Et dans la psychose… le désir par Bernard Moullé

En cette rentrée de 2005, comme nous discutions à l’Ecole de Nancy du programme des séminaires publics pour cette année, je me suis aperçu qu’à propos du désir qui était le thème des interventions déjà présentées ou en gestation, il n’était pas question de la psychose. Alors, bêtement j’ai posé cette question « Qu’en est-il du désir dans la psychose ? »
Et j’ai essayé de me mettre au travail …
Je me suis aperçu alors que dans les présentations de malades auxquelles je participe depuis 13 ans, chaque mois à Paris, ce n’était pas en terme de désir qu’était élaboré le trait du cas.
Pourtant c’est en terme de fantasme et de désir que Freud aborde la question de la paranoïa.
Nous allons le suivre dans le commentaire qu’il fait de Schreber où il part de l’homosexualité et du narcissisme. Mais il s’attache essentiellement à différencier Névrose et Psychose et à faire ressortir le trait distinctif de la paranoïa qui tient au mécanisme de formation des symptômes. Ce mécanisme fait intervenir :
– la projection
– le refoulement
– le délire
Tout au long de son œuvre, Freud en inventeur de la psychanalyse, a posé des questions qu’il a laissées ouvertes. C’est ce que Lacan appelle des « pierres d’attente».
A partir de la grammaire freudienne du délire, Lacan va démontrer qu’il s’agit là d’une aliénation verbale. Puis il va situer la régression narcissique comme relation spéculaire et replacer le délire dans le circuit de la parole (Schéma L). Il continue d’autre part à suivre son fil qui est celui du signifiant. Partant de la parole du psychotique il démontre qu’il s’agit dans le délire de la décomposition de la fonction du langage.
Une autre pierre d’attente est la Ververfung freudienne que Lacan traduit par forclusion dont il fait le mécanisme distinctif de la psychose. Ce qui est forclos est un signifiant dont l’absence affecte tout le système signifiant. Cette absence se mesure à des effets bien précis que la clinique nous enseigne.
Nous terminerons sur ce que nous en livre Marcel Czermak et qu’il appelle la« déspécification des pulsions. »

Pour Freud (1) la cause occasionnelle de la maladie de Schreber fut une poussée de libido homosexuelle portée dès l’origine sur Flechsig, son médecin bienfaiteur qui l’avait guéri huit ans plus tôt. La lutte contre cette pulsion libidinale produisit le conflit générateur des phénomènes morbides. Mais pourquoi cette explosion se produit-elle après sa nomination comme président de la Cour d’Appel de Dresde ?
Freud s’il pose la question ne peut y répondre en l’absence de données biographiques plus précises. Il évoque la frustration de Schreber de n’avoir pas eu l’enfant désiré et sa crainte de voir sa lignée s’éteindre, ce qui aurait pu favoriser son fantasme d’être une femme, le replaçant par régression dans l’attitude féminine qu’il avait eue envers sons père dans ses premières années.
Mais ce complexe paternel n’est pas caractéristique de la paranoïa pour Freud. Le trait distinctif de la paranoïa est à rechercher dans la forme particulière que revêtent les symptômes. Cette forme tient au mécanisme qui les constitue :
« Ce qui est essentiellement paranoïaque dans ce cas c’est que le malade pour se défendre d’un fantasme de désir homosexuel, ait réagi précisément au moyen d’un délire de persécution de cet ordre. » (2)
Freud a constaté avec surprise par l’expérience de nombreux cas de paranoïaques rapportés par Jung et Ferenczi que « dans tous ces cas, la défense contre un désir homosexuel était au centre même du conflit morbide. » (2) Ce n’était pas ce que Freud attendait car « l’étiologie sexuelle n’est justement pas du tout évidente dans la paranoïa. » (2) Seule domine une frustration sociale. Mais à y regarder de plus prés ce qui blesse est lié aux composantes homosexuelles de la vie affective. Le délire met régulièrement en lumière la relation entre vie sociale et désir érotique.

Le Narcissisme.
Freud intègre ces données dans ses dernières théorisations, notamment celle du narcissisme qu’il situe entre l’auto-érotisme et l’amour objectal et définit ainsi :
« L’individu en voie de développement rassemble en une unité ses instincts sexuels qui, jusqu’à là, agissaient sur le mode auto-érotique, afin de conquérir un objet d’amour, et il se prend d’abord lui-même, il prend son propre corps, pour objet d’amour avant de passer au choix objectal d’une autre personne. » (3)
Sur le corps propre, ce seraient les organes sexuels qui exerceraient l’attrait primordial. Ainsi l’étape suivante conduit au choix d’objet doté des mêmes organes génitaux. Vient ensuite le choix d’objet hétérosexuel. Ces aspirations homosexuelles que l’on trouve au cours de ce processus se retrouvent ensuite employées à étayer les instincts sociaux. Les frustrations ou bien une intensification de la libido peut l’amener à revenir à des stades antérieurs de fixation.

Mécanisme de formation du symptôme.
Au centre de ce mécanisme Freud met la projection qu’il définit ainsi :
« Une perception interne est réprimée et, en son lieu et place, son contenu, après avoir subi une certaine déformation parvient au conscient sous forme de perception venant de l’extérieur. » (4)
Vous entendez qu’il n’y a aucunement une projection de l’intérieur vers l’extérieur. Freud le précise plus loin avec cette formule essentielle :
« Il n’était pas juste de dire que le sentiment réprimé au-dedans fût projeté au-dehors ; on devrait plutôt dire : « ce qui a été aboli au-dedans revient du dehors. » (5)
En 1924 dans « La perte de réalité dans la névrose et la psychose » Freud articule deux phases dans la névrose et la psychose. Pour la psychose dans le premier le moi se coupe de la réalité, dans le second il reconstruit une nouvelle réalité. A propos de Schreber il distingue deux moments : le refoulement et le délire qui correspondent à ces deux phases.
Deux phases :
1) Refoulement.
Par refoulement la libido se détache de personnes ou de choses auparavant aimées. Le point de fixation se trouve au stade du narcissisme. La régression parcourt le chemin qui va de l’homosexualité sublimée au narcissisme.
Dans « Névrose et Psychose », en 1924, Freud propose de trouver une alternative au terme de refoulement : « quel peut-être le mécanisme, analogue à un refoulement, par lequel le moi se détache du monde extérieur? » (6)
Il y a là, comme dans ce qui a été cité plus haut au sujet de la projection, ce que Lacan a appelé des « pierres d’attente chez Freud » qu’il saura utiliser.

2) Le Délire.
Freud le dit clairement : la formation du délire est une tentative de guérison, une reconstruction. Le processus de guérison supprime le refoulement et ramène la libido aux personnes même qu’il avait délaissées. Il s’accomplit par la voie de la projection.
L’hypothèse de Freud fait du fantasme de désir homosexuel : « aimer un homme » le centre du conflit dans la paranoïa de l’homme.
Il note qu’il est curieux de constater que « les principales formes connues de paranoïa puissent toutes se ramener à des façons diverses de contredire une proposition unique :
« Moi (un homme) je l’aime (lui, un homme) » ; bien plus, qu’ elles épuisent toutes les manières possibles de formuler cette contradiction. » (7)
La phrase : « Je l’aime (lui, l’homme) » est contredite par :

a) le délire de persécution qui proclame très haut :
« Je ne l’aime pas, je le hais. »
Pour le paranoïaque cette contradiction ne peut devenir consciente sous cette forme. Pourquoi ? Et là, Freud pointe un des caractères fondamentaux de la paranoïa :
C’est que « le mécanisme de la formation des symptômes dans la paranoïa exige que les sentiments, la perception intérieurs, soient remplacés par une perception venant de l’extérieur. » Nous avons là les bases de la xénopathie.
Par « projection » « je le hais » se transforme en « il me hait. » Le sentiment interne qui est à l’origine apparaît comme conséquence d’une perception extérieure :
« Je ne l’aime pas, je le hais, parce qu’il me persécute. »
Ce persécuteur était auparavant un homme aimé.

b) l’érotomanie
« Ce n’est pas lui que j’aime, c’est elle que j’aime. »
La nécessité de la projection transforme cette proposition :
« Je m’en aperçois, elle m’aime. »
L’érotomanie part de la perception venue de l’extérieur : « elle m’aime. »
« Ce n’est pas lui que j’aime, c’est elle que j’aime parce qu’elle m’aime »

c) Le délire de jalousie.
Chez l’homme : « Ce n’est pas moi qui aime l’homme, c’est elle qui l’aime. »
Il soupçonne la femme d’aimer tous les hommes qu’il est lui-même tenté d’aimer. La projection n’est pas nécessaire puisque le changement de sujet fait que la perception intérieure est remplacée par une perception extérieure.
Chez la femme : « Ce n’est pas moi qui aime les femmes. C’est lui qui les aime. »
Freud rajoute qu’à une proposition qui comprend trois termes on pourrait croire qu’il n’y a que trois manières de la contredire : « Le délire de jalousie contredit le sujet, le délire de persécution le verbe, l’érotomanie l’objet. » (8) Mais il y en a une quatrième qui rejette entièrement cette proposition :
« Je n’aime pas du tout. Je n’aime personne. » C’est identique à : « Je n’aime que moi. » Ce qui donne le délire des grandeurs.

Lacan : l’aliénation verbale.
Lacan dans le séminaire III aborde la question du délire comme il apparaît, c’est-à-dire comme une parole. Comme telle elle est à situer à partir des quatre lieux du schéma L (S, A, a, á ).
En reprenant les propositions Freudiennes sur la constitution des délires paranoïaques, Lacan fait semble-t-il un lapsus (les différentes versions donnent la même chose sauf celle de J.A. Miller) :
« Cette distinction de l’Autre avec un A de l’autre avec un a, c’est dans cet écart, c’est dans l’angle ouvert de ces deux relations que toute la dialectique du désir doit être située, car la question est :

1)     « est-ce que le sujet vous parle ?
2)     de quoi parle-t-il ? » (9)

Le sujet psychotique parle de quelque chose qui lui parle. La structure de cet être qui parle au sujet et dont le sujet témoigne est ce dont il s’agit dans la paranoïa. L’aliénation dans la psychose est à un autre niveau que l’aliénation imaginaire habituelle, il ne s’agit pas simplement d’identification.
La structure de cet être qui parle au sujet c’est le S tel que l’analyse l’entend, cet inconscient qui parle dans le sujet au-delà du sujet et même quand le sujet ne le sait pas ; ça en dit plus qu’il ne croit. C’est un S + .
Mais ça ne suffit pas pour caractériser la psychose. Comment ça parle, quelle est la structure du discours paranoïaque ?
C’est pour répondre à cette question que Lacan reprend les hypothèses de Freud mais il le fait en situant le message, son auteur et son porteur et le lieu du code (A).
Au niveau du message la proposition « je l’aime » revient au S en tant que signification selon les trois formes du délire apportées par Freud c’est-à-dire selon trois formes d’aliénation à l’autre dans le délire.
Lacan part du délire de jalousie : « c’est elle qui l’aime ». On fait porter le message par un autre, par un petit autre : c’est l’ego qui parle par l’alter ego qui dans l’intervalle a changé de sexe. C’est une aliénation invertie.
Il ne s’agit pas d’une projection comme celle, névrotique que l’on retrouve dans la jalousie ordinaire et qui consiste à imputer à l’autre ses propres désirs d’infidélité. Freud a bien fait la différence.
Ce n’est pas le même mécanisme que celui-là, psychotique, où c’est l’alter ego auquel le sujet délirant s’est identifié par une aliénation invertie, c’est-à-dire sa propre femme (par exemple), que ce sujet délirant fait la messagère de ses sentiments à l’endroit, non pas même d’un autre homme, mais d’un nombre d’hommes indéfini, car le délire de jalousie est indéfiniment répétable.
Dans le cas du délire d’érotomanie (« ce n’est pas lui que j’aime, c’est elle qui m’aime ») c’est une aliénation divertie car un certain message parvient mais ce n’est plus à celui auquel il s’était adressé que le délirant érotomane s’adresse. Cette aliénation divertie du message s’accompagne d’une dépersonnalisation de l’autre, d’un « autre tellement dépersonnalisé qu’il est grandi aux dimensions même du monde. »
Dans le délire de persécution c’est beaucoup plus proche de la dénégation. C’est une aliénation convertie : l’amour est devenu haine. L’altération profonde de tout le système de l’autre : sa démultiplication, le caractère extensif en réseau des interprétations sur le monde, montre la perturbation proprement imaginaire portée à son maximum.
Lacan repère donc le délire en distinguant quatre places dans le circuit de la parole (Schéma L) :

S:      le sujet qui parle qu’il le sache ou non.
á:       le petit autre imaginaire, l’autre en tant que le sujet est avec lui dans la relation imaginaire et que cet autre est à la racine, la base de
a :      son moi individuel.
A:      l’Autre avec un grand A

C’est de ce lieu que le sujet reçoit son message sous forme inversée.
Le message du sujet : « Tu es mon maître » est une nomination qui reconnaît et institue l’Autre absolu.
Le sujet, S s’entend le dire en a.
En retour il s’y fait reconnaître en recevant cette réponse en S (elle est constituée en A) :
« Je suis ton élève. »

C’est à partir de la distinction de ces quatre places que l’on peut commencer à faire la différence entre névrose et psychose.
« Je viens de chez le charcutier »
C’est une présentation de Lacan : un délire à deux. Une fille et sa mère se font hospitaliser en même temps. La fille en sortant de chez elle, dans le couloir, rencontre ce « vilain homme marié » qui était l’amant de sa voisine. Elle se plaint qu’il lui a dit un gros mot, mais ce gros mot, elle ne veut pas le répéter. Elle avoue cependant qu’elle a dit quelque chose : « Je viens de chez le charcutier. » Il aurait dit « Truie. » Elle entend là son message. C’est bien son propre message mais non pas reçu sous forme inversée.
Lacan fait remarquer que certains malades qui se plaignent d’hallucinations auditives faisaient manifestement des mouvements de la gorge et des lèvres, c’est-à-dire les articulaient eux-mêmes.
« Truie » a été entendu dans le réel. Qui parle ? C’est la réalité constituée, selon la remarque précédente, de sensations et de perceptions. Quand l’Autre parle ce n’est pas simplement l’autre de la réalité, l’individu qui articule. L’Autre est au-delà de cette réalité.
Quand une marionnette parle, ce n’est pas elle qui parle, c’est quelqu’un derrière. La patiente ne dit pas que c’est quelqu’un d’autre derrière le personnage du voisin qui parle : elle en reçoit sa propre parole, mais non pas inversée. Sa propre parole est dans l’autre qui est elle-même, le petit autre, son reflet dans le miroir, son semblable. « Truie » est donné du tac au tac.
Que la parole s’exprime dans le réel, veut dire qu’elle s’exprime dans la marionnette. Il n’y pas d’Autre au-delà du partenaire.

Schéma L :    á : le monsieur dans le couloir
A : pas de A
a : ce qui dit « je viens de chez le charcutier »
S : c’est de S que l’on dit : « Je viens de chez le charcutier »
a (la patiente qui parle) reçoit son message de á. Ce qu’elle dit concerne cet au-delà qu’elle est elle-même en tant que S et dont elle ne peut parler que par allusion.
Il n’y a que deux façons de parler de S :
-Soit de s’adresser à A et d’en recevoir le message sous forme inversée
-Soit d’indiquer son existence sous la forme de l’allusion.
Elle est paranoïaque en tant que A est exclu. Dans le délire, A étant exclu, tout ce qui concerne le sujet est réellement dit au lieu de l’autre. Le circuit se ferme donc sur les deux petits autres qui sont la marionnette en face d’elle, qui parle et dans laquelle résonne son message à elle, et elle-même qui, en tant que moi, est toujours un autre et parle par allusion.
Elle ne sait pas ce qu’elle en dit. Elle ne sait pas qu’elle dit, que c’est un cochon découpé qui vient de chez le charcutier. A cet autre à qui elle parle, elle dit :
« Moi la truie, je viens de chez le charcutier. Je suis déjà disjointe, corps morcelé, délirante et mon monde s’en va en morceaux comme moi-même. » (10)
Qui a parlé en premier ? C’est « Truie » qui conditionne « Je viens de chez le charcutier. » Ce n’est plus l’allocution « Je viens de chez le charcutier » qui serait articulée et construite comme la réponse à un message venu de l’Autre (comme nous l’avons vu pour la parole pleine). Depuis le petit autre, c’est au contraire « la réponse (« Truie ») qui présuppose et induit tout à la fois l’allocution. » ( selon Joël Dor) (11)

Régression narcissique.
Ce à quoi se limite le circuit de la parole dans le délire c’est ce circuit imaginaire que Lacan a caractérisé comme relation spéculaire.
La régression narcissique de la libido que Freud situe comme première phase de la psychose n’est pas à comprendre dans le registre chronologique. Pour Lacan elle est topique et consiste en cette relation imaginaire, source de la tension agressive qui serait sans issue si ne s’y superposait un ordre symbolique, un ordre de la parole, celui de ce qui s’appelle le père, non pas le géniteur mais le nom du père.
La régression narcissique de la libido provoque un changement de plan dans le délire :
« Le désir qui avait à se faire reconnaître se situe sur un plan très fondamentalement changé par rapport à ce qu’il s’agit de reconnaître, il y a transfert de plan. »
« Le retrait de la libido des objets représente une désobjectalisation de ce qui va se présenter dans le délire. »
Dans la névrose le retour du refoulé se fait au lieu même où il a été refoulé (dans le symbolique) mais sous un masque : le désir refoulé, nous dit Freud se fait représenter par un substitut qui s’impose au moi par le retour du compromis, dans le symptôme. ( Névrose et Psychose). Ce compromis Lacan l’appelle duplicité du signifiant : un conflit passé inconscient est le signifiant dont le signifié est le conflit actuel.
Dans la psychose, le désir refoulé fait retour mais ailleurs, dans un autre lieu, transcrit dans un autre registre, le registre imaginaire, mais sans masque. Il est exclu du compromis symbolisant de la névrose et se traduit par un déchaînement imaginaire. Le désir est lisible mais sans issue. Nous l’avons aperçu dans l’exemple précédent (et nous y reviendrons pour conclure).
Mais cette différence entre névrose et psychose n’est pas suffisante car la psychose n’est pas simplement le développement d’un rapport imaginaire au monde.
Lacan propose de la situer au niveau de l’aliénation verbale et c’est la parole du psychotique qui nous l’enseigne.
D’abord, le sujet psychotique dit qu’il y a de la signification. Il ne sait pas laquelle, mais elle vient au premier plan, elle s’impose à lui. Cependant elle ne renvoie à rien si ce n’est à une signification essentielle par laquelle le sujet est concerné.
Le langage délirant a une saveur particulière. Certains mots prennent une densité qui se retrouve parfois dans la forme même du signifiant : néologisme (par exemple « galopiner »).
Schreber cite des mots clés originaux dits par les rayons divins : « adjonction de nerfs. » Ce sont des mots pleins qui se différencient pour Schreber lui-même des mots du langage commun. Il les écrit entre guillemets. La signification de ces mots ne s’épuise pas dans le renvoi à une autre signification (comme c’est le propre de la signification). C’est une signification irréductible. Le mot fait poids en lui-même. C’est une signification qui renvoie avant tout à LA signification en tant que telle.  C’est une énigme pour le sujet.
Dans ce phénomène il y a deux pôles, deux formes qui signent le délire :
1) L’intuition délirante : elle est pleine, comblante. Le mot y apparaît dans son originalité.
2) La formule : c’est la forme que prend la signification quand elle ne renvoie plus à rien : la ritournelle.
Tout au long de ce séminaire de 1955 à 1956, Lacan va détailler et examiner ces décompositions de la fonction du langage dans le phénomène délirant.
Chez Schreber par exemple, le phénomène des phrases interrompues met au grand jour la fonction de la phrase qui trouve sa signification avec sa ponctuation.
Ce qui caractérise le psychotique c’est que son rapport au signifiant est profondément altéré. Alors que pour la névrose la chaîne des signifiants et le flux des signifiés (schéma de Saussure) tiennent par quelques points de capiton qui font une boucle, une unité signifiante et assurent la signification, cela ne tient pas pour le psychotique. Le signifiant rencontré le laisse dans la plus complète perplexité. Signifiant et signifié suivent des chemins séparés.
Les psychoses démontrent ceci : dans un préalable (logique) à toute symbolisation il est possible qu’une part de la symbolisation ne se fasse pas.
Dans une étape antérieure à la dialectique de la névrose qui est celle du refoulement et du retour du refoulé, il y a quelque chose de primordial pour l’être du sujet qui n’entre pas dans la symbolisation et qui est, non pas refoulé mais rejeté, forclos et qui, au sens freudien est rejeté de l’intérieur et va reparaître à l’extérieur, dans le réel. (Le réel se définit d’être différent du symbolique).
Il y a dans la psychose quelque chose qui ne fait pas l’objet d’une Bejahung primitive (admission) mais tombe sous le coup d’une Ververfung.
Il va y avoir une dichotomie entre ce qui aura été admis, soumis à Bejahung et qui aura divers destins et ce qui aura été rejeté (Verworfen) et qui en aura un autre. Mais il y a un profond fossé entre ce qui a été admis dans la symbolisation primitive et ce qui en a été rejeté.
Les phénomènes psychotiques démontrent que pour produire de tels effets, ce qui manque est un signifiant primordial qui tient la clé de la signification. Ce signifiant, Lacan ne le nommera qu’après tout ce cheminement, à la fin du séminaire sur les psychoses. Ce signifiant c’est ce qui s’appelle « être père » que Lacan nomme « Nom-du-père ». C’est justement sa fonction de permettre la nomination. Nous notons que c’est au moment où Schreber est nommé Président de la Cour d’Appel qu’il commence à délirer.
Le Nom-du-père est produit par la métaphore paternelle qui met un nom à la place du signifiant phallique. Elle consiste en un jeu de substitution dans la chaîne signifiante.
D’après Marc Darmon :
Le sujet identifie dans un premier temps l’inconnue X, la cause du désir de la Mère, au phallus auquel il s’identifie alors. « La métaphore paternelle est l’opération par laquelle un Nom vient se substituer à cette première symbolisation. » (13). Il y a élision du Désir de la Mère. Alors, le sujet peut renoncer à être l’objet du désir de la mère, à s’identifier au phallus et s’identifier au père. Il peut y renoncer dans la mesure où il y gagne une traite sur l’avenir, une promesse qui oriente son désir et le rend possible. La formule indique que si le signifiant phallique est présent dans l’Autre, c’est à l’état de refoulé.
Le Nom-du-Père vient symboliser ce phallus originairement refoulé et instituer un objet cause du désir.
C’est cette métaphore qui permet au sujet d’accéder à la signification phallique et règle son désir. Son absence a des effets bien particuliers dans la psychose : par exemple l’automatisme mental.
Quand  de l’Autre vient l’appel d’un signifiant qui ne peut être reçu, le sujet se trouve en face d’un trou. Il perd la sécurité significative coutumière et pour ne pas se déshumaniser il présentifie le menu commentaire de la vie (ce que Lacan a appelé la phrase symbolique) qui fait le texte de l’automatisme mental. Il est accompagné par le commentaire perpétuel de ses gestes et de ses actes. Le langage parle tout seul.

Une solution ? La métaphore délirante.
Par l’interprétation délirante le sujet psychotique tente de pallier  ce défaut dans le symbolique. Mais il doit alors soutenir lui-même la signification en lieu et place du signifiant phallique qui fait défaut. C’est ce que fait Schreber qui assume d’être la femme de Dieu en acceptant l’éviration. Lacan résume cette métaphore délirante en ces termes : « Faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère il lui reste la solution d’être la femme qui manque aux hommes. »
Vous pouvez constater que Schreber est bien loin d’un choix d’objet homosexuel et de lutter contre des désirs homosexuels. Il s’agit d’un « pousse à la femme » dans la psychose.
Pour le psychotique le défaut de cette métaphore paternelle qui règle le désir humain rend son désir problématique.

Qu’en est-il de son objet ?
Ce qui est forclos c’est le signifiant « Nom-du-Père » et son signifié la castration. La castration étant rejetée nous avons affaire à un sujet non divisé qui se trouve confronté à l’autonomie de l’objet qu’il reçoit directement de l’extérieur.
Que le sujet psychotique ne soit pas divisé par la castration, Lacan dans l’Ethique de la Psychanalyse, le reprend sous ce terme d’ « Unglauben », d’incroyance que Freud a employé pour qualifier le rapport du paranoïaque à la réalité psychique. La chose, comme dans le discours de la science, y est rejetée au sens de la Verwerfung. Ce n’est pas le contraire de la croyance mais c’est un mode propre du rapport de l’homme à son monde et à la vérité.
Dans le séminaire XI il l’explicite par la solidification de S1 et de S2 qui s’holophrasent : « Cette solidité, cette prise en masse de la chaîne signifiante primitive, est ce qui interdit l’ouverture dialectique qui se manifeste dans le phénomène de la croyance. » (14) Dans la paranoïa « règne ce phénomène de l’Unglauben. Ce n’est pas n’y pas croire, mais l’absence d’un des termes de la croyance, du terme où se désigne la division du sujet. »(15)
Du fait de cette absence de division subjective, de cette holophrase entre S1 et S2, il n’y a pas de chute de l’objet. Nous allons en mesurer les conséquences dans la clinique que nous rapporte Marcel Czermak dans son livre « Patronymies ». (16) :
« Je suis arrivée ici parce que j’avais un ami que je voulais voir. De ce fait-là, il m’avait proposé de venir le voir devant sa porte, le soir, en déposant un petit paquet et c’est ce que j’ai fait depuis deux ans, chaque soir. Malheureusement, il ne m’a jamais ouvert la porte » raconte Coco.
A travers la porte, la voix de son ami lui a dit : « Bouffe, la Goulette, tâche de ne pas oublier, gifle, gifle » puis, « J’ai mal au ventre » et enfin « L’œuf, je ne pourrai le solutionner. » « Comme il m’avait dit Bouffe la Goulette, explique-t-elle, je m’étais dit : je vais lui apporter un peu de nourriture. Je mettais des gâteaux, je mettais des petites choses dedans pour remplir le paquet… » Ici, elle est lui, l’autre.
Qu’attend-elle de son ami ?
« Je veux me marier religieusement » dit-elle. Lui ne le veut pas et le lui a signifié clairement à deux reprises.
« Si j’ai pas voulu écouter ses deux lettres, c’est parce que j’avais d’abord envie de continuer à aller à sa porte, voir ce qui se passerait. »

L’objet.
Si la plupart des objets de la pulsion sont là, Marcel Czermak souligne que cette patiente « ne les met pas en jeu à la manière d’un névrosé mais qu’elle est à la fois voix, regard, fèces, etc. Elle est elle-même objet a. »(17)
Quinze ans auparavant, Coco avait fait un épisode anorexique passé inaperçu, qui a pour Marcel Czermak, dans l’après-coup, valeur de phénomène élémentaire de la psychose. C’est vraisemblablement le refus d’un nouvel ami qui lui a fait perdre l’appétit. Car elle veut se marier à l’église et sa demande ne supporte pas de refus. Elle ne dit rien ni du désir ni de l’amour.
« Je-veux-me-marier-religieusement », est une holophrase et a la fonction d’un objet à saisir et à incorporer. Sa demande est sans au-delà (puisque la castration est impossible). Elle est fondue avec elle-même, Coco. «  La demande D, elle, devient objet a qu’elle est. On pourrait dire que a demande. » (18)
Un autre patient, Hard, illustre aussi cela. Les couleurs lui formulent un message : elles lui ordonnent de boire ? C’est son regard, objet a qui commande.
Marcel Czermak formule: « Alors que dans la névrose, la pulsion, acéphale,  contourne l’objet et le manque, ici dans la psychose, à la fois l’objet est saisi et il transforme le sujet en objet. » (19)

La poussée.
Pour le névrosé c’est une excitation interne. Pour le psychotique c’est un impératif reçu d’une voix extérieure qui dicte un passage à l’acte.
Marcel Czermak qui a passé en revue les quatre termes de la pulsion qui selon Lacan, le rappelle-t-il, ne peuvent apparaître que disjoints, ces quatre termes, la poussée, le but, l’objet et la source sont ici, dans la psychose confondus.(nous n’avons cité que l’objet et la poussée).
Il en conclut qu’ il ne s’agit pas de pulsion dans la psychose.  Il s’agit plutôt d’un passage à l’acte.
Les ronds R et I sont indistincts car S a sauté. En conséquence il y a confusion des objets, les orifices du corps sont interchangeables, il y a confusion du sujet et de l’autre.
« Cette confusion des objets, des orifices, des registres n’est qu’une autre manière de dire l’impossible de la métaphore paternelle dans la psychose. » (20)
L’objet a n’est plus soustrait par la découpe phallique induite par l’opération du Nom-du-Père. Or, ce qui spécifie une pulsion c’est l’objet chu. Dans la psychose les pulsions sont donc « déspécifiées ».
Marcel Czermak cite l’exemple de l’oralité déspécifiée dans la psychose : c’est celle de l’Autre, d’un lieu atemporel et féroce. Il y a ces patients qui mangent indifféremment leurs excréments, des mégots, des pierres, des épingles à nourrice, qui boivent leurs urines ou des détergents. La pente des psychoses est qu’il n’y a plus qu’un trou unique qui aspire et recrache : le trou dans l’Autre.
« Il n’y a plus de S(A), plus de $ à a, plus de $ à D » (21). Les objets sont libérés, le sujet s’équivaut à l’objet qui s’équivaut à une demande impérative.
« Le psychotique ne joue pas. Il est jouet et joué ».
C’est ainsi que Marcel Czermak spécifie les rapports du psychotique et de l’objet.
Ceci nous permet de mesurer les effets de l’impossibilité de la métaphore paternelle dans la psychose. A entendre ces patients nous pouvons en recevoir le plus vif enseignement sur la constitution de la structure et ce qui règle le désir de chacun de nous.

Bernard Moullé

Bibliographie
1 .  Rey A.(sous la direction de), Dictionnaire historique de la langue française , Dictionnaires Le Robert,  2000.
2.   Freud  S., La Dynamique du Transfert , 1912,  La Technique PsychanalytiqueP.U .F., 1977 . (p.52)
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4.  Freud  S., Observations sur l’amour de transfert , 1915,  La Technique Psychanalytique, P.U.F.,1977.(p.121)
5. ibid (p.124)
6. ibid (p.122)
7. ibid (p.123)
8. ibid (p.124)
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10.  Jeanvoine M.,  L’espace-temps du transfert, Séminaire 2002-2003, Association Lacanienne Internationale, Inédit.
11. Lacan J.,  Séminaire XI , Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,Le Seuil, 1973.(p ;243)
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14.Lacan J., L’acte psychanalytique,(1967-68)Association Lacanienne Internationale, Publication hors commerce, 1997 .(p..87)
15.  Jadin J.M.., Côté Divan, Côté Fauteuil, Albin Michel, 2003.
16. ibid (p.238)
17.  ibid (p.242)
18. ibid (p.243)
19. ibid (p.243)
20..Lacan J., Séminaire I, Les Ecrits Techniques de Freud, Le Seuil, 1975.(p.127)
21.ibid (p.127)
22. Lacan J.,  Le symbolique, l’imaginaire et le réel, 1953, Bulletin de l’Association Freudienne,n.1
23.  Darmon M.,  Essais sur la topologie lacanienne, éditions de l’Association Lacanienne Internationale, 2004.(p.353 à358)
24. Lacan J.,Le symbolique, l’imaginaire et le réel, opus cité, (p.13)
25. Lacan J. Les Ecrits Techniques de Freud, opus cité, (p.255)
26. Freud S., Die Traumdeutung, P.U.F., 1967.(p. 478, 479)
27. ibid (p.464)
28. Lacan J.,Les Ecrits Techniques de Freud, opus cité,(p.269,270)
29. Freud S., Fragment d’une analyse d’hystérie, I905, Cinq Psychanalyses, P.U.F., 1970.(p.86)
30.  Allouch J., Lettre pour Lettre , Erès , 1984.(p.165 et 166)
31.  Moullé B., Dessin et latence de l’écriture,  Confluences, Décembre 2000.(p.13)
32. Jadin J-M., Côté divan, côté fauteuil, opus cité
33. Lacan J.,  Les Ecrits Techniques de Freud, opus cité, p.270

Le Duende (à propos du Cinéma en général et de Bunuel en particulier) par Caroline Boudet-Lefort

QUI VEUT FAIRE L’ANGE….

Après avoir lu « Jeu et théorie du Duende » de Federico Garcia Lorca, il y a déjà quelques années, j‘ai souvent jugé les films que je voyais en fonction de ce texte. Le Duende était devenu pour moi un critère. Je m’étais approprié cette « théorie » comme un point de jugement, bien qu’elle appartienne à l’Espagne. Lorca décrit cette énergie qui peut faire un bon film quel qu’en soit le style : films romantiques, westerns, polars, comédies, etc. : tout film peut me plaire,  s’il a ce que j’ai estimé être du duende.

Le mot espagnol « duende » est intraduisible. C’est la déformation du mot dueno qui signifie le maître, le maître de maison. On pourrait dire « la folle du logis », la pensée magique, le lutin… Il faut donc partir d’un impossible plutôt que d’un réel et basculer dans le désir et dans le feu intérieur, cette force mystérieuse qui s’empare de l’individu et l’amène à rentrer dans le monde du miracle, de la magie, de la folie. Mais le mot vient de l’Espagne, pays de la tragédie et de la mort permanente. Essayons de le définir selon ce qu’a écrit Lorca.

Le duende serait

– un esprit follet qui viendrait troubler certaines maisons,

– il est aussi un chardon très sec et épineux,

-et encore un charme mystérieux du flamenco.

Insaisissable, il passe par le sang et par le corps. Pour moi, c’est une énergie qui remonte à l’origine, à l’archaïque, quelque chose qui a à voir avec le mystère et l’enracinement du flamenco et de la corrida. Il est aussi ce pouvoir mystérieux, ressenti devant une œuvre d’art qu’on est incapable d’expliquer, mais qui a cependant du couler dans les veines de l’artiste. Le duende est une lutte, une énergie qui circule à l’intérieur, tel le sang ou dans le sang. Dans le texte de Lorca, il s’agit d’une tentative de « leçon » sur l’Espagne tragique, de « moutons qui deviennent des couteaux d’ironie ». On est déjà dans le surréalisme. N’est-ce pas là tout le cinéma de Bunuel ? (Une partie de l’œuvre de Bunuel est mexicaine, car il a quitté l’Espagne des Colonels, mais c’est en Aragon qu’il est né en 1900).

Le Duende donc, pour tout artiste – au sens très large, pour tout créateur disons, -c’est un démon bienveillant, joyeux, un diablotin malicieux, mais ni un ange, ni une muse : l’ange et la muse aident ou dictent, mais du dehors. Le duende c’est en dedans, dans le sang, c’est avec lui qu’on se bat vraiment, qu’on lutte. Il brûle le sang. C’est lui qui donne l’émotion, qui prend le spectateur aux tripes. Certains font illusion en croyant (ou voulant) donner une impression de duende, mais ce ne peut-être qu’artifice ou simulation. Aucune émotion, une émotion authentique, n’est possible sans duende,

Il ne s’agit pas de formes, mais de la moelle des formes, pour la musique, les arts plastiques, la danse, le cinéma ou autre. Il faut éloigner la muse et rester perméable au duende, il faut être un flot de sang, être un cri sincère et profond, un jaillissement mystérieux. Il n’y a pas en art du beau et du laid, il y a seulement le mystère, la magie. Tous les arts peuvent accueillir le duende, évidemment surtout les arts vivants, quoique ce soit surtout de la mort qu’il s’agisse. Un mort, en Espagne, est plus vivant comme mort que partout au monde, dit Lorca (et j’ajouterai au Mexique aussi). La mort est un spectacle national, « un baptême permanent de création » écrit Lorca. La corrida c’est le triomphe populaire de la mort espagnole. Chacun à leur manière, la muse et l’ange gardent leur distance avec la mort, alors que pour le duende elle est familière et même nécessaire. Pas de répétition du duende, c’est impossible, c’est une lutte avec la mort, c’est éphémère, insaisissable. On ne sait jamais ce qui provoque cet élan qui se trouve au fond du corps. Dans la corrida, la mise à mort se fait avec l’aide du duende, pour la splendeur du geste. Le duende dépasse le visible, l’expression visible. Il ne s’agit pas de s’amuser, mais de faire souffrir, – ce pourrait être la sublimation en quelque sorte. Toute blessure reste à vif, inspirant de l’insolite, voilà, on approche de Bunuel ! Car tout ce qui vient d’être dit se trouve dans le cinéma de Bunuel : un vent de l’esprit qui souffle sur la nouveauté, l’insolite, l’authenticité.« Avoir un duende furieux et dévastateur » pour ne pas être dans la complaisance, dans la séduction facile du public, dans l’émotion factice. C’est en se livrant totalement à l’instinct, sans intervention intellectuelle, que l’on peut exprimer ce qui est en soi, bien en soi, totalement et fortement. Si « tous les arts peuvent accueillir le duende », comme Lorca l’a dit, il n’est donc pas étonnant que je ressente souvent « cela » au cinéma. Et, vu que le mot est intraduisible, on ne pourrait donc attribuer le mot qu’à ce qui est espagnol. Aussi peut-on s’interroger : le cinéma espagnol a-t-il du duende ? La question se pose. Hormis Almodovar dont Cécile a parlé et Bunuel, qui pourrait-on citer : Carlos Saura, Berlanga, Victor Erice, Mario Camus, Amenabar… ? Le cinéma espagnol ne brille pas particulièrement, peut-être n’a-t-il pas de duende ? Pour moi le duende ne s’attribue pas forcément aux films espagnols. Le duende est nécessaire à la création la plus authentique qu’elle soit chantée, dansée, peinte ou cinématographique. Les Espagnols Goya et Picasso sont possédés par le duende, car c’est un corps à corps digne de possession, de transe.

Les films passent (ou « on se passe un film ») c’est leur destin. Ils s’inscrivent plus ou moins dans notre mémoire et certains y restent parce qu’ils ont du duende. Ils suscitent en nous un singulier remue-ménage, ces mouvements qui signifient qu’un chef d’oeuvre, un bolide, a foncé, avec une énergie particulière, impalpable, tenace et trépignante. Il n’est pas impossible d’approcher au plus près le feu intérieur qui dévore les personnages sur l’écran, pourvu que toutes précautions soient prises pour en contenir et en contrôler l’ardeur. Ce feu intérieur qui porte les personnages à l’incandescence peut se manifester à travers les corps saisis par la caméra. Feu souterrain dont l’horreur vibrante ne nous atteint qu’à travers l’exaltation des mots et le décalage des regards, « la force éjaculatrice de l’œil », comme disait Robert Bresson.

Ce que je critique dans un film, c’est l’inconsistance, le manque de rythme ou le manque d’énergie. Une narration lente, un drame poussif. Certaines parodies, du style « jouer à faire comme si »…. L’abus d’effets tape-à-l’œil ou bien les films qui transpirent l’esbroufe. Sans duende l’artiste répète ou se force à la simulation. Il faut qu’un film nous plonge dès le premier plan dans son atmosphère et ne nous laisse pas en réchapper. Un film qui nous embarque avec ses personnages.

Pour moi, il y a des films qui nous prennent aux tripes et qui restent : ils ont du duende. Par exemple Rosetta des frères Dardenne, Entre les murs de Laurent Cantet, (tous deux ont obtenu la Palme d’Or à Cannes.) Cette année, à Cannes, Polisse de Maïven a été récompensé du Prix du Jury, uniquement – d’après moi -parce qu’il avait du duende

Tous les films des frères Dardenne ont du duende.  Dans Le Gamin au vélo, on peut parler des gestes du garçon têtu, quand il visite l’appartement vide où il vivait avec son père. Ses gestes sont accomplis avec une détermination perceptible, alors que la caméra est sur sa nuque.

Par exemple, pour parler d’un autre film récent, Une Séparation de l’Iranien Asghar Farhadi est un film extrêmement physique, tendu, électrique, plongeant ses acteurs (tous extraordinaires d’intensité) et sa fiction dans le bain bouillonnant de la société iranienne réelle. Pour moi ce film a du duende. Un film nerveux, presque animal, porté par une caméra qui ne tient pas en place, mais qui, partout où elle se positionne, trouve le bon angle, la bonne distance.

Tout ce qui a des sonorités noires a du duende. Certes ! C’est évident pour le style envoûtant du flamenco, ce chant gorgé de passion subitement interrompu par de fières syncopes. Bien qu’il s’agisse de musique, on peut déplacer cette appréciation sur le cinéma, puisqu’il s’agit de mystère et de racines qui donnent de la « substance en art ». Goethe précise que c’est une lutte et non une pensée. C’est vivant, ça coule dans le sang, je me répète.

Federico Garcia Lorca redonne paradoxalement ses lettres de noblesse à une certaine identité féminine, via l’hystérie et le sang. (à développer)

Freud s’est intéressé aux oeuvres d’art et précisément à « ce par quoi elles font effet ». Voir La Gradiva, Leonard de Vinci, Moïse ….

BUNUEL

Sur l’œuvre de Bunuel, tout a été dit. Il y aura toujours des amateurs pour l’interpréter et des entêtés pour penser que son cinéma est fait de symboles.  Surréalisme, fétichisme, sadisme, onirisme, et tout autre –isme qu’il a rencontré, sont déjà dans les histoires du cinéma.

Tel un documentariste, il a toujours filmé le plus frontalement possible des situations compliquées sur l’étude des mœurs ou sur la bourgeoisie, son univers de prédilection. On peut parler de violence et de cruauté, mais suffit-il d’expliquer cette violence par le tempérament espagnol de Bunuel. Tous les Espagnols se ressembleraient-ils donc ? Il y aurait là un déterminisme discutable. Ce que veut Bunuel – je pense à Los Olvidados, à L’Âge d’or, – c’est être réaliste et authentique. On peut trouver quelque gratuité, voire inhumanité à la fameuse lame de rasoir tranchant lentement un œil dans Le Chien Andalou. Surréalisme ? Certes, mais surtout cruauté humaine et quotidienne, car la vie est violente. Bunuel le constate sans conclure ou juger.

Dans Los Olvidados ou Terre sans pain (Las Hurdes), il montre, avec une sobriété sèche et un commentaire dit d’un ton froid, des milliers d’oubliés de la campagne espagnole dite fière et rude (Terre sans pain est un documentaire choc destiné à dénoncer la misère absolue, primitive, de la vallée inhospitalière d’Estramadure) La caméra bouge et cerne les « personnages » au lieu de les laisser se mouvoir sur l’écran, comme c’était à l’époque. Question d’éthique. L’émotion est physique et viscérale, il y a du duende. Dès les premières images, on sait qu’il va être question de vie et de mort. Bunuel retrace la vraie vie, la vraie mort. Dans son œuvre, des gens vivent, mangent, s’aiment ou se haïssent jusqu’à en mourir. Et quelquefois rêvent ce qui n’est pas moins important.

Une certaine irrégularité fait respirer les films de Bunuel et leur donne un «tempo infernal» en modifiant le rythme par des idées parasites qui peuvent paraître invraisemblables et saugrenues, d’où le surréalisme. Est-ce le duende qui a conduit sa carrière étonnante, en dents-de-scie, avec un début retentissant, cette image d’œil coupé qui continue à couper le souffle ?

As de l’avant-garde, Bunuel accepte de réaliser des films commerciaux au Mexique, avant les portraits glaçants de la bourgeoisie française au charme discret. S’il n’a pas toujours fait ce qu’il a voulu – mais ce qu’il a pu – il est resté lui-même, d’une grande liberté, toujours cohérent avec lui-même et c’est dans cette authenticité qu’est son duende. Il a su accepter ses propres contradictions, sachant faire la différence entre concessions sur le secondaire et la trahison sur le principal. Bunuel était pétri de contradictions : un grand blasphémateur devant l’Eternel (voyez, dans Viridiana, la parodie de la Cène où des mendiants orduriers remplacent les apôtres) mais doté d’une phénoménale culture religieuse… Son indifférence aux modes, lui a permis d’aller de l’avant-garde au mélo populaire en passant par ce qu’on appelle la qualité française. La fiction est l’illusion nécessaire et quelque chose de plus secret peut réclamer notre attention. On apprend avec Bunuel que le désir fait vivre et que son objet est obscur.

Tout le monde, soudain, redécouvrit qu’un symbole n’a pas forcément à être expliqué, que l’inconscient est un rébus joyeux, que les fantasmes font rire, que le réel est ironique et que la bourgeoisie a même un charme discret (là  je cite Serge Daney dans un article écrit à la mort de Bunuel, en 1983).

La perversité de Bunuel est de lier Eros et Thanatos. Son brio fougueux et son attachement à ce qu’il filme est sensible. Dans Belle de Jour, Cet obscur objet du désir, Viridiana, …il donne de la vie, sinon de la vigueur et du duende. Il s’arme d’ironie mordante, d’humour noir dans un concentré de tension émotionnelle. Chacun de ses films, en un sens, est comme un rêve. Certains, les plus réussis, ont la netteté d’un souvenir onirique précis, d’autres plus confus sont comme des souvenirs en lambeaux, mais c’est toujours un rêve auquel il est fidèle. Pour Bunuel, « l’imagination est le seul terrain où l’homme est libre ». En bon surréaliste, le cinéaste espagnol jouait des décalages entre l’image et le son, des structures temporaires bouleversées, des juxtapositions d’images énigmatiques (« le mystère est l’élément essentiel de toute oeuvre d’art ») Toujours en contact direct avec l’inconscient du spectateur. Prenez la petite boîte du client asiatique de Belle de jour, au contenu invisible mais bourdonnant : chacun y met ce qui le répugne. Ou ce qui l’attire…

Ses premiers films, Le chien andalou et l’Age d’or étaient des appels au désir contre la morale bourgeoise. Bunuel gardera jusqu’au bout le goût du scandale érotique, où le sexe flirte avec la mort et le fétichisme (la récurrence des pieds nus, bottés, sucés, etc dans ses films lui a valu le surnom de « réalisateur podophile ».) Lorca et Bunuel étaient amis, avec Dali ils formaient un trio de choc dans la Résidence universitaire de Madrid, à la fin des années 1920. Leur amitié a pris un choc quand Bunuel appris l’homosexualité de Lorca : éloignement, puis retrouvailles plus tard.

 

El, tourné au Mexique en 1952, est un film à la fois saugrenu, bouffon et lacanien. Lacan le considérait comme un sujet de thèse de doctorat en médecine. Le film montre le déclenchement de la jalousie paranoïaque et le développement du délire. Pour Bunuel, il s’agit à la fois d’un autoportrait (« Il y a quelque chose de moi dans ce personnage ») et d’un art poétique. Sa logique est intemporelle, puisque la jalousie est de tous les temps.

Le film commence dans une église avec des gros plans sur des pieds d’enfants de chœur, avant que la caméra n’atteigne des pieds féminins. Coucou Freud ! Le fétichisme du pied est là. Mais nous ne sommes pas au bout des fantasmes…Le personnage principal aura plus tard le désir de coudre le sexe de sa femme, etc. Pour le jaloux, le doute est partout ce qui fait rire le spectateur. Bunuel calque sa mise en scène sur une sorte de « burlesque mental » qu’enclenche toute paranoïa. Le fantasme est à nu, avec une cruauté pure et simple, façon Sade.

A la fin, El est tenu pour fou (« esta completamente loco ! »). Il est enfermé, quand arrive une dernière scène, dix ans + tard, dans un monastère au calme apparent. La religion est toujours présente chez Bunuel, elle ne fait pas que réprimer le désir, elle lui prête des formes qu’elle tire de ses propres rituels. On en voit l’hypocrisie dans un personnage de prêtre, prêt à tout pour éviter le scandale. Le désir tend à la société un miroir surréel où elle ne se reconnaît pas. Le désir est une forme, la pulsion est l’énergie de fond. Faisons attention, parlant de Bunuel, au désir et à la pulsion  et donc au duende qu’ils peuvent engendrer.

La société vit bien du refoulement des pulsions et de la mise au pas du désir, mais le monde des pulsions – cette énergie insatiable, burlesque, prête à toutes les métamorphoses – lui demeure étranger. C’est pourquoi il est vain de vouloir changer les gens ou, comme dit Lacan, de les «vaincre, cons ou pas».

Comme j’ai appelé mon intervention « Qui veut faire l’ange… » je ne peux pas ne pas parler de « L’Ange exterminateur ». Il s’agit d’une réception mondaine rue de la Providence : un colonel, une cantatrice, un homme de lettres, un chef d’orchestre, etc. Nous sommes chez M. et Mme Nobile qui s’étonnent de voir tous les domestiques s’éclipser. Les invités, victimes d’une étrange maladie de la volonté, ne pourront plus partir, et personne de l’extérieur ne peut leur porter secours bien qu’il n’y ait aucune fermeture. La promiscuité devient intenable : mesquinerie, jalousie, envie,….La faim, la soif… N’oublions pas leur regard avide sur les moutons qui traversent la pièce (est-il question de panurgisme ?). Les invités (rebaptisés les « isolés ») mangent du papier, perdent leurs mains, font cuire du mouton avec le bois du violon, et regardent des ours se balancer sur les lustres. La ronde des événements se prolonge dans un monde où la réalité disparaît, dévorée par la folie. Qu’a voulu dire Bunuel ? Lui-même répond : «La meilleure explication c’est que, raisonnablement, il n’y en a aucune».

Le récit en huis clos a une action insidieuse sur les nerfs du spectateur ballotté entre fantasmes et réalité de la fiction. On passe du tragique à un rire qui déchire, au bord du gouffre. La ronde des événements se prolonge, un monde où la réalité, dévorée par la folie disparaît, dans un mouvement qui fait valser l’idée du bien et celle du mal et donne une image corrosive de la bourgeoisie. On peut voir que, selon la théorie du duende, Bunuel s’est libéré de toute loi, de la Loi. Il a logé le duende dans tout un tas d’idées parasites, dans la mort et dans les corps de ses personnages. La demeure du duende c’est le corps, les mots du corps qui sont « l’impossible à dire ». La toute puissance du désir reste toujours le seul acte de foi du duende. Le drame n’est-il pas avant tout intérieur ?

Caroline Boudet-Lefort

Du Duende à la trace : Almodovar, Balzac… par Cécile Bonopera

(Texte pour une performance avec Vanessa Lou Zouan Dé)

On me demande souvent si je suis espagnole….

LORCA, lorsqu’il introduit sa conférence donnée sur la théorie et le jeu du Duende, commence par conjurer l’ennui et le sommeil qui pourraient s’emparer de ses auditeurs.

C’est l’heure de la sieste : je prends des risques !

Pourtant je ne suis pas Pastora PAVON, la Nina de los Peines, qui « dut déchirer sa voix…et attendre, désemparée, que son Duende soit présent et veuille bien lutter au corps à corps avec elle » jusqu’à ce que cette voix, sa voix soit « comme un flot de sang », parce que le Duende « obscur et frissonnant » LORCA dit qu’« il faut aller le réveiller dans les dernières demeures du sang » (I).

Du Duende il dit aussi qu’il est « création active…une lutte et non une pensée…une question de véritable style de vie, c’est-à-dire de sang » (I).

Nous voila plongés au cœur même pulsatile, du pulsionnel. Je ne peux m’empêcher de convoquer ici l’œuvre d’un autre artiste, le sculpteur Anish KAPOOR grâce auquel vous avez peut-être saisi l’occasion de prendre le risque de vous immerger au plus profond du ventre rouge pulsatile et vibrant de son Léviathan encore récemment échoué au Grand Palais.

Anish KAPOOR dit de son travail : « Je tends à aller de la couleur vers l’obscurité. Le rouge possède un très grand potentiel de noir » (II).

Passage du rouge au noir….

Est-ce, ce que LORCA entend convoquer lorsqu’il cite – de ne connaître aucun homme possédant « autant de culture dans le sang » – le propos de Manuel TORRES : « Tout ce qui a des sonorités noires a du Duende » (I), ou encore lorsqu’il énonce : « le Duende n’arrive que s’il voit la possibilité de la mort » (I) ?

D’ailleurs il ajoute : « Dans la corrida comme dans la danse espagnole, personne ne se divertit ; le Duende se charge, à travers le drame de faire souffrir des formes vivantes…pour permettre à la réalité de s’évader » (I).

Et il s’agit « de formes qui naissent et qui meurent indéfiniment, dressant leurs contours sur un présent exact » (I). Un présent exact !

Un présent exact, ce n’est même pas un présent. Un présent exact, c’est un plus-que-présent et dans cet excès de présence, ce présent fait aussitôt place à l’absence, non qu’il lui cède la place, mais bien qu’il lui fasse une place en son cœur même, absence pulsatile au cœur même de la présence.

LORCA dit encore : « le Duende est un pouvoir et non un faire » (I). Pouvoir pourrait s’entendre du côté de l’emprise, mais il me semble beaucoup plus fécond de l’envisager du côté du lâcher prise. « Je peux » reste toujours du domaine du « c’est possible », « je peux » c’est « peut être ».

Alors, comment susciter ce qui, à peine surgi encore indicible déjà évanescent laisse comme seule trace le souvenir insoutenable d’un éclat ? Comment susciter et susciter, encore et encore ? Comment ressusciter ? Car le Duende dit LORCA, « ne se répète pas plus que les formes de la mer » (I). Autant dire qu’il s’agirait de répéter ce qui ne se répète jamais…. Le Duende touche donc au domaine des variations, au domaine de la vérité en ce que la vérité varie.

La corrida la danse, le sang la mort le chant, le drame, j’ai eu envie d’aller chercher auprès d’un autre espagnol, dans l’œuvre cinématographique de Pedro ALMODOVAR de quoi soutenir la lecture que je vous propose du Duende à partir du texte de LORCA.

De film en film chez ALMODOVAR (III), une trame donne naissance à des formes à des évènements de surface qui se renouvellent sans cesse pour notre plus grand plaisir. Cependant, c’est toujours la même trame qui est mise au travail, sans répit. La trame est pré-texte. Elle s’enlumine de morceaux de bravoure, mais la trame reste tragique.

Prenons les religieuses par exemple. Chez ALMODOVAR les religieuses entrent dans les ordres et peuvent même prononcer de singuliers vœux, comme les sœurs du Couvent des Rédemptrices Humiliées. Mais les religieuses sont tout aussi bien héroïnomanes. Elles affichent une ambivalence sexuelle qui se rit de tous les paradoxes. Elles n’hésitent pas à extorquer des fonds, à se rendre complices voire auteurs de crimes. Elles peuvent confectionner une luxueuse garde-robe de rock-star à la Vierge en vue des grandes fêtes liturgiques, emprunter un pseudonyme pour écrire des romans à succès ou encore, vendre sur le marché des gâteaux « faits avec le sang du Christ » en exhibant des talents de fakirs, pour éloigner la concurrence et attirer les chalands :

« Tortas, Flores, Pimientos… Tortas, Flores, Pimientos… »

Chez ALMODOVAR, les femmes toréent. Elles s’agenouillent pour recevoir le coup de grâce et sans doute ça vaut-il mieux ? Car sinon, poussées par les circonstances, elles en arrivent à tuer.

Vous vous souvenez peut-être d’une flamboyante avocate qui sacrifie à l’issue d’un rituel compliqué ses amants, à l’aide d’une épingle à cheveux qu’elle manie avec la dextérité voluptueuse d’un matador.

Mais aussi de Carmen MAURA actrice de prédilection, qui fait à la lettre feux de tout bois, puisqu’elle incendie carrément – avec l’aide d’un vent furieux – le cabanon où se repose dans l’adultère, son incestueux mari. Ailleurs, ce mari est chauffeur de taxis et elle le tue d’un grand coup d’os de jambon magistralement asséné sur le crâne. Ou elle concocte un sanglant et fatal gaspacho à l’intention d’un amant faible et volage.

Possibilité de la mort….

Chez ALMODOVAR une petite fille n’hésite pas à échanger, avec une détermination quasi incantatoire les médicaments de l’amant trop encombrant d’une mère idolâtrée. Un peu plus tard bien sûr, elle élimine plus radicalement celui qu’elle croyait lui avoir dérobé.

Les fils, quand ils sont uniques et les fils sont toujours uniques, les fils succombent généralement à l’excès d’une sollicitude maternelle séculaire et folle. Ils s’en sortent un peu nymphomanes ou dangereusement érotomanes. Ou alors, ils travestissent à jamais le sordide d’une existence pour l’élever à la dignité du tragique.

Comment oublier la beauté trouble et fatale de Letal qui propage de film en film son pouvoir de séduction épidémique ? Ou Carmen MAURA encore elle, en petit frère abusé par sa propre beauté et qui en deviendra l’abuseur ? Et encore le somptueux Agrado qui rit des détours de la vie avec la prodigalité d’un prince ?

Possibilité de la mort….

Quand tout devient trop irrespirable à la ville, Madrid ou Barcelone amoureusement filmée, l’appel du village se fait sentir avec l’insistance irrésistible de celui auquel succombent les petites chèvres de Monsieur Seguin.

Peut-être déjà, les terrasses colonisées par des plantes en pots mais aussi par différents volatiles, poules lapins canards qui réclament des soins attentifs et réguliers, font-elles leur apparition anachronique pour suspendre justement le temps des protagonistes ? Retour aux sources, arrosage oblige.

Le retour au village est toujours l’occasion d’un troublant voyage dans la campagne espagnole qui porte la trace, répétée à l’infini des tentatives infiniment répétées elles aussi des hommes, pour dompter asservir domestiquer, quoi ? L’ardeur du soleil, la violence du vent, l’aridité de la terre, la circonspection de l’eau…et avec quelle sollicitude séculaire là aussi !

Quand il tient encore debout, le village détient toujours le record du nombre de fous par habitants même s’il triche en se faisant aider du vent. Sinon, il dresse ses ruines poussiéreuses sur un paysage superbe et désolé.

Vous vous souvenez ? Aller le réveiller dans les dernières demeures du sang !

Mais plus que tout, se travestir est sans doute la porte ouverte sur une scène à côté de la scène qui se joue dans la vie, scène dans la scène, une scène qui pourrait se jouer autrement que celle qui se joue dans la vie et qui n’est pas sans faire penser à l’autre scène, une scène qui est elle, d’un film à l’autre, l’objet précieux mis en scène par ALMODOVAR.

En effet, pas un film dont le sujet ne soit de près ou de loin occupé, préoccupé par la scène, comment on y vient, qu’est-ce qu’on y fait, quels effets ça produit-il ? Par le monde du spectacle, mode télévision, show presse.

Pas un film qui ne soit prétexte à montrer une pièce de théâtre, une émission télévisée, un réalisateur en train de tourner, une actrice en train de se préparer avant de se produire sur scène. C’est-à-dire pas un film qui ne soit prétexte à dire le devant de la scène mais aussi les coulisses, les loges les studios et encore la rue et ses détours, la vie enfin par laquelle on y vient.

Je pourrais bien volontiers me perdre dans les méandres exubérants et baroques où ALMODOVAR attire à souhait. Je pourrais m’y perdre si je n’avais à l’esprit que je vous y perdrais aussi et là n’est-ce pas, vous aimeriez peut-être vous perdre vous aussi, mais que je vous perde à mon propos me ferait manquer ce que je vise.

Qu’est-ce que je vise ?

Marisa PAREDES est écrivain, elle se cache sous le pseudonyme d’Amanda Gris qu’elle éreinte pour sa littérature de hall de gare quand elle en fait la critique. Mais sans écrire, comment pourrait-elle vivre ? Il en va ainsi de la religieuse qui se cache derrière la médiatique Concha Torres pour goûter d’une vie qui lui est interdite, et du réalisateur devenu aveugle qui se retient à la vie, en devenant l’écrivain Harry Caine ou encore de son alter ego, prisonnier de la même tragique répétition issue la loi que lui impose le désir d’un autre.

Ecrire est, en filigrane de tous les films d’ALMODOVAR comme une trace presque effacée et qui conserve cependant toute sa puissance d’invocation.

Lève-toi et danse !

Une chanteuse junkie exécute dans un couvent, une danse lascive en l’honneur d’une Mère Supérieure.

Une jeune danseuse se réveille après un long coma et réapprend lentement les gestes de la vie, invitée par Pina BAUSH.

Une employée de maison zélée laisse parler son sang gitan et danse avec son fils.

Moments de grâce :

Dans la nuit bienfaisante, un homme chante une vieille et poignante chanson andalouse.

Carmen MAURA entre dans une chapelle. Les souvenirs affluent avec le son de l’orgue. Elle chante. Le prêtre qui l’a séduite enfant se rappelle : « Tu seras la Voix ».

Dans une vie de drames et de peines, Penelope CRUZ est soudain traversée par un chant qui la déborde, qui l’emporte.

De retour sur sa terre natale, Marisa PAREDES artiste adulée embrasse le sol de la scène – comme le ferait un torero avec le sable de l’arène – avant de se mettre à chanter pour son public.

Le temps suspend son vol, il cède la place à ce présent exact dont parle LORCA, un présent à ce point présent qu’il en est évanouissant.

 

Pour essayer d’aller encore un peu plus avant dans ma lecture du Duende, je convoque maintenant deux tableaux pris chez un autre artiste, écrivain consacré par les siècles j’ai nommé Honoré de BALZAC, que je réduirai à deux éclats (IV).

Felipe Henarez, Duc de Soria est un homme d’action et d’éclat, au cœur noble. Au firmament du pouvoir, il renonce à son titre pour le sauver, au profit de son jeune frère. Devenu Baron de Macumer, il est en exil. Il ne lui reste qu’à consacrer, sa vie de soldat intrépide à l’aventure, ou plus noblement à l’amour.

La jeune Louise de Chaulieu romantique et exaltée va lui en donner l’occasion. Elle ne se préoccupe que d’être aimée. Fascinée par cet homme, elle est attirée par la passion qui le brûle et qui représente une énigme pour elle.

Il lui jure une éternelle fidélité et remet sans condition, sa vie entre ses mains. Il en mourra sans une plainte, consumé par une vie où le risque se sera réduit au seul désir de l’aimée.

Si sa mort consacre son engagement, elle le trahit pourtant d’y avoir renoncé. Le Duende le quitte précisément au moment où il renonce à la manière qui le rend vif.

Second tableau, pendant la « Guerre d’Espagne » – sous Napoléon.

Une ville espagnole occupée par les français fomente un soulèvement soudain et sanglant. Le général des troupes françaises, général « cruel » rumine sa vengeance : « Il s’agit d’imprimer une terreur salutaire à ce peuple ».

La ville est encerclée, les habitants se rendent et pour les épargner, tous les habitants du château sont immédiatement exécutés, à l’exception du Marquis de Leganes et de sa famille. Pour sauver son titre, le Marquis demande grâce pour l’un de ses fils. « Je vais surpasser leur désir…je laisse la fortune et la vie à celui de ses fils qui remplira l’office de bourreau ». Ce marché est remis au Marquis qui l’accepte et obtient non sans résistance l’obéissance de l’un de ses fils, accablé. L’exécution a lieu, que je reprends précisément du texte de BALZAC pour en rendre l’horreur et la splendeur mêlées :

« Clara s’élança la première vers son frère. « Juanito, lui dit-elle, aie pitié de mon peu de courage ! Commence par moi ? »…. Sa tête roula aux pieds…de la Marquise de Leganes (qui) laissa échapper un mouvement convulsif en entendant le bruit ; ce fut la seule marque de sa douleur. »

Manuel, puis Mariquita suivent leur sœur, le cœur allègre.

« Bientôt la grande figure du Marquis apparut. Il regarda le sang de ses enfants, se tourna vers les spectateurs muets et immobiles, étendit les mains vers Juanito et dit d’une voix forte : « Espagnols, je donne à mon fils ma bénédiction paternelle ! Maintenant, Marquis, frappe sans peur, tu es sans reproche. »

Mais quand Juanito vit approcher sa mère… : « Elle m’a nourri » s’écria-t-il. Sa voix arracha un cri d’horreur à l’assemblée. La Marquise comprit que le courage de Juanito était épuisé, elle s’élança d’un bond par-dessus la balustrade et alla se fendre la tête sur les rochers. Un cri d’admiration s’éleva. Juanito était tombé évanoui. »

Cependant conclut BALZAC, « malgré le titre d’El Verdugo que le Roi d’Espagne a donné au Marquis de Leganes », il vivra « dévoré par le chagrin » et pressé de ce « que la naissance d’un second fils lui donne le droit de rejoindre les ombres qui l’accompagnent » sans répit.

La décision du Marquis qu’il soutient avec une détermination inébranlable, touche au Duende, comme le courage revêtu d’allégresse de ceux des enfants qui doivent mourir et comme le dernier geste d’amour de la Marquise pour son fils. Le « cri d’admiration » en témoigne.

Mais Juanito qui a cédé à l’injonction paternelle au nom du Nom, Juanito a cédé sur son désir. Il n’a pas été touché par le Duende et son devoir une fois accompli, la vie de Juanito ne peut que le quitter.

ALMODOVAR fait dire un texte de LORCA à Marisa PAREDES, au cours d’une répétition théâtrale, scène de théâtre comme scène du film :

« J’ai trempé les mains dans le sang de mon fils, et je les ai léchées parce que c’est à moi ».

On me demande souvent si je suis espagnole…. Mes origines me trahiraient-elles ?

« Certainement pas », comme dirait LACAN (V).

 

Cécile BONOPERA, journée de l’AEFL du 02/07/11, Saint-Paul-de-Vence.

I. Conférence donnée par FEDERICO GARCIA LORCA sur la Théorie et le jeu du Duende.
II. ANISH KAPOOR : « Past, Present, Future », cat. exp. Boston, The Institute of Contemporary Art, MIT Press, 2008.
III. Références filmographiques chez PEDRO ALMODOVAR :
Dans les ténèbres, 1983.
Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, 1984.
La loi du désir, 1986.
Femmes au bord de la crise de nerfs, 1988.
Attache-moi, 1989.
Talons aiguilles, 1991.
Kika, 1993.
La fleur de mon secret, 1995.
En chair et en os, 1997.
Tout sur ma mère, 1999.
Parle avec elle, 2002.
Matador, 2006.
Volver, 2006.
Etreintes brisées, 2009.
IV. Références bibliographiques chez HONORE de BALZAC :
Etudes de mœurs : Scènes de la vie privée, « Mémoires de deux jeunes mariées ».
Etudes philosophiques : « El Verdugo ».
V. JEAN ALLOUCH : « – Allô, Lacan? – Certainement pas. », éd. E.P.E.L, Paris, 1998.

 

La muse, l’ange et le démon par Marc Morali

Marc Morali, le 8 juillet 2011

« L’Art est le charme d’un semblant de vérité »

La belle définition d’Alain Badiou vise l’Art en général, et cerne pourtant au plus près le sens de ce mot espagnol, Duende, intraduisible en langue française, qui témoigne de l’apparition de l’inouï, de l’invisible et de l’indicible. Garcia Lorca nous en donne une étude poétique et lumineuse dans une conférence publiée en 1930, intitulée «  la théorie et le jeu du Duende ».

Dans la tradition espagnole, étymologiquement, Duende désigne le « dueno de la casa », un esprit — feu follet, démon ou lutin — qui se manifeste de façon toute particulière dans les régions andalouses, à l’occasion d’un rassemblement familial et amical, où il est de coutume de chanter et danser, dans la mise en scène typique, la juerga flamenca.

C’est au moment où l’émotion est à son comble, dans une connivence totale entre le soliste et la salle, qu’apparaissent des attitudes spectaculaires évocatrices de l’envoûtement. Comme l’écrit Garcia Lorca, « tout le monde en ressent les effets, l’initié comme le profane ». Mais il ne faut chercher ici « ni carte ni ascèse, (…), et rejeter toute la douce géométrie apprise ». Le Duende survient dans un espace de conscience au plus proche de l’acte perceptif, comme manifestation supposée d’une essence, d’un Réel. A l’évidence, nos outils émoussés ne pourront jamais réduire cette expérience à une simple manifestation d’hystérie collective. Il nous faut donc déchiffrer la complexité des propos de Garcia Lorca.

« Tous les arts sont susceptibles de Duende ». Cet espèce de chant originaire, intemporel et immortel se rencontre dans toutes les cultures et rejaillit, à chaque fois nouveau, comme la trace de la rencontre d’un semblant de vérité : blues, saudate, fado, mais aussi méditations invocantes des mantras hindous, psalmodies religieuses orientales. Tout cela évoque ce que Lacan désignera en 1976 comme un nouveau modèle de l’interprétation psychanalytique, c’est à dire la résonance du son et du sens, du chantonnement et des mots, qu’il repère chez les poètes chinois. Nous ne sommes pas ici dans une quelconque application des théories freudiennes mais au cœur même de l’expérience quotidienne du psychanalyste.

Lorsque Lorca nous décrit le principe de la fête flamenca, à savoir qu’à chaque instant une chanteuse, une danseuse ou un guitariste émerge du public pour présenter son interprétation puis cède sa place et retourne à l’anonymat, nous ne pouvons qu’y reconnaître le mythe de la naissance du sujet dans la tragédie grecque. Ceci n’est pas propre à la lecture nietzschéenne ! C’est tout aussi bien le mythe de la naissance du blues dans les plantations du sud des États Unis. Le chant du soliste, l’émergence d’une identité singulière, la coïncidence d’une pure idéalité et d’un corps vivant, voilà ce qui est célébré dans une émotion intense ; une commémoration, qui reconnaît le cerne d’un espace intemporel, perturbe radicalement les notions d’intérieur et d’extérieur : « ange et muse viennent du dehors (…) en revanche le Duende c’est dans les ultimes demeures du sang qu’il faut le réveiller ». Le topos du Duende, tel que le décrit Lorca relève de l’entre-deux, un espace intermédiaire, un objet ni à l’un ni à l’autre. Ici rien d’intentionnel, ni de moïque : immaîtrisable, le Duende ne vient d’aucun dedans, ni d’un corps qui accepterait que la vue règne en maître sur un partage manichéen ! Le Duende apparaît d’un point où le sujet n’est pas préparé à répondre, d’un espace dont la sphère ne sait pas rendre compte, un embrasement des corps et des chants qui unifie, dans une pure continuité, l’intimité la plus inatteignable, l’étranger en nous, avec le prochain, l’autre familier.

En d’autres termes, le Duende est une figure du Beau qui voyage dans des espaces difficilement imaginables : bouteille de Klein ou encore surface de Boyle, ces figures étranges nous en donnent une idée. Un objet se dérobe et semble solliciter nos sens. Pour un peu, les mots pourraient le nommer, mais ils révèlent alors leur vrai visage… Métaphore, métonymie, la rhétorique pleine de promesses fait rêver sur fond de poésie mais radicalement, inexorablement, les mots nous trompent dans leur promesse de vérité, et nous condamnent aux embrouilles du vrai. Méfions nous cependant de l’affect, de l’invite charmeuse de la sensation. Lacan nous enseigne que l’angoisse ne trompe pas, mais elle non plus ne dit pas la vérité. Alors si le Duende relève d’une expérience, il s’agit d’un point de Réel, qui vient trouer notre monde douillet et conformiste : Duende ne nomme pas un gain, mais une perte, un trou, une effraction que le contexte souvent amical et familier vient permettre de supporter. La fête est toujours fête maniaque, teintée du deuil, de perte, de la rencontre avec le Réel. « La Nina de los Peines dut déchirer sa voix…elle chanta, sa voix ne jouait plus, sa voix était comme un flot de sang imposant sa douleur et sa sincérité ». Sous l’image christique, nous reconnaissons ici l’ambiance noire des blues devils, celles des caprices de Goya, « les sonorités noires de Manuel Torres, matière ultime, fond commun incontrôlable de sons, de bois,de toiles et de mots ». Le Poète d’Aristote est tout entier captif de la melanos-cholia, de la bile noire. De cet excès d’humeur, de la capacité de la bile à disperser l’homme et à provoquer son génie naît le talent du poète et sa mélancolie.

Le Duende, dès lors, est bien un « combat loyal avec le créateur. L’ange et la muse s’échappent avec des violons et du rythme et le Duende blesse, et dans la blessure qui ne se referme jamais réside l’insolite, l’invention à l’intérieur de l’Homme ». Nous voici l’espace d’un instant libérés du temps, atemporel. Au-delà du plaisir, une jouissance particulière touche le corps et laisse les mots sans pouvoir à l’orée de sa porte… Lacan rapprochera cette jouissance de celle qu’il repère chez les mystiques et la nommera Jouissance Autre, une jouissance hors langage !

Le Duende ne relève pas d’un triomphe phallique, ni d’un pouvoir. Il est pure suspension, inéchangeable, ni avec un autre ni même avec soi. Il reste à jamais hors de portée de sa reproduction industrielle(2).

Pas d’auteur du Duende, même lorsqu’il opère sur le corps de la danseuse comme le vent avec le sable. Il nous est pourtant difficile de ne pas lui prêter un sujet, de supporter l’apparition d’une image, d’une écriture, ou d’une musique qui semble tout droit venue de l’au-delà pour nous élire témoin privilégié de la perfection du grand Tout, ce que Freud appelait le sentiment océanique.

Dans ces moments étranges, le cri reste point ultime de notre rapport avec l’autre : « pâtir de la Chose », le cri fait trou et gouffre. Trou dans la croyance, le Duende suspend la théâtralité. Dans ces moments de passage que l’on appelle la fête, le Duende se partage mais il ne s’échange pas.

Eu-topos hypothétique d’après coup :

La production d’un objet-trou non échangeable permet d’envisager la sortie du politique conçu comme dispositif théâtral offert à un lointain Sujet Supposé Savoir — métaphysique ? religieux. Un objet hors-marché qui mettrait le parlêtre hors de portée des gestionnaires du « Viator » ?

(1) Reprise d’une courte intervention à Saint Paul de Vence le 2 juillet 2011. Les citations entre guillemets sont tirées du texte de Garcia Lorca.
(2) Référence au texte de Walter Benjamin, l’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction industrielle