jouissance dans le corps.
Il essaie de montrer la différence et il la maintient, n’est-ce pas. Il y a une différence d’irruption de la jouissance dans le corps masculin et dans le corps féminin. Donc il maintient la différence, la difficulté étant que, effectivement, il parle néanmoins d’imitation, de référence. Mais je vous disais que Melman, dans le Séminaire II des Problèmes posés à la psychanalyse, que vous trouvez chez Eres (2ème édition), vous verrez qu’il reprend à sa manière la question. Mais le terme qu’il emploie, c’est le terme de sympathie. Il ne va pas dire imitation, il va dire sympathie. C’est-à-dire, n’est-ce pas, en évoquant le fait que je rappelais à savoir que, dans le grand Autre auquel une femme à affaire, il n’y pas d’autorité qui vienne commander la chute de l’objet, et donc aussi bien le refoulement, un refoulement qui lui serait spécifique, à la femme, eh bien, nous dit-il, elle ne peut que reprendre le refoulement de l’homme par sympathie, et du même coup désirer sexuellement, également par sympathie pour l’érection de l’homme : sympathie.
Alors, sympathie, c’est mieux qu’imitation quand même, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout à fait le même concept. Mais, quand même, les hommes, là, les femmes ne sont pas contraintes, elles aiment les hommes, et par sympathie. Autrement dit, c’est le mythe de la Belle au bois dormant : il faut qu’une femme soit réveillée par un homme pour que son désir prenne toute sa consistance, c’est ce qu’il dit : 1993, Séminaire II, c’est un très beau séminaire, très beau. Il aura même une phrase un peu plus loin, Melman, où il dira que les femmes sont contaminées par la sexualité masculine.
- C’est moins sympathique
- C’est moins sympathique comme terme, j’avoue que je suis restée surprise : contaminées. Autrement dit, si vous voulez, vous entendez là effectivement cette difficulté qui a toujours été signalée depuis. Justement, on retrouve le débat, mais qui là se résout de cette manière, que les femmes ce n’est pas qu’elles n’éprouvent pas de désir dans leur corps. Il y a, comme dit Lacan, le coup de l’ascenseur, vous avez vu ça dans la fin de La Logique du Fantasme. Autrement dit, elles ressentent des choses, des désirs, mais ces choses ne sont pas comparables à l’érection masculine. Je vous livre les choses, je ne sais pas si on ne peut les contester, mais peut-être qu’il faudra y arriver.
Alors, pour terminer, en tout cas, ce n’est pas symbolisable, ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas symbolisable ce que peut ressentir une femme. Eh bien, sinon, il n’y aurait pas de trou dans l’Autre, il n’y a qu’un phallus. Donc, c’est toujours la même chose, au fond, si vous y réfléchissez. C’est d’une logique imparable depuis que Freud a repéré que, dans l’inconscient, il n’y a qu’un référent sexuel. Au fond tous ces déploiements ne sont que la conséquence logique du fait qu’il n’y ait qu’un référent sexuel.
À partir de là, comment penser ce que ressent une femme ? Je trouve que ça pose tout de même problème. Comment penser ce que ressent une femme ? Charles Melman m’a suggéré d’ouvrir un groupe de travail dans le cadre de l’E.P.h.E.P. sur ce thème.
Alors, pour terminer, quelques avancées, des petites avancées sur RSI, le début.
Vous savez, dans RSI, Lacan travaille avec le nœud borroméen mis à plat. Je ne sais pas si tout le monde a en mémoire cette mise à plat. Je vous ai fait quelques photocopies, vous pouvez en prendre, les faire passer. Je vais être très simple, je ne vais pas commenter tout ça, je vous rassure. Je vais juste vous dire quelque chose, quelques éléments.
Dans le deuxième séminaire, de RSI, nous allons trouver une position lacanienne très similaire à celle des Non-dupes errent. Le privilège de la jouissance mâle y est réaffirmé, mais avec la forte nuance que ce garçon en est plutôt aphligé, de ce phallus, a p h l ; embarrassé, qu’il est, marié avec, le pauvre, et qu’il peut même en faire une phobie lorsqu’il s’appelle Hans, car son corps est irrémédiablement associé à la jouissance phallique. Là, du coup, cette jouissance-privilège, Lacan, voyez, change d’éclairage, et dit : le malheureux, il n’arrive pas à s’en débarrasser. Reste qu’une femme, dit-il, peut toujours en rêver, elle peut rêver en avoir un, quand même. Qu’elle rêve donc, mais ce ne sera jamais qu’en rêve.
Voyez les mouvements de pensée de Lacan où il dit : voilà, hein, le pauvre, il est marié avec, hein, quand même, hein, c’est terrible, mais les femmes, qu’elles en rêvent, elles peuvent toujours essayer d’en rêver ; qu’elles en rêvent, c’est tout ce qui leur arrivera. L’insistance du signifiant rêve est un peu surprenante, d’ailleurs, dans cette période d’élaboration de Lacan. Rêve, à propos des femmes, je caricature un peu, mais tout se passe comme si une femme était prise entre deux rêves : celui d’être prise dans le fantasme de l’homme dont elle rêve, c’est-à-dire l’homme aimé, premier rêve des femmes ; ou bien, de rêver d’en avoir un, malgré l’affliction, donc, que cette jouissance toute phallique semble causer à ceux qui en sont les porteurs. Donc, les femmes devraient plutôt apprécier de n’être pas toute assujetties à cette jouissance phallique. Lacan va, dans le Séminaire, alors, avancer une nouvelle thèse sur les femmes, pour qui… – mais il le présente par le biais de l’homme –… pour qui est encombré d’un phallus, qu’est-ce qu’une femme ? Réponse : un symptôme. Voilà, après le phallus, objet petit a, tresse, nous voilà symptôme.
Alors, si vous regardez la mise à plat du nœud, vous verrez que le symptôme est situé à l’intérieur du rond du Réel, bordant le déploiement du rond du Symbolique. Vous voyez, le rond, le Symbolique : c’est le noir, donc, ce qui est en noir, qui est l’inconscient. À côté du rond du Symbolique, voyez, c’est le lieu, la zone qui est balayée lorsque le rond du Symbolique s’ouvre, puisque vous savez que chaque rond peut être une droite. Vous savez que les droites se rejoignent à l’infini, font rond à l’infini. Donc, on peut toujours, un rond, l’ouvrir, comme si c’était une droite. Si vous l’ouvrez, ça va déployer, ça va marquer ce champ-là, c’est le champ qu’il nomme inconscient. Le Réel, c’est le bleu. Quand il s’ouvre, vous allez y trouver Φ, qui est situé dans l’ouverture du rond du Réel, du Réel. Si c’est l’Imaginaire qui s’ouvre, c’est l’angoisse qui se déploie. Alors, le symptôme, il est situé à l’intérieur du Réel, mais voyez, dans l’avancée que fait le Symbolique, c’est-à-dire l’inconscient dans le Réel.
Donc le symptôme n’est plus comme dans les premières définitions de Lacan, dont il faisait une métaphore. Nous assistons, dans ce Séminaire, à une redéfinition de la notion de symptôme qu’il va poursuivre l’année d’après, bien sûr, dans le Sinthome. Donc, pendant deux ans, nous allons voir se déployer un nouveau travail sur la question du sinthome, du symptôme et du sinthome.
Mais pour ce soir, je vais être plus simple. Ainsi, lorsqu’il avance que la femme est un symptôme pour l’homme, il ne veut pas simplement redire ce que nous savons, que le choix d’une partenaire est dépendant des inscriptions inconscientes du partenaire mâle, ça on le sait depuis Freud. Un homme choisit une femme en fonction de ses inscriptions inconscientes, rien de nouveau, Freud l’avait parfaitement compris. Lacan prend une position au fond beaucoup plus radicale, déjà dans le Séminaire Encore : il explicitait ceci, il n’y a pas de jouissance de l’Autre, et du corps de l’Autre comme tel. Il n’y a de jouissance, pour un homme, que de son propre inconscient. Voyez la fermeture, là, vous l’entendez théorisée. Il n’y a de jouissance pour un homme, toujours un homme situé en position masculine…
- Vous parlez de jouissance ou vous parlez d’érection ?
- Alors là, effectivement, effectivement, c’est plutôt la jouissance du partenaire, mais qui comprend l’érection, mais qui n’exclut pas l’orgasme.
- Non, mais parce que, ce qu’on peut quand même très clairement entendre, c’est que ce qui fait jouir un homme, c’est ce dont on parlait tout à l’heure, c’est-à-dire quand on entend que c’est son inconscient qui lui permet d’avoir une érection, ce qui le fait bander.
- C’est uniquement son inconscient. Mais ce que Lacan semble dire, voyez, c’est que, du coup, il n’atteint jamais ce fichu Autre, cette altérité que les femmes sont censées représenter. Il ne l’atteint jamais, il n’atteint jamais que son propre inconscient. Il n’y a de jouissance pour un homme que de son propre inconscient, et la relation sexuelle elle-même, est occasion pour un homme de jouir de son inconscient. Et c’est à jouir de son inconscient, tout de même, qu’il peut jouir phalliquement, c’est-à-dire lui-même. C’est corrélatif du fait que la jouissance, dans la relation sexuelle, n’a pour cause que les signifiants, ou plus exactement les lettres, c’est-à-dire des éléments linguistiques, les lettres, qui sont des éléments linguistiques identiques à eux-mêmes, contrairement aux signifiants, et c’est pour cette raison.
Effectivement, au fond, jouir de son inconscient, ça veut dire jouir de séquences littérales, c’est-à-dire jouir de la lettre. Et pourquoi de la lettre plutôt que des signifiants ? Eh bien, parce qu’un signifiant, comme vous le savez, n’est jamais identique à lui-même, tandis que la lettre est identique à elle-même et donc, elle peut être occasion de fiction, dit Lacan, c’est-à-dire fixation d’un symptôme, parce qu’un symptôme, il faut qu’il soit fixé.
- C’est figé, en fait, figé littéralement.
- La lettre fonctionne comme une sorte de punaise. Un symptôme est fixé dans une séquence. C’est plutôt un signifiant qui peut presque toujours…, qui peut être réduit à une lettre. Mais c’est plutôt la lettre qui fixe le symptôme, voilà. Donc, Lacan nous dira que « seuls les signifiants et les lettres copulent dans l’inconscient et que les pulsions elles-mêmes ne sont que l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire ». Ça, ce sera dans le Sinthome, c’est une très belle phrase qui sera à déployer. Je vous la cite ce soir – il faudra travailler ça, bien sûr – : que la pulsion n’est que l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire, vraiment pas les hormones. Reste donc que l’Autre, l’Autre grand A, notre Autre de 1957, reste inaccessible, et que l’homme reste plutôt seul avec son inconscient, mais qu’il sait s’en contenter, justement, puisque sa jouissance à lui peut aller sans dire, contrairement aux femmes dont la jouissance ne va pas sans dire. Ça aussi, il faudra commenter ces formules.
Néanmoins pour qu’une femme prenne cette place de symptôme – c’est-à-dire qu’il va quand même chercher chez une femme ces lettres –, il faut donc qu’elle prenne cette place de symptôme, eh bien nous dit-il, il faut quand même qu’il y croie, l’homme. Il va falloir qu’il y croie quand même, que dans la femme qui l’attire, il y a les lettres de son inconscient. Naturellement ce n’est pas conscient, mais faut qu’il y croie, qu’il y a quelque chose là, les séquences littérales qu’il faut aller chercher, l’objet a si vous voulez. Mais c’est plus précis de dire que ce sont des séquences littérales et que pour que l’homme – alors Lacan avance ça, et ça, c’est extraordinaire –, il faut quelque chose de plus, il faut qu’il y croie, pourquoi c’est assez… ?, eh bien, parce que la croyance fait signe du côté de l’amour. Voilà, si une femme est bien dans le désir, à la place donc de l’objet cause, une femme pourtant, insiste-t-il, n’est pas un objet cause. Il le dit bien : attention, elle est à la place de l’objet cause, et vous voyez que, en même temps, sur le petit déploiement, n’est-ce pas, du nœud borroméen et sa mise à plat, vous voyez que le symptôme et l’objet petit a ne sont pas exactement à la même place. Le symptôme est dans le centre du rond du Réel, tandis que petit a, c’est le centre. Donc, une femme, elle est bien objet cause du désir, mais pour qu’elle soit symptôme, il faut quelque chose de plus : il faut qu’il y croie et la croyance tient à quelque chose de l’amour. Donc, les femmes font bien série dans le désir de l’homme, comme nous le savons : Don Juan, une par une, mais celles qui font symptôme, ça c’est autre chose. Il y en a peut être une, deux, trois, attention, pas la monogamie quand même, faut pas exagérer, mais il y en a quelques-unes qui peuvent faire symptôme.
- C’est illimité ?
- C’est pas illimité, voilà, limité. Le désir, c’est illimité, mille trois (mille e tre), comme Don Juan, mais pour qu’elle fasse symptôme, il faut quelque chose de plus.
- Est-ce que ?… il me semble que ces séquences littérales renvoient à quelque chose de l’ordre du Symbolique ?
- Oui, c’est ça. Celles qui font symptôme, elles ont quand même un autre privilège qui est d’avoir rapport avec ce qu’il va appeler, dans RSI, l’amour majeur, à tel point, dit-il, qu’un homme peut arriver, non pas seulement à y croire, mais à la croire, et s’il la croit, c’est comique, dit-il, mais c’est le comique de la psychose.
Mais alors, nous allons avoir la surprise, et je vais terminer là-dessus, que, au cours des séminaires, eh bien, Lacan va faire basculer justement cet amour majeur qui risque d’être psychotique, qui risque d’aller jusqu’au borderline psychose, du côté du féminin, du côté des femmes, et pas tant que ça du côté des hommes. Oui, il faut bien…, il y a des femmes qui sont quand même aimées, celles qui ont de la chance quand même, mais celles qui vont se prendre…
- parce qu’elles se prennent pour La femme ?
- Non, non.
- Elles sont le symptôme de l’homme, ce n’est pas elles, elles sont choisies par l’homme, elles sont le symptôme de l’homme. Ce n’est pas parce qu’elles se prennent pour La femme. Ça serait La femme, à la limite, dans la psychose, oui. Mais on n’arrive pas tout de suite à la psychose, si on va jusqu’à l’amour psychotique, d’accord, mais, quand même, il y a des différences. Mais, en revanche, du côté des femmes, la question est beaucoup plus compliquée ; enfin… plus compliquée…, elle risque d’être plus tragique et c’est bien pourquoi les analysantes de Lacan, lorsqu’il avait dit cela à son séminaire, n’est-ce pas, que les femmes étaient symptômes pour un homme, certaines de ses patientes lui avaient dit, eh bien, qu’elles ressentaient exactement la même chose, qu’un homme était pour elle un symptôme. Et Lacan avait dit : eh bien, non, pas du tout. Un homme, c’est un ravage pour une femme. Alors, vous voyez : symptôme, et, attention, la différence : non, un homme n’est pas un symptôme pour une femme, un homme est un ravage pour une femme.
– Est-ce que ce n’est pas parce qu’il vient occuper le lieu de l’Autre ?
– Voilà la question. Effectivement, pourquoi ?
- L’amour, que ce soit du côté de l’homme ou de la femme, c’est toujours en lien avec l’objet, est-ce que ça vient de la sexuation ? ou pas ?
- Ah oui, mais le problème pour une femme, l’objet n’est pas un objet. Enfin, oui, il y a φ, mais c’est Φ. Il y a la question de la jouissance Autre, qui peut en rajouter, mais qui peut aussi la protéger, vers cet amour ravageur, ravageant, dont il parle déjà dans Les Non-dupes errent, lorsqu’il dit : amour, jouissance, mort. De plus en plus, n’est-ce pas, Lacan met cela du côté des femmes, du risque du rapport d’une femme avec un homme, si elle rencontre l’homme à qui elle pourra attribuer ce Φ, ce qui n’est pas toujours le cas, bien sûr. Alors, pourquoi ?
Eh bien, effectivement, ce que vous dites, c’est dans l’Autre ; Φ est forclos, comme vous savez, Φ, c’est le symbole évidemment phallique, qui est forclos. C’est ce soleil qui se couche. Il est forclos dans le refoulement originaire. Nous, nous en parlons, mais c’est comme la Béatrix de Dante. Effectivement, bien sûr, c’est le même Un, le même Φ. Mais, dans l’amour courtois, les hommes s’en sortent par l’écriture.
Donc, voilà, les femmes vont-elles, elles, s’en sortir par l’écriture ? Pas toujours. Certaines, oui, vont écrire, des poèmes etc. Certaines, elles vont mettre quelque chose qui fait bouclier, comme disait Dante lui-même, ce Φ qui doit être forclos. Mais s’il est forclos et qu’il réapparaît, si on le rencontre, voilà, s’il reparaît dans la réalité, ce qui est forclos reparaît, s’il reparaît, là il risque d’y avoir amour mortifère, psychotique ou tout au moins fou. Et donc, ce danger-là, de plus en plus, Lacan le mettra du côté des hommes qui sont inscrits du côté de l’Autre, de ceux qui habitent le lieu de l’Autre, et de moins en moins du côté de l’homme qui peut éprouver, bien sûr, cela, mais qui a plus de moyens de s’en défendre, notamment par le désir sexuel, justement par les mille e tre, par l’écriture, par différentes manières narcissiques. Les femmes, ou ceux qui sont dans le lieu de l’Autre, ayant beaucoup moins de possibilités de se défendre de ce Φ, puisque c’est bien cela qu’elles visent.
Alors, ce qui fait limite, en revanche, on peut dire que c’est la jouissance Autre. C’est bien pour cela qu’il est important qu’une femme ne soit pas toute, parce que, il le dit clairement dans Les Non-dupes errent, Lacan : voyez, elle n’est pas-toute à lui, elle ne doit pas être toute à lui ; elle doit garder une part de sa jouissance pour elle-même, ce qui fait que ça lui évite d’être aspirée par la psychose ou la mort. On peut aussi se demander si une femme ne peut pas être protégée aussi par certains désirs autres, non pas seulement jouissance Autre, mais désir Autre, par exemple un désir d’analyste. Voilà, est-ce qu’un désir d’analyste peut faire obstacle à ce qu’une femme, prise dans une telle aspiration, si elle a rencontré l’homme Φ, est-ce qu’elle peut, justement, se défendre, de la psychose, la mort, le suicide, par son désir d’analyste ou d’autres désirs ? Bien sûr, ce sont des questions, je ne prétends pas résoudre, moi ; je vous pose ces questions parce que c’est des questions que je me pose. Ça pose la question évidemment aussi des fins d’analyse de femmes. En passant, je dis ça.
- Les fins d’analyse, ça pouvait avoir à faire avec le Penisneid.
-C’est ce que Freud appelait, lui, le Penisneid, alors Lacan le porte lui au Φ, et il dit carrément : vous savez, ça n’a pas grand chose à voir, Φ, avec la petite breloque. Ceci dit, c’est bien l’instrument de la jouissance des femmes. Il ne faut pas exagérer, il dit ça aussi un peu par provoc. Lacan. Bien sûr que les femmes, le φ, elles en ont besoin comme instrument de jouissance, aussi. Mais ce qui est visé, c’est Φ, et ça, Lacan n’en démord jamais depuis le Congrès de 1957, que la jouissance d’une femme est toujours liée à quelque chose, au fond, de hautement spirituel. Alors, la mystique, c’est plutôt du côté de la jouissance Autre, mais enfin, vous voyez la situation des femmes. Bon, je ne vous dis pas que c’est la fin, puisqu’il y a d’autres Séminaires après. Donc, on verra comment il avance d’autres choses. Mais quand même, là, on se trouve quand même entre la folie de la jouissance Autre et le risque de psychose de la jouissance phallique.
Bon, c’est quand même nettement plus compliqué.
Ceci dit, en même temps, justement, il apaise les choses, Lacan, en disant que : attention, les femmes ont leur propres objets petit a, mais ce sont les enfants. Alors, oui, c’est d’accord, c’est les mères, mais ce ne sont pas les femmes. Parce que, bien sûr, évidemment, on sait très bien que les femmes se défendent en grande partie contre toutes ces difficultés par la maternité, qui est quand même évidemment le moyen le plus fondamental de pouvoir rétablir quelque chose de moins dangereux, puisque la maternité lui donne des objets a, lui donne évidemment une reconnaissance phallique, qui n’est pas aussi nécessairement folle que la rencontre de l’homme Φ.
Ceci dit, toutes les femmes ne rencontrent pas l’homme Φ, et surtout n’en sont pas nécessairement aimées et choisies par. C’est bien le problème, c’est bien le problème, c’est bien le drame féminin. Ce qui n’empêche pas que certaines femmes puissent faire après famille avec un homme qui n’est pas Φ et qui, donc…, on n’est pas obligées d’être sur ces hauteurs tout le temps. Mais Lacan essaie de saisir comment les choses se posent pour une femme. Ce qui ne veut pas dire que les femmes ne puissent pas trouver quand même un apaisement dans divers…, donc, désirs autres : la maternité, un homme, après tout, qui n’est pas forcément pour elle Φ, parce que les hommes Φ, c’est pour elle qu’il l’est. En fonction de quoi – j’avais essayé de demander à Charles Melman –…, en fonction de quoi un homme pouvait être reconnu comme Φ? Il avait répondu, n’est ce pas : par caprice. Nous n’allons pas accepter cette réponse, nous allons lui demander d’arriver à préciser cette question. Il ne semble pas que ce soit si capricieux que ça, justement, que c’est vraiment la rencontre.
- Est-ce que ce n’est pas capricieux au sens où il est seul et unique ?
- Oui, si, on peut l’entendre comme ça, éventuellement, pourquoi pas, évidemment ? Bon, écoutez, voilà ce que je voulais vous dire ce soir.
- J’ai une question à propos de ce que vous avez dit comme étant une redéfinition du symptôme par Lacan, en disant que la femme vient occuper la place de symptôme. Dans ce cas-là, quelle est la nouvelle définition du symptôme ? Je me demandais s’il ne fait pas figure d’une métaphore quand même, même s’il vient se placer dans le Réel ?
- Pourquoi pas, mais vous savez, ça ne récuse pas l’ancienne définition.
- Il est peut-être une métaphore en tant que symptôme dans la difficulté qu’a la femme d’être reconnue par un référent du grand Autre qui n’existe pas et que, du coup, la façon dont elle, elle prend sa place, ne peut être que par le biais d’une métaphore, en ayant une position particulière par rapport à l’homme.
- Oui, c’est du Symbolique qui s’avance dans le Réel. Alors, c’est difficile quand même de dire que ça ne pourrait être que métaphore. Ça peut être métaphorique, puisque c’est du Symbolique, mais il faut que ce soit inscrit. Il faut une inscription réelle dans la lettre, puisque c’est dans le Réel.
- Oui.
- Voilà, oui, ça peut être, puisque c’est du symbolique, forcément. Mais je pense que ce qu’il veut souligner là, c’est que il faisait avant plutôt, malgré La Lettre volée, il y avait dans les premiers textes de Lacan plutôt une tendance à faire du symptôme un signifiant. Tandis que là, il insiste sur le fait que ça ne peut se référer qu’à quelque chose qui est identique à lui-même, qui reste identique à lui-même, et donc qui ne peut être que du Réel. C’est les maniements nouveaux que peut nous permettre le nœud borroméen, justement, où du Symbolique s’avance dans le lieu du Réel, voyez. C’est ces jeux de nœuds sur lesquels on va essayer d’avancer cette année, qui nous permettront des formulations plus subtiles, mais qui ne récusent pas forcément les anciennes. D’autres questions ?
– … dans La lettre volée…..
-Vous savez, dans La Lettre volée, quand il dit que dans chaque séquence signifiante, à chaque fois que l’on parle, on ne peut tout simplement pas mettre toutes les lettres à la fois, il y en a forcément qui choient et, donc, qui vont dessiner le lieu du refoulement, oui, qui vont mettre en place le lieu du refoulement dans lequel, ensuite, le phallus lui-même ira se loger. La lettre, les lettres qui tombent dessinent le lieu du Réel, n’est-ce pas Stéphane ?, on peut le dire simplement comme ça ?
- C’est formidable.
- C’est pour montrer que la réflexion sur les femmes ne va pas de soi, la manière dont on les pense ne va pas de soi. En même temps, on est pris par la structure du langage.
- Quand tu disais…, à un moment donné, tu as évoqué la forclusion de l’être…
- C’est le terme de Lacan.
- Dès Freud, il y a une forclusion. Le phallus, chez Freud, empêche que l’un ou l’autre sexe puisse être pensé du côté de l’être. Le seul problème, c’est qu’il a introduit cette histoire de Penisneid qui a recouvert l’Imaginaire et qui chasse en plus les femmes de l’être.
- De l’être, oui, tout à fait…
- Sauf les femmes de lettres…
- Oui, justement, la prochaine fois, on va parler des femmes de lettres, comment elles se débrouillent.
- Déjà chez Freud, ce qu’il y a d’inimaginable pour nous, c’est de remplacer toute la problématique de l’être, de l’appartenance, de la qualité, héritée de la philosophie, de la tradition philosophique qui est aussi l’une des grandes causes de tourment sur les hommes et les femmes. Freud remplace ça par ce terme de phallus, ce n’est pas un concept, qui introduit ce sur quoi Lacan essaye d’articuler quelque chose qui tienne.
- Oui, bien sûr, on peut dire que Freud avait déjà la notion de semblant, bien sûr complètement, et ce pointage absolument génial, qu’il n’y avait dans l’inconscient qu’un référent…
- Qu’une libido…
- Qu’une libido. Quand on y réfléchit, on voit que Lacan essaie de le penser de différentes manières, avec des concepts de plus en plus fins, affinés, topologiques, que tout est la conséquence de ça. D’où la difficulté à penser malgré tout. D’autres questions ?
Alors, le 25 novembre, on parlera des femmes de lettres. Justement, ça sera intéressant de voir comment les femmes dans les Salons du XVIIIe ont pu déployer leur féminité à travers la lettre, la littérature, la discussion.