ALI-Provence

Lysimaque

Colloque

Mathématique et psychanalyse (III)

Cheminement, mise en forme

et représentations

(Langues formulaires, formations de l’inconscient, formulations et signifiance, formalisations logico-mathématiques, exercices dans les pratiques)

Paris, les 22 et 23 mars 2025

dans l’amphithéâtre de l’IPT,

83 bd Arago, 75014 Paris

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Programme

samedi 22 mars 2025 : amphithéâtre

matin : 9h00

― Inscriptions

9h30 : Clinique et métapsychologie ― Discutant : Jeanne Lafont

― Osvaldo Cariola, Du matérialisme freudien et de ses mathématiques

― Pierre-Christophe Cathelinau, Qu’appelle-t-on topologie clinique ?

après-midi : 14h30

Langages ― Discutant : Emmanuel Brassat

― Claude Imbert, Bref regard sur ces langages qui échappent aux articulations des langues

                             naturelles et programment nos machines

― Giuseppe Longo, Les gestes premiers à l’origine de la géométrie et le nouveau  pythagorisme impératif

― Jean-Jacques Szczeciniarz, Des mathématiques pour la psychanalyse, en quel sens ?

                            Ni analogie, ni application, ni modélisation.

                            Retour sur les réflexions d’Alain Connes

dimanche 23 mars 2025 : amphithéâtre

matin : 9h30

Images et dynamique ― Discutant : Bernard Lecœur

― Charles Alunni, Diagramme. La preuve par l’image

― Marie-Pierre Bossy, Entre image mentale et écriture, est-ce là que nous pouvons situer

     l’apport des schémas ?

― René Guitart, De quels diagrammes se structure le cheminement inventif en mathématique ?

après-midi : 14h30

Logiques ― Discutant : Pierre Pitigliano

― Evelyne Barbin, Écritures mathématiques de la preuve et diagrammes logiques

― Stéphane Dugowson, Dynamiques, dimensions connectives : sources, voiles et

 lieux de partage

― René Lew, En quoi la représentation construit-elle la structure ?

Lieu, horaires, inscription

Institut protestant de théologie, 83 bd Arago, Amphithéâtre,

les 22, et 23 mars, de 9h00 (inscriptions) à 18h00.

Inscription : 100 € au nom de l’Association de la lysimaque, 7 bd de Denain, 75010 Paris. Tél : 06 12 12 85 97.

Argument 

L’inconscient parle, mais pas seulement par symptômes et expressions symptomatiques diverses, car ce faisant il rend compte des rapports du sujet (le sujet de l’inconscient) au langage et surtout il les patronne[1]. D’emblée, une difficulté apparaît. Difficulté corrélative de l’inaccessibilité de la structure (du langage, de l’inconscient,… et aussi dans les mathématiques), uniquement saisissable au travers des multiples représentations qu’on peut en donner[2], et notamment en raisons de leurs travers. On peut soutenir dès lors que toute structure est fonctionnelle (dans la mesure où elle est constituée par des fonctions) et que les éléments qui y prennent place ne sont rien d’autre que les transformations de telles fonctions. (Frege appelle cette transformation Vertretung[3].) Il s’agit ainsi, pourrions-nous ajouter, de fonctions supposées appréhendables en intension (mais là est le paradoxe : en intension une fonction n’est pas accessible[4]) ou en extensions réelles, imaginaires et symboliques (tout au moins en psychanalyse, la question étant de savoir si ça vaut pareillement ailleurs), et dans ces domaines c’est efficace, encore que nécessairement borné, sauf facticité (Lacan[5]). En fait il importe ici de considérer toutes les significations de l’idée de fonction.  La fonction est d’abord la correspondance (fonctionnelle donc) qui relie abstraitement deux domaines, source et but, soit un pur agir (transformation), mais c’est aussi une manière d’agir, un moyen d’agir (ressource), et encore ce à quoi ça sert, une raison d’agir (motif). Ce que l’on conçoit si l’on s’interroge par exemple sur la fonction d’un organe.  La mathématique moderne privilégie le premier sens, et représente ensuite les deux autres en termes de « forme » et transformations d’objets, la forme d’un objet étant comprise comme le réseau des relations entre les fonctions (au premier sens) qui pointent vers l’objet.  Cela dit, c’est bien la considération systématique des fonctions et partant du point de vue fonctionnel qui motive le développement de la théorie des algèbres comme de la théorie des catégories.

Ces extensions sont respectivement les parcours des valeurs de la fonction qu’on considère (soit la Bedeutung de Frege, « signification » selon Lacan), les formes de la valeur (Marx) ou les rapports de valeurs que les signifiants impliquent (si on les définit imprédicativement avec Lacan). Ces façons d’aborder la fonction par ses extensions, en tant que traductions de l’intension fonctionnelle, ont la consistance d’objets dans le réel, dans l’imaginaire et dans le symbolique, soit, respectivement, selon Lacan, a, S/  , S2.

Le problème posé au « parlêtre » (Lacan) est ainsi de savoir non seulement manier la langue, mais aussi de pouvoir en faire état, en faire « état » (assumer une position) sans pour autant en réduire la dynamique qui y concourt. Une dynamologie (Bachelard) du langage et du sujet est ici requise d’opérer, dans ce qu’on appelle « l’économie subjective », construite pour ce faire.

            Notamment quant à la distinction entre la signifiance (organisatrice des signifiants, soit S1 pour Lacan) et l’organisation même du réseau multidimensionnel des signifiants (soit S2), différence concomitante de la distinction à repérer entre la fonction de la parole et le champ du langage.[6] C’est pour y insister que Lacan avancera le concept de « lalangue » (en un mot valise) qu’on peut interpréter (à défaut d’une stricte définition) comme le concept indiquant ce qu’il en est de la logique du langage, qui reste a dégager. D’où la question de l’accès possible à cette logique.

            Pour y parvenir, on pourra reconsidérer les langues formulaire s[7]. Par exemple à partir de ce que la morphologie des formations dites de l’inconscient[8] nous montre, en tant qu’ouverture du normal qui se ferme dans le pathologique. Un tel problème touche en fait à la constitution des grammaires générales dans leur ensemble, et à la façon dont le choix de telle ou telle syntaxe, dans une construction noétique donnée, est tributaire de la mise en forme de la signifiance et de la construction des réels qui en découlent. Ici, la récursivité des fonctions est patente et déterminante, puisque la syntaxe retenue est construite pour induire ce qu’elle vise et ne devient effective qu’en retour. Depuis ces tentatives de passer outre certaines butées, questionner les diverses formulations des logiques ou des mathématiques dans leur lien à l’inconscient paraît essentiel pour déterminer en retour les syntaxes à l’œuvre dans la construction de tel réel ou de tel autre.

À la question relative à ce qui constitue la pratique mathématique, on peut répondre par la construction d’un cheminement. Cette construction est contingente, au sens où l’on suit un chemin que l’on aura empierré pour ce faire, et nullement préconstruit. Le cheminement du mathématicien est donc distinct de la formalisation (comprise comme la construction d’objets formels). Plus exactement une mise en forme est, sous cet angle, la construction d’un objet par le cheminement qui y mène. Ce ne saurait être un objet figé dans une écriture aboutie. Un templet n’opère donc que dans le cheminement qui le construit.

Il n’y pas de théorème seul, il n’y a que des constructions explicitant des théorèmes, et un théorème n’advient donc qu’indexé d’un cheminement vers lui-même, qui en fait l’épreuve.

Autrement dit, tout comme on dit qu’il n’y a pas d’amour mais des preuves d’amour, il n’y a pas de théorème mais des preuves de théorème.

La référence à Lacan dans cet argument est délibérée. Elle vise non seulement à renouveler l’attention qu’on lui porte, mais surtout à renouveler fondements et constructions de la psychanalyse elle-même. Dans ce cas, la psychanalyse doit-elle développer ses propres mathématiques et sa propre logique, ou peut-elle utiliser les mathématiques et la logique qui existent déjà, en les remodelant pour ses propres besoins formels ? Ne faut-il pas relativiser l’usage que Lacan fait de la topologie des variétés et de la référence aux objets qu’elle suppose ? Devons-nous en rester au « bon usage » des données de cette topologie ou avons-nous à en prolonger l’usage par l’étude de ses butées en termes d’imaginaire ? L’enjeu pour la psychanalyse dans ce questionnement sur le problème de la représentation et de la manière d’y aboutir consiste à vrai dire en la possibilité de donner à la métapsychologie freudienne un autre fondement que celui que la thermodynamique classique apportait à la théorisation de l’hypothèse de l’inconscient. Et partant, à reconsidérer le statut de l’« énergie psychique » supposée sous le nom de libido. Car de la même façon qu’il a fallu désarrimer le concept de gravitation de l’idée de force pour arriver à la concevoir en termes d’interaction, il nous faut en psychanalyse dégager la libido du soubassement ontologique qui lui est spontanément adjoint pour l’assumer en tant que fonction à partir des traductions (voir plus haut) dont elle se fonde. C’est là que la théorie des représentations en mathématiques peut nous inspirer dans notre propre conceptualisation de l’espace-temps (dit « topique » et « dynamique » chez Freud) propre au fait subjectif. Au total, c’est de la reformulation des présupposés de la matière signifiante chère à Lacan qu’il nous faut aujourd’hui nous occuper, par une critique argumentée de l’usage de la mathématique de son temps dont il a fait état à sa façon propre.

René Lew,

le 18 février 2023 ―

Osvaldo Cariola,

le 11 juillet 2023 ―

René Guitart

le 17 octobre 2023


[1] Ce terme renvoie à ce que l’on peut appeler « templet » (venant traduire le template anglais plus judicieusement que « gabarit »). Un templet est un modèle, à la fois compte rendu et patron (des couturiers). On peut se référer à Robert W. Ghrist, Philip J. Holmes, Michael C. Sullivan, Knots and Links in Three –Dimensional Flows, Springer, 1997.

[2] Lire Marc Barbut, « Sur le sens du mot « structure » en mathématiques », Les Temps modernes, n° 246, 1966 ; republication in Cahiers de lectures freudiennes n° 10, Lysimaque, 1986. Voire aussi les développements de la théorie des représentations en mathématiques et sa participation à la théorie des catégories. Le terme freudien pour faire état d’un tel mode de présentation est Darstellung. Assurément l’on se doit aussi de rappeler que l’inaccessibilité d’une fonction en intension, c’est-à-dire « comme telle », tient à sa signifiance, elle-même imprédicative (Lacan : « c’est justement de ce qui n’était pas que ce qui se répète procède », Écrits, p. 43).

[3] G. Frege, Grundgesetze der Arithmetik, 1ère éd. : t. I 1893 et t. II 1903, Olms Verlag, 1998. À distinguer des Grundlagen. Pour sa part Freud travaille cette question en terme de Repräsentanz. Philippe de Rouilhan utilise le terme équivoque de « représentation » pour traduire Vertretung ; voir Ph. De Rouilhan, Frege. Les paradoxes de la représentation, Éd. de Minuit, 1988.

[4] Pour soutenir cette assertion, mieux vaut redéfinir ce qu’est une fonction ― puisqu’il semble bien ne pas en exister de définition universellement reçue. (Voir Jean-Pierre Desclés et Kye-Seop Cheong, « Analyse critique de la notion de variable », Mathematics and Social Sciences, 44ème année, n° 173, 2006 (1), pp. 43-102.) Une fonction est une opération. Intrinsèquement à la raison qui y conduit, elle ne présente rien d’ontologique, elle ne peut être que fuyante, à mettre en jeu le temps que redispose l’opération à laquelle elle correspond. Grammaticalement on parlera de rhème. En elle-même une fonction n’est donc pas accessible, pas plus que le maniement qu’elle induit en se mettant sinon en œuvre, du moins en marche. Il faut passer à une conception extrinsèque de cette fonction pour en avoir une saisie possible. Et cela se fait selon deux modes. Le plus fregéen est l’extension qui donne la traduction de la fonction en objets, ce qui vire dès lors à l’ontologie et permet la saisie de cette fonction, du moins au travers de ses extensions (si elles ne sont pas imprédicativo-prédicatives). Non moins fregéen, mais moins usité du fait de la difficulté qui se présente à considérer extrinsèquement une fonction qui persiste à se présenter « telle qu’en elle-même », en intension, est la désignation de cette fonction par son nom. Ici il s’agit en fait de nomination et l’on en passe par le nom de cette fonction (soit y pour f(-)). En paire ordonnée, cela donne :

                (fonction en intension → (fonction en intension → fonction en extension)).

                désignée extrinsèque         opérant intrinsèque          prise extrinsèquement

ment par son nom             ment à sa raison               en objet

                                               d’advenir

Mais cette désignation implique ipso facto la transcription de la fonction en objet, venant dès lors souligner a contrario l’insaisissabilité de cette fonction. La question se reporte dès lors sur ce qu’est nommer.

La « compréhension » de la fonction (Port-Royal) ou son intension (Hamilton) implique son objectalisation depuis sa nomination : on passe ainsi du fluidique à sa matérialisation, comme l’implique le templet du flux fonctionnel.

Une fonction considérée selon un domaine d’appréhension intensionnel ne se présente que comme variation ― inaccessible comme telle ―, et c’est bien sa seule matérialisation par ses extensions qui ouvre un accès à cette fonction. Voir encore Maurice Caveing, Zénon d’ÉléeProlégomènes aux doctrines du continu, Vrin, 1982.

[5] J. Lacan, Autres écrits, pp. 256-258.

[6] J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, 1966.

[7] Begriffsschrift de Frege, voir Claude Imbert, Phénoménologies et langues formulaires, P.U.F. 1992.

[8] Un des séminaires de Lacan s’intitule ainsi.