Angoisses et phobies, une clinique contemporaine ? par Ghislaine Chagourin

Les manifestations  phobiques ne sont-elles pas devenues une modalité de défense contre le sans limite de la « Nouvelle Economie Psychique » (c’est-à-dire un substitut de castration) là où auparavant la phobie était une modalité de défense contre la castration ? Elles seraient en quelque sorte une production de cette même « Nouvelle Economie Psychique[2] ». Avec pour conséquence une incitation à les traiter comme une maladie ou un trouble du comportement à grand renfort d’anxiolytiques et de thérapies cognitives et comportementales du fait que la restriction de jouissance qu’elles occasionnent fait pathos dans cette économie psychique.

 

L’écoute d’enfants et d’adolescents est toujours très éclairante ; Aux  urgences pédiatriques de l’hôpital de la Timone à Marseille les pédiatres reçoivent de plus en plus ces petits patients qui sont diagnostiqués comme souffrant d’une « crise d’angoisse ou d’anxiété », d’une « crise de panique » ou encore d’une « phobie ».

 

Les deux exemples cliniques qui vont suivre semblent illustrer le rapport des manifestations anxieuses ou phobiques au symbolique modifié de notre post modernité. Si les urgences pédiatriques ne sont pas le lieu privilégié d’adresse des très à la mode « phobies scolaires ou sociales », elles deviennent le lieu d’adresse de demandes qui n’auraient jamais abouties en ce lieu il y a encore une décennie. Les urgences, comme les manifestations phobiques, réagissent fortement au discours social, elles en sont un des symptômes au sens où Lacan en parle comme « l’effet du symbolique dans le réel », ce qui en fait un lieu d’observation clinique.

 

Ainsi, on constate comme dans d’autres lieux d’accueil la fréquence des symptômes anxieux des enfants et des adolescents en lien avec le divorce ou la séparation des parents notamment quand la séparation est conflictuelle ou quand l’enfant est  pris à parti dans le conflit, ou encore quand la séparation est floue. Il n’y a pas une relation de cause à effet car dans ces situations, c’est principalement la dimension symbolique du phallus qui est mise à mal.

 

D’autres cas sont le signe d’une défaillance symbolique dans le social dans le sens d’un débordement pulsionnel qui ne se limite pas aux seuls enfants. Il s’agit par exemple des situations de violence entre enfants à l’école mais aussi de la violence qui sort des frontières de l’école quand les querelles des enfants se transforment en querelles ou bagarres entre parents d’élèves ou avec les professeurs. C’est aussi le cas quand les parents se battent entre eux, avec les voisins ou avec la police lors de diverses altercations.

 

En règle générale, de nombreuses situations qui  mènent les enfants aux urgences donnent à entendre la difficulté des parents à dire non ou à restreindre la jouissance de l’enfant ou leur propre jouissance de l’enfant. Ainsi, à titre d’exemple et de façon devenue tout à fait banale, les enfants dorment avec papa ou maman, ou les deux, de plus en plus souvent papa ou maman vont dormir dans le lit de l’enfant quand ce n’est pas au pied de son lit. Du côté des enfants, toute restriction de jouissance peut devenir source d’angoisse tant elle est vécue comme injustice, voire comme traumatisme.

 

Il n’est pas rare non plus que la maladie, le décès ou l’emprisonnement d’un parent ou d’un proche se révèlent anxiogènes ce qui évoque une difficulté à symboliser la séparation, la perte tant pour les enfants que pour leurs parents. Comme si le travail de deuil ou de renoncement peinait à se faire.

 

Le contexte de naissance d’un nouvel enfant reste bien sûr source de nombreux symptômes pour l’enfant parmi lesquels l’angoisse ou la phobie mais ce qui est nouveau, c’est que cela justifie une venue aux urgences.

 

Est-ce que les manifestations de peurs, d’évitement, d’inhibition peuvent encore être rapportées à la période de la névrose infantile (vers 4/5 ans) et constituent toujours un moment transitoire nécessaire à la structuration du sujet ? Il semble qu’aujourd’hui la phobie se manifeste même chez de grands enfants et tout au long de la vie.

 

J.M. Forget en rappelle la dimension de plaque tournante : « la phobie peut être  un temps de structuration de la subjectivité de l’enfant dans la constitution d’un fantasme ; ce peut être (aussi) une manifestation qui dévoile les difficultés de l’enfant à trouver l’assise de son identité s’il est privé de la consistance d’un discours structuré par une restriction de jouissance »[3]. L’extension des manifestations phobiques à tous les âges de la vie peut être rapportée à la Nouvelle Economie Psychique, c’est-à-dire à la logique d’un discours qui enjoint à une jouissance sans limite, « dans le rapport à ce symbolique modifié par la techno-science et le consumérisme ambiant »[4]. Les enfants feraient aujourd’hui l’économie de la névrose infantile qui auparavant leur permettait de passer du phallus imaginaire au phallus symbolique, que s’écrive le fantasme et  se construise une théorie sexuelle infantile. Les manifestations phobiques réagissent fortement au discours social, ainsi qu’à l’organisation de l’espace qui découle de ce discours. C’est en cela que notre paysage social actuel serait « particulièrement producteur de phobies »[5] avec ses architectures modernes, ses espaces vitrés, ses ascenseurs et autoroutes et son insistance à convoquer la dimension du regard à travers l’omniprésence des écrans et des caméras.

 

Une «phobie » de la paralysie

 

Voici le cas d’un jeune footballeur marseillais de 12 ans que j’ai suivi pendant quelques mois et chez lequel la peur de la paralysie se présente de façon intéressante. Ses parents issus de l’immigration sont bien intégrés au tissu social,  il a 2 grandes sœurs et il est plutôt un bon élève de 5ème. Depuis déjà 2 mois, M. est soumis à une restriction forcée de motricité sportive (donc une restriction de jouissance) car il est atteint d’un Osgood – qui est une affection douloureuse du tendon rotulien en lien avec la croissance pubertaire des jeunes sportifs. Avec du repos, cette affection disparaît toute seule ; ce que M. avait fort bien entendu et compris mais qu’il vivait avec un fort sentiment d’injustice et ce d’autant plus qu’il éprouvait régulièrement des douleurs au niveau du genou. Par ailleurs, le football à Marseille est une expression de la virilité, au point que le ballon de football est un tenant lieu d’index phallique imaginaire pour de nombreux jeunes gens. M. est arrivé aux urgences pour ce qui, par deux fois, a été diagnostiqué comme crise de panique. La première fois, il s’était mis à trembler de tout son corps avec des sueurs et une dyspnée alors qu’il  visionnait un film d’horreur en l’absence de ses parents et à leur insu. C’est dans cet état à leur retour, qu’ils ont trouvé  M., affolés, ils ont appelé les pompiers. Ils n’ont pas su être « contenants » mais le père est un papa « très gentil qui s’affole très vite » aux dires de la mère. Peu de temps après sa première venue, M. a ressenti diverses douleurs, à la gorge, au dos, aux chevilles, au genou droit avec une sensation de malaise, des nausées et des difficultés d’endormissement, ce qui a donné lieu à une seconde venue aux urgences et à un nouveau diagnostic de crise d’angoisse de la part des pédiatres. Il faut dire que le père croyant que son fils avait eu peur du film, le laissait coucher dans le lit de la mère le soir  car lui-même rentrait tard dans la nuit. Dès le premier entretien, M. dément avoir eu peur du film (ce que croit son père) ou avoir ressenti la prescription médicale d’arrêt de sport comme une punition (ce que croit sa mère). Il sait bien que ce n’est pas de cela dont il s’agit. Il a eu peur de la paralysie et non du film et il a plutôt éprouvé cet Osgood comme une injustice et non comme une punition car une punition vient sanctionner une faute qu’il n’estime absolument pas avoir commise. En cela M. est très post moderne : une restriction de jouissance est vécue comme une injustice car elle va à l’encontre de ce que prône le discours social. Comment va se situer la question de la castration pour lui ?

 

Il explique qu’alors qu’il regardait ce film d’horreur (il dit « dès que je regardais le film »)  dans lequel « tout le monde meurt à la fin » (sans distinction entre les bons et les méchants précise t-il), la douleur qu’il a ressenti dans les jambes lui a fait craindre de devenir paralysé des jambes et ne plus jamais pouvoir marcher,  devoir rester couché tout le temps, ce qui l’a paniqué car, dira t-il plus tard : « avec les jambes on fait tout ». Comment entendre cela ? A la suite de Freud, C. Brini rappelait que l’angoisse première qui produit le refoulement, est l’angoisse de castration et que la phobie se présente « comme un déplacement sur un objet ou une situation masquant ainsi cette angoisse »[6]. Cette peur de  la paralysie semble se présenter comme une phobie au sens freudien d’un déplacement masquant l’angoisse de castration et c’est la dimension de l’imaginaire qui semble faire difficulté. Ch. Melman avance que dans le nœud phobique, le Réel vient surmonter l’Imaginaire et que c’est le Symbolique qui assure la consistance. Il ajoute que l’accès phobique est déclenché par l’émergence dans l’espace d’un point de fuite à l’infini qui vaut comme regard en tant qu’objet a. Ce qui a comme effet une dissolution du fantasme et l’évanouissement du sujet, provoquant ainsi une chute de la dimension imaginaire et donc une chute du Moi suivie d’un effet de paralysie : la phobie étant ainsi définie comme une « maladie de l’espace » c’est-à-dire de l’imaginaire.  Ce terme de « maladie » interroge.  Ch. Melman semble vouloir dire qu’au moment où surgit l’angoisse, le rond de l’imaginaire est « soufflé ». Mais, comme le refoulement originaire est en place, le Réel et le Symbolique ne se détachent pas. Dans ce nœud phobique, c’est l’imaginaire qui est marqué de la dimension du trou, de la castration : « l’opération de la castration s’exerce dans le registre de l’Imaginaire »[7]. Ce qui semble bien être le cas de ce jeune footballeur.

La crainte de la paralysie provoque chez lui l’angoisse qui lui fait à son tour éprouver les limites de son corps sans toutefois provoquer une paralysie fonctionnelle de type hystérique.

 

Concernant le contexte de surgissement de l’angoisse de ce jeune footballeur, on retiendra le rôle de l’écran télévisuel qui à travers le film vient faire de l’être pour mourir une injonction impérative que vient confirmer la douleur, le tout provocant l’angoisse chez le sujet. L’hécatombe finale du film associée à la douleur semble avoir  fonctionné sous l’injonction du regard comme menace d’une castration radicale, voire comme trauma déclenchant l’angoisse. Pourtant, M. a bien surmonté la perte de sa grand mère décédée d’un cancer un an auparavant, il avait parfaitement compris qu’elle était très malade et allait mourir alors qu’elle n’était pas très âgée. Ce n’est sans doute pas la même chose d’être symboliquement préparé à « regarder la mort » et se retrouver « regardé par la mort » du fait de l’écran et du montage télévisuel.  Ce qui renvoie à l’émergence dans l’espace d’un point de fuite à l’infini qui vaut comme regard en tant qu’objet a. Concernant le rôle du regard dans le surgissement de l’angoisse, C. Brini avançait pour sa part: « c’est l’objet regard qui surgit et qui va provoquer l’angoisse et la dissolution du fantasme. Le fantasme est doublement concerné, d’une part parce que le regard concerne toujours  le fantasme et d’autre part, parce que dans l’accès phobique, le regard est présentifié, regard dont on sait qu’il est extrêmement envahissant et injonctif dans notre vie moderne »[8]. Dans la phobie, le sujet a-t-il constitué un fantasme ? L’angoisse surgit quand l’opération de lien symbolique à un objet inaccessible est défaillante. Comme si chez M., la métaphore paternelle avait failli à symboliser le réel de la mort imaginarisée par la fiction et celui de la douleur qui fait effraction dans le corps imaginaire. Ce qui renvoie à J.M. Forget dans son article les phobies, lalangue, le langage et la parole: «en regard de la défaillance symbolique et du lien métonymique, surgit l’angoisse et une représentation imaginaire corrélée à l’angoisse. Il n’y a pas de métaphore pour rendre compte de l’objet perdu du fait de la parole, ni du réel qui surgit, le sujet est désemparé. Cette défaillance de la métaphore rend le réel impossible à symboliser et se révèle par l’angoisse . C’est en cela que la phobie est une maladie de l’imaginaire»[9]. Ce qui peut surgir dans le Réel comme menace de mort n’est pas forcément dialectisable et peut faire trauma ; il ne faut pas confondre phobie et peur de l’automatisme de répétition, dit C. Melman. Suite à ce déclenchement soudain, la peur de devenir paralysé s’installe chez M., il ne peut plus rester seul, la moindre douleur provoque l’angoisse et la crise de panique surgit.

 

Lors de la 2ème séance, il dira : « c’est comme si je pouvais pas oublier, je fais autre chose pour pas y penser mais ça revient. Avec ce problème au genou, j’ai du prendre conscience que ça pouvait arriver ». On ne peut mieux dire que quelque chose a fait trauma ou une difficulté à refouler mais pourquoi ? Est ce une défaillance du refoulement originaire qui comme on le sait est nécessaire à la mise en place de la métaphore paternelle ? Dès le 3ème entretien, la peur de devenir paralysé s’estompe mais il devient agité, s’énerve très vite, s’entête et ne supporte rien; Ce dont se plaignent ses parents. Son père confie : « pour qu’il se calme, il faut que je m’énerve, il faut y aller à la criante ». Il donne en exemple le dernier « caprice » de M. qui voulait  aller revoir le film « les intouchables » avec un copain à l’exclusion de sa sœur (ce film  met en scène un handicapé moteur et un jeune homme « des quartiers » comme il se dit à Marseille, il y est aussi question de la sexualité d’un homme qui a perdu l’usage de ses jambes). Ce que le père prend pour un « caprice » est à considérer comme une mise en acte de M., qui sans doute, par l’image, veut tenter de symboliser quelque chose voire tenter une recherche identitaire. Lors de ce même entretien, M. dira « je pense plus trop au truc, …… c’est juste la douleur, dès que je pense à rien, j’oublie tout, dès que je fais rien j’ai mal. Peut-être qu’avec l’annonce de cet Osgood, tout s’est chamboulé dans ma tête ». Le refoulement semble enfin opérer et l’angoisse céder ce qui vérifie que c’est l’angoisse qui provoque le refoulement. L’angoisse appelle le refoulement mais ne le réalise pas toujours, il semble qu’aujourd’hui, cette opération ne se fait pas sans mal. Pourquoi M. a t-il tant de mal à refouler ? Pourquoi la douleur fait-elle trauma ? Pour remplacer le foot, il se met à faire du vélo car dit-il, « dès que je fais du vélo, ça me fait pas mal ». Lors d’une fin de séance, il entend de la bouche de son père qu’il avait renoncé à faire du foot à son âge car le niveau devenait trop élevé pour lui. Expression d’une castration assumée par le père.

 

La fois suivante, M. s’est coupé profondément 2 doigts de la main en rangeant son vélo – ce qui lui a valu une nouvelle venue aux urgences !! Puis, il a refait une crise de panique: pendant la nuit son pansement au doigt est tombé, il a réveillé toute la maison pour qu’on le lui refasse car il avait mal et très peur que « ça ne marche plus » car il ne pouvait plus plier son doigt (il est passé des jambes aux doigts). Quelque chose semble passer dans le symbolique : on passe de la peur de la paralysie à la peur que « ça ne marche plus » mais cela reste problématique. Au fil de l’entretien alors que je m’étonne de cet accident, il l’associe à un autre accident survenu alors qu’il avait 2 ans ; il s’était « claqué le doigt à la porte ». Puis, il se remémore d’autres nombreuses fois où il s’est blessé (il est tombé sur la tête, s’est cassé le bras, s’est « coupé »). Ces accidents à répétition mettent en scène une chute et/ou une coupure (donc une blessure réelle) qui semblent indiquer que les registres du réel et de l’imaginaire prévalent sur le symbolique. Il y aurait déplacement de l’angoisse de castration sur une paralysie imaginaire à partir d’une blessure réelle. L’opération de la castration s’exerce dans le registre de l’imaginaire comme l’a avancé Ch. Melman pour le phobique. La séance suivante, je lui propose de revenir sur son expérience avec la douleur. Il se rappelle alors un autre accident survenu à 5 ans, il venait de « jouer à la bagarre » avec son cousin avec un bâton, il avait lâché le bâton, un chien lui a couru après et lui a mordu le bras. A partir du bâton, nous remontons au pénis puis à la masturbation et il me dira qu’entre 10 et 11 ans, il s’interrogeait : « pourquoi il grandit pas ?», sans que cela provoque d’angoisse précise t-il, puis il avait « oublié ». Cette formulation n’est pas sans rappeler le « penisneid » féminin. A partir d’une formulation disant que ses parents étaient « pareils », il est amené à parler de la différence des sexes et de ses théories sexuelles infantiles, « quand j’étais petit, je croyais qu’ils plantaient une graine et qu’on venait au monde », à présent il sait que les parents « font l’amour » et la question du pénis est venue  s’y articuler quand je lui ai proposé un peu crûment :  « c’est pas avec les jambes qu’on fait des bébés ni avec les doigts ». Est-ce qu’en intervenant de la sorte je n’ai pas retravaillé avec M. sa névrose infantile, son réel sexuel ? Ce réel sexuel étant ce qui aurait fait trauma pour lui, mais n’est-ce pas toujours un peu le cas ? Lors des entretiens suivants, il a pu parler du fait de devenir un homme et peu de temps après, les séances ont cessé, il n’avait plus d’angoisses ni de peur de la paralysie, son comportement à la maison avait changé et il était bien décidé à attendre patiemment la guérison de cet Osgood. De son côté, la mère a du se rendre à l’évidence, son fils n’était plus un petit garçon, elle a cessé de le garder dans son lit avec elle, de « s’énerver après lui » et a laissé son père intervenir davantage dans son éducation..

Toute  la question a été pour moi de savoir si ce qui s’est joué pour ce garçon relève d’une phobie au sens d’une structure en lien avec la Nouvelle Economie Psychique ou s’il s’agit d’un symptôme phobique surgi dans un temps de structuration hystérique voire d’un symptôme hystérique ? Ce qui paraît étrange, pour une phobie « ordinaire », c’est tout d’abord son âge, 12 ans, et le fait que la situation  phobogène porte sur le corps propre, ce qui évoque un rapport particulier à l’imaginaire et donc au corps  sans que l’on puisse parler de conversion puisque l’atteinte organique est bien réelle ainsi que la douleur et qu’il n’y a pas de paralysie fonctionnelle. Pourrait-on parler d’un imaginaire non spéculaire quant à son rapport au corps ? Il semble que pour M., les jambes aient fonctionné comme substitut de l’objet  symbolique (jambes/phallus) dans le registre imaginaire. Ce qu’évoque le fait qu’il dise «avec les jambes on fait tout ». Puis le signifiant phallique est passé des jambes aux doigts ! La paralysie serait une métaphore (imaginarisation ?) de la castration, la douleur ou la blessure son signe réel et les jambes et les doigts une métonymie du phallus. Peut-on ici parler de maladie de l’imaginaire ? Il semble que oui, la question de l’espace à travers celle du regard y est également convoquée. Ses angoisses ont cédé après qu’il ait revu sa  théorie sexuelle infantile et qu’il se soit positionné dans la différence des sexes. Qu’en est-il de son fantasme et de son identification sexuée ? Pour suivre Ch. Melman, il y aurait chez M. un défaut de « tribut symbolique » payé au grand Autre c’est à dire que son identification sexuée serait mal assurée :  « l’accès d’angoisse est organisé autour de ce qui serait une invitation de l’Autre à la castration, mais dans une situation où le parlêtre s’y sent livré sans que rien ne puisse faire limite et puisse garantir symboliquement que le prix serait payé une bonne fois »[10]. Si pour M., grâce aux entretiens, le pénis semble venir trouver sa place dans la relation sexuelle et qu’il repère bien que le comportement des copains est déterminé par les filles, il lui reste sans doute encore à écrire la formule de son fantasme pour accéder au désir et se déplacer de la place de phallus imaginaire de sa mère.

Une transmission de la phobie mère-fille :

 

Deuxième exemple : une phobie « transitoire » dans le très banal contexte de l’arrivée d’un petit frère. Ce qui renvoie à une problématique de  délogement de la place de phallus imaginaire qui ne peut avoir une fin heureuse que si le phallus symbolique prend le relais. Ce qui dans cette situation de migration est rendu difficile par des faits de structure et non des faits culturels même si ceux-ci existent. C’est aussi un cas de transmission mère/fille de la phobie. Il s’agit de Nassima, une petite fille de 6 ans d’origine comorienne et malgache dont la mère déclare à son arrivée aux urgences que depuis une semaine, après qu’elle ait été piquée par un « insecte », elle refuse de dormir seule, a peur de « se faire piquer  partout » et notamment que des « insectes entrent dans son pantalon ». Elle  a maigri, se gratte et essaie de chasser des insectes qui n’existent pas dit sa mère. Les internes disent que Nassima se plaint d’entendre des bruits qui bougent dans sa tête. Les pédiatres inquiets prescrivent diverses investigations médicales qui ne révèlent rien et me l’adressent.

 

La mère, lors du premier entretien, précise que tout s’est déclenché il y a environ une semaine quand  Nassima  a vu un cafard sortir de sa manche de pyjama. Nassima pour sa part ajoute qu’elle a peur qu’un cafard lui « vienne dessus », elle n’évoque pas une piqûre ni d’hallucinations. Le signifiant « se faire piquer » semble appartenir à la mère et ce qui est un insecte pour elle est un cafard pour Nassima. La mère parle bien le français avec assez peu de fautes de syntaxe et une bonne richesse lexicale, elle parle comorien à sa fille dans le privé, il semble que la frontière privée/public passe par la langue. Selon elle, Nassima a peur de « se faire piquer » et de ce qui pourrait entrer et sortir de son pantalon. Comment l’entendre ? Elle raconte  qu’aux Comores, elle même a été « donnée » à sa naissance à sa « cousine », (la fille de la sœur de son père) qui ne pouvait pas avoir d’enfant. Cela avait été convenu ainsi entre la mère biologique, le père et sa nièce et elle n’a su qu’à 10 ans que celle qu’elle considérait comme sa mère était en fait sa cousine et la nièce de son père. Dans sa façon de le dire, et à son insu, elle se donne à entendre comme enfant incestueux. Notons au passage que cela est imaginaire car elle est tout de même le produit de la sexualité entre son père et sa mère biologiques. Mais la dimension symbolique de don du phallus est masquée par la portée incestueuse imaginaire de ce don qui ne revêt pas un statut officiel d’adoption avec mère porteuse par exemple. La peur de « se faire piquer » est celle de la maman qui est sans doute à entendre comme métonymie de l’inceste imaginaire. Portée incestueuse imaginaire qui a dû rendre difficile pour cette femme le passage du phallus imaginaire au phallus symbolique.  Cette femme dit que ce qui lui a permis de se construire, c’est l’amour que lui a donné la femme qui l’a élevée et celui qu’elle a éprouvé pour elle ce qui bien sûr a encore renforcé la dimension imaginaire. Quand celle-ci est décédée, ses résultats scolaires se sont brusquement effondrés alors qu’auparavant, elle était une excellente élève. En disant cela, elle réalise que c’est sans doute la raison pour laquelle elle est très exigeante envers Nassima dont elle attend qu’elle obtienne les résultats scolaires qu’elle même n’a plus obtenus après le décès de celle qu’elle considérait comme sa mère. C’est pour cela qu’elle « veut la forcer à comprendre ». Cela ne laisse pas beaucoup de place à Nassima pour advenir à son désir. A l’adolescence, cette femme  a ensuite été envoyée en France par la famille pour se marier avec un homme dont elle a eu d’abord 2 filles, dont Nassima, qui est l’aînée, puis un petit garçon. Elle parle de cet homme comme d’un étranger dont le seul mérite est justement de lui avoir « donné » des enfants.  Elle a toujours peur qu’il lui arrive quelque chose et que ses enfants soient confiés à d’autres. Je propose : « vous avez  peur qu’on vous les pique ? », ce que la mère a entendu. La maman relate que Nassima avait très peur que sa maman meure lors de l’accouchement ou que le petit frère meure. Au fil des entretiens avec Nassima, ces peurs se sont données à entendre comme reliées à des vœux de mort à l’encontre du bébé mâle à venir. Nassima est très sollicitée par sa mère pour s’occuper du bébé, la transformant ainsi en « petite maman » ce qui sans doute l’englue dans une identification au désir de l’Autre. Au fil des entretiens, Nassima me raconte qu’il y a quelques temps, sa maîtresse à l’école gardait des insectes dans un bocal dont elle n’avait, semble t-il, pas du tout peur. Nassima dit qu’il s’agit de « femmses ». Fasse à mon incompréhension et à  ma demande, elle dessine cet insecte et j’y reconnais des phasmes. Elle se rend compte de la similitude entre les traits qui figurent ce « phasme » et ceux qui figurent un bébé, voire le lit sur lequel sa mère dort ou a accouché. A cette occasion, elle posera des mots sur la naissance de ce petit garçon et sur la différence des sexes. Quelque temps après, sa phobie des cafards/insectes/inceste tombe et elle reprend une vie normale. Concernant ce qui semblait être des hallucinations d’insectes/inceste on peut se demander s’il ne s’agissait pas de l’imaginaire maternel à moins que l’inceste imaginaire dont est issue la mère ait fini par faire retour dans le réel de la fillette.

 

Pour Nassima, le cafard comme signifiant à tout faire qui lui vient dessus, sort de ou entre dans son pantalon est une représentation tout autant de l’enfant, du phallus que de la mort. Il témoigne du surgissement d’un réel impossible à symboliser; est-ce celui de l’inceste imaginaire dont la mère serait issue ou tout simplement celui de l’enfant mâle surgi alors qu’aucune différence des sexes n’était symbolisée ? « La référence faite par le phobique à l’animal phobogène permet un rapport au phallus, sans qu’il induise de différence des sexes »[11]. On peut noter que Nassima n’a développé aucune phobie à la naissance de sa petite sœur survenue un an auparavant. Est ce qu’aucune théorie sexuelle ne lui a permis de symboliser l’arrivée de ce petit frère et ce en lien avec les signifiants des théories sexuelles incestueuses de la maman et avec la défaillance de la fonction paternelle pour elle? Ou alors, cette phobie serait-elle plutôt l’expression d’une pseudo filiation mère fille comme défense contre l’inceste imaginaire. La phobie d’inceste/insecte de  la mère se traduisant par une phobie des cafards chez la fille. Si comme l’a avancé Lacan, « la phobie est un moment de passage de la relation imaginaire avec la mère autour du phallus, au jeu de la castration dans la relation avec le père », on conçoit que pour Nassima, cela ne se fasse pas sans peine : il s’agit de se désengluer de la difficulté de sa mère à symboliser un double renoncement à la mère, à la fois réel et imaginaire du fait de la portée incestueuse imaginaire du don réel et symbolique dont elle a été l’objet. De façon très lacanienne, il semble que pour Nassima, l’objet phobique réalise bien une substitution à la question phallique comme fonction de suppléance à la fonction paternelle.

 

Qu’en est-il de la question de l’espace pour Nassima ? La mère raconte qu’avant que se déclare cette phobie des cafards, Nassima avait déjà peur de se perdre lors d’une fête et  avait aussi peur de prendre l’avion. Les fêtes auxquelles assistent Nassima se passent dans de grands espaces et réunissent beaucoup de personnes, pas forcément connues. Les enfants n’y sont plus vraiment sous surveillance, la mère peut les perdre de vue.  Concernant l’avion, notons que pour un comorien, si c’est très couramment le signifiant de l’espoir d’une meilleure vie en France ou dans l’autre sens,  de la joie de revoir sa famille aux Comores, c’est aussi le signifiant de la séparation (choc culturel,  retour forcé au pays, mariage arrangé, mort). L’avion c’est aussi ce qui permet de passer de l’espace France à celui des Comores, c’est l’objet réel qui permet de franchir la frontière entre deux mondes régis par des logiques symboliques différentes. Dans D’un autre à l’Autre, Lacan dit « ce dont il s’agit dans la phobie, c’est bien de l’étude de la frontière, de la limite entre l’Imaginaire et le Symbolique , c’est là que tout se joue ». Les cafards dont Nassima a peur surgissent du bord de son pyjama, posant ainsi la question de la frontière. Mais laquelle ? Celle entre les Comores et la France ou celle entre l’imaginaire et le symbolique ? Si la phobie peut être considérée comme une plaque tournante, on peut se demander si Nassima aura le choix de la structure à l’âge adulte, la phobie étant une voie sans doute toute tracée pour elle.

 

 

 


[1] Psychologue-Psychanalyste

[2] Ch. Melman, La nouvelle économie psychique, La façon de penser et de jouir aujourd’hui, Toulouse, ed. érès, 2009

 

[3] Jean-Marie Forget, les phobies, lalangue, le langage et la parole, article paru sur le site de l’association lacanienne internationale, www.freud-lacan.com

[4] Argument des journées de l’ALI, Evitements, phobies, et angoisses des 10 et11 décembre 2011, Paris

[5] Colette Brini, Evitements, angoisse, phobies, intervention faite lors des journées de l’ALI, Evitements, phobies, et angoisses des 10 et11 décembre 2011, Paris

[6] Colette Brini, Evitements, angoisse, phobies, intervention faite lors des journées de l’ALI, Evitements, phobies, et angoisses des 10 et11 décembre 2011, Paris

[7] Ch. Melman, le Nœud phobique, in La phobie, Bibliothèque du trimestre psychanalytique, publication de l’association freudienne

[8] Colette Brini, Evitements, angoisse, phobies, intervention faite lors des journées de l’ALI, Evitements, phobies, et angoisses des 10 et11 décembre 2011, Paris

[9] Jean-Marie Forget, les phobies, lalangue, le langage et la parole, article paru sur le site de l’association lacanienne internationale, www.freud-lacan.com

[10] Charles Melman, le nouage borroméen dans  la phobie, in La phobie, Bibliothèque du trimestre psychanalytique, publication de l’association freudienne internationale

 

 

 

 

[11] Ch. Melman, le Nœud phobique, in La phobie, Bibliothèque du trimestre psychanalytique, publication de l’association freudienne

 

Leçon I du séminaire « Le sinthome » par Catherine Prudhomme

Cette première leçon fait le lien entre le travail en devenir dans le séminaire, soit les pistes que Lacan va emprunter, et le travail effectué dans le dernier séminaire R.S.I. qui se poursuit ici : Le symptôme, dans la triade Inhibition, Symptôme, Angoisse, localisé dans le nœud borroméen entre Symbolique et Réel, les trois nominations, seule la nomination symbolique sera reprise, et le nouage par le Nom du Père.

L’écriture du mot sinthome montre d’emblée le lien entre :

– L’écriture de Joyce et le rôle qu’elle a tenu dans sa structure, soit la fonction de l’écriture pour Joyce. L’écriture comme un effet du dit, du langage.

– et L’écriture de Lacan, écriture du nœud borroméen, élaboré à partir de sa pratique analytique, écriture primaire qui appelle un dit.

Lacan dit helléniser sa lalangue pour réinventer ce mot sinthome en fait ancienne graphie du symptôme, passage dû à Rabelais, sous tendu par la  science, la médecine. Cette nouvelle graphie sinthome fait apparaitre la chute (ptôme), le sin, la faute, au cœur de l’œuvre de Joyce ainsi que la nomination le saint homme en référence à l’admiration qu’avait Joyce pour saint thomas d’Aquin, sous la forme d’une discussion que l’on retrouve dans Portrait de l’artiste en jeune homme, autour de la claritas et du beau. Cette nomination de Joyce en Saint Homme éclaire cette identification à son symptôme que Lacan met en évidence dans le titre de sa conférence « Joyce le symptôme ».

L’écriture de Joyce, celle d’Ulysse et de Finnegans wake, par l’intermédiaire de la langue anglaise et non sa lalangue gaélique,  joue sur la langue, les langues, les homophonies, allant du sens au hors sens, devenant quasi illisible sinon à la lecture à haute  voix, jouissance à ciel ouvert. La langue pour Joyce n’a pas trouvé à s’ordonner dans le régime du Père dont c’est pourtant la mission celle de délivrer un sens, la jouis-sens phallique, à la langue. Mais cette langue a été recrée d’une certaine façon, ce devoir auquel Joyce se tient comme il l’exprime à la fin du Portrait, point de bascule vers une écriture plus singulière, «Je pars rencontrer la réalité de l’expérience et façonner dans la forge de mon âme  l’esprit incréé de ma race ». De renouer sa lalangue à sa langue cela amène son écriture qui fait tenir sa structure.

Avec le nœud borroméen, ce n’est pas seulement la parole qui a une fonction chez le sujet, ce nœud intéresse la manière par laquelle un sujet s’accommode de l’existence du langage. Lacan a promu le concept de parlêtre à la place du sujet dès lors qu’il ne repère plus celui-ci de la seule articulation du signifiant mais de l’articulation du nouage du Réel, Symbolique ,Imaginaire .Dans les névroses, cette articulation s’organise par un nouage entre les trois registres enserrant un trou, le nœud est borroméen, mais à la fin du séminaire R.S.I.lacan  introduit le Nom du Père pour renforcer ce nouage toujours borroméen. Ce nouage est différent dans les psychoses, soit d’une part, par la mise en continuité des trois registres : le nœud de trèfle, soit d’autre part, par l’impossibilité pour l’un de ces registres de se lier aux autres, donc ratage du nœud. Chez Joyce, la possibilité d’existence d’un symptôme psychotique a permis à Lacan de souligner que le rond de l’imaginaire ne se nouait pas aux ronds du symbolique et du réel. Par contre, l’absence avérée du développement d’un délire psychotique et l’originalité de l’écriture de Joyce amènent Lacan à considérer que l’écriture comme œuvre d’art avait une fonction particulière dans ce nouage ; elle ferait tenir les trois R.S.I. à la condition d’un quatrième rond. Mais ce nouage à quatre sera –t-il encore borroméen ,et le sinthome sera-t-il  le nom de ce quatrième rond ou bien le nom de cette équivalence du nom du père et du symptôme , ou bien encore le nom de cette identification au symptôme ? Pour Joyce, mal structuré sur du trois, dont l’imaginaire fuit de façon indépendante et qui agit en son insu, son écriture, création d’un objet condensateur de jouissance, son sinthôme, va consolider ce nouage lui permettant d’en faire un usage logique. Lacan parle de lapsus du nœud chez Joyce.

En ce début de séminaire, Lacan revient sur la nomination : «La nature ne se spécifie que d’être un potpourri de hors nature. » Elle est donc nommée c’est-à-dire appartenant aux trois registres R.S.I. L’unité du corps vivant le UN n’est plus supporté par la seule image et opération symbolique du passage par le A mais des trois dimensions, le réel participant de l’animation du corps vivant. Ainsi le parlêtre est donc ce passage relatif à un déplacement du sujet du signifiant au corps parlant. Ceci impliquant d’une part que le Un n’existe pas dans la nature, autrement dit qu’il  il n’y a pas de rapport naturellement sexuel, et d’autre part que pour comprendre le clivage entre nature et chaos, il nous faut saisir en quoi une part de réel est informé par le symbolique alors, qu’une autre part ne reçoit aucune information. Dans le séminaire R.S.I, « On ne remarque pas que l’idée  créationniste du fiat lux inaugural n’est pas une nomination. Que du symbolique surgisse le réel c’est ça l’idée de la création, n’a rien à faire avec le fait que dans un temps second, un nom soit donné. »

Ainsi dans la clôture des journées d’avril 75, « c’est à ce niveau qu’intervient la distinction du trou de l’urverdräng (non pas fiat lux mais fiat trou) et la nomination de ce trou. » Cela amène la question de la différence entre ce que Lacan nomme nomination symbolique où il repère l’activité de nomination par laquelle un nom est donné, par Adam, à chacun des animaux, et la nomination du réel qu’il impute au père nommant, ce dans R.S.I.

Lacan reprend   cette nomination   en pastichant Joyce dans Ulysse.  Joyce lequel par le nom de Joyce va nommer son père. Dieu charge Adam (jeu avec la dame chez Joyce) de nommer. Mais cette nomination ne peut se faire que dans lalangue, « l’Evie », Eve étant la première personne qui se sert de la langue pour parler au serpent, le serre-fesse, faille, phallus pour faire un faux-pas. La faute, sin du sintome, de la femme sera attribuée par Joyce à la femme, soit une autre façon de la désigner. La faute, le péché, sin du sinthome contre lequel Stephen règle sa conduite face à la défaillance du père. Donc il y a jeu entre la nomination et le jeu des signifiants A barré pour que ne cesse pas la faille. Le symptôme, comme on l’a vu antérieurement est  ce qui ne cesse pas de s’écrire. Pour Joyce, il en va un peu différement,ce que Lacan décrit en reprenant  la proposition logique « ce qui cesse de s’écrire » modalité du possible, Lacan  dit «  il faut y mettre la virgule , une petite verge  », ce que désigne la latin virgula, «  qui joue comme coupure, comme cesse de la castration. » Le sinthome. Le sinthome est une nomination, réponse au défaut d’un Autre du nom. C’est en raison de sa fonction connectrice  partagée du Nom du Père, réduit à sa fonction de nomination et du symptôme que Lacan peut finalement faire équivaloir le père et le symptôme, d’où l’équivalence sémantique entre symptôme et saint homme dont se fonde le terme de sinthome.

Mais note Lacan, pour Joyce la position de la femme, liée à la faute, serait une position d’exception particulière, non pas pas-toute, le pas tout écarté de la logique aristotélicienne mais plutôt du côté de « mais pas ça ».Le tout mais pas ça, de Socrate qui se voulant dans cette position d’exception donc immortelle, ne veut pas que sa femme vienne assister à sa mort. « Le mais pas ça, c’est ce que j’introduis sous mon titre de cette année le sinthome » faisant apparaitre que pour Joyce le sinthome pourrait faire exister le rapport sexuel. Cela ouvre des conséquences importantes :  jusque-là quand Lacan disait la femme est le symptôme de l’homme, cela conservait cet impossible du rapport sexuel sous tendu par : La femme n’existe pas et elle n’est pas-toute dans le rapport phallique.

Le sinthome apparait comme une construction  par le travail d’écriture de Joyce, entre le sinthome madaquin et le sint’home rule, du religieux au politique, comme un choix, un autre rapport à la Vérité, une hérésie. Hérétique du Nom du Père mais soumettant son hérésie à L’Autre. Il faut en passer par l’Autre pour qu’il y ait réalisation du sinthome, Lacan parle d’une soumission à la confirmation de l’Autre. « La bonne façon est celle qui, d’avoir bien reconnu la nature du sinthome, ne se prive pas d’en user logiquement c’est-à-dire d’en user jusqu’à atteindre son réel, au bout de quoi il n’a plus soif. »

Le symptôme de Joyce crée artificiellement un Nom-du Père qui fait défaut, il ne s’agit pas d’une forclusion du Nom-du Père mais d’une autre façon d’atteindre le Réel. Joyce décrit son père comme un père carent : « Etudiant en médecine, champion d’aviron, ténor, acteur amateur,  politicien braillard, petit propriétaire terrien, petit rentier, grand buveur, bon garçon, conteur d’anecdotes, secrétaire de quelqu’un, quelque chose dans une distillerie, percepteur de contributions, banqueroutier et actuellement laudateur de son propre passé ». De même sur sa manière d’être père « je te parle en ami Stephen, jouer les pères rigides ce n’est pas mon genre. Je ne crois pas qu’un fils doive craindre son père. Non je te traite comme ton grand-père me traitait quand j’étais jeune. Nous étions deux frères plutôt que père et fils »

Le sinthome de Joyce est cette suppléance au Père, suppléance du phallus, et Lacan ajoute que comme il avait un phallus un peu lâche, c’est son art qui a suppléé à la fonction phallique, son art comme vrai répondant de son phallus.

Joyce soutient le père, il va être chargé de père, projet qu’il énonce à la fin du livre Le Portrait : « façonner dans la forge de mon âme la conscience incréé de ma race » Joyce se fait un nom lequel soutient le père, et ce qui a fondé son S1 c’est la notoriété de son nom, S1 qui ne tient que par les appuis de l’Imaginaire et du Réel. La particularité de Joyce de son symptôme ou plus précisément sinthome c’est qu’il est le produit d’un art, d’un savoir-faire, l’inconscient n’intervenant pas dans sa fabrication, Lacan dira Joyce est désabonné de l’inconscient. Qu’en est-il alors du S2 ?

Lacan propose de mettre en relation le nœud à quatre et l’inscription dans le discours du Maître.

Lacan revient sur L’imaginaire. L’Imaginaire serait un sac non pas infatué d’un Un mais un sac vide, l’ensemble vide où l’Un trouve son origine dans les mathématiques modernes, c’est le réel qui est ici en jeu.

Chez Joyce l’Imaginaire ne serait lié au symbolique que par le réel. On peut illustrer cela par :

– Le déplacement de L’imaginaire de sens. Dans son écriture le sens évacué, évidé  se déverse au niveau phonologique, donnant du sens décalé, du hors-sens. C’est du niveau de la lettre.

– L’analyse de la scène de la raclée, narration où Stephen coincé contre des barbelés reçoit une raclée de Héron et ses deux amis. Se remémorant la scène, Stephen, dans l’après-coup « se demandait pourquoi il ne portait pas malice à ceux qui l’avait tourmenté. Il n’avait pas oublié un seul détail de leur lâcheté mauvaise, mais leur souvenir n’éveillait en lui aucune colère. Toutes les descriptions d’amour et de haine farouches qu’il avait rencontrée dans les livres lui paraissaient, de ce fait, dépourvues de réalité. Même cette nuit-là, pendant qu’il s’en retournait en titubant par la Jones’road, il avait senti qu’une certaine puissance le dépouillait de cette colère subitement tissée aussi  aisément qu’un fruit se dépouille de sa peau tendre et mûre ». Il n’y a pas morsure du signifiant sur le corps, mais ce n’est pas du côté de la perversion car il n’y a pas trace de jouissance dans le récit, mais il y a écriture.

– Les épiphanies, où la langue est en semi-extériorité. Le signifiant à l’extérieur produit un effet sur le corps. Joyce reçoit ces signifiants pour en faire quelque chose, un écrit. Les sons, fragments sonores qui se détachent de la langue prennent une valeur d’extériorité (scène du réfectoire, de l’infirmerie) de même le regard, ces lettres inscrites sur le bureau, Joyce écrit, il décide d’épiphaniser. Lacan rappelle que les pulsions ne sont que l’écho dans le corps du fait qu’il y ait un dire.

On voit donc là et dans l’écriture de Joyce comment c’est par le réel, réel de la lettre que tiennent ensemble Symbolique et Imaginaire

C’est par l’objet voix que Joyce rejoint ce qui permet à la pulsion de faire le tour du vide, d’en passer par l’Autre avant de revenir, trajet de la pulsion qui permet à Joyce de se faire artiste.

Donc l’imaginaire serait noué mais alors cela implique que S2, lieu du savoir inconscient, non opérationnel chez Joyce, à la place de l’Autre dans le discours du Maître, soit divisé en symbole et sinthome, division qui permet le nouage à quatre.

Le symbolique se trouve divisé entre le symbole qui selon Lacan en remet sur l’imaginaire et un symptôme qui vise le réel.

En citant Pierre-Christophe Cathelineau : « Lacan parle d’une division du savoir qui coïnciderait avec celle du symbole et du symptôme. Il est plausible d’y reconnaître  la division qu’institue la pensée médiévale entre les vérités de Foi et les vérités de raison, celles qu’on accepte et celles qu’on démontre. C’est le nouage de ces deux savoirs en une seule tresse, qui constitue la division du symbole et du symptôme. Le rond est successivement appelé sinthome ou symptôme. Lacan le désigne comme une version du Père, une père-version. Sans doute, il y a une différence entre la révélation comme savoir et le savoir rationnel qui répond à cette révélation par le Saint Homme (Saint Thomas). Ainsi le Saint Homme apparait-il à la frontière de la Trinité chrétienne pour en faire tenir par la raison les trois dimensions, en y ajoutant une quatrième, celle du sinthome. C’est du moins l’assertion que je souhaite soutenir. »

« En quoi l’art, l’artisanat peut-il déjouer ce qui s’impose du symptôme ? – à savoir la vérité ». Lacan reprend le discours du maître, où la vérité est la division subjective du sujet. Cette vérité est déjouée par cet artifice qu’est l’art. Joyce soutient le père et déjoue par cette suppléance la vérité de la faillite paternelle. Symptôme et symbole ne forme qu’un faux trou, cela s’entend par le fait que le symbole que propose l’artiste, c’est son symptôme, identifiable à son œuvre, donc selon Lacan Joyce en rajouterait sur S1 et déjouerait la vérité de sa division à travers la production de son œuvre, l’artiste avec son œuvre illustre son nom.

Le mythème du nœud borroméen : Récit et hérésie Commentaire sur le séminaire de Jacques Lacan RSI par Isabelle DHONTE – Paris le 30 août 2012

Le titre de mon intervention, peu orthodoxe, met en avant la difficulté que j’ai rencontrée à me saisir du nœud borroméen sans me référer aux théories de FREUD sur les pulsions et à quelques autres séminaires de LACAN qui précèdent celui-ci.

 

Nous savons que ce séminaire  chamboule les concepts, ce à quoi LACAN nous a habitués, mais il va plus loin. Nous assistons à une nouvelle mise en perspective de la clinique.

En effet, LACAN taille dans tout ce qui constituerait un savoir : «  parce que ce n’est pas ça ! ».

 

Avec le nœud borroméen, la clinique de LACAN s’appuie, me semble-t-il, sur une clinique d’articulations et de mouvements propre aux pulsions : pulsions de vie et pulsions de mort.

Il renoue avec ce que FREUD avait appelé dans Inhibition, symptôme, angoisse « l’alliage des pulsions».

 

C’est ainsi que je poserai une hypothèse de lecture :

La mise à plat du nœud borroméen permet une écriture qui est celle de la mise en fonction de la pulsion.

La pulsion s’y inscrit dans le paradoxe fondamental  du discours de l’analyste.

Ce paradoxe est pour LACAN le rapport à l’ek-sistence d’un parlêtre.

 

Dans une première partie, je vais reprendre certains points qui, pour moi, explicitent  le nœud dans la leçon IV du 21 janvier 1975 (p. 56) puis, j’indiquerai sur ce nœud comment son nouage relève du discours de l’analyste. Ce sera la seconde partie.

 

Un préalable.

 

Pourquoi dire : «  la mise en fonction de la pulsion » et non pas la mise en fonction de la jouissance puisque LACAN n’inscrit pas explicitement la pulsion ?

 

Rappelons-nous que c’est à partir d’une demande dans l’analyse que LACAN s’empare du nœud borroméen et ce, avec une jubilation qu’il ne cache pas. C’est le point de départ.

Vous connaissez, cette formule qu’il propose en 3 temps qui sont 3 mouvements en apparence contradictoire ;

–          je te demande

–          de me refuser

–          ce que je t’offre

Nous avons là, l’amour ou l’a-mur, c’est-à-dire l’amour affiché du symptôme, un symptôme inscrit dans le marbre en quelque sorte. En effet, que vient offrir l’analysant dans l’analyse si ce n’est son symptôme ?

 

Quand il reprend cette formule, dans le séminaire Encore, LACAN insiste sur ce qu’il a d’abord, laissé de côté : Je te demande de me refuser ce que je t’offre … parce que ce n’est pas ça !  Quatrième temps : parce que ce n’est pas ça ! C’est un cri en même temps qu’une objection. C’est un cri qui objecte. Ce cri, vous m’accorderez qu’il ne peut être que de l’ordre d’une pulsion. LACAN exprime les choses ainsi :

« Ce n’est pas ça ! C’est le cri par où se distingue la jouissance obtenue de celle attendue ». Il y a là une distance de structure dans la jouissance.

« C’est là, nous dit Lacan, où la répétition fait loi, là où se situe la dit-mension freudienne ».

C’est alors, et donc à partir de ce cri que Lacan corrige et complète la traduction de Trieb, pulsion, non seulement par dérive, suivant en cela la traduction anglaise drive, mais par dérive de la jouissance.

 

« La dérive de la jouissance » voilà comment se couplent la pulsion et la jouissance.

 

Nous pouvons entendre deux sens désormais classiques depuis le séminaire Les Non-dupes errent.

D’abord, le sens de la dérive de ce qui « erre », qui quitte la rive ou ses rivets. C’est une poussée par rapport à un, ou, à des points fixes qu’on peut supposer être l’implication d’un père, figure des limites qu’impose l’interdit. Dans ce séminaire, LACAN rappelle cette erre ou cette dérive.

 

Dans une logique signifiante, le second sens de dérive, en prolongeant la métaphore marine : une dérive donne une certaine stabilité dans la conduite. En anglais on dit « conduire », drive, une voiture.

 

Il y a un double sens et un double mouvement : Pousser et être poussé, conduire et être conduit. Nous retrouvons la problématique du sujet de l’inconscient. « Ça ne va pas », on n’a pas la maîtrise mais cela nous tient… et on y tient !

 

Il semble qu’il y ait une erreur dans la leçon X (du 15 avril 75), l’anglais ne traduit pas Trieb par instinct. Dans L’Ethique, LACAN s’appuyait, déjà, sur la traduction anglaise drive.

Page 154 il faudrait lire « l’instinct, comme on s’obstine à traduire de (en) l’anglais le mot Trieb ». Les anglais ne sont pas fautifs sur ce point.

 

Peut-être est-ce un lapsus de LACAN puisque dans cette même leçon X, il réaffirme que quand bien même on traduirait par instinct: « l’instinct veut dire ceci, dit-il, c’est qu’il a fallu qu’on aille à du réel pour avoir un pressentiment de l’inconscient ». Aller à du réel : nous avons ce mouvement qui nous pousse vers les limites de l’inconscient.

Il ajoute « Et au sens où corps veut dire consistance, l’inconscient dans une pratique, donne corps à l’instinct».

 

Autrement dit, c’est par la pratique que nous pouvons toucher  ce qu’il en est du corps comme corps pulsionnel ou corps de jouissance.

Nous sommes loin de l’automatisme et de la simplicité que nous attribuons d’ordinaire au terme d’instinct et nous sommes loin d’être guidé naturellement vers la satisfaction de nos besoins. Voilà l’enjeu du conflit dans une analyse.

 

Ce qui nous ramène à nos deux énoncés d’une demande dans une analyse : le premier dans sa si particulière logique traduit la dérive du désir figé de la névrose obsessionnelle tandis que le second « ce n’est pas ça ! » exprime la dérive du désir insatisfait de la névrose hystérique. Il y a, dans ces séquences lorsqu’elles sont supportées par un sujet, à entendre l’angoisse inhibant du symptôme.

 

L’inhibition, le symptôme et l’angoisse, nous pouvons avancer que ce sont des concepts limites liés au concept de pulsion en ce sens qu’ils se situent, aussi, dans cet entre-deux entre psyché et soma. Ce sont des « bords ». Ils apparaissent comme des processus de résistance aux mouvements pulsionnels, des modalités de refoulement ou plus exactement des modalités du retour du refoulé.

 

Dans l’écriture du nœud borroméen que LACAN présente en début de séminaire, il est important de repérer ceci : les cordes que forme ce nœud s’inscrivent et se tracent avec les affects liés aux pulsions. Ces affects enserrent et l’objet et les jouissances dont ils sont le cadre.

 

Si, comme pour nombre de séminaires, LACAN  commence par un commentaire de FREUD, ici,  Inhibition, symptôme, angoisse, ce qui l’est beaucoup moins, c’est qu’il conclut ce séminaire par cette même référence.

 

En toute fin de séminaire, l’inhibition, le symptôme et l’angoisse sont ordonnés, sous l’égide des non-dupent errent (NDP), aux catégories du réel, du symbolique et de l’imaginaire, de la façon la plus claire. Cependant, LACAN opèrera sur le nœud initial un quart de tour vers la gauche de l’ISA., et, décidera de continuer son travail l’année suivante sur ce point essentiel : « la substance à donner au nom du père ». C’est dire que la question sur la dérive de la jouissance ou sur l’erre des non-dupes errent, restera ouverte.

 

Voilà un premier point. La pulsion est dérive de la jouissance. Ces dérives apparaissent sous les affects de l’inhibition, du symptôme et de l’angoisse. Ces dérives ne sont pas errances, elles ont pour cadre les catégories du réel, du symbolique et de l’imaginaire qui se détachent du Nom du Père.

 

La difficulté qui apparaît tout de suite pour notre travail, c’est cette mise en série des concepts sous une forme métonymique : la pulsion est impliquée dans la jouissance, cette jouissance a pour trait l’inhibition, le symptôme ou l’angoisse et les noms du père qualifient cette erre du RSI.

Il y a des livres écrits comme cela qui montrent une évolution des concepts freudiens et lacaniens. Or, ce n’est pas ça ! Ils se superposent, se voilent l’un derrière l’autre, et, y-a de l’un qui en quelque sorte se défausse. Nous verrons comment dans le nouage.

 

En fait, nous devons renoncer à une chaîne métonymique  qui nous amènerait vers un savoir absolu et nous résoudre à ces chemins qui nous lient à nos aspirations. Pour appuyer cela LACAN, peut-être dans une proximité de travail avec Jean WALH (mort en 74), épouse la critique de KIERKEGAARD vis-à-vis d’HEGEL.

 

Si nous nous écartons ainsi définitivement de cette dialectique, pourquoi LACAN n’est-il pas plus explicite quant au rôle des pulsions et de leurs déplacements ? Peut-être parce que, si les effets de la pulsion peuvent être repérables, l’objet central de la pulsion n’est plus le même.

 

Ce pourrait être le récit de la désincarnation de l’objet au-delà de « la passion du corps » (p 61)

 

Ainsi, LACAN recueille l’objet de la pulsion chez FREUD. Comme vous le savez, FREUD y voyait des stades.

LACAN abandonne cette théorie au profit d’un lien intime avec l’altérité. Il isole, d’abord, 4 objets en rapport avec les orifices du corps : le sein, le regard, la voix, les fèces ; ce sont les objets petit a, objet cause du désir.

 

Cette définition de l’objet est l’exemple type de la difficulté rencontrée. Ce n’est pas un hasard si, dans ce séminaire, LACAN s’emploie à souligner l’ambigüité de l’expression. Il ne faut pas entendre cette « définition » dans une succession temporelle. Il y a un retournement. Ce qui est poursuivi dans le désir, est ce qui le cause. « Ce qui cause, cause toujours ». L’objet est-il, en définitive, cause du désir ou cause de la jouissance ? Il y a là un clair-obscur qui est peut-être explicité dans le séminaire Le Transfert.

 

LACAN pointe que le traumatisme de la naissance n’est pas dans la séparation avec la mère mais dans ce qui est voilé par les objets a : une  « aspiration  en soi d’un milieu foncièrement Autre ». Aspiration, c’est-à-dire espoir et engloutissement, désir et jouissance : un alliage.

Cette précision de LACAN nous amène à la lettre comme lieu de cette aspiration.

Nous avons  avec la dés-incarnation de l’objet une désincarnation du corps, un corps affecté par le trou enserré dans le signifiant. Car, la question n’est plus : qui je suis ? Mais comment je pense être ? Il y a, à cet endroit, une faille, un abandon du savoir.

 

Dès lors, pouvons-nous tenir comme principe de sa clinique, cette affirmation de LACAN dans la leçon IV ?

 

«A partir du langage s’inscrit, dit-il, cette abstraction radicale qui est l’objet que j’écris de la figure d’écriture a et dont rien n’est pensable, à ceci près que tout ce qui est sujet, sujet de pensée qu’on imagine être Etre, en est déterminé ». Leçon IV du 21 1 73 p. 61.

 

Paradoxe fondamentale entre ce rien de pensable et ce tout ce qui est sujet de pensée. Différence radicale où se « dé-pense » l’énergie pulsionnelle.

 

Il semble bien que nous ayons franchi un pas essentiel par rapport à l’objet de la pulsion vu par FREUD … et pourtant « ça tourne ! ».

 

Tout d’abord parce que la pulsion est mémorielle. Elle est mémorielle en soi puisqu’elle revient toujours sur ses pas. C’est pourquoi, me semble-t-il, LACAN nous ramène, aussi, sur les chemins de la pulsion. Il est constant dans son approche de l’inconscient comme ce qui se referme. Rien ne s’établit. Il n’y a pas d’inconscient dévoilé. Il n’y a que des ratages qui disent quelque chose de l’inconscient.

 

Qu’il nous suffise de nous rappeler la définition que LACAN donne dans le séminaire Les Quatre concepts de la psychanalyse :

«  La tension de la pulsion est toujours boucle et ne peut être désolidarisée de son retour sur la zone érogène. Son but est d’avoir manqué le coup et donc de pouvoir faire retour en circuit ».

Ces boucles enserrent « cette figure d’écriture » qu’elles visent pour la rater parce que « ce n’est pas ça ». Aspiration et objection.

 

On n’entre pas dans l’analyse par le discours qui serait celui d’un quelconque savoir universitaire sur le symptôme, ni à partir du symptôme comme maître vers une guérison. Le discours de l’analyste c’est autre chose. C’est être au plus près de ce frayage de la jouissance.

 

Dérive de la jouissance, aspiration en soi d’un milieu Autre, voilà les quelques points qu’il m’a paru important d’aborder avant la lecture du nœud borroméen dans la leçon IV. Cela va nous conduire à faire 4 observations.

 

Première observation : le chemin de la pulsion

 

Maintenant, nous pouvons suivre tout simplement ce chemin de la pulsion indiqué par FREUD c’est à dire les croisements et les superpositions entre I.S.A, et, la restructuration opérée par LACAN avec les catégories du réel, de l’imaginaire et du symbolique.

De même nous observons que chaque cercle contourne l’objet, figure de la lettre, pour revenir à la zone érogène du désir. Ces retours entretiennent la jouissance.

Enfin, est très bien indiquée la poussée ou la dérive qui permet ce tournant en « hélice » et ce renversement de la pulsion auquel s’ajoute le possible retournement du nœud devant/ derrière. Ne pourrait-on voir dans cette labilité de la topologie du nœud, cette capacité de la pulsion à se partialiser ? C’est une question.

 

 

Seconde observation : en se jouant des objets a comme voile et dévoilement de cette  aspiration d’un milieu Autre. Ou l’Aletheia de l’Autre.

 

Regardons ce nœud en le projetant en 3 dimensions – comme dans cet emboitement des concepts que nous avons repéré- il se présenterait comme une mise en perspective de 3 triangles, à la manière du prisme d’un kaléidoscope.

 

Les 3 cercles RSI s’inscrivent dans un premier triangle sur un premier plan, puis, les 3 jouissances (2+1 de la jouis-sens) forment un second triangle en arrière plan, et enfin, « la figure d’écriture a » en perspective infinie.

 

Ce serrage en perspective, nous évoque le diaphragme d’un appareil photographique ou de l’iris de l’œil.  C’est le travail d’aller-retour de l’œil et du regard comme dans le tableau des Menines. LACAN évoque ce travail.

 

Si c’est un trou, nous pourrions aussi voir dans ces mouvements contraires de contractions et de relâchements, quelque chose comme les ondes péristaltiques qui se bloquent quand on a l’estomac ou les intestins « noués », comme le disent si bien nos vieilles expressions.

 

Ou au contraire comme le rappelle dans sa clinique des psychoses Marcel CZERMAK : qui est déshabité de ces ondes, n’est plus qu’un tube, un trou sans fond, avec les conséquences de dérèglements corporels qui s’en suivent au niveau de la confusion des orifices et de leur fonction.

 

On peut avoir la gorge nouée, ça coince du côté de l’orifice – orifice vient de ora la bouche – et alors c’est la bouche ou la voix qui sont entravées. Ça ne passe plus, ça ne tourne pas rond ! Ou au contraire, on continue à suçoter ou à mâchonner de façon compulsive.

 

Vous voyez, on y case facilement les objets cause du désir : le regard, la voix, les fèces et le sein. Mais…  «  Ceci n’est pas un corps ! ». Ce sont des trous sur lesquels le parlêtre s’arrime. Il s’arrime sur ce qui se referme !

 

Et LACAN va brandir un dernier objet lié à la détresse vitale et qui est le trou de la mort, objet irreprésentable. Il ne me semble pas que LACAN ait été aussi loin dans ce qui lie les jouissances : pulsion de vie et pulsion de mort.

 

Si nous percevons notre corps comme corps pulsionnel ou corps de jouissance, comment les pulsions s’organisent-elles ? Comment une dysharmonie en soi permet-elle que ça marche ?

 

Pour cela, il faut un champ et un ordre.

Le champ, nous venons de le repérer. Le paradoxe, c’est qu’il s’organise à partir des orifices. C’est le champ de l’imaginaire : ce qui se pense être ou se dé-pense. Mais de quel ordre ça se soutient ? C’est le dire de LACAN à partir de la pratique de l’analyse qui rend compte de la nécessité et de l’ordre d’un nouage.

 

Troisième observation : le nouage et le trou.

 

Le nouage borroméen, LACAN l’opère, dans un premier temps, avec la catégorie du Réel. Le nœud borroméen est-il l’acte par lequel le réel passe dans chaque cercle ? Non. En effet, si la corde du réel passe 2 fois sous le cercle de dessous et 2 fois au-dessus du cercle positionné dessus, il ne passe pas « dans », il ne crochète pas l’un et l’autre ou l’un à l’autre.

 

Mais le réel charrie un certain type de négativité, à savoir que le réel « nait » ou n’est « pas-sans » passer dans les champs de l’imaginaire et du symbolique.

De là, en utilisant le registre juridique : du fait d’être un passant, le réel a une jouissance de passage mais pas la propriété. Il n’a donc pas une qualité supplémentaire. Mais la conséquence de cette jouissance est de valider le recouvrement des 2 premiers cercles par le coinçage.

 

En effet, dès lors que le nouage opère, c’est-à-dire que le R passe, les termes mêmes de RSI changent de « consistance »  puisqu’ils sont affectés par ce passage. Ce sont alors des signifiants, ils ek-sistent à eux-mêmes et aux autres ronds.

On peut dire que le nouage mute le dire du langage.

 

 

Il y a  le réel de l’imaginaire, RI,  le RS, et y aurait-il un R de l’ek-sistence soit le RR ?

Ce dernier est le trou central qui, si les 3 cercles avaient la consistance d’un disque, serait le centre de la plénitude puisqu’ils s’y superposeraient. (Ce serait cette compacité que nous retrouvons chez les psychotiques et à laquelle ils tentent d’échapper.)

Mais, ce n’est pas le cas, même si la tension est bien de venir exécuter cette opération de comblement.

 

Reste la tentation d’y inscrire un « Un » qui se présenterait comme la vérité « Une » et dont se pourvoient la religion, la philosophie et la science.

Je sais bien qu’il y a, là, des élaborations pour y inscrire un impossible mais quand même… Nous voyons que c’est du trou que s’initie le mouvement circulaire des affects, que ce trou est la cause première et inerte du mouvement : Acte pur, Moteur immobile, raison dans la foi…

Je sais bien mais quand même, c’est le lieu d’une aspiration en soi d’un milieu foncièrement Autre : espoir et engloutissement.

 

Quatrième observation : les jouissances

 

Dans la mise à plat, elles sont enserrées 2à2 entre 2 champs « comme » des cercles d’EULER mais ici l’empiètement n’est pas un mélange. Il y a le R sur le S pour la jouissance phallique et le R sous l’I pour la jouissance Autre. Si le nœud pivote, ce qui est sur passe dessous. Cliniquement on peut imaginer que l’angoisse, l’inhibition ou un symptôme peuvent venir accompagner ce mouvement.

Dans le texte de La troisième LACAN dit que l’objet a sépare les jouissances, en effet mais c’est aussi leur lien.

 

Nous voyons dans cette écriture un 3ième terme issu de ce que la jouissance comporte comme cri entre la jouissance attendue et celle obtenue, « ce n’est pas ça ! ». Il y a dans la jouissance le caractère d’une soustraction que vous pouvez appeler privation, frustration ou castration et qui réside dans cet impossible accès à la figure de la lettre.

 

La jouissance est donc à lire avec l’ensemble de la lunule où se place le caractère singulier de la frontière avec la figure de la lettre. C’est là où s’affiche l’a-mur du transfert, c’est-à-dire l’association du corps et de la jouissance dans l’analyse.

 

Ainsi, nous pouvons remarquer :

1) la lunule de la jouissance Autre est formée de l’espace indiqué JA avec comme contre-point cet espace de a. La jouissance émerge d’être barrée de cet accès à l’impossible de a par la barre du Symbolique. Pour l’hystérie cela souligne et redouble le non accès à une vérité dans le langage. « Ce n’est pas ça ! ».

 

2) Tandis que pour la jouissance phallique, c’est la barre de l’imaginaire qui prend cette place de tiers et qui rabat le désir en jouissance. C’est sur cette barre imaginaire où nous pouvons inscrire la phobie du petit Hans. P 40

Rappel ; JA est hors langage et la Jφ est hors corps.

 

3) Pourquoi le sens n’est-il pas dit « jouis-sens » comme cela a toujours été le cas ?

La lunule du sens est identique, dans sa formation, aux autres lunules des jouissances, elle est prise entre S et I et le tiers est le R qui barre l’accès à la trace. C’est important comme repérage pour l’interprétation. Le sens se confronte d’emblée au hors-sens du réel.

 

Dans cette configuration, cette jouis-sens a une place médiane entre le R et l’inconscient.

Alors pour sortir de cette question entre le sens et la jouissance ce serait d’y poser, là, le « ens », l’étant du sujet, son étant qui émerge dans l’énonciation ou l’interprétation.

 

En conclusion :

Comment peut-on placer les 4 termes du discours de l’analyste sur le nœud borroméen?

 

Pour ma part, je poserai en boucle le discours de l’analyste tournant dans le sens de l’aiguille d’une montre :

A partir du centre où je place la figure de la lettre petit a→ sens ; lieu d’un sujet barré→SI (Jφ) séparé de S2 (JA).

 

Cette écriture rend compte du troumatisme de la naissance comme aspiration et de la pulsion comme dérive de la jouissance. Ce sont les traits fondamentaux et nécessaires au mouvement même du discours. Le frayage du discours de l’analyste vient en épouser la structure, il en soutient l’écriture.

 

C’est la clinique quotidienne de la cure. Comment sont reçues les interprétations ? Quels en sont les effets ? Comment ne pas voir la manifestation de ces cordes RSI dans les affects de l’Inhibition, du symptôme ou de l’angoisse ?

 

Dans ce séminaire, LACAN avance ouvertement son dire comme point d’appui. Dès sa première jubilation : Le nœud lui va comme bague au doigt ! dit-il. Tout au long de ce séminaire il inscrit ce « je » : « L’ek-sistence émerge pour que, moi, j’en fasse quelque chose qui s’inscrit autrement… qui se définisse du nœud » p. 96. C’est une clinique lacanienne. LACAN assume cette place puisque à partir de ce dire, cette clinique porte un nom. Mais un nom qu’il interroge pour l’analyse en annonçant pour l’année suivante un travail sur la question de la substance à donner aux NDP.

 

Leçon V du séminaire R.S.I.de Lacan : Lituraterre par Isabelle Heyman (14 mars 2012)

Dès l’introduction du séminaire, Lacan pose la question suivante : d’avoir écrit le discours de l’analyste, qu’est ce que ça a comme effet dans le réel ?

Il pose au début de la V° leçon : « ce que je dis a des effets de sens. »

Il ré évoque, comme dans la leçon précédente, sa rencontre avec « le phénomène Lacan » à savoir les questions qu’on lui pose comme effet du discours qu’il tient.

Il parle de l’heureuse surprise de rencontrer quelque chose qui vous vient de vous.

Il soutient ensuite qu’il n’y a pas de rencontre de ce type avec lalangue anglaise, qui résiste à l’inconscient  et parle de ce qui fait obstacle dans la langue japonaise en se référant au texte «Lituraterre » écrit quatre ans plus tôt.

Je vais m’en tenir au début de la leçon et à ce texte Lituraterre.

Pour aller droit à ce que je vais développer, il est dit dans ce texte que ce qui s’inscrit ce n’est pas du signifiant mais de la lettre. C’est un premier temps pour moi afin de réfléchir à ce qu’élabore Lacan sur les effets, en retour, de la production d’une écriture sur le réel.

Voici comment c’est amené :

Ca débute par une interrogation sur ce que la psychanalyse pourrait bien apporter à la critique littéraire. Rien du côté de la psychobiographie, « il n’y a pas de savoir qui permette de déduire l’œuvre de la biographie » dit Lacan.

Il ne s’agit pas d’aller chercher le refoulé de la littérature, de l’œuvre. Il n’y a pas d’exhaustion possible de l’inconscient.

La critique du texte est chasse gardée du discours universitaire, « soit du savoir mis en usage à partir du semblant » c’est-à-dire à partir du signifiant et pas à partir de la lettre, en m’avançant un peu sur le développement ultérieur du texte.

La psychanalyse est un « savoir en échec » comme il y a des « figures en abîme » dit Lacan, elle ne peut aborder l’œuvre qu’à y montrer son échec.

Ce néologisme de lituraterre  rapproche deux mots d’étymologies distinctes : littoral (litura en latin) et litera la lettre.

En quoi la lettre ferait littoral.

« Entre centre et absence » dit Lacan, « entre savoir et jouissance, il y a un littoral qui ne vire au littéral qu’à ce que ce virage vous puissiez le prendre, le même, à tout instant. »

Il y a à fonder la lettre, sans cesse.

Le littoral consiste en « ce qui pose un domaine tout entier comme faisant à un autre, si vous voulez, frontière, mais justement de ceci, de ce qu’ils n’ont absolument rien de commun, même pas une relation réciproque. »

Pour en venir à situer la lettre par rapport au signifiant, « rien ne permet de confondre la lettre avec le signifiant » dit Lacan, « l’écriture n’est pas l’impression. »

« Entre la jouissance et le savoir la lettre ferait le littoral. »

Elle est l’instrument propre à l’inscription du discours

Comment l’inconscient commande-t-il cette fonction de la lettre ?

Qu’est ce qui du langage appelle le littoral au littéral ? Étant bien entendu que rien ne prouve que la lettre soit première par rapport au signifiant ; elle en est plutôt une conséquence.

Ce qui s’inscrit c’est le ravinement qu’exerce le signifiant sur le corps. C’est du côté de la jouissance. La lettre comme précipitation du signifiant (au sens chimique du terme). Lacan parle de rupture du signifiant et d’inscription dans le réel sous forme de ravinement. C’est ça la lettre. « L’écriture peut être dite dans le réel le ravinement du signifié ».

On a donc une inscription en deux temps : le trait et l’effacement ou ravinement de la trace.

La lettre comme trace de l’effacement, comme rature.

Olivier Grignon reprend ça dans « Le corps des larmes »:

Il appelle ça l’impact du réel du symbolique sur le corps : l’inscription se fait en deux temps. Le premier temps étant du côté de la jouissance de l’impact et le second dans la reconnaissance, l’inscription, la lecture de la trace.

Je le cite : « La jouissance crée la lettre qui, en retour, vient barrer la jouissance ; et dans l’entre-deux, il y a la double fonction de la marque, conductrice de volupté et origine du signifiant. »

Au début du texte Lituraterre, Lacan cite Joyce qui passe de « a letter », une lettre, à « a litter », une ordure. Ce qu’on sait en fin d’analyse dit-il. Je dirais cela ainsi : Ce n’était pas une lettre ce que j’ai déchiffré mais une ordure, la trace d’un ravinement.

La lettre est ainsi à mi chemin entre l’écrit et la parole, c’est ce que Lacan dit dans « L’instance de la lettre dans l’inconscient », elle est dépourvue de sens et se prête ainsi au déchiffrage et non pas au décodage.

D’où l’inscription singulière de la lettre pour chacun, d’où la pluralité des lectures dont aucune n’épuise le sens.

L’écriture, dans le cadre littéraire, de cette inscription singulière de la lettre va avoir des effets en retour sur la langue.

Avec la question du passage des lettres de l’inconscient du sujet à la production d’une œuvre par ce même sujet, là où comme le disait Lacan un peu plus tôt, la psychanalyse se montrait un « savoir en échec ».

Comme autre conséquence, la production d’une nouvelle écriture ouvre à de nouvelles possibilités de déchiffrage, c’est ce que dit Melman dans le livre compagnon du séminaire.

Cela rejoint le propos de Lacan au début du séminaire : quel effet dans le réel de l’écriture du discours de l’analyste ? Et le début de la leçon V où il parle de « l’heureuse surprise de rencontrer quelque chose qui vous vient de vous » à propos du phénomène Lacan et des questions qu’on lui pose comme effet du discours qu’il tient.

Quelque chose fait il retour pour Lacan de l’écriture de ses propres lettres ? Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a dans sa recherche autour de l’écriture de mathèmes successifs, chacun s’enchâssant dans le précédent, une tentative d’écriture de ses propres lettres. Cela culmine dans l’écriture du nœud borroméen qu’il situe hors de tout modèle, hors de l’imaginaire.

Dans la suite de la leçon V, Lacan fait un détour par la langue japonaise et plus précisément la lettre :

Malgré la duplicité de la prononciation et de l’écriture, le jeu et le maniement de l’inconscient ne se font pas.

En me référant toujours à Lituraterre, dans l’écriture japonaise, le caractère a un nom c’est l’« oniomi » et se lit d’une certaine façon c’est le « kouniomi ».

« C’est la lettre et non pas le signifiant qui fait appui de signifiant » dit Lacan. Ce qui change le statut du sujet : le référant fondamental n’est plus seulement le signifiant.

Il y a trop d’appuis dit Lacan.

Il n’y a rien à défendre du refoulé « puisque le refoulé lui-même trouve à se loger de cette référence à la lettre. »

«  Le sujet est divisé comme partout par le langage mais un de ses registres peut se satisfaire de la référence à l’écriture, et l’autre de l’exercice de la parole. »

Il y a une spéciale accentuation du trou qui fait face au symbolique: la jouissance Autre. »

Ce qui mettrait JA du côté de la jouissance de la lettre, du réel de la lettre.

La leçon se poursuit par des considérations sur la reine Victoria et sa jouissance qui a fortement à voir avec la jouissance Autre. C’est une partie qu’a plus particulièrement travaillée Guilaine Chagourin. Puis Lacan en vient à cerner les effets de sens dans le réel question qu’a mise au travail Nathalie Rizzo.

A propos de la langue anglaise : dans « Clartés de tout » de Jean-Claude Milner Ed Verdier 2011 p37 :

« La langue natale de la psychanalyse était la langue allemande. On sait combien Freud a tardé à quitter Vienne ; pendant longtemps j’ai pensé que c’était parce qu’il ne se rendait pas compte de la situation ; je pense aujourd’hui que ses raisons étaient beaucoup plus graves, plus profondes. Il savait qu’en quittant Vienne pour Londres, il amenait la psychanalyse à changer de langue. Que la langue allemande ne soit plus la langue de la psychanalyse, et que ce soit l’anglais. C’était une décision très lourde de conséquences et ces conséquences étaient parfaitement claires à ses yeux. Il les acceptait, contraint et forcé ».

« Quelles conséquences ? Au sortir de la guerre, Lacan écrit un article sur la situation de la psychiatrie qui combattait la tyrannie ; quelques années plus tard il écrit sur la criminologie. A considérer l’ensemble de ces textes, on discerne qu’une question décisive est posée : au nom des nécessités de la guerre contre la tyrannie, la psychiatrie anglaise s’est mise au service de l’appareil d’état ; la psychanalyse devait elle suivre ce chemin ? Devait-elle à son tour se mettre au service, non seulement de l’Etat démocratique, mais de la société démocratique tout entière ? Bientôt la question se poserait aux Etats-Unis, où elle se redoublerait d’une complication supplémentaire : le lien supposé indissoluble entre démocratie et forme-marchandise rassemblant la Grande Bretagne, l’Amérique du Nord et le Commonwealth, tout l’espace de la langue anglaise à ce moment donnerait licence à une demande de plus en plus insistante dont la psychanalyse aurait de plus en plus de mal à se dégager. Demande de service social d’une part et demande de marchandisation d’autre part. Du coup la question de la perpétuation de l’entreprise freudienne était posée ; là est la clé du discours de Rome : la langue allemande était encore marquée par la fracture nazie, la langue anglaise se prêtant au règne de la demande sociale et marchande, se pourrait-il que l’essentiel passe par les langues romanes, et en particulier la langue française ? …  »

 

Intervention de JP Lebrun à Sainte Tulle (Alpes de Hte Provence) le 18 février 2012

Bien bonjour à vous, merci à Claude Rivet et à tous ceux qui l’accompagnent, de m’avoir invité à venir vous parler  des questions qui m’intéressent, et je vous prie un peu de m’excuser parce que j’ai, sans doute venu du Nord, et heureux de découvrir le soleil l’hiver, pris le rhume voire l’état brumeux et une pré-grippe, je n’en sais rien, donc je suis un peu nébuleux, mais j’espère qu’on finira quand même par traverser, comme disait quelqu’un mettez vous vos phares antibrouillards et cela vous aidera aussi

Ecoutez je vous propose de partir d’une anecdote comme ça qui m’est arrivé il y a quelques jours et qui m’a tout à fait intéressé. J’avais invité une collègue qui s’appelle José  Morel Cinq-Mars, qui vient d’écrire un petit ouvrage que je vous conseille d’ailleurs, qui s’appelle « Psy de banlieue », qui est une psychologue clinicienne d’origine canadienne, et qui rend  compte de comment elle travaille en référence à la psychanalyse, et je dirige moi-même depuis maintenant bientôt cinq ans un séminaire que j’appelle la clinique du quotidien, je ne vais pas développer ça, mais c’est un travail avec des gens qui sont dans les situations les plus concrètes possibles,  et voir comment est-ce que, éventuellement, ils pourraient tirer profit de se repérer un peu par les interventions des analystes, et de l’analyste que je suis, qui est présent à cette affaire, et qui les laissent parler des difficultés concrètes auxquelles ils ont affaire, et comme nous fêtons le cinquième anniversaire de ce séminaire, j’avais invité cette collègue, et je lui ai évidemment proposé de donner  un titre, et donc elle va venir et elle m’a donné un titre vraiment surprenant, qui m’a complètement … mince alors ! Elle y avait pensé elle,  bravo ! Son titre, qu’elle me propose «  la psychanalyse ne vaut que mise au service de tous ». Il fallait y penser à celle-là, boum moi  cela m’a scotché ! Il y a une part de vérité là qu’elle tient et qui m’intéresse vivement. Il ne s’agit donc pas entendons nous bien, je ne lui ai pas demandé ce qu’elle va dire mais il faut éliminer cette idée qu’elle allait nous mettre tous sur le divan ! il ne s’agit absolument pas de ça, mais il s’agit plutôt sans doute de rappeler que si la psychanalyse est à la hauteur de sa prétention, elle ne peut quand même se satisfaire d’être cultivée par un groupe d’initiés aussi brillants soient-ils. Elle ne peut non plus se satisfaire d’un jargon, qui aussitôt bien sûr  la réserve aux dits initiés. Simplement parce que pour moi la psychanalyse ça s’adresse, alors c’est encore un peu gonflé si vous le permettez de le dire comme ça, la psychanalyse ça ne sert  à rien d’autres qu’à s’adresser à l’humanité, à l’humain, à ce que c’est que l’humain, à ce que c’est que ces choses banales, puisque nous en faisons tous partie, de l’être humain, c’est-à-dire de notre commune humanité. Et je profite aussi d’un terme que Lacan a aussi utilisé, puisque d’ailleurs il a caractérisé le nom de la collection que je dirige aux éditions Erès depuis quelques années maintenant que j’ai appelé Humus, parce qu’il y a une formule de Lacan où il dit que le savoir, c’est toujours Lacan avec son côté un peu ésotérique dans sa manière de parler,  mais vous allez bien entendre parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, « le savoir par Freud désigné de l’inconscient  c’est ce qu’invente l’humus humain pour sa pérennité d’une génération à l’autre ». Autrement dit ce que Freud a découvert, l’inconscient, ça ne serait rien d’autre que ce qui s’avère nécessaire en quelque sorte, pour que l’humanité se transmette d’une génération à l’autre. Si donc vous admettez avec moi, ou si vous consentez à la thèse que je soutiendrai que la psychanalyse ça ne s’adresse à rien d’autre, ça ne parle de rien d’autre que de la spécificité de l’humain, je pourrai quand même ajouter que sa spécificité c’est d’essayer de le dire, ce qu’il en est de l’humain, parce que, elle n’est pas la seule à essayer de le dire, il me semble que l’art se trouve dans le même rapport, elle le conceptualise, elle essaie en tout cas de le dire avec une rigueur analogue à celle que l’exigence scientifique aujourd’hui promeut à juste titre, exige même à juste titre. Alors qu’est-ce qu’elle dit cette psychanalyse, pour que j’ai la prétention de soutenir qu’elle s’adresse à l’humain, à ce qui est humain, ni plus ni moins. Et bien précisément elle dit que la condition humaine n’est pas sans conditions, c’est que c’est une condition spécifique. On pourrait d’ailleurs dire finalement, contrairement à mon titre là donné au livre, on pourrait écrire que la condition humaine n’est pas sans une seule condition. C’est un peu gonflé de le dire comme ça, mais ça change un peu les choses aujourd’hui. Au fond il n’y a qu’une condition. C’est quoi cette condition ? Et bien cette condition qui est par ailleurs  tellement fondamentale, qu’elle va aussitôt en enclencher toute une série d’autres, cette condition je la dirais bien, pour autant que je tends par là, que c’est l’interdit de l’inceste. C’est au fond le seul invariant anthropologique que vous trouvez toujours dans toutes les sociétés humaines, peu importe comment, mais vous le retrouver, Levi Strauss a organisé son travail pour distinguer le passage de la nature à la culture. Vous savez aussi que par exemple, une anthropologue qui l’a suivi au Collège de France, qui est madame Françoise L’Héritier, qui reprend la question de l’inceste, de deuxième type, comme elle dit, donc elle trouve un autre type d’inceste. Il y a donc toujours cette condition qui semble bien nous caractériser, qui est que il faut dire non à l’inceste. Mais qu’est ce que c’est que l’inceste ? Alors  justement au niveau anthropologique, vous voyez qu’il s’agit d’une série de liens que l’on interdit, qu’il faut interdire, qui du coup en permettent d’autres – comme toujours quand on interdit quelque chose, ça permet dans le même mouvement de permettre d’autres choses – donc s’interdire les femmes du clan, ça oblige à aller voir dans le clan d’à côté. Mais ce n’est pas ça que comme psychanalyste j’appelle l’inceste. Ce n’est pas non plus ce que les juristes aujourd’hui appelleraient l’inceste et qui d’ailleurs, comme vous le savez, les embarrassent aujourd’hui, les juristes puisqu’ils ont même été questionnés par l’évolution de la société, au point de se demander s’il ne fallait pas introduire la loi de l’interdit de l’inceste dans la loi. Ce qui entre nous soit dit devrait nous faire entendre qu’il y a quelque chose là qui est en train de chanceler, faute de quoi on ne se poserait pas  des questions pareilles. Ca chancelle là. Ce n’est pas encore ça non plus pour le psychanalyste comme le dirait l’interdit de l’inceste. Je prends la définition d’une collègue, qui est appréciable, qui dit que l’inceste, qu’est ce que c’est que l’inceste, elle répond : c’est la transgression de l’interdit. C’est une collègue de notre association. Alors elle a raison sauf qu’elle met l’interdit avant l’inceste. Or justement le problème, si je dis que c’est radical, que c’est un invariant anthropologique, il faut au moins accepter que  l’inceste ça peut exister et qu’en principe, il faut au moins le couvrir par un interdit. Donc vous voyez que cette définition ne convient pas du tout, de dire que c’est la transgression de l’interdit, je dirai que c’est pour un psychanalyste déjà bien installé dans le langage, la parole et qui n’a plus affaire qu’aux symptômes, qui viennent rappeler  que ça ne marche pas toujours vraiment bien mais en attendant il est déjà bien inscrit dans les choses. Je préfère une autre définition qui d’ailleurs est déjà évoqué par un terme que vous devez avoir entendu, parce qu’aujourd’hui, il faut donc reconnaître qu’on parle souvent non pas d’incestueux, mais que Récamier qui est un post freudien, a introduit le terme d’incestuel, vous entendez souvent dans la clinique, des gens au quotidien qui parlent que ce n’est pas incestueux, ils ne suspectent pas qu’il y a un inceste, la réalisation d’un acte sexuel entre des gens pour qui c’est prohibé, pas du tout, mais ça colle tout le temps, c’est incestueux, ou c’est incestuel, c’est un mot qu’on utilise aujourd’hui beaucoup, et je pense que c’est tout à fait à juste titre. Et ceci m’amène à serrer la définition que je trouve personnellement la meilleure pour un psychanalyste de ce qu’est l’inceste, mais entendez, qui d’officine va supposer que c’est vraiment l’élément,  condition même de notre condition humaine, c’est une définition que donne d’une autre collègue qui s’appelle Irène Diamontis et qui dit : « Par incestueux il faut désigner ce qu’il y a de non séparé dans le psychisme du sujet ». Ce qui il y a de non séparé. Vous avez là en principe, comme je vous vois tous et comme nous sommes tous séparés, nous ne sommes pas dans le fusionnel. Mais il pourrait très vite arriver qu’en allant dans le café du coin, en sortant, ce que je vous souhaite, au bistrot après, la discussion banale qui se passe autour de la table là, bien pas bien, etc… il se peut très bien qu’il y ait une sorte de consensus qui se dessine à propos de ce que vous racontez, on  s’étripe là dessus, et puis on va pas chercher à savoir. Le non séparé ça a rapport avec ça, c’est à dire tous ces moments où on n’assume pas entièrement la dimension de solitude radicale qui est la nôtre. Nous sommes malheureusement comme vous le savez, né seul, et nous mourrons seul. La seule différence c’est que en principe quand on naît seul c’est en principe avec quelqu’un, et après on est seul. Mais c’est bien les actes les plus importants se font seuls, donc autrement dit être séparés ça peut servir  à ne pas faire l’impasse sur ce trait qui nous caractérise qui est la solitude, donc c’est ce qu’il y a de non séparé, donc l’interdit de l’inceste en tant qu’il est nécessaire de mettre en place dans le psychisme une séparation d’avec l’autre. Et vous comprenez alors très bien, qu’une autre collègue qui fait une analyse tout à fait pertinente, « la loi de la mère », Geneviève Morel, qui a été une des premières à mon avis à dire tout haut ce que l’on savait mais qu’on ne savait pas vraiment, à savoir qu’il est toujours nécessaire de se séparer de la mère, pas parce que  maman n’est pas bien, c’est pas parce que papa est mieux, c’est simplement parce maman métaphorise en quelque sorte, ce dont j’ai à me séparer pour pouvoir fonctionner comme sujet. Et je vous signale d’ailleurs que cela implique que la mère va même profiter, on espère d’ailleurs, si elle ne le fait pas c’est pas bon signe pour l’enfant, c’est pas les meilleures conditions, on espère qu’elle va se satisfaire, qu’elle va trouver une jouissance, la sienne propre, dans le rapport qu’elle a à son enfant, mais qu’elle va en même temps tolérer, accepter que cet enfant-là se sépare de cette jouissance, pour pouvoir trouver la voie qui lui permettra de trouver, de frayer son désir propre. C’est tout simplement comme cela que ça marche. Et comme vous entendez tout de suite si vous suivez l’idée, et bien oui, dans ce cas-là il y a quelqu’un qui intervient, qui est connu, c’est le papa qui aide à se séparer de la maman, etc… Et bien figurez- vous que ce n’est pas d’office le cas, voire même on pourrait dire aujourd’hui que ça c’est la solution oedipienne classique à savoir celle où vous pouvez compter sur un autre que la mère pour aider l’enfant à se séparer de la mère. Mais si vous n’avez pas à disposition cet autre que la mère, cela ne change rien, il faut quand même se séparer de la mère. Voyez que cela change un petit peu la donne, du coup vous semblez avoir perdu un appui, souvent important d’ailleurs, mais que le fait que vous perdez cet appui ne change absolument rien au travail qui est à faire. Et quand je dis ne change absolument rien cela n’est pas tout à fait juste, car cela le rend un peu plus délicat, plus difficile, et on va expliquer un peu pourquoi, et cela va avoir un certain nombre de conséquences dont je dirais volontiers qu’elles sont aujourd’hui la caractéristique même de ce qui nous arrive, la spécificité de la clinique contemporaine, est une clinique à mon avis,  qui émerge parce qu’elle doit éponger les effets de ce que la solution oedipienne classique, celle qui comptait sur un père pour se séparer de la mère, ne fonctionne plus pour des raisons sociales. C’est comme cela que je le dirais. On éponge vraiment les effets de ça, et on ne sait pas très bien ce que cela induit, c’est ce que je vais développer et élucider si vous le permettez. Mais je reviens d’abord à ce point, donc l’essentiel, le point essentiel, fondamental de la condition humaine, c’est ce désasujettissement de l’Autre, de l’Autre maternel en l’occurrence, le premier Autre, qui soutient, nécessairement, obligatoirement, comme disait Winnicott il n’y a pas de nourrisson tout seul, ça n’existe pas, il meurt tout de suite. Donc il faut un Autre qui lui donne des soins, qui va même y trouver une satisfaction, une jouissance, qui va en parler, qui va parler de lui, qui va s’adresser à cet enfant-là, et à partir de là les choses vont se mettre en place. Mais il faut que du point de vue du sujet, si on veut endosser la condition humaine, et bien  il faut que le sujet, comme on dit en termes de vélo, il faut qu’il fasse le trou, qu’il fasse une distance. Pourquoi bon Dieu de bon Dieu de bon sang, pourquoi vous m’embêtez ou pourquoi est ce que  je vous embête avec la question de l’inceste, comme étant ce qui est fondamental. Et  bien  peut être bien que vous ne vous en êtes jamais aperçus mais cette capacité qui nous est propre,  il n’y a que les humains qui soient des êtres parlants, je ne vais pas vous parler de la parole chez les bonobos, on va y venir si vous le voulez , mais en fait tout le monde est bien d’accord, il y a peu de choses sur lequel tout le monde est d’accord, mais tout de même nous sommes tous bien d’accord pour dire que le langage humain, ce n’est pas le langage animal, ce n’est pas la même chose. Il y a quelque chose de caractéristique au fait de parler. Et bien si parler est notre lot, ce qui d’ailleurs permet pleins de choses, entre autre de nous retrouver, ici à Ste Tulle un samedi matin, alors qu’il fait beau dehors. Si il n’y avait pas la parole on ne serait pas là. Donc, cette parole qui nous caractérise, que nous soyons d’ailleurs capables de parler ou que nous soyons sourds muets, cela ne change rien à l’affaire,  bien que nous parlerions autrement, il y  toujours cette capacité de parole, d’être parlant, ce parlêtre, comme disait Lacan, c’est cela qui spécifie l’humanité, et bien figurez-vous que ça c’est tout à fait corrélé à cet interdit de l’inceste. Et c’est pour ça que c’est fondamental. Autrement dit la capacité de faire le trou, de se désasujettir de l’autre, de ne pas être scotché, ne pas lui être collé,  ne pas lui être collabé, ne pas être enfermé dans sa jouissance, tout ça va exactement dans le même mouvement que le fait d’assumer sa capacité de paroles, chose qui est bien sûr physiologiquement tout à fait, virtuellement repérable chez chaque enfant, sauf anomalie, mais qui a besoin d’un trajet, un trajet plutôt long d’ailleurs, parce que je vous signale car ça prend à peu près le tiers de l’existence, pour arriver à faire qu’à un moment donné, un sujet puisse endosser sa parole, c’est à dire profiter du trajet qu’il a fait pour pouvoir soutenir une parole qui ne se légitime de rien. Les seules vraies paroles que vous  prononcez sont celles qui ne se légitiment en fin de compte de rien. Sauf du fait que vous les dites. Si vous dites « je t’aime » à quelqu’un, vous aurez beau faire la liste des choses pour lesquelles vous avez bien raison de l’aimer, mais cela ne suffira pas. Il faudra quand reconnaître que c’est parce que vous lui avez dit « je t’aime » que la phrase tout à coup vous a fait complètement chaviré et que cela a pris une autre tournure. Se légitimer de rien, c’est se légitimer du trou, c’est se légitimer de l’absence, c’est se légitimer du vide. Chose que nous ne faisons pas tous les jours je vous signale,  nous nous limitons en général parce que ce n’est pas sans angoisse avant, et ce n’est pas sans angoisse après,, alors plutôt avancer comme ça, et on fait le moins possible, juste  ce qu’il faut pour avancer, ou alors on passe du côté de la création, car c’est risquer cela tout le temps, c’est cela  aussi. Ca me rappelle toujours de dire que le seul savoir qui est un savoir analogue, c’est le savoir analytique, le  savoir de Freud est un savoir, moi ça me fascine toujours, c’est un savoir qu’il tiré d’où ? De lui, de sa tête,  vous vous rendez compte qu’on est là,  un siècle et demi après, en train de travailler les questions qu’un bon monsieur médecin viennois tout à fait banal, tout à coup a dit bien c’est comme ça. Il n’y a rien qui justifie l’inconscient nulle part, il  ne peut pas le prouver et pourtant c’est un savoir à partir de rien. Il y a parfois des choses que vous savez vous, du fond de vous et que vous avez l’impression que celles-là vous ne les lâcherez pas parce que c’est fondamental pour vous, c’est comme ça, c’est ce petit bout de Réel que vous avez attrapé avec votre organisation à vous, aussi limitée, extraordinaire, peu importe, hop vous l’avez attrapé, et ça vous ne le lâcherez pas. Cela peut se réduire à des choses parfois simplistes, du type de « moi je veux vivre à Ste Tulle et je reste à Ste Tulle », cela peut être ça. Ca peut être autre chose, ça dépend. Mais le psychanalyste est un petit peu comme ça, malheureusement pour lui, comme il n’y a que Freud qui a inventé et depuis,  on répète souvent ce que disent les autres. Moi aussi, du coup ça n’a plus la même valeur. Mais enfin on espère quand même avoir retrouvé ce point où on pourrait dire quelque chose, qui en fin de compte se justifie, s’explique, on peut très bien tout déplier, mais quand même la légitimité finale vous ne la trouverez que dans le fait que ce monsieur là le dit. Si je vous dis ça, il y a un corollaire à ce que je dis, c’est que ce vide, l’interdit de l’inceste – parce que ça fait du vide, et le langage a besoin de faire du vide, on ne parle pas la bouche pleine. Vous savez que dans toutes les langues du monde on dit maman avec mmmm. Parce que maman, le premier mot, est la seule chose qu’on peut dire la bouche pleine, mais papa ça va pas. Faut faire du trou pour dire papa, et maman mmm, ça peut marcher.  Il y a un trajet, il y a quelque chose, il faut installer le trou, il faut qu’il y ait du creux, il faut qu’il y ait du vide. Autrement dit il faut qu’il y ait l’absence au cœur du système, et pas la présence. C’est l’absence qui est au cœur du système. Ca peut être intéressant de repérer ça. Ca veut dire que la présence bien sûr, le langage d’ailleurs ça n’est rien d’autre qu’organiser  la dialectique de la présence et de l’absence. Vous faites venir ici monsieur Sarkozy si ça vous plait, ou bien monsieur Holland, si vous préférez, il suffit que je l’évoque pour qu’ils soient ici. C’est un truc fantastique qu’on peut par la parole faire venir des gens, les rendre présent à nos esprits alors qu’ils sont absents, ça se paye d’un prix. Et le prix que nous payons, c’est que si vous avez affaire à quelque chose qui est présent, et bien ce sera toujours frappé d’absence. Autrement dit vous avez un ou une copine, ou un mari, ou une femme, ou tout ce que vous voudrez, enfin un autre qui est là tout le temps présent, et bien il faudra bien vous y faire que la présence que vous aurez de sa part, elle sera truffée d’absences. Autrement il ne sera pas exactement, il ne répondra pas exactement à vos attentes, et le malentendu est d’emblée là, et autrement dit  le non rapport est là, et sauf d’être amoureux un petit peu, et comme on sait ça tombe très vite, et après il faut faire avec les moyens du bord, c’est-à-dire avec le fait qu’il n’est jamais là où vous attendez exactement que l’autre est. Et tout va dans le même sens. Y a que les gens qui sont addictés qui pensent que l’objet va les tenir entièrement à les satisfaire , mais les autres savent bien que même si ça vous intéresse d’avoir un objet, je ne sais lequel, la voiture la plus mirobolante, le dernier appareil, je ne sais lequel, maintenant je ne peux même pas suivre, et bien cet appareil là de toutes façons une fois que vous l’aurez, ou  vous ne l’aurez peut être même pas encore que vous aurez déjà envie d’un autre. C’est ça être frappés d’absence, donc l’absence il faut la mettre au cœur du système puisqu’au départ on part de la présence, la mère est présente, et il faut mettre l’absence au cœur du système. C’est pour cela d’ailleurs que très souvent, très longtemps, et encore toujours aujourd’hui  mais d’une autre façon, que père et mère faisait entendre, pôle de l’absence le père, pôle de la présence, la mère. Il ne fallait pas je vous signale  être psychanalyste pour avoir découvert ça. On le dit, là, comme cela  ça simplifie, mais je vous lis une petite phrase de Marcel Proust, qui à cet égard est terrible parce qu’à cet égard il a tout compris, « comme tous ceux qui possèdent une chose, pour savoir ce qui arriverait s’ils cessaient un moment de la posséder, il avait ôté cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans le même état que quand elle était là. Or l’absence d’une chose ce n’est pas que ça, ce n’est pas un simple manque partiel , c’est un bouleversement de tout le reste, c’est un état nouveau, qu’on ne peut pas prévoir dans l’ancien». C’est joliment dit comment l’absence va complètement remanier, une fois que vous mettez l’absence au creux de la psyché, tout le système va être remanié, et du coup, vous pouvez avoir une série, lire une série de conséquences à cette condition, la seule condition qui est l’interdit de l’inceste, faire du trou, mettre l’absence au cœur du système et du coup toute une série de conséquences qui s’ensuivent, qui sont aussi les conditions de la condition humaine. Exemple, la certitude qui est la vôtre que vous n’en avez pas, elle ne sera jamais que division, elle ne sera jamais que incertitude. Exemple, il y aura des places différentes, en l’occurrence par exemple c’est moi qui parle c’est vous qui vous taisez, mais tout à l’heure peut être qu’on va changer, mais il y aura des places différentes. Exemple, il y aura de la coupure. Si il y a de l’absence il y a de la coupure, vous ne pouvez pas  tout le temps être là dans la continuité, il y a bien des moments où vous devez accepter que ça coupe. Exemple vous allez devoir en passer par la contrainte de comment la langue fonctionne, sinon vous en resterez au babil que vous aviez avec papa maman, il faudra bien à un moment donné que vous acceptiez d’entrer dans une langue qui vient d’ailleurs. Personne ici n’a la prétention j’imagine, d’avoir inventé le français, la langue vient du dessus, et comme je rappelais ce que disait Lacan tout à l’heure à propos de l’humus humain, l’inconscient, c’est un savoir humain universel, c’est ce qui passe d’une génération à l’autre, et bien la langue passe d’une génération à l’autre. On est dans le même mouvement de transmission, et bien voilà donc comment on peut dire que la présence jusqu’il y a peu semble avoir été identifiée culturellement par la mère et c’est logique puisque l’enfant dans un corps à corps avec la mère, bien sûr, et la dimension de l’absence était plutôt prise culturellement par la polarité du père. Ca semble avoir été vrai depuis 25 siècles, et il semble bien que cela ne soit plus le cas. Qu’est ce qui s’est passé ? Et bien il y a 25 siècles effectivement, on a décidé, vous pouvez en trouver les traces dans une tragédie grecque, je ne vais pas le développer, qui s’appelle l’Orestie, il a été décidé que l’enfant était d’abord l’enfant du père. Que la mère n’était que le réceptacle, je suis désolé, mesdames, mais c’est ainsi que les anciens grecs pensaient la chose. Et en lisant bien les textes, si vous avez l’occasion de le faire, vous verrez que l’intérêt n’est pas du tout de discréditer la mère, l’intérêt de l’opération était de faire entendre par le biais de la prévalence  du père sur la mère qu’il fallait asseoir  la prévalence de l’absence sur la présence, autrement dit la  prévalence du langage, c’est-à-dire la prévalence de ce qu’est notre condition humaine.  C’est noir sur blanc dans les écrits de l’Orestie, d’Eschyle, on ne va pas développer maintenant, cela nous amènerait trop loin, mais c’est écrit noir sur blanc. Même tragédie d’ailleurs où on va installer d’ailleurs où on va installer les lois de la parole, mettre la démocratie en place, tragédie aussi repérée comme la première fois que l’on met en place la justice humaine. Et bien la justice humaine et la démocratie, figurez vous ont été mises en place dans le même mouvement, que la reconnaissance nécessaire de la prévalence du père sur la mère, non pas parce que papa est mieux que maman, mais simplement parce qu’il s’agissait que l’enfant devienne un enfant inscrit dans le langage. Et que c’était cette capacité langagière là qui le caractérisait, et qui nécessitait que l’enfant ne reste pas collé à la mère, ne lui reste pas assujetti, mais que précisément, il fallait à un moment donné que le système social, prenne cet enfant, l’enlève de sa mère, et le fasse aller trouver sa place dans le social. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les tribus africaines où vous avez des enfants qui restent jusqu’à 8-10 ans accrochés à la mère, mais à un moment donné il y aura des rites d’initiation, il y aura des choses prévues dans la culture qui vont faire que c’est terminé maintenant là, et attention ce n’est pas du tout la même chose que ce qui  se passe aujourd’hui, parce que précisément dans ce contexte là, même si l’enfant veut rester très longtemps lové dans, près du corps maternel, il est déjà prévu au départ qu’il va falloir à un moment donné y renoncer. Qu’est ce qui se passe aujourd’hui ? Et bien ce qui se passe aujourd’hui, ce n’est pas compliqué à comprendre. Nous avons tout une évolution sociale dont je ne vais pas citer tous les éléments, parce que sinon on n’en sort pas, mais enfin quand même une des choses qu’il faut retenir, fondamentale, c’est que nous avons quitté un monde organisé, un lien social organisé sur le modèle d’une pyramide, quitté un monde organisé sur le modèle d’une prévalence reconnue au sommet de la pyramide, quitté un monde social où l’on parle du désenchantement du monde, quitté un monde social où c’est Dieu qui est plus ou moins celui que le roi vient à soutenir la représentation, et que sais je encore. Bref on a quitté ce monde organisé sur le modèle de la religion c’est-à-dire avec la reconnaissance comme allant de soi de quelqu’un qui est en légitimité d’imposer quelque chose à l’autre, sans que ce ne soit pour autant de l’autoritarisme, ce qui ne veut pas dire pour autant que certains n’en ont pas abusé et profité de la légitimité qu’ils avaient pour imposer non pas ce qui est nécessaire, mais en ont profité pour asseoir et assurer leur propre jouissance. Ca c’est toujours le risque, mais il n’empêche que le modèle de ce qui avait été mis en place, c’est une prévalence de cette place là qui équivaut à la prévalence du collectif sur le sujet et sur l’individu. Et qui va donc s’imposer à lui d’une manière tranchée, d’une manière nette parce qu’il n’aura pas d’autre issue que de devoir faire sa place à l’exigence de celui ci, celui qui est à cette place de légitimité. Et dans ce contexte là il intronisait, introjectait, il assumait en quelque sorte les exigences de la génération d’avant, et cela transmettait un système. Or là dessus nous sommes en difficultés à partir de quoi ? Mais à partir de deux choses fondamentales à mon avis. La première qui est l’évolution démocratique qui désormais aujourd’hui a privilégié de manière radicale, l’égalité des conditions, comme doctrine, c’est-à-dire nous sommes tous sur le même pied. Donc il n’y a plus de légitimité à avoir cette différence de places. Mais s’il n’y a plus de légitimité à avoir cette différence de places, il n’y a plus non plus légitimité à avoir autorité, il n’y a plus non plus légitimité à vouloir imposer à quelqu’un qui reste plus proche de la mère, ou plus proche de la présence, ou qui ne veut pas, il n’y a plus de légitimité pour lui imposer l’absence. Et nous sommes dans ce contexte-là aujourd’hui. Je ne vais pas développer énormément mais je voudrais quand même que vous entendiez un tout petit peu le trait concret de cette affaire, le trait concret. Dès qu’aujourd’hui qu’il y a quelqu’un, vous savez qu’il y a aujourd’hui (un) sociologue qui a participé au Conseil constitutionnel en France, et  qui a fait un exposé l’année passée à Montpellier tout à fait intéressant où il disait que ce qui l’affligeait beaucoup c’était la position de méfiance généralisée aujourd’hui.  Nous nous méfions de quiconque serait une position d’autorité, nous nous méfions de quiconque occupe une place différente. Nous nous méfions de quiconque, car s’il occupe cette place là, il pourrait bien s’en servir pour… donc vous avez là quelque chose d’extrêmement puissant qui est en train de fonctionner, c’est que le nouveau modèle social démocratique qui est mis en place et qui a toute sa légitimité évidemment, mais ce nouveau modèle, il est difficile, ou compliqué de ne pas se satisfaire uniquement de débusquer celui qui s’autorise de la place qu’il occupe pour abuser, de ne pas se contenter de cela, mais de devoir aussi faire la place aussi au fait que désormais il faut  bien se demander comment on va faire prévaloir quelque chose qui relève du collectif, alors que dès qu’il y a quelqu’un qui se prévaut d’une place différente des autres, il est évidemment dans une position un peu antagoniste avec l’égalité des conditions qui a été décrétée. C’est une vraie difficulté, entendez bien ce que je dis, il  ne s’agit pas ici de vouloir à tout prix rétablir l’ancien machin tout ça, non, il s’agit de repérer que la mutation sociale, la mutation du lien social dans lequel nous sommes pris, a comme logique de rendre de plus en plus difficile pour certains sujets, de pouvoir occuper une place différente des autres parce que d’emblée ils vont être suspectés de revenir au modèle ancien. Et il faut donc qu’on se débarrasse aussitôt de ces gens-là. Ce n’est pas possible, on doit aussitôt les surveiller. Dans les faits concrets, ça va très loin, car ce faisant il ne faut pas vous étonner que l’élève à qui on dit il faut aller au tableau, il faut expliquer, « est ce que tu as compris le problème là », bon, pourrait très bien répondre à l’enseignant « t’as pas à m’obliger. Pourquoi est ce que tu me forces ? » Ce qui veut dire ceci, c’est que là où avant vous aviez, vous connaissez le coup, de la contestation, c’est normal,  un adolescent il ne veut pas, vous avez aujourd’hui la possibilité, et ce n’est pas la même chose la contestation et la récusation, il a aujourd’hui la légitimité pour lui de récuser quiconque viendrait lui demander, l’obliger le contraindre, tout cela avec des termes entre guillemets, c’est calme, cool, mais il faut quand même le faire. Il a la légitimité de venir récuser ça. J’ai vu hier par hasard, et je ne vais pas développer, ce serait m’aventurer dans un terrain très glissant, l’histoire du maire et de la gifle, c’est quand même très embêtant pour moi la façon dont c’est formulé comment ce monsieur le maire, le propos du père, que j’ai entendu hier soir à la télévision, le propos du père est de dire « il n’avait pas à être au-dessus des lois ». Mais son fils non plus ! Alors  qu’est ce qu’on fait, comment on fait, comment on s’en débrouille ? Voyez on aurait quand même pu faire un jugement qui aurait été de dire « monsieur le maire vous avez été un peu excessif, on ne fout pas une gifle à un enfant parce qu’il vous conteste un peu méchamment, mais vous vous n’avez pas non plus à le contester de la sorte». Il y aurait pu avoir un propos un peu nuancé un peu plus fin. Non on va dans le sens de… évidemment ! Vous voyez bien ce que ça veut dire. Ca veut dire que le père de famille aujourd’hui vous voyez, vous connaissez tous ça, ce qui fréquente l’école connaisse bien ces parents aujourd’hui qui vont se précipiter, dès qu’on a touché à quelque chose de leur enfant, dès qu’on leur a dit il a une mauvais note, moyennant quoi il y a une légitimité de plus en plus grande à récuser toute intervention qui devrait en principe devrait aider, aider parce que contraignante. C’est ça qui est paradoxal. Pour aider aujourd’hui tout le monde est là pour ça, vraiment si c’est dans l’amour, mais pour contraindre, pour exiger, là vous allez devoir vous lever un peu plus tôt et vous allez surtout très vite être mis à mal par quelqu’un qui va vous dire « mais de quel droit est ce que tu exige cela ? » qu’est ce que c’est que cette histoire ? Qu’est ce qui se passe ? » . Et donc vous allez vous trouver acculé où ? A mon trou de tout à l’heure, c’est-à-dire que si vous n’avez pas en vous les ressources costaudes, suffisamment pour dire « écoutes, moi je suis enseignant je ne suis pas là pour t’imposer quoi que ce soit, la question n’a rien avoir avec ça. Mais ma tâche est que tu saches lire et calculer, et avec ce que tu fabriques là, ça ne marchera pas comme ça ». Si vous ne pouvez pas soutenir ça très sereinement en plus, alors que lui il a essayé de vous faire sortir, si vous sortez de votre rôle parce que vous vous emportez alors vous êtes foutu. Parce qu’évidemment, il y a cette jouissance à imposer, c’est scandaleux, mais ça devient très compliqué, cette inversion de légitimité est quelque chose de très très grave dont les effets sont anodins, mais ont la fonction de l’effet papillon, c’est-à-dire qu’ils se répandent de manière  extraordinaire. Donc on est là  avec une grande difficulté, de tant en tant  ce que je dis là je le vérifie de temps en temps dans les réactions parmi vous parce que forcément, je suis en train de dire que le vieux modèle  est le bon et le seul bon. C’est pas ça du tout que je dis, je dis que nous avons quitté un modèle, nous ne l’avons plus, nous n’avons même plus aujourd’hui chez les parents, le fait de pouvoir se soutenir de mère et père comme figures culturelles de ce qu’il y a à faire dans la dialectique présence/absence. Ca n’est même plus là puisque le premier Autre ce peut très bien être un homme, alors vous allez l’appeler mère peut-être, mais quand même c’est pas si simple, autrement dit, le grand changement qui a opéré, c’est que aujourd’hui aussi bien, homme/femme, mère/père, des deux côtés, ils se sont mis comme  du même côté, à savoir aider l’enfant à grandir, et la tâche de devoir limiter, de devoir introduire l’absence, c’est là qu’on espère bien qu’il va pouvoir la découvrir par lui-même, mais plus personne ne veut être celui qui va endosser l’effet que cela va avoir sur lui, le fait de le marquer de l’absence. Ce qu’on constate évidemment c’est que dans ce contexte, l’enfant évite soigneusement évidemment de se consacrer à l’absence. Et autre chose aussi, on constate que dans ce cadre-là, la génération supérieure, la génération du dessus, se décharge d’une tâche pourtant essentielle qui est de soutenir la haine qui ne peut que surgir au moment où vous allez lui témoigner que dans la présence que vous êtes pour lui, il y a de l’absence qui est inscrite et que c’est bien de ce côté là aussi qu’il faudra qu’il assume la tâche qui est la sienne. Et bien vous allez avoir quelque chose de très difficile, une grande difficulté à le soutenir vous, à le faire accepter, vous allez vous trouver dans une très grande difficulté.

 

Aujourd’hui, au fond, la famille protège bien souvent, l’enfant de la vie hostile qu’il va rencontrer. Vous allez me dire c’est normal elle est tellement hostile. C’est  vrai mais ça ne va pas l’aider de le laisser croire qu’il y aurait moyen d’éviter l’hostilité. Donc ce passage à la récusation va être quelque chose qui va manifestement venir rendre difficile le fait de soutenir cela pour la génération du dessous. Ce n’est pas tout. Il y a une deuxième force terrible qui est en jeu. C’est que  si je viens de vous dire que l’interdit de l’inceste, l’inceste est ce à quoi il faut renoncer, l’inceste est ce qui  va faire trou, ce qui va organiser l’appareil psychique, c’est ça qui est fondamental, c’est la condition même. Mais l’ensemble du discours néo libéral, et même hyper libéral, ne vous fait absolument pas entendre que ce trou, cette absence est au programme, c’est l’inverse. Le point central que cela veut dire, mettre l’absence au centre, ça veut dire  un trait caractéristique de notre humanité, à savoir que pour ce qui est de l’immédiat vous repasserez. Plus jamais un être humain ne sera dans le Réel brut, plus jamais, il ne sera confronté à une immédiateté totale. L’immédiateté autrement dit, elle est frappée d’un impossible, puisqu’il ne peut plus passer que par cette dimension langagière, ça n’est que là qu’il peut passer, et dans cette dimension langagière, elle s’organise selon certaines formalisations qui fait que l’immédiat, il  n’y a plus accès. Alors l’impossible immédiateté c’est un autre mot pour désigner ce que le psychanalyste appelle la castration symbolique. C’est la même chose. Et bien donc cela veut dire que, vous allez pas me dire que aujourd’hui, ce n’est pas le tout tout de suite qui est valorisé. Vous ne pouvez pas dire qu’aujourd’hui, l’impossible immédiat est sans arrêt contourné, on exige la transparence. On va tout de suite dire que n’importe quoi qui n’est pas tout à fait éclairci, comme l’opacité, on va exiger de vous une communication franche directe et totale. Enfin à tous les niveaux on va faire, non pas aller dans le sens  d’introduire cette dimension de consentement à la perte de l’immédiat, mais on va  au contraire, vous laisser croire que l’immédiateté peut être contournée, peut être accessible, et que cette nécessaire médiation que vous impose le langage, il y a moyen de l’escamoter. A ce moment-là vous avez donc tout un discours social, qui ne présentifie plus au sujet la castration. Il ne présentifie plus au sujet que c’est comme ça la condition humaine. Et l’effet de cela c’est quoi ?  Et bien l’effet de cela c’est que l’enfant, le jeune, l’adolescent, n’est plus obligé d’intérioriser ce qui devrait être présentifié par le discours social. Il peut se contenter de glisser, de zapper, d’être, ce que j’appelle moi, absent à lui-même, il est là, sans être là, ce que les enseignants connaissent bien chez des élèves, à savoir cette présence qu’ils sont là, mais ils sont complètement ailleurs, ça ne les intéresse pas vraiment, ils veulent pas vraiment endosser. Parce que c’est comme si on leur disait ce n’est pas nécessaire. Alors si ce n’est pas nécessaire pourquoi je le ferai. Ils sont plutôt invités dans une position de déni. Ils sont plutôt invités à dire, oui je sais bien que c’est comme ça que ça devrait marcher mais en même temps…

Donc la possibilité, de prévalence, de faire prévaloir, ce qui est frappé par la dimension de l’absence est à la fois rendu difficile parce qu’il n’y a plus la légitimité de la place pour en témoigner, et en même temps c’est subverti par le fonctionnement même du discours social qui vient à tout moment vous donner des moyens pour contourner, éviter de ne pas devoir prendre en compte cette dimension. Le portable, le portable c’est magnifique, le portable si vous voulez éviter la coupure, si vous voulez éviter de faire le travail de séparation, il y a le portable. Il paraît que selon notre collègue qui m’a dit hier qu’il y avait plus de portable que de brosses à dents. C’est extraordinaire ! Bon le portable, vous connaissez bien le système du portable, vous connaissez bien les parents, les enseignants qui veulent lutter, pour faire en sorte qu’au moins le portable ils ne puissent pas répondre pendant la scolarité. Tout ça c’est assez, autrement dit aujourd’hui l’immédiateté est au programme social.  On est sous la tyrannie de l’immédiat. On a aussi d’autres espoirs illusoires, comme par exemple celui qui est que le collectif pourrait être la somme de toutes nos singularités. Ca c’est vraiment l’idéologie ambiante la plus extraordinaire !  La dimension du collectif pourrait être, nous sommes la France ou la Belgique, peu importe, et bien le collectif ça ne serait rien d’autres que la somme de tous vos desideratas mis les uns à côté des autres. Comme si ça n’allait pas susciter des conflits, comme si c’était possible, comme si en fin de compte le collectif n’avait d’autres fonctions que de pourvoir aux appétits de notre volonté propre, chacun y est pris. Surtout dans les démocraties, le sujet, il est bien obligé d’endosser, à la fois ce qu’il  veut lui, et à la fois la dimension du collectif. Faute de quoi c’est impossible.  Vous voyez bien comment du coup on est dans une sorte de déni ou démesure, le déni aujourd’hui est une figure extrêmement puissante parce que, vous le savez sans doute aussi, c’est souvent ce qui est utilisé lorsque la mort se rapproche. Qui ne connaît pas quelqu’un qui, au moment où tout le monde sait qu’il a un cancer, et qu’il n’en a plus pour longtemps, va vous parler de n’importe quoi sauf de ça. Il va faire comme si ça n’existait pas. Donc le déni a une fonction. C’est une défense inefficace pour la réussite de l’opération, mais c’est une défense très efficace pour la psyché. On n’est pas obligé de se farcir la difficulté, mais malheureusement à long terme c’est une défense tout à fait inefficace.

Alors je vais pas m’étendre. Je ne sais pas si je vais arriver à vous le rendre. Il me semble que le discours social aujourd’hui au fond est complètement piégé parce qu’il est privé de cette place de légitimité pour pouvoir imposer quelque chose au nom du collectif. Et du coup il n’a d’autres issues que d’inventer des systèmes par lesquels il va quand même faire fonctionner le collectif, mais en masquant qu’il continue à tirer les rennes, à tirer les ficelles.

Vous avez ça, dans le fameux – Lacan avait parlé à un moment donné qu’il n’y avait pas du Nom du Père, mais qu’il y avait du nommé à. Alors c’est une très jolie formule que j’aime bien chez Lacan, je vous dis ce que cela veut dire. Quand vous avez quelque chose qui est soumis au  Nom du Père, cela veut dire que vous l’avez fait vôtre, d’une certaine manière, vous avez la possibilité  de le faire vôtre, vous avez à en endosser les conséquences. Tandis que le Nommé à vous n’êtes pas obligé. Il suffit que vous soyez en ordre, que vous donniez l’apparence que ça marche, c’est bien, et ça suffit. Et bien c’est un tout, petit peu ce qu’il se passe au niveau de ce qu’exige le social aujourd’hui, qui n’exige plus, qui n’arrive plus à exiger une normativation. Mais qui veut par contre une normalisation, c’est à dire une normalisation sans normativation. Il veut que ça soit normal, il veut que les comportements soient corrects, mais il  n’a pas besoin d’exiger que le sujet introjecte cette affaire. Du moment que,  l’interdit du meurtre ça ne l’intéresse plus, ce qui compte c’est qu’on ne tue pas. Alors quand même cela ne se fait pas, là dessus on est d’accord et tout le monde est d’accord là dessus, voilà on va tous se serrer les coudes. On va être sévère là. Et là il y a toute une stratégie extrêmement fine dont par hasard, je vous renvoie à un livre que je trouve tout à fait sympathique à cet égard là « petit traité de la bêtise contemporaine » suivi de « comment redevenir intelligent ». C’est de Marilia Amorim qui est une psychologue sociale, qui n’est pas une psychanalyste, bien qu’elle soit attentive, elle prend d’autres appuis. Elle étudie des choses très simples, comme les  notices de médicaments, comme ce qui est écrit sur les boîtes de consommation, comme  ce qui est écrit dans le métro. Alors je vous donne l’histoire du métro parce que je la trouve très bonne. Il y a quelque temps sur les vitres des portes de la ligne 13, du métro parisien ont été déposés des autocollants colorés portant des messages adressés aux voyageurs avec des consignes de sécurité habituelles. Avant on entendait la voix du conducteur qui disait : « Faites attention à la fermeture des portières s’il vous plait ». Ensuite pendant quelques mois, chaque voyageur a pu lire sur la porte, « les portes s’ouvrent,  je laisse descendre ». Ca paraît anodin, mais c’est essentiel. Elle étudie ça avec beaucoup de finesse. Qu’est ce que la différence entre un conducteur qui vous rappelle, par son énonciation, qu’il faut bien faire attention, et un énoncé construit comme celui-là ? « Les portes s’ouvrent, je laisse descendre ». Elle appelle ça les énoncés fusionnels, c’est-à-dire un énoncé qui vaut pour tous et dont on suppose qu’immédiatement vous allez y adhérer. Vous voyez bien que dans ce contexte là on ne demande plus que vous respectiez quelque chose, que vous assumiez quelque chose, d’un ordre une exigence une énonciation du conducteur de la rame prévient en quelque sorte, faites attention, c’est une voix qui vous dit que c’est vous qui devez faire attention. Ici nous sommes d’emblée pris dans l’ensemble et ce qu’on ne vous dit pas c’est qu’on se fiche carrément de vous, on en a plus rien à cirer, on veut simplement que vous passiez au bon moment par la porte. C’est tout. Voilà le type d’énoncé qu’elle étudie avec beaucoup de finesse. Alors évidemment comme elle dit cela rend bête, parce que au bout d’un moment on est complètement bêtifié par ce type d’énoncés. Surtout que c’est très, moi j’appelle cela l’entousement dans la perversion ordinaire. Il s’agit d’obtenir un sentiment collectif, uniquement par une horizontalité, en croyant qu’on peut complètement se débarrasser de la dimension de la verticalité.

Les conséquences de tout ça au niveau du collectif, c’est très impressionnant. Parce que ça veut dire que dans un contexte pareil, le sujet n’a plus à disposition de pouvoir supporter un conflit.  Parce qu’il est pris dans une sorte d’obligation, c’est l’exagération du politiquement correct dont on parle aujourd’hui. Il est complètement noyé. Il n’est pas séparé. On revient à la question d’être séparé. Il n’est pas vraiment séparé. Il est entousé. Il n’a pas pu assumer la séparation d’avec l’Autre pour pouvoir être dans la ligne de ce qu’il faut. Dans ce cas-là évidemment aussi il ne sait pas comment traiter la violence. C’est pour ça  d’ailleurs qu’aujourd’hui comme vous le savez, on interdit plus, mais on empêche.

Ce n’est pas la même chose. Interdire cela demande de nouveau que vous introjectiez l’interdit, tandis que empêcher, ça veut dire que je vais être là, ou bien que je mets l’équivalent de ce que je suis, là, pour faire en sorte que vous n’alliez pas plus vite qu’il ne faut. Vous pouvez donc aujourd’hui à force de casse-vitesse et d’appareils  neufs finir par rouler dans les limites des vitesses prévues. Mais entre temps, vous avez pu complètement laisser tomber le processus introjecté qui dit non, il faut quand même tenir compte de cette limite. Vous êtes chaque fois tenus par rames. Autrement dit cela veut dire que le discours social aujourd’hui espère obtenir par un supplément de présence, ce qu’il  ne peut en fait obtenir, ce qu’il ne va jamais savoir obtenir par le traitement de l’absence. Il faut être plus présent, de plus en plus présent. Et le terme d’absence ne l’intéresse pas parce que lui il va introduire la séparation.

Alors les conséquences de tout cela sur le sujet individuel de la parole, c’est terrible. C’est terrible parce que ça veut dire quoi pour ce modèle-là ? Cela veut dire que la compétition intrapsychique, qui est notre lot à tous, entre une modalité de fonctionnement de type de la jouissance où nous sommes happés par l’autre, et une autre dimension qui est plutôt l’installation d’un désir, ou des bribes,  voilà quelque chose qui aujourd’hui fait que le sujet est laissé abandonné à cette compétition intra psychique. Alors qu’en principe, le travail de la culture qui passait par d’une génération à une autre, a comme objectif d’essayer de l’inscrire davantage du côté du désir, à donner l’avantage au désir plutôt qu’à la jouissance. Mais ici comme la génération qui doit faire ce travail là,  se trouve complètement mise à mal, elle est chancelante, parce qu’elle ne sait plus très bien comment elle doit assumer cette affaire, au nom de quelle légitimité elle peut encore le faire. Ce qui n’est pas au clair avec le fait que de finalement c’est à partir du trou qu’elle peut l’assumer, enfin tout ce je vous l’ai dit auparavant. Cela laisse probablement toute une génération  en train de se trouver à devoir régler elle-même cette compétition intrapsychique. Et je vous assure que quand vous demandez aux enseignants aujourd’hui qu’est ce qu’ils voient, qu’est ce qui caractérisent comme évolution dans les quelques années, la plupart vous réponde la diminution du temps de la capacité d’attention. Pourquoi ? Parce que ce qui n’est pas mis en place au moment d’empreinte, au moment important à cet endroit-là, après vous le rattrapez très difficilement. C’est dans le moment précisément de la petite enfance que vient se mettre en place là cette manière de venir donner avantage à la question du désir pour autant qu’on respecte le renoncement à l’immédiat, tout ce que j’ai dit, que j’ai résumé finalement sur le terme d’interdit de l’inceste, au sens où je l’entend bien sûr 1 :03. Et bien c’est dans la mesure où ça c’est soutenu par la génération du dessus, que l’enfant se trouve  favorisé dans ses capacités, qui seront celles d’écrire, de lire et de calculer. Mais si à ce moment là il est laissé livré à lui-même, le temps d’empreinte étant dépassé, il va se retrouver avec un appareil psychique, qui pourrait peut être vraiment être modifié. D’où c’est vrai nous discutions hier de l’influence des neurosciences dans l’affaire, et bien cela ne m’étonnerait pas, et cela n’étonnerait pas non plus les neuro scientifiques un peu sérieux , de se dire mais qu’il y a des neurones qui fonctionnent un peu différemment. On va mettre des voies privilégiées qui vont précisément faire l’économie de ce travail. Et une fois que c’est mis en place, c’est difficile à rattraper. C’est bon pour les psychothérapeutes. Mais pour le reste c’est autre chose. Donc on se trouve d’une certaine manière, et c’est d’ailleurs très intéressant, parce que j’avais pensé, toujours trouvé très intéressant le travail de Serge Leclaire en son temps qui avait écrit un livre qui s’appelle « démasquer le Réel » et où il racontait l’histoire de 3 cas cliniques, de sujets qui pour des raisons familiales, s’étaient  retrouvés sans l’interdiction de l’inceste. Il a des formules et des pages superbes sur ce que doit mettre en place la mère, qui ne doit pas être une mère m e r, mais plutôt un père c’est à dire qui doit parvenir, la mère étant la première qui, à partir d’une absence de limites, doit mettre des limites. C’est elle qui va faire ce boulot là, qui doit être bien sûr soutenu par le père, mais c’est surtout son travail à elle. Lorsque ce n’est pas fait, comme le dit Serge Leclaire, ces sujets sont condamnés leur vie durant à inventer la limite, à la mettre sans arrêt sur pied d’une manière qui ne tiendra jamais puisque c’est eux même qui l’avait mise. La difficulté est là, c’est que si vous devez la mettre vous même elle n’a pas vraiment d’assise. L’assise de la limite doit être dans un ailleurs. Pour que ça tienne dans la langue. Et bien cette hypothèse de Serge Leclaire, je crois qu’on peut aujourd’hui pour moi l’étendre au social. C’est-à-dire qu’on peut dire que ce  n’est plus pour des raisons familiales  que certains n’ont plus les capacités à poser des limites et à s’en soutenir, mais qu’ils sont condamnés sans arrêt devoir l’installer, et je vous assure ce n’est pas rien quand un sujet est en proie à ça, et aujourd’hui c’est pour une raison non plus familiale, mais pour des raisons sociales que cela pourrait se passer. C’est pourquoi j’insiste beaucoup, parce que j’aime bien montrer comment cela pourrait se passer, j’aime vraiment beaucoup d’avoir trouvé dans un texte de Lacan,  dans cette lettre à Jany Aubry, il écrit à Jany Aubry pour lui dire ce que au fond les psychanalystes d’enfants doivent attendre de la psychanalyse Et il commence par rappeler qu’il y a deux sortes de symptômes au fond dit-il. Il dit que le symptôme peut représenter la vérité du couple familial, c’est le cas  le plus complexe et le plus ouvert à nos interventions dit il. Et l’articulation se réduit beaucoup quand le symptôme qui vient à dominer ressorti de la subjectivité  de la mère. Ici c’est comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé. En fait Lacan fait une distinction entre le symptôme de l’enfant qui relève du couple familial et le symptôme de l’enfant qui relève seulement de la subjectivité de la mère. Et bien sûr tout ce que je vous dis doit vous rendre facilement pensable que nous faisons de plus en plus des enfants seulement de la mère. C’est-à-dire d’enfants qui n’ont plus justement référence à un couple, mais que la structure de la famille monoparentale n’est pas qu’une notion sociologique. Au fond nous avons affaire aujourd’hui pour moi à l’émergence de la clinique du monoparental. Une clinique de la famille que j’appelle bi-monoparentale même si ils sont deux mais qu’ils sont deux non articulés, ils sont deux fois un, à qui nous avons affaire. Et ça veut dire quoi ? Et j’en reviens à ce que je disais au début,  la mise en place de l’écart, l’inscription de l’interdit de l’inceste, se fait alors sans l’appui de cette référence paternelle.  N’en faites pas tout de suite quelque chose de dramatique d’office. J’insiste simplement pour dire que le sujet n’a plus qu’une solution , c’est de lui-même mettre la barre sur l’Autre, de lui-même prendre la mesure de ce que l’Autre n’est pas le non castré qu’il pourrait penser. Mais ce travail-là c’est un travail qui pour certains sujets est très difficile à faire. Il y en a d’autres qui y arrivent, voire s’ils ont l’impression d’être aussi dépendants de l’Autre sans cette possibilité de pouvoir s’en dégager, de se construire dans cette absence à soi-même, qui va leur permettre, autrement dit, de trouver une défense extrêmement efficace, dans le fait de ne plus être assujetti  à l’Autre. Mais moyennant quoi, il y a le prix de cette absence à eux-mêmes qui ne leur donne pas le sens pour trouver leur propre désir. C’est la difficulté. Je trouve beaucoup de jeunes aujourd’hui qui sont en difficultés de cet ordre là. Ils n’ont pas vraiment les modalités pour inscrire ce qu’ils doivent faire, ils ne savent d’ailleurs pas ce qu’ils veulent, absolument pas, mais ils sont dans un état qui les rend – parce que c’est ça la caractéristique d’être soumis uniquement à la mère, vous êtes dans un rapport uniquement à la mère, mais entendez non pas comme la méchante maman, c’est pas ça, mais entendez comme le premier Autre auquel on a affaire, et dont je n’ai pas pu me dégager encore, dont je suis encore non séparé de ce premier Autre, et bien dans ce contexte là il se trouve très passif, il se trouve dans une très grande passivité, parce que d’une certaine manière ils ont récusé la dimension de l’activité, qui pouvait être un engagement phallique, on peut dire comme cela qu’ils allaient y trouver une issue, mais ils sont complètement noyés dans une position où figurez vous ils ont un très grand avantage parce que ils n’ont même pas à faire un effort pour être ce qui comble l’Autre, il suffit qu’ils soient là. Alors ça c’est vraiment la position fantastique, voilà du coup s’installe comme ça une passivité assez conséquente,  ils peuvent , et vous en voyez des traces tout le temps – je ne sais pas si vous avez déjà repéré par exemple dans notre discours social aujourd’hui récuse le terme de père ou le terme de mère pour parler sans arrêt de papa et de maman. C’est la maman de monsieur Sarkozy. C’est le papa de celui-là. Or c’est très joli ces termes là. Ca veut donc dire, que le social est en train aujourd’hui de se tromper, c’est comme s’il devenait l’extension du privé qu’il n’était que l’extension du privé. Or le social c’est une rupture avec le privé. Moi j’ai eu je me rappelle bien , ma belle-fille un jour avait dit que mon petit-fils qui avait 4 ou 5 ans, en se promenant dans la rue, rencontre un autre petit copain, et à ce petit copain il s’adresse et en montrant sa maman et il dit « voilà ma mère » ! Boum !! Le coup a été dur pour la maman en question, elle a pris un coup, mais voilà c’est  ça le truc et en même temps c’est un coup heureux. Elle savait bien ce que cela signifiait. Il avait déjà pigé quelque chose. Et bien aujourd’hui vous voyez que même dans le discours social, c’est maman qui triomphe, c’est-à-dire des propos d’enfants. On parle beaucoup aujourd’hui de la difficulté des enfants qui parlent mal. Mais ça n’est autre chose que l’extension du parler privé dont il s’agit dans le parler public. Cette génération va devoir travailler à restituer la manière de devoir parler public, c’est drôle, on est vraiment dans ce monde là où c’est le privé qui va finir par devenir le public par inflation comme la grenouille qui fait le boeuf, non le public vient faire rupture, et si vous n’avez pas cette possibilité  d’accéder à cette structure qui est reconnue, vous n’arriverez pas à avoir accès à quelque chose qui est de l’ordre public. D’où l’intérêt de ce que dit Lacan de la langue, de la Lalangue.

Il y aurait des tas de choses à dire là dessus. En tout cas je pense que, et je ne vais pas en rajouter beaucoup plus, on peut en discuter si vous voulez, je vais peut être m’arrêter là, il me semble que c’est déjà long assez. Ca va ? Je voulais simplement dire que vous voyez pourquoi, je dirai volontiers je crois que si vous voulez supporter ce que je vais dire sans vous en offusquer trop, je pense que nous sommes au delà de toutes les crises que nous devons traverser,  nous sommes dans une crise de l’humanisation. N’entendez pas crise comme catastrophe, crise comme le gouvernement belge qui met 545 jours à se constituer, c’est ça que je veux dire comme crise. Nous ne savons plus comment il faut humaniser, parce que nous avons perdu tout une série de repères, et nous ne nous mettons pas à la hauteur de ce qui est exigé pour l’humanisation. En revanche nous dénions la démesure du social dans lequel nous sommes et nous risquons donc beaucoup de ne pas aider les gens et la génération d’après, à s’humaniser, et ça donnerait à ce moment là une terrible vérité à ce que Morgan Scortèse a mis dans son roman « Tout tout de suite », qui  raconte littéralement l’histoire du gang des barbares, il a mis en exergue cette phrase de James Semprun que je vous cite de mémoire où il dit que les écologistes ont le grave souci de quelle terre allons-nous laisser à nos enfants, mais il dit qu’il y a encore une question beaucoup  plus grave, quels enfants allons-nous laisser à la planète. Je vous remercie.

 

 

 

Sur le « fantasme » du Président Schreber – par Choula EMERICH

Freud ne pose pas le même diagnostic pour la première et la seconde maladie du Président Schreber et nous allons en examiner le pourquoi.

La première maladie de Schreber s’étale sur une année environ, de l’automne 1884 à la fin de 1885. Il a alors été hospitalisé durant six mois, et sur cette maladie Freud pose le diagnostic de névrose hypocondriaque grave.

Une fois guérie, elle fut suivie de huit années que Schreber qualifie lui-même de très heureuses, et  durant lesquelles il dit avoir été comblé d’honneurs.

Une seule tache assombrissait ce tableau : la déception de son espoir d’avoir des enfants.

Au mois de Juin 1893 on annonça à Schreber sa future nomination à la présidence de la cour d’appel de Dresde. Il y prit effectivement ses fonctions le premier Octobre 93.

C’est durant ces trois mois d’intervalle, que se manifesta pour lui, pour la première fois, entre veille et sommeil, ce « fantasme » que Freud qualifie de désir féminin : « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement ».

Que Schreber en appelle à la beauté pour qualifier son « fantasme », est de nature à nous inquiéter, s’il nous revient en mémoire la phrase de Lacan dans son séminaire « L’éthique de la Psychanalyse » : « la beauté est le dernier rempart que le sujet élève contre la mort ».

Freud ne s’y trompe pas, ce « fantasme » signe l’entrée dans la psychose du Président Schreber, toutefois, il souligne également l’incidence conjointe de deux autres facteurs :

—  sa nomination au poste de Président de la cour de justice de Dresde.

— son impossibilité d’accéder à la paternité.

Si Katan voit dans le « fantasme » de Schreber » la manifestation des tendances homosexuelles contre lesquelles le Moi de Schreber lutte et échoue.

Freud est loin de se ranger à cette simplification. Il ne manque certes pas, d’aborder cette question de la fonction et de l’incidence de la pulsion homosexuelle de Schreber. Mais lorsque Freud parle de la pulsion homosexuelle de Schreber qui se traduit par ce « fantasme » : « Qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement », c’est pour ajouter immédiatement, que s’il y a effectivement pour Schreber, une régression de la libido, ce n’est pas seulement une régression sur un objet homosexuel.

Cliniquement cette même régression se constate aussi bien dans les névroses que dans les perversions. Il ne s’agit pas pour Schreber d’un passage de l’objet d’amour qui était pour lui sa femme à celui du professeur Flechsig, l’objet de ses préoccupations homosexuelles.

Du dire de Freud,  il s’agit chez Schreber, de la manifestation d’une régression de la libido plus rétrograde, qui recule jusqu’au temps du narcissisme, temps où c’est le sujet et seulement le sujet qui reste investi comme objet.

Pour Freud, ce temps du « fantasme » Schreberien est, non pas un temps d’investissement d’un objet d’amour homosexuel,mais un temps de désobjectalisation.

C’est un temps où Schreber abandonne tous ses investissements libidinaux antérieurs, et où c’est son propre corps qui devient pour lui, l’objet de toutes ses interrogations et de toutes ses attentions.

Nous repérons qu’ici se pose, pour Freud la difficile question de la fonction de l’objet dans la psychose, et il ne s’y dérobe pas.

Il constate que cette fonction de l’objet, propre au fantasme du névrosé, vole ici en éclats.

Dans la psychose, l’objet ne peut plus s’appréhender comme suscitant l’amour ou le désir, puisque c’est le rapport même à l’objet qui a chu.

Et Freud repère bien qu’en lieu et place de ce rapport à l’objet se substitue une économie libidinale extrêmement complexe, mouvante, qui se manifeste sur deux plans :

—  dans l’imaginaire, par l’éclosion d’un délire,

—   et sur un autre plan, dans un autre lieu, que Lacan nous a appris à nommer le    Réel, l’apparition des voix de l’hallucination, où « ce qui a été aboli du dedans, revient du dehors ».

Et c’est, nous dit Freud, dans ce temps de désobjectalisation, que pour Schreber s’installe ce fantasme de désir féminin. Et il voit dans la survenue de ce fantasme, l’expression du profond conflit moral, dans lequel se trouvait alors Schreber.

Comment  Schreber aurait-il pu accepter sans révolte, l’idée qui s’imposait alors à lui, mais pour lui injurieuse, de sa transformation en femme ?

Comment aurait-il pu accepter l’idée de son éviration alors qu’il trouvait tellement plus digne d’être un homme ?

Mais, nous dit Freud, pour que puisse s’accomplir le dessein de Dieu, à lui révélé, s’imposa à lui l’idée délirante que son éviration devenait un mal nécessaire pour pouvoir devenir la femme qui manquait à Dieu, afin que rédempteur, il puisse engendrer une nouvelle humanité.

Il cesserait alors d’être immortel, et ayant accompli son destin de femme, il pourrait enfin mourir et gagner une félicité éternelle.

Freud nous restitue, par sa lecture attentive, le processus de Cottardisation alors à  l’oeuvre dans le discours de Schreber qui se manifeste dans sa croyance délirante d’être immortel. Mais c’est Lacan qui nous aura appris à repérer dans ce « fantasme » l’amorce de ce que sera la pente transsexuelle, dans toute psychose avérée.

Et Lacan s’en explique : il ne s’agit pas dans ce « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement » du fantasme hystérique du conducteur de tramway qu’il rapporte dans son séminaire « Les structures freudiennes des psychoses » et qui s’articule dans un :

« suis-je un homme ou une femme » ou « qu’est-ce qu’être une femme » ou encore

« quelle est la fonction du père dans la procréation » ?

Schreber ne se demande pas, dans son délire, qu’est-ce qu’être une femme ? Il le sait et il se doit d’être une femme pour l’ordre d’un nouveau monde.

Et pour ce qui est de la fonction du père dans la procréation, c’est à Dieu qu’il la délègue, puisque c’est précisément dans cette fonction qu’il échoue. Et c’est en ce temps que s’impose à lui ce « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement ».

Ce dit fantasme ne fut pas pour Schreber sans conséquences immédiates :

D’une part, cela l’obligera à un réaménagement complet de sa vie quotidienne par rapport à laquelle il va se trouver en défaut: il ne peut plus travailler, il ne peut plus dormir, il ne peut plus vivre avec sa femme. Et cela nécessitera un nouvel internement.

D’autre part, cela le conduira nécessairement à une complète réorganisation de son monde signifiant, comme en témoignera son rapport  la grundsprache et l’obligera à se forger une nouvelle conception du langage, du monde, des hommes, de Dieu et de son corps.

Le « fantasme » de Schreber s’éclaire alors d’une toute autre façon que le fantasme d’un névrosé.

Le fantasme permet à un névrosé d’osciller entre deux places S et a, pour soutenir sa position de désirant, chacune de ces places s’accompagnant d’une perte. Ou le parlêtre se soutient de sa division subjective mais alors il perd le rapport à l’objet qui cause son désir, ou il consiste en cet objet a, mais alors il se perd comme sujet divisé.

Dans les deux cas, s’il y a une perte Symbolique, c’est toutefois de son désir dont il s’agit.

Lorsque tel de mes patients se plaint du fantasme qui le porte à toujours se trouver partagé entre un ici et un ailleurs, lorsqu’il se plaint de toujours s’imaginer être, entre un homme et une femme, que ce soit dans l’exercice de sa sexualité avec sa compagne ou dans la course aux bains douche où dans l’anonymat de l’obscurité et de la vapeur il peut se laisser prendre sexuellement par un quelqu’un dont il ne veut rien savoir et surtout pas le nom, après quoi court-il ? si ce n’est après le fantasme d’être entre son père et sa mère pendant l’accouplement, ce qu’il peut énoncer sans en entendre l’incidence sur sa position subjective, à savoir : aurait-il à se compter comme homme ou comme femme ? Aurait-il à condescendre à une jouissance phallique toujours en défaut ou à renoncer à cette jouissance phallique  pour s’engager sur la pente d’une jouissance Autre, infinie, qu’il voit étalée, depuis sa prime jeunesse, chez son père héroïnomane, toujours à la limite de l’overdose ?

Ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit dans le « fantasme » schrebérien. Il aurait lui, trouvé la réponse à cette question. Il n’y a pas, dans l’énoncé de Schreber  trace d’une attention que lui porterait un semblable, ici en place d’Autre réel, que ce soit le père , la mère ou une femme.

Ni petit autre ni grand Autre tels que nous pouvons les déplier dans l’écriture du fantasme d’un névrosé.

Nous nous trouvons avec l’énoncé de Schreber face à ce qu’il appelle, lui-même, une idée, que nous, nous pouvons qualifier de délirante.

« Qu’il serait beau d’être une femme en train de subir l’accouplement »  est un énoncé qui porte trace de nulle angoisse, de nulle division.

C’est un énoncé où il semble que pour lui, tout serait à gagner à s’imaginer soi-même  cet objet autre, une femme passive et toute jouissance  dans une situation où l’initiative viendrait d’un grand Autre qui serait Dieu, puisque c’est lui qui veut cela de Schreber.

Sauf, que pour y accéder, il y aurait pour Schreber, à concéder une perte, non pas symbolique mais dans le Réel, perte de ce sexe qui le fit homme et apte à l’exercice et au désir sexuel.

Car, c’est à devoir renoncer à la jouissance phallique, et à la possibilité de pouvoir se compter comme homme, que le conduit ce dit fantasme, avec comme bénéfice, si c’en est un, celui de pouvoir s’adonner à la béatitude, à la volupté de pouvoir se contempler, seul, face au miroir, le buste nu et paré de colifichets.

Il n’a plus besoin de l’autre, il lui suffit, dit-il, grâce à la volupté spirituelle qu’il a accumulée,

« du moindre effort d’imagination pour se procurer un bien-être sensuel, donnant un avant-goût assez net, de la jouissance sexuelle de la femme pendant l’accouplement ».

Telle est sa jouissance : jouissance d’une image travestie contemplée, volupté spirituelle sensuelle, c’est son propre corps qui devient alors cet objet a.

Non pas corps narcissique investi par Eros et le Phallus, corps glorieux ou défaillant selon les circonstances, mais corps enveloppe, contours, pensée, corps qui se doit d’être autre qu’il n’est, afin de pouvoir susciter, non pas le désir de l’autre sexe, mais le désir de Dieu.

Ce que nous appelons alors fantasme dans la psychose paraît alors rassembler la concaténation de certaines idées-forces  qui se déploieront ultérieurement dans les moments féconds du délire : idées mystiques, de mégalomanie, pente à la Cottardisation  ou au transsexualisme.

En cela, ce dit « fantasme » se rapproche étonnamment de la structure des phénomènes élémentaires mis en lumière par de Clérembault et peut- être gagnerions nous en sa compréhension à le considérer ainsi, et comme une des modalité d’entrée dans certaines psychoses.

Charles Melman dans Les structures lacaniennes des psychoses, aborde la question de ce « fantasme » schrebérien.

Il en fait une image qui surviendrait dans un temps où pour un sujet le fantasme se défait, donnant ainsi à entendre, ce qui, de ce fantasme, en serait la vérité scellée.

Il perdrait alors sa valeur de fantasme, pour devenir un voeu du sujet, vœu qui pourrait alors se déplier : « qu’ il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement », qu’il serait beau que l’Autre ne soit pas un lieu vide, qu’il serait beau de pouvoir jouir de son propre corps, féminisé.

Ce que Lacan conceptualisait comme « le pousse à la femme » à l’oeuvre dans la psychose.

Toute l’évolution de la maladie de Schreber confirme le bien-fondé de cette interprétation et nous ne pouvons qu’y souscrire entièrement.

Remarquons cependant que lorsque le fantasme se défait dans la névrose, et c’est cliniquement fort fréquent, cela n’entraîne pas le même genre de conséquence.

Lorsque la jeune homosexuelle, au bras de sa dame, croise son père, nous sommes là également dans un temps de défection du fantasme, qui entraîne lui,  un passage à l’acte, une éviction du sujet de la scène, pas l’éclosion d’un délire.

Cela ne nous soulage donc pas d’avoir à rendre compte de ce qu’on appelle fantasme dans la psychose. Car nous avons aussi à  remarquer leur étonnante fixité aussi bien dans leur énoncé que dans leur maintien dans la durée, et ce, contrairement à la labilité du fantasme dans la névrose par exemple dont l’énoncé se modifie au cours du travail analytique, fantasme qui peut même être abandonné au profit d’un autre fantasme mettant en cause un autre type d’objet a.

Nous savons que chez Schreber, cette idée délirante, qu’il s’agisse de l’énoncé même de son « fantasme » ou de sa conséquence directe, son rôle de rédempteur, ce sera le seul point délirant qui restera après ce qu’il sera convenu d’appeler sa guérison.

Nous avions constaté cette même fixité de l’énoncé et cette même persistance d’une idée délirante chez certains patients que nous avons entendus à Sainte Anne.

Par exemple, cet énoncé : « je suis une femme. Dans mon quartier tout le monde m’appelle Amanda ».

Et si ce patient, se faisait appeler Amanda, et se disait femme, il pouvait avec ses allures tranquilles, faire son marché, en plein été, en grosses chaussures de montagne et en bonnet pointu à pompons rouges : nul besoin de mascarade, nul besoin de jouer à la femme, la femme, il l’était.

Certains propos de Schreber sont aussi interprétés par Freud comme des métaphores.

Par exemple, il voit dans les « les oiseaux du ciel » évoqués par Schreber, une allusion aux jeunes filles de Vienne, écervelées et piaillantes, nous dirions en français, des étourneaux.

Si ces oiseaux viennent à fonctionner sur un mode métaphorique, ne serait-ce pas du côté de celui qui entend et non pas du côté de celui qui parle ?

Cela m’a amenée à questionner le terme de « métaphore délirante » que Lacan utilise pour qualifier le « fantasme » de Schreber.

Si la fonction de la métaphore c’est de produire du sujet, ce terme n’est-il pas malvenu à propos de la psychose ?

En effet, son « fantasme » n’entraîne pas pour lui une création de sens ou une nouvelle signification. Il ne prend pas non plus valeur d’interprétation, toutes ces incidences seraient à repérer dans le registre du Symbolique.

Or, ce qu’énonce Schreber ne peut s’entendre dans le registre du Symbolique. Les conséquences de son énoncé c’est dans le Réel que pour lui, elles interviennent ou qu’elles auraient à intervenir : il  s’affuble réellement de colifichets devant son miroir, il attend réellement son éviration par les rayons divins, il se dit la femme de Dieu, ce n’est pas du « discours courant,  ni de la ritournelle » : cet énoncé est le point pivot autour duquel s’organisera tout son délire, tout son rapport au langage et à la jouissance.

Alors, si le terme de « métaphore délirante » ne convient pas mieux que celui de « fantasme » pour qualifier ce type d’énoncés, comment les nommer ?

L’appellation de « phénomène élémentaire » rend mieux compte de la différence de clinique, dans ces deux champs de la pathologie que sont la névrose et la psychose, mais  cet énoncé représente seulement  un des éléments co-variants de la structure psychotique.

Nous pourrions reprendre le terme que proposait Charles Melman  et les appeler des vœux.

En effet, le vœu fait partie du champ de tout parlêtre, qu’il soit délirant ou pas, et sa connotation liée au souhait, au désir, le rend propre  à rendre compte des divagations humaines.

Je pourrais également proposer les termes de « point fixe » en tant que le point fixe vient organiser pour un sujet  la représentation du monde sur laquelle il peut certes s’appuyer mais aussi se fourvoyer.

Ces différentes nominations présenteraient l’intérêt de mieux traduire la réalité clinique que ces énoncés nous soumettent. En cela, elles me paraissent plus satisfaisantes que le terme de fantasme qui parle lui, des névroses ou des perversions. Ces nominations, plus affinées, nous invitent à plus de justesse dans notre lecture de ces problématiques énoncés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La question de l’acte en psychanalyse : passage à l’acte et acting out par Choula EMERICH – Janvier 2004


 

C’est une question très délicate qui est rarement reprise par les psychiatres ou les analystes alors que c’est une problématique journalière de notre pratique de cliniciens, parce qu’en réalité nous avons longtemps manqué de concepts théoriques pour pouvoir en rendre compte sur un mode différentiel.

En effet comment traduire le « Agieren » de Freud qui recouvrait des choses aussi différentes que des actes se passant dans et hors de la cure, ces actes pouvant être aussi bien des agir conscients que inconscients.

Cela noyait la question de la spécificité de l’acte parce que ou tout devenait un acte et alors comment avoir une prise clinique sur l’évènement ou la clinique ne retenait le terme d’acte que pour la tentative de suicide qui comportait en fait la disparition de l’acteur.

La littérature anglosaxone a retenu comme traduction pour cet agieren le terme d’acting out qui maintient l’ambiguité sémantique du Agieren freudien dans la mesure où il dit tout à la fois le fait d’agir de bouger de faire une action, le fait de mettre pour un acteur la scène sur la scène. Il inclut par là même une monstration mettant le corps en cause, permet également la distinction langagière aisée entre l’acting in et l’acting out. Donne à entendre également quelque chose de la sexualité puisque « to act out » signifie aussi en langage argotique éjaculer.

La tradition française a rendu le Agieren freudien par le terme de passage à l’acte à propos d’un cas devenu princeps sous le titre de « la jeune Homosexuelle » mais la complexité des Agieren qui y sont à l’œuvre ont amené Lacan à réintroduire le terme d’acting out car dit-il il n’en n’a pas trouvé en français une traduction qui le satisfasse. Et son commentaire de cet article de Freud va lui permettre de distinguer ces deux types d’Agieren que sont pour lui le passage à l’acte et l’acting out.

Je reprends très brièvement ce qui a amené cette patiente chez Freud  après une série d’Agieren :  une jeune femme de la bonne bourgeoisie viennoise s’est éprise d’un amour platonique et violent pour une demi-mondaine, qui flattée, l’y encourage sans pour autant lui accorder la moindre faveur. La jeune fille s’exténue, tel un chevalier servant auprès de sa dame et se promène au vu et au su de tous bravant l’interdiction de son père.

Ce qui devait finir par arriver arriva. Au bras de sa dame elle croise un jour son père qui la toise d’un regard courroucé, elle s’arrache alors du bras de sa compagne et se précipite sur les rails d’un petit chemin de fer qui traverse la ville en cet endroit.

C’est à propos de cet acte que Freud parle de passage à l’acte. Il dit  elle se laisse choir, dans un « niedercommen lassen » littéralement se laisser tomber mais aussi en langue populaire, accoucher, mettre bas.

Il faudra attendre la reprise de ce cas par Lacan  dans son séminaire « La relation d’objet » en 57, pour que commence à se dégager un nouvel éclairage de ce que c’est qu’un acte, dans la comparaison des positions subjectives de Dora et de la Jeune homosexuelle, principalement dans l’analyse de leur position respective à l’égard de leur père. Dora dans son tout amour pour lui, la jeune homosexuelle dans sa récusation. Vous entendez qu’il s’agit dans ces deux situations de la position de ces deux jeunes femmes à l’endroit et du phallus et de la castration.

Ce sera toujours de cela dont il sera question quand nous aurons à examiner la question d’un acte.

Je me suis demandé quelle porte d’entrée serait la meilleure pour vous rendre compte de ce qu’ en analyse nous appelons un point d’acte.

Ne manquons pas d’entendre la cocasserie de la langue ou de l’inconscient, — laissons pour l’instant cela en suspens –, qui, lorsque nous voulons dire, temps où pour un sujet s’impose un acte, se donne à décoder dans un même mouvement :  comme, surtout pas d’acte, ou comme actualisation nécessaire d’un acte.

Et bien nous sommes là au vif du déchiffrage de ce que c’est qu’un acte en psychanalyse.

Promenons-nous encore un peu dans la clinique freudienne.

Je rapportais en privé à une personne ici présente comment Freud s’était trouvé confronté à cette question de l’acte dès le début de sa pratique.

Il recevait une belle, riche, intelligente et jeune hystérique de la bourgeoisie viennoise et à la fin de la séance de travail cette jeune femme lui saute au cou dans une invite sans aucune ambiguïté. Contrairement à Breuer, Freud n’a pas  cru à l’irrésistibilité de son charme et il lui a simplement demandé à qui s’adressait cette fougue.

C’était un acte.

C’était aussi sa première interrogation sur  la naissance du transfert.

Nous sommes dans cette brève narration devant un foisonnement d’actions. Comment allons nous les cataloguer ? Ont-elles le même statut ? S’agit-il d’actes et si oui lesquels ?

L’acte inaugural, celui de Freud, d’avoir accepté d’entendre une femme avec l’a-priori que les souffrances, nous disons symptômes, qu’elle présentait relevaient non d’une folie, mais d’une autre logique qu’il tentait de découvrir espérant de ce déchiffrage la sédation des symptomes.

Et nous savons comment Freud a payé dans sa vie le fait d’avoir osé poser cet acte : son isolement intellectuel y compris avec ses plus proches collaborateurs, également la nécessité pour lui d’avoir à toujours à se justifier,  mais aussi les fins de mois difficiles alors qu’il aurait pu continuer au moins un temps, sa brillante carrière de scientifique reconnu et honoré. Un acte, ça entame, ça ne laisse pas à la même place.

Comment entendre l’acte de la jeune femme ? Elle parle, elle attend de celui à qui elle s’adresse la prise en compte de ses difficultés, leur compréhension. Pouvons-nous nous étonner que devant le sérieux, la ténacité que met Freud dans cette écoute de ce dont jusqu’alors le médical se moquait, simulatrice disait-on et du côté du clergé sorcière appuyait-on.

Comment s’étonner que de cet homme elle s’amourache, qu’elle s’abandonne à lui ?

Névrose de transfert disons-nous.

Mais s’abandonner à l’autre, dans cette précipitation, je dirais dans la hâte, pour renvoyer à la nécessité d’un temps logique, est-ce un acte ? Le Sujet est-il là dans la position de  pouvoir en rendre compte, de cet acte l’assumer ? Quand le sujet ne le peut pas, quand le sujet est absent de son acte, quand cet acte, consciemment il ne peut le revendiquer, s’en dire l’auteur, nous disons qu’il y a passage à l’acte.

A l’acte de Freud, sa belle patiente répond par un passage à l’acte.

Nous savons que Breuer a été vite effrayé d’avoir accepté de devenir l’amant d’une de ses patientes, qu’il s’en est dépétré en l’adressant à Freud, et en allant faire un enfant à sa femme en Italie, pendant que sa patiente se débattait dans une grossesse nerveuse que Freud a bien sûr mis du temps à comprendre, puisqu’il en faut du temps pour dire  et comprendre les choses quand un sujet est pris dans ce genre de piège.

Et que fait cette patiente lorsqu’elle promène par la ville son ventre, gros de son désir à elle et sans qu’elle le sache ? Elle promène son acting-out : elle donne à voir à l’autre ce qu’elle même ne comprend pas, ce qui ne fait même pas question pour elle, et dont elle ne pourrait même pas comprendre que l’autre puisse la questionner la-dessus.

Si la patiente de Breuer avait fait un acte, elle aurait pu se dire « bon, j’ai pris un rateau, la vie continue » et faire son deuil tranquillement ou pas, pour avoir été éconduite.

Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Elle a réagit au niveau de son corps, dans une incompréhension totale de ce qui lui arrivait. Ne pouvant mettre des mots, une articulation signifiante disons-nous, elle fait un acte, un semblant d’acte, elle devient grosse de ce que son corps ne peut dire par le langage.

Elle fait une décompensation psychosomatique. Mais elle aurait pu aussi bien faire un passage à l’acte ou entendre des petites voix. Quelque chose qui pour elle n’a pas été symbolisable fait pour elle retour dans le Réel, comme le dit Lacan à propos de la psychose, dans le Réel de son corps.

Cette question de la différence entre un passage à l’acte et l’acting out, Lacan commence à la travailler dans son séminaire sur l’Angoisse en 62, et dans La logique du fantasme en 67, mais ce ne sont encore que des avancées dont il nous laissera la charge de les reprendre  dans notre clinique.

Marcel Czermak dans Patronymies, J.M. Forget dans Ces ados qui nous prennent la tête,  moi-même dans quelques articles avons essayé, pour notre compte de nous tenir au clair avec ces questions.

Car n’allez surtout pas croire que cela ne concerne  la psychanalyse qu’en ses débuts. Ce genre de problématique jalonne notre clinique au quotidien. Je vous  livre quelques vignettes cliniques tirées de ma pratique  :

Tel, ce jeune adolescent, venu me consulter parce qu’il avait une trop grande propension à être dans la lune. Planer lui semblait infiniment plus terre à terre que le rude plancher des vaches. Jusqu’au jour où il me rapporta le souvenir suivant :  il est en vacances avec ses parents, dans un club, il a 3ans et demi. Ses parents le couchent exceptionnellement tôt et il leur demande s’ils vont sortir le soir et le laisser seul. Ils lui assurent que non qu’il peut dormir tranquille. L’enfant s’endort et bien sûr il se réveille dans la nuit. Il constate que ses parents ne sont pas là. Qu’il est seul et que la porte est fermée à clef. Il entend au loin le bruit de la fête, la musique, il ouvre la fenêtre, il se jette du 2ème étage.

Il ne peut, vingt ans plus tard, rendre compte de son acte. Il ne le comprend pas. Il se pose la question d’une tentative de suicide et y répond que non. Effectivement il n’y était pas. A un stimulus une réaction automatique. Il ne peut pas sortir par la porte soit, il sort par la fenêtre. Nous avons là un acte sans sujet. Une réponse automatique.

Cela conditionnera tout son rapport à la parole de l’Autre, à sa bonne ou à sa mauvaise foi, et l’enracinera  dans un monde virtuel que seuls, la musique hard et le sheet viendront habiter. Pas d’ami, pas de compagne, pas de maître. Véritable électron libre sans attache symbolique, son monde : la fumette.

Et pour bien vous rendre compte de la différence de position subjective dans un passage à l’acte et dans un acting out, je vous livrerais la réponse d’un autre de mes patients, à 7 ou 8 ans, qui s’est trouvé devant la même situation.

Il se retrouve en pleine nuit, seul, la maison vide et la porte fermée à clef. Quelle est sa question devant sa porte fermée et dont il se souvient parfaitement 25 ans plus tard : « comment ils ont pu me faire çà, à moi ».

Il est allé se réfugier sous des coussins et contre le radiateur du salon, sa cachette préférée où il avait l’habitude de déchiffrer ses premiers livres d’enfant. Il les a attendus et leur a fait une scène quand ils sont rentrés.

Mais aujourd’hui, il dit n’avoir jamais compris leur acte, acte pour lequel il leur en veut toujours. A cet acte, il y avait répondu sur le mode d’un acting out.

Mon autre patient, lui s’était  éjecté par la fenêtre. Ce que nous pouvons entendre comme un « si, je ne compte pas, s’il me croît mort, et bien je vais leur donner raison, je me décompte »

Et il n’est pas dit qu’il n’y ait pas eu là des petites voix pour le lui souffler. Il s’en est tiré avec quelques fractures.

Mais éclairant me paraît aussi le commentaire que ses parents ont fait de cet acte après l’avoir vertement engueulé : c’est malin, tu t’es pris pour superman ou quoi ? »

Nous entendons dans leur réponse à cet acte que la position  de cet enfant était pour eux pleinement articulable si pas articulée. Faute d’avoir pris au sérieux l’acte de leur fils, ils l’ont niedercommen lassen, nierdercommen lassen qui continue de le promener tout au long de son existence, même si son analyse poursuivie fort courageusement et pendant fort longtemps lui a permis de tenir un semblant de place dans le social où il est aujourd’hui, gérant d’un magasin de chaussures.

Nous avons là l’illustration de ce que dans le passage à l’acte, c’est comme objet a dans le réel que le sujet s’évacue, alors que dans l’acting out c’est comme – phi, comme phallus imaginaire qu’il se met dans une parade. Ex :  Comment ont-ils pu me faire çà, à moi, brillant phallus ramené à ma position de n’être pas tout pour l’autre.

Lacan nous dit dans son séminaire sur l’angoisse :  « c’est toujours dans sa propre chair qu’on a à payer ses dettes ».

Une autre de mes patientes, allemande, après dix ans d’analyse environ réussit à me raconter ce souvenir : elle se revoit, bloc d’angoisse mutique et hébétée, terrée sous les escaliers intérieurs de sa maison, les russes sont rentrés  et sous ses yeux cachés, ils violent sa mère. Rien n’est dit, rien n’est dévoilé, ni du côté de la mère ni du côté de la petite fille, la maman ne saura jamais que sa fille a assisté à la scène,  mais quelque temps plus tard elles se promènent ensemble dans les rues de Berlin. Les chars russes sillonnent la ville. Elle s’arrache à la main de sa mère et va se précipiter sous les roues du char. Elle a entre 3 et 4 ans. Sa vie n’a été sauvée que de justesse.

De cela, elle non plus, elle ne peut pas répondre.Ca ressemble dit-elle à une tentative de suicide mais en est-ce une ? Pour elle c’est indécidable.

Il est très difficile de tenter d’articuler les questions qui se sont posées à elle sous cet escalier, mais nous sommes en tous cas sûrs de sa réponse : un russe, çà éjecte l’autre de sa position de sujet.

Mais il y a par contre quelque chose qu’elle peut après son travail sur cette impulsion, c’est son mot,  repérer c’est que chaque fois qu’elle doit dire une chose qu’elle sait, croit ou imagine être importante, sa phrase commence toujours par « c’est curieux ». Et qu’à partir de là elle a pu déchiffrer autrement son symptôme qui consistait à ne pouvoir regarder les gens qu’au niveau du sexe, alors qu’elle était professeur dans une très grande école. Cette manifestation de son symptôme est alors complètement tombée.

Bien sûr continuera pour elle à prévaloir la problématique du regard et cela nous amène à la question de qu’est-ce qui tombe et qu’est-ce-ce qui reste d’un symptôme quand il est passé au crible de l’analyse.

Ce sont deux exemples d’amnésie infantile levée par le travail de l’analyse, et où, si la question du passage à l’acte est manifeste, celle de l’acte reste problématique dans la mesure où, ni l’un ni l’autre, alors que devenus adultes, n’ont pu répondre du pourquoi de cette précipitation, ni s’en reconnaître consciemment les auteurs. Si je devais traduire leur embarras je l’exprimerais ainsi : çà s’est fait sans eux, ils n’y étaient pas.

Comme quoi un sujet peut avoir à pâtir d’une situation dont il est l’acteur sans pouvoir s’en reconnaître comme l’auteur.

Mais ce qui m’apparaît le plus clairement dans mes questionnements sur la question de l’acte c’est à quel point un acte de quelque nature qu’il soit, est toujours lisible dans une articulation signifiante coincée dans la position subjective d’un sujet dans on rapport à l’objet a et au phallus imaginaire.

Je dis coincée parce que relevant pour le sujet, sur un point précis, d’un défaut de symbolisation voire d’une forclusion qui font retour dans le réel.

Je vous livre encore un autre exemple qui me paraît  intéressant également car il fait jouer la question de l’acte avec un tiers terme.

Une jeune femme en analyse chez moi depuis un certain temps pour une phobie de l’orage totalement paralysante est venue pendant un court laps de temps à ses séances accompagnée de son fils de 7-8 ans, qui l’attendait dans la salle d’attente. Elle l’élevait toute seule étant divorcée.

Un jour elle me raconte en riant aux éclats une bonne blague : son fils a pris l’habitude de faire du strip-tease pour ses petits camarades dans un scénario très précis : il monte sur une table et les enfants autour de la table le regardent s’exhiber et doivent applaudir

Je lui demande ce qui la fait rire, qu’est-ce qu’elle trouve de si drôle là-dedans. Elle est interloquée parce que je n’en ris pas et que j’ai probablement dû faire un peu la grosse voix, à mon insu.

La séance d’après elle revient, encore accompagnée de son fils qui va patienter dans la salle d’attente. Seulement après la séance et qu’ils soient partis, je me rends compte qu’il est venu avec des ciseaux ou un cutter et qu’il a coupé le tapis de la salle d’attente sur 7-8 cm. Peu après, il revient avec sa mère , salle d’attente, séance pour la maman. A la fin de la séance je dis à la maman de m’attendre elle, dans la salle d’attente parce  que j’ai 2 mots à dire à son fils. Là encore elle est estomaquée, mais accepte. Je fais donc rentrer le gamin dans mon bureau et je lui dis : «  je sais que tu as coupé le tapis de la salle d’attente, je sais aussi que tu as de l’argent personnel sur un livret de caisse d’épargne, alors, sache qui si jamais tu abîmes à nouveau quoi que ce soit chez moi, je te ferais tout payer y compris le tapis qui vaut très cher ».

Quand la mère m’a demandé ce que j’avais dit à son fils je lui ai dit de le lui demander. Il n’est plus jamais revenu dans la salle d’attente.

La mère n’a probablement pas su ce que j’avais dit à son fils mais je n’ai pas su davantage ce qu’elle avait pu elle, lui raconter, sur le fait qu’il se montre, et que cela  entraîne qu’il fasse cet acte de vandalisme. Coupure dans le réel.

Si cet exemple m’a paru intéressant c’est qu’il illustre bien pour nous la fonction, le rôle que peut tenir un partenaire dans le déclenchement d’un passage à l’acte : je fais la grosse voix auprès de la maman, la mère reste coite mais c’est le fils qui me répond sur le mode « tiens, encaisses », alors je lui ai parlé de gros sous.

Et ce qu’il y a encore de plus intéressant c’est que ça a donné semble-t-il, un coup de frein non seulement à son exhibitionnisme, çà j’en suis sûre mais aussi,  mais est-ce lié ? à sa façon  d’utiliser l’autre au profit de sa propre jouissance et ce bien sûr sans que l’autre y ait son mot à dire. Il n’était plus seulement ce que Freud appelait un «  petit pervers polymorphe », il était déjà dans une position subjective où il savait jouer avec l’angoisse de l’autre pour en tirer bénéfice. La phobie carabinée de sa mère lui ayant probablement ouvert les oreilles sur l’instrumentalisation qu’un sujet peut opérer sur l’autre.

Je vous livre encore brièvement un exemple qui pour moi a fait date dans ma clinique. J’étais jeune analyste et je venais de changer dans mon cabinet mon divan. J’avais installé un divan flambant neuf, marron et au pied et à la tête quelques rayures oranger. Je reçois une patiente, en travail chez moi depuis deux ou trois ans. A peine allongée elle lance à la cantonade une bordée d’interjections sur le choix, le confort, la couleur des divans et le fichu goût des analystes. Je laisse passer et quand elle commence à me chauffer les oreilles je lui lance un « et quoi d’autre », qui un instant lui coupe le sifflet, mais très vite elle se remet à son travail là où elle avait laissé les choses la séance précédente. Salutations.

La séance suivante, c’est moi qui suis pour le coup estomaquée. Elle vient s’allonger sur le divan, dans un ensemble marron et oranger, on n’aurait pu mieux, assorti au divan. Séance, salutations.

C’est moi qui me suis précipitée chez mon contrôleur car je pigeais qu’il s’était passé là quelque chose, qui, pour moi, faisait embarras. Je lui dis ma difficulté et c’est là où j’ai entendu pour la première fois nommé ce qui s’était passé : je m’étais trouvée en face d’un acting out de ma patiente, et bien m’en avais pris de n’avoir pas pipé mot, car tout cela s’était fait à son insu et n’aurait pas été pour elle symbolisable.

Après avoir essayé d’illustrer pour nous une approche de ces questions d’actes, en vous donnant quelques exemples connus ou miens, je vais me risquer en m’appuyant sur eux à attraper les choses par un biais plus théorique et commencer par énoncer qu’un acte pose toujours, pour un sujet, la question de son rapport ou de son absence de rapport à une articulation signifiante ; un acte, çà dit comment le sujet est pris dans le signifiant.

L’acte est d’emblée pris dans le langage, articulé ou articulable – il faut pouvoir s’en dire l’auteur, en dire son pourquoi et son comment – Un acte est toujours pour un sujet l’effet de sa prise dans le signifiant  — il doit pouvoir par le langage en rendre compte.

L’acte est toujours noué à la parole.

« L’acte nous dit Lacan est en lui même la double boucle du signifiant »,. Il est fondateur du sujet, en tant que le sujet est toujours ce signifiant représenté auprès d’un autre  signifiant. Il est sujet pris dans le langage, parlêtre dit-il. Il est sujet pris dans l’acte de parler, parler ne voulant pas seulement dire prononcer des mots mais aussi prendre en compte sa parole dans son ambiguité, son équivoque et dans ses trous, et pouvoir, dans un même mouvement prendre également en compte la parole de l’autre dans sa propre ambiguité, son équivoque et dans ses propres trous.

Vous entendez combien ces tours et détours impliquent de nécessaires répétitions et c’est probablement pour cela que Lacan nous dit qu’  « il est impossible de définir un acte, autrement que sur le fondement même de la répétition ».

Freud introduit pour la première fois dans l’  « Au-delà du principe de plaisir », le concept de répétition. Il l’introduit comme un forçage pour donner son statut définitif au sujet de l’inconscient.  Cette contrainte de la répétition il l’appelle pulsion de mort.  La vie se définirait comme l’ensemble des forces où se signifie que la mort serait pour la vie son rail, son sens. Le mécanisme de la répétition serait donc ce qui conduit un sujet le plus rapidement possible à sa mort. Son principe directeur  unirait l’identique avec du différent, croyant voir dans ce différent, de l’identique. Quelque chose de différent viendrait à s’inscrire pour un sujet sur le mode de l’identique, avec le poinçon de la première fois.

C’est le trait unaire qui joue le rôle de repère symbolique de ce un comptable. ex : Comment rendre compte  du « je préfère planer » de mon patient ? Je vous en livre une des lectures :  pourquoi me mettre dans le monde de la bagarre phallique alors que je ne suis pas sans savoir que la mauvaise foi de l’Autre me tient à l’écart des échanges symboliques qui régissent le monde humain ?

Ou encore : comment me lancer dans la conquête de l’Autre sexe alors que je ne sais pas où et à quoi me soutenir de ma place d’homme ? Comment me compter comme un quand pour l’Autre je ne compte pas ?

Ce un basal, ce un comptable, ne s’instaure que de la répétition elle-même. De l’insistance de la répétition où pour l’autre je comptais ou ne comptais pas.

Mais nous avons ici quelque chose de plus à repérer dans la mise en place du mécanisme de la répétition. Une situation, pour qu’elle puisse se croire fondée de se répéter, donc de se repérer par le sujet comme identique, cette situation implique des coordonnées d’identité signifiante qui viennent pour le sujet à fonctionner comme signe de ce qui doit être répété. Mais, se répétant elle devient situation répétée et comme telle, elle est perdue comme situation d’origine. Il y a quelque chose de forcément perdu de par le fait même de la répétition. Ce quelque chose de perdu donne le sens même de ce qui surgit sous la rubrique du refoulement.

Il est bien évident que c’est le travail de dix ans d’analyse qui a pu permettre à ma patiente allemande de se ressouvenir de ce qui était là depuis toujours mais qu’elle croyait ne pas savoir. Par quel tissage de son discours ce souvenir a-t-il été raccroché ?

Il n’est pas sans intérêt d’apprendre qu’entre temps elle était elle-même devenue mère d’une petite fille qu’elle avait dû accoucher par césarienne parce qu’  « elle ne voulait pas accoucher comme sa mère ». Elle n’a pas été sans entendre ce qu’elle disait, parce que sa deuxième petite fille, quelques années après avoir commencé son analyse, elle l’a accouchée par les voies basses et sans aucun problème ni pour elle ni pour l’enfant.

Ici aussi se posait pour elle la question de « comment mettre bas ».

Cela pose toute la difficulté de comment faire advenir du différent, là où le sujet se croît dans du même. Comment faire advenir du un comptable là où l’union et la passion ne savent compter que jusqu’à 1 ?

Lacan disait qu’il fallait toujours prendre un soin extrême lorsqu’un patient se trouvait dans cette zone du «  niedercommen lassen ». Le passage à l’acte ou l’acting out n’en sont jamais très loin. Et c’est quelque chose que j’ai toujours pu vérifier dans ma pratique.

Constatons donc que c’est dans un même mouvement que se met en place pour un sujet,  et le forçage du mécanisme de la répétition – forçage qui est dû à l’erreur du sujet de considérer comme du même ce qui est différent — et ce qui en découle du fait de la perte qu’elle inclut, soit le refoulement.

Cette même question du forçage nous la retrouvons aussi dans le déclenchement du passage à l’acte et de l’acting out. Mais dans le cas de l’instauration de la répétition, le forçage est celui du sujet qui se trompe en identifiant à une fois première les situations qu’il croit repérer comme identiques. C’est donc un acte du sujet. En est-il de même pour le passage à l’acte et l’acting out ?

Dans le passage à l’acte et dans l’acting out, les exemples que je vous ai cités nous le montrent :  le forçage vient de l’Autre.

C’est parce qu’il trouve la porte fermée à clé que le jeune patient s’éjecte par la fenêtre.

C’est parce qu’elle a assisté au viol de sa mère que la jeune enfant se précipite sous les roues du char.

Il est intéressant de noter que ce forçage venu de l’Autre, entraîne pour le sujet un acte automatique dont lui même est absenté.

C’est parce que j’ai tenté de poser une loi symbolique à sa mère que le jeune gamin va découper mon tapis. Là, le passage à l’acte se fait, dans un calcul, mal intentionné à mon endroit, mais réparateur pour la mère. Son passage à l’acte vise  mon intervention qui avait pour but de poser un interdit sur sa jouissance, alors que cet interdit, sa mère ne l’avait pas posé. De quoi est-ce que je me mêlais ? C’était de sa part, la réponse du berger à la bergère et il n’est pas exclu, qu’interrogé, il aurait su lui, pourquoi il avait fait cet acte, même s’il avait pris le parti de se taire.

Evidemment je faisais un forçage et d’une certaine façon, je ne l’avais pas volé, qu’il découpe mon tapis. Mais comment aurais-je pu soutenir mon acte d’analyste si je n’avais pas pris ce risque de dire qu’il y a certaines choses, qui, si on les prend à la légère, ne sont pas sans conséquences dans une organisation subjective ? Ca pouvait légitimement n’être pas à son goût. D’où il s’illustre que lorsqu’on fait un acte on ne peut pas s savoir ni où ni comment çà va répondre.

Affaire de style, bien sûr, chaque analyste a le sien.

Pour l’acting out également je reprendrais cette question du forçage.

La patiente de Breuer que montre –t- elle avec ce ventre enceint de son désir méconnu ? Sinon qu’elle a été par la conduite de Breuer éjectée de la position d’objet cause du désir qu’elle avait représenté pour  cet homme ? et pour pouvoir supporter cette place d’éjection que montre-t-elle sinon son désir inconscient d’avoir été traitée par lui, comme lui même avait traité sa femme en lui faisant un enfant ?

Et que montre notre jeune homosexuelle lorsqu’elle se promène avec sa dame sous les fenêtres du bureau de son père ? et que lui dit-elle dans sa monstration, si ce n’est qu’elle peut se mourir d’amour et sans contre partie, et donner par cet amour à cette catin qu’elle vénère, la place que son père ne lui a pas, à elle, donnée : celle d’être reconnue par lui comme une jeune femme désirable, certes, mais surtout désirante.

Dans l’acte nous dit Lacan, un sujet n’en existe pas moins comme divisé. Nous pouvons ici mesurer la différence entre un point d’acte, où le sujet pour divisé qu’il soit, n’en n’assume pas moins les conséquences de ce qu’il a mis en œuvre. Ex  Même si son acte lui demeure incompréhensible, ma patiente reconnaît s’être jetée sous les roues du char. Elle conçoit, dans l’après-coup, et après tout ce temps d’analyse, qu’un lien ait pu exister pour elle entre ce qu’elle a vu et ce qu’elle a fait.

Mais dans le temps du passage à l’acte la division subjective n’était pas opérante parce que l’acte s’est fait sur un mode automatique : se précipiter.

De même, le jeune adolescent, lorsque, enfant il a vu que la porte était fermée, il est sorti par la fenêtre.

Dans ces deux cas, le terme même de T.S. est récusable, bien que la mort réelle  du sujet aurait pu s’ensuivre, car dans cet acte le sujet n’y était pas.

Mais plus qu’à la définition même de l’acte, Lacan se préoccupe des suites que cet acte entraîne dans les mutations mêmes du sujet. Un acte c’est ce qui rend un sujet autre que ce qu’il était. Un acte peut évidemment changer tout le cours d’une vie.

Toujours à propos de l’acte j’aimerais relever un autre élément dont il n’est pas aisé de mesurer l’importance clinique. Il s’agit du type de négation opérant dans la notion d’acte. Lacan souligne qu’il  s’y agit toujours de déni, de Verleugnung. « Le déni est toujours ce qui a affaire à l’ambiguïté qui résulte des effets de l’acte comme tels ».

Vous avez pu constater que dans tous les actes que je vous ai cités, dans aucun d’entre eux,  il n’y a eu, une acceptation, une reconnaissance de l’acte sans embarras. D’une quelconque façon, ou  le sujet n’y était pas, ou il  s’y reconnaissait peut-être, ou était dans un démenti total par rapport à lui.

Qu’il s’agisse dans l’acte, du même mode de négation que celui opérant spécifiquement dans la perversion  nous renvoie à la double difficulté inhérente à tout acte. A savoir qu’il pose un avant et un après, mais aussi qu’ il nous oblige à la question de savoir si un acte n’est pas toujours lié à la question de l’objet  et de l’aliénation du sujet. Quand j’avance la question de l’objet j’entends, de l’objet tel que nous le rencontrons en psychanalyse, c’est-à-dire, l’objet a, cause du désir.

Et puisque les points d’acte sont au carrefour de ce qui est symbolisable ou pas pour un sujet, nous devons interroger à chaque fois, le rapport de ce point d’acte et à un énoncé et à une énonciation, comme possible ou impossible, avec les conséquences que cela  entraînent. Nous entendons par là que la question de l’acte concerne tout le rapport du sujet à la parole et au langage.

Que le sujet se trouve porté par cette division subjective et nous serons dans les aléas d’une parole, certes embarrassée, mais capitonnée. Mais que le sujet en soit délesté et nous le trouverons comme la proie des signifiants déchaînés, en un discours courant dont lui-même est exclu puisque comme sujet il n’y est pas advenu.

Lorsque Lacan nous parle de l’acting out comme « d’un équivalent psychotique », il dit dans sa leçon du 11 Janvier 56 « l’acting out est un équivalent de type hallucinatoire, délirant » qu’est-ce que cela implique ?

Un court-circuit du capitonnage qui laisse le sujet sans mots, c’est-à-dire dans l’impossibilité de se compter comme sujet dans une assomption énonciatrice ? Probablement, notons alors que cette fonction a été antérieurement opérante pour ce sujet  même si ponctuellement, elle ne l’est plus.

Cela nous conduit à constater que tous les cas princeps cités d’acting out sont tous référés à des cas de névrose Dora, la jeune homosexuelle, la patiente entre Breuer et Freud, le patient de E. Kriss –celui qui allait raconter à  son analyste qu’à la fin de ses séances il allait manger son plat préféré : des cervelles fraîches – ou ma patiente au tailleur marron.

Dans l’acting out comme équivalent psychotique le sujet se trouve être le siège d’une conduite inconsciente qui lui échappe complètement, qui lui est indialectisable, conduite dont il ne saurait rendre compte, sauf à en rajouter.

Il ne s’y agit pas d’une méconnaissance qui dans le transfert pourrait s’analyser et se résoudre par la levée du refoulement.

Il ne s’y agit pas non plus d’une forclusion dans la mesure où dans d’autres situations ce même sujet reste soumis à la castration. Il s’y agit d’une pseudo castration entraînant une conduite pseudo délirante, comme dans un délire ou dans un néologisme, où le sujet est ponctuellement incapable de rendre compte  ce qu’il  agit.

Alors, qu’est-ce qui, dans l’organisation psychique, pousse un sujet à dénier l’acte qu’il vient de faire ? Qu’est-ce qui fait que, de cet acte  il puisse être ou en partie ou totalement exclu ?

C’est ici que se pose la question de l’aliénation du sujet .

A quelle aliénation est soumis un sujet lorsqu’il se trouve précipité dans le passage à l’acte, ou quand dans l’acting out, il se montre sur la scène oedipienne, phallus imaginaire dévoilé, et sans en avoir lui-même la moindre conscience ?

J’ai repris brièvement la question de l’aliénation dans ce que Lacan appelle le choix forcé du sujet. Dans certaines situations, le sujet peut se trouver devant une fausse alternative qui se présente selon la loi classique du : ou bien ou bien, mais dont le choix, la décision impliquent pour lui sa vie ou sa mort. Ce n’est pas fromage ou dessert, c’est par exemple la bourse ou la vie, la liberté ou la mort.
Mais c’est aussi bien, la haine dans le regard de son père et le niedercommen, pour la jeune homosexuelle, ou encore, si pas  la porte, alors la fenêtre, pour mon patient  adolescent, ou encore le viol et les roues du char pour ma jeune patiente allemande.

Nous mesurons bien que dans ces situations parler de choix  est irrecevable car le sujet se trouve subjectivement confronté à un pseudo choix : c’est parce qu’elle ne peut pas  affronter ce qu’elle lit dans le regard courroucé de son père que la jeune homosexuelle a sauté  par-dessus le parapet. Plutôt rien que çà.

C’est parce qu’il ne peut symboliser le mensonge de ses parents que le jeune adolescent s’est précipité par la fenêtre. Si pour eux je ne compte pas, à quoi je peux me raccrocher ?

Le sujet se trouve donc condamné ou à ne pas penser ou à ne pas être. Mais qu’il puisse ou penser ou être, ou ne pas penser ou ne pas être, est entièrement déterminé par le choix qui se joue pour lui dans l’inconscient, dans son assise subjective. Il ne peut inconsciemment que s’appuyer sur le fait que pour lui, se soit inscrit ou pas, un rapport à l’Autre un tant soit peu pacifié, c’est à dire un rapport au phallus et à la castration qui lui permette subjectivement de se compter comme un un, et non pas comme un objet ou un appendice accroché au corps ou au désir de l’Autre.

Du côté du «  je ne pense pas » le sujet ne consiste plus qu’en cet objet de rebut qu’il n’y a plus qu’à laisser tomber puisque que ce qui lui donnait la brillance phallique qui faisait qu’il pouvait s’en soutenir est tombé, dans la lecture qu’il fait de la place dévoilée  qu’il occupe pour l’Autre.

Vous voyez que nous sommes là dans des situations extrêmement compliquées.

L’intérêt de vous donner à entendre ce qui se passe dans ce choix forcé, c’est que nous pouvons mesurer que, dans les 2 types de choix il y a une perte obligée pour le sujet :

Qu’il choisisse de vivre alors il se condamne à ne pas penser, qu’il choisisse de penser alors c’est de sa vie dont il se sépare.

Dans les deux cas, la vérité de l’aliénation ne se montre que dans la partie perdue.

Au niveau de l’acte, il y a forcément, nécessairement, quelque chose à perdre et peut être est-ce pour cela, que faire un acte nous coûte toujours autant et que nous nous donnons constamment la possibilité de l’éviter, en nous collant à la Verleugnung, à la perversion.

Alors, tâchons d’articuler tout cela à notre question de départ :

Du côté du je ne pense pas, nous aurons un je qui va s’exclure dans le passage à l’acte . S’il n’est pas fatal, le travail de l’analyse pourra tenter de se poursuivre dans l’orientation du Wo es war, soll ich verden. Là où c’était, le çà du je ne pense pas, doit advenir le je du je ne suis pas de l’inconscient. C’est à dire que là où çà parlait comme pure parlotte, comme « saute par la fenêtre » en ce lieu doit advenir le je d’une énonciation inconsciente, où le sujet prend à sa charge ce qui se trouve être dit, avec les effets de division qui en découlent pour lui : par ex. :

J’ai le droit de penser que mes parents ont failli à la parole qu’il m’ont donnée et de savoir que cela ne sera pas sans conséquence dans notre relation à venir, et de comprendre du même coup ,qu’il n’y aura plus jamais pour moi la possibilité de croire en la parole de quiconque comme en une parole d’évangile.

Du côté de l’acting out du « je ne suis pas », nous aurons un je exclu de son rapport à l’être, au phallus et cela se traduira par une monstration sans sujet : Je promène et sans que je le sache mon ventre gros, de mon désir d’enfant de cet homme qui ne peut l’assumer.

Je dis à mon analyste en lui racontant mon repas, que de cervelle fraîche, il en faudrait un peu plus dans ses interprétations,

Je montre, sans le savoir, dans mon tailleur marron la rivalité que je ne peux assumer dans les mots dans mon identification à l’analyste, mais aussi, le désir que je ne peux pas dire, que je saurais infiniment mieux qu’elle, quoi ? décorer bien sûr,

Ce n’est que dans l’après coup de l’analyse que le patient pourra ou non y revenir et tenter d’en produire une dialectisation  en assumant la division subjective qu’alors il ne pouvait affronter.

Nous constatons, que dans ces 2 cas d’aliénation du sujet , passage à l’acte et acting out, ce qui conditionne cette aliénation, c’est l’élimination fut –elle ponctuelle, du grand Autre. Etre aliéné c’est être hors du seuil.

L’élimination de l’Autre veut dire ici qu’il n’y a plus de discours phalliquement orienté, hors du seuil, qu’il n’y a plus rien d’assumable pour le sujet concerné.

Nous comprenons mieux, comme analyste, pourquoi dans l’acting out notre liberté de manœuvre est extrêmement réduite soit,  permettre un lieu pour qu’une parole se tienne même si déplacée, dans tous les sens du termes, puisqu’il s’y agit et du phallus toujours incongru et d’une parole à côté.

Dans le passage à l’acte, l’automaticité et la rapidité de l’acte semblent rendre même impossible, dans le temps de l’acte, toute action thérapeutique. C’est seulement quand l’issue n’a pas été fatale que les lignes qui le sous-tendent peuvent s’en reprendre.

Ainsi ce que j’ai tenté de donner à entendre au gamin qui avait découpé mon tapis.

C’est après des années de travail que ma patiente a pu accoucher « comme sa mère ».

Comme j’espère vous l’avoir donné à entendre c’est tout le champ de notre clinique qui est concerné par cette question de l’acte, j’espère donc seulement nous avoir ouvert quelques avenues pour la suite de nos réflexions et je vous remercie de votre attention.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Entre Islam et Occident, « La mère mais-dite-erro(a)née » par Ghislaine Chagourin

Journées « L’unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus forte que le constat de sa diversité ? » (Marseille 2010)

Marseille  – aussi dite porte de l’Orient et plus récemment Métropole Marseille Provence – se révèle un excellent laboratoire des questions d’altérité et  nous éclaire sur le type de lien qui peut exister entre les rives de la Méditerranée [1]. Lien qui aujourd’hui se réduit trop souvent à une frontière séparant Occident et Islam.

La cité phocéenne a été fondée il y a 2600 ans par des représentants de la civilisation grecque polythéiste venus d’Asie Mineure. Issue de ce colonialisme, elle est restée longtemps culturellement grecque, ensuite romaine, puis christianisée avant de redevenir indépendante et provençale pour tardivement être de nouveau colonisée, cette fois par le royaume de France. Ainsi son histoire s’ancre à la fois en Méditerranée, en Provence et en Europe du Nord. Plus récemment elle a endossé un statut de port colonial puis de terre d’immigration post coloniale à dominante pied-noir, maghrébine, africaine puis d’Europe de l’est. Marseille a embrassé au fil de son histoire les positions de colonie et de colonisatrice ce qui l’a rendu longtemps exemplaire en matière de brassage culturel. L’immigré et l’étranger n’y sont pas toujours confondus,  l’histoire de la ville révèle que malgré des épisodes violents, une intégration successive de diverses migrations, notamment italienne, espagnole, corse, arménienne, a fonctionné au point parfois de ne plus noter de différence dès la 3ème génération: « cet effacement de la mémoire identitaire fait aussi partie de l’histoire de la cité » [2] nous dit l’historien Emile Témime.

Cette place de l’Etranger, c’est à partir du mythe fondateur de Marseille – celui  de Gyptis et Protis –  que nous l’avons abordée. Avec l’accord de son père, Gyptis la ligure autochtone choisit Protis Le navigateur grec comme époux afin qu’il fonde le port phocéen. L’Altérité est ainsi symboliquement mise au cœur de l’identité fondatrice [3] de Marseille alors que l’amour pour l’étranger en constitue la composante imaginaire [4] (ce qui serait très chrétien) et le négoce, l’échange maritime y tient lieu de composante réelle [5]. Peut-on lire ce mythe comme une tentative de rendre compte de la nécessité d’en passer par l’Altérité et l’exogamie pour fonder une cité ? Echange d’une femme pour rendre possible l’échange de marchandises ou échanges maritimes devant être vus comme des métonymies de l’échange des femmes ? Au fil de l’histoire de la cité, l’Altérité et la place de l’étranger ont changé de registre. Depuis longtemps, l’Autre maternel tend à y fonctionner comme composante identitaire symbolique [6], la « Bonne mère » est emblématiquement représentée par  la statue géante de Marie tenant l’enfant Jésus, surplombant la ville et la basilique de Notre Dame de la Garde. Aujourd’hui, le ballon de football tient lieu de trait identitaire imaginaire et l’étranger devient souvent un ennemi réel méprisé à expulser. Ce qui se retrouve dans le réel au niveau du découpage urbanistique : division quartiers nord et quartiers sud et cités difficiles même si elles sont incluses dans la ville. Donc érection de frontières et vidage de l’Altérité.

Ce changement de registre de l’Altérité n’a pas été sans effet ; comme ailleurs en Occident,  règne à présent à Marseille une aspiration à une jouissance sans limite[7] que l’intitulé du feuilleton « Plus belle la vie », tourné à Marseille en studio, donne à entendre. On assiste à une véritable « californisation » [8] de Marseille qui attire de plus en plus de nordistes et de touristes venus là pour consommer du soleil. Les linguistes après avoir noté que le Provençal en tant que langue faisait lien social, notent l’évolution d’un «parler marseillais » qui tente en le ratant l’échange de la lettre. « Parler marseillais» dont on peut se demander le lien avec la lingua franca [9] décrite par la chercheuse Jocelyn Dakhlia, qui est une langue véhiculaire composite (à l’instar des pidgins), qui était parlée autrefois, depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle, dans l’ensemble du bassin méditerranéen, principalement par les marins et les marchands, mais aussi par les bagnards, prisonniers, esclaves et populations déplacées de toutes origines.

Du coup le lien social est plus fraternel que social, il produit de l’étranger au lieu de l’intégrer et au niveau de la sexuation, dans les cités, le « mia » et la « sœur » ont remplacé le « cacou » et la « cagole », cette dernière étant devenue…une marque de boisson alcoolisée…. Enfin, quand l’idéal « footballistique » tient lieu d’index phallique  s’il crée de la fraternité, il peut aussi devenir synonyme d’indiscipline, d’incivilité et de violence. Violence qui n’est pas comparable à celle des célèbres mafias d’antan car elle n’a plus de règles ni de code d’honneur, elle est souvent meurtrière gratuitement, à l’aveugle et raciste. Ce qui n’est pas sans rappeler certaines caractéristiques des banlieues de nos grandes métropoles européennes quand elles fonctionnent comme lieux d’exclusion et de stigmatisation. Sauf qu’ici, la ville, comme « étrangère » [10], fonctionne depuis longtemps comme une banlieue « difficile » vis à vis de Paris.

Cette évolution n’est pas l’apanage du brassage culturel marseillais, elle est comparable à ce qui peut se produire aujourd’hui au niveau individuel quand il y a passage du père à la mère, d’un index phallique (le Un) supporté par du symbolique à un index phallique problématique car référé à un trait identitaire imaginaire ou à de l’Autre maternel comme incarnation du phallus. Ce qui renvoie à une culture matriarcale au sens où Charles Melman [11] l’entend c’est-à-dire faisant référence à des modalités de transmission imaginaire du phallus dans lesquelles la mère exerce un pouvoir réel. Nous avons tenté de distinguer un matriarcat qui s’ordonne autour du Nom du Père et une culture  matriarcale qui se passe tout court du père comme dans la Nouvelle Economie Psychique. Nous avons aussi tenté de voir si à Marseille, il s’agit uniquement d’une culture matriarcale non référée au Nom du Père.

Si à Marseille, il n’y a pas moins de violence au jour le jour, il y a peut-être moins de violence que dans d’autres villes d’Europe ou dans certaines banlieues lors des grandes crises nationales ou internationales impliquant, lesdits rapports entre Islam et Occident. Il semble qu’à Marseille, le brassage culturel permanent et continu ait de longtemps brouillé les lois de la filiation et de la transmission et favorisé l’idée fausse selon laquelle le père est étranger, ce qui peut être perçu comme cause de sa déchéance et qui renvoie à une approche freudienne du père.

De nombreux fervents marseillais (il faut faire la différence entre se dire marseillais et habiter Marseille) se revendiquent comme des enfants d’immigrés (avec cette idée qu’immigré = étranger), mais devenir marseillais provoque souvent chez eux l’idée que la France c’est l’étranger. Ce fort sentiment d’appartenance, qui exclut l’Un comme autre étranger, serait d’ailleurs à lire comme un avatar de l’Altérité. Faute de l’amour d’un père Un repéré comme tel,  il est tentant de se tourner vers la « Bonne Mère » incarnation phallique imaginaire qui les aime contrairement à la « mère patrie» qui n’admet qu’Un père.  Or, en aucun cas, la mère ne peut assurer la fonction paternelle symbolique car elle ne peut pas être le père réel, c’est-à-dire celui qui est la cause réelle de son absence, celui qui occupe la place de « l’Autrui » [12] selon les termes de J.P. Lebrun, c’est-à-dire celui qui la fait femme. Ainsi, avec ce type de matriarcat, avec ce culte de la « Bonne Mère », la question d’une femme en tant que désirante peut devenir problématique et mener à un matriarcat pur. Il peut y avoir vidage de la sexualité et de la féminité ce qu’on retrouve dans la clinique auprès des populations issues de diverses cultures méditerranéennes monothéistes et notamment maghrébines. Le brassage culturel serait-il un contexte qui « pousserait au matriarcat » car la question de l’Autre y serait masquée par celle du père comme étranger ? Mais ce « pousse au matriarcat » n’est-il pas justement au cœur des trois monothéismes ? Ce qui nous a amené à étudier de plus près comment les monothéismes articulent patriarcat, matriarcat et féminité en nous appuyant sur les travaux de Fethi Benslama [13].

– Il rappelle que le patriarcat est référé au monothéisme originaire juif puis chrétien, celui de la foi d’Abraham, qui est la croyance en un Père-Originaire Unique (« Urvater » [14], disait Freud).  Dans cette écriture, Abraham ou Joseph sont les pères de la réalité mais seulement comme représentants du Père-Originaire ce qui limite leur pouvoir.

– Selon lui,  «l’Islam provient de l’étrangère à l’origine du monothéisme (Agar), demeurée étrangère dans l’Islam » [15]Ainsi, si le monothéisme judéo-chrétien met en place le patriarcat, le monothéisme musulman nous dit quelque chose du féminin et de son désaveu. C’est à travers l’histoire de la famille Abrahamique qu’il avance que le signifiant originaire de l’Islam c’est l’altérité féminine, l’ouvert à travers la figure d’Agar (devenue Hagar une fois mère). Elle est la mère réelle d’Ismaël, premier fils d’Abraham, mais c’est Sarah la mère symbolique, mère adoptive de droit car femme légitime d’Abraham. C’est ainsi Sarah qui fait d’Abraham un père en faisant acte de castration symbolique en renonçant à la position de génitrice. Hagar c’est l’Autre féminin, l’autre femme, celle qui enfante pour Sarah. Toujours selon lui, la filiation d’Ismaël est une filiation de la race, c’est le don du possible de la paternité par le pas-tout phallique d’Hagar. Il rappelle que l’Islam exclut Dieu de la logique de la paternité et s’articule généalogiquement à Abraham par son fils Ismaël qui sera considéré comme l’ancêtre éponyme des 12 tribus arabes de Transjordanie et du Nord de l’Arabie. Il y aurait avec l’Islam, réappropriation du Père-Originaire par la figure d’Abraham et désaveu d’Hagar c’est-à-dire du pas-tout phallique. Il précise que le patriarcat issu de l’Islam ne fait pas de séparation entre la logique de la naissance qui inclut dans une famille et celle de la politique qui inclut dans une tribu, une communauté sociale.

Cette logique d’inclusion dans une famille et une communauté c’est ce que j’entends dire à nombre de jeunes français d’origine maghrébine qui la découvrent quand ils partent en vacances dans le pays d’origine de leurs parents ou grands-parents. Ils arrivent au bled, comme ils disent, qui se révèle encore souvent être une grande famille régie par la loi des ancêtres. Ce qui fait sans doute qu’avec l’Islam la communauté sociale d’appartenance participe du Nom du Père. Ce qui n’est pas sans poser problème car de ce côté ci de la méditerranée de nombreux musulmans d’origine maghrébine n’ont plus ce support de la communauté sociale des ancêtres; ni en France – où ils sont encore trop souvent stigmatisés comme immigrés – ni au bled où ils sont aussi souvent considérés comme des étrangers. Ce qui, semble t-il, peut contribuer à saper l’assise symbolique du Nom du Père. En comparaison, les Comoriens musulmans à Marseille maintiennent une organisation sous la forme d’associations du village d’origine qui tente encore de remplir cette fonction. Par ailleurs, ceux-ci considèrent Marseille comme la capitale des Comores ce qui contribue à une grande solidarité sociale et la sexualité est traditionnellement moins désavouée chez les femmes comoriennes bien que toutefois dans la clinique on retrouve de nombreuses femmes élevant seules leurs enfants.

Pour revenir au patriarcat, F. Benslama dit que « le père symbolique pour le judaïsme et le christianisme est le père réel pour l’Islam » [16]c’est-à-dire que dans le judaïsme et le christianisme, c’est Dieu le père symbolique alors que dans l’Islam, c’est Abraham. Mais dans tous les cas, il ne faut pas confondre père de la réalité et père réel ou père imaginaire. Sur le plan clinique cette possible confusion m’a évoqué ces pères musulmans qui sont considérés en France comme maltraitants ou tyrans, à qui sont retirés les enfants alors qu’à leurs yeux ils ne font que ce qui est attendu d’un père et qu’ils tentent d’éviter que leurs enfants deviennent délinquants.

En tout cas, ces différences de patriarcats dans les trois monothéismes, nous permet de repérer qu’ils sont étroitement intriqués dans leur genèse et fondement à la question du féminin. Du père symbolique ne peut émerger que si l’altérité féminine est reconnue, assumée comme telle et non déniée ou désavouée : « c’est une fonction structurale du féminin à l’origine qui conditionne l’instauration généalogique du père » [17]En d’autres termes pour que l’homme advienne comme père (dans sa dimension symbolique) et remplisse sa fonction paternelle, il faut un autre pôle que celui de la femme ou de la mère phalliques, il faut qu’il désire et soit désiré dans les limites de la loi symbolique. Sans cela, le père aura du mal à s’élever à la fonction de signifiant à travers le Nom du Père. Toutefois, même si à suivre F. Benslama, l’Islam est fondé sur le désaveu du féminin, il faut dire que les trois monothéismes ne reconnaissent une dignité symbolique aux femmes qu’à travers la conception du fils, c’est-à-dire en tant que mères. Cela contribue au maintien de l’idée d’un rapport sexuel entre homme et femme en rendant indistinctes maternité et féminité ce qui structuralement est faux. Une mère n’est pas une femme (pour ses enfants), car elle se soutient d’un phallique même s’il est imaginaire (métonymique), et non symbolique (métaphorique).

Mais cette analyse nous permet d’avancer que l’instauration d’un matriarcat qui ne s’ordonnerait pas au Nom du Père peut résulter d’un vidage de la position féminine Autre, du pas-tout phallique, du fait d’un effondrement de la fonction phallique symbolique par excès du père imaginaire tout puissant. Autre façon de le dire, le patriarcat perd de son efficace à supporter la fonction phallique et « pousse au matriarcat » quand il s’appuie uniquement sur du tout phallique. L’incidence du vidage du pas-tout phallique reste peu évoqué comme cause de l’effondrement de la fonction phallique alors qu’on le retrouve dans la clinique individuelle dans un contexte de brassage culturel et notamment dans la parole de ces mères qui ne font aucune place au désir pour un homme et exercent seules un pouvoir réel sur leurs enfants.

Il semble que le matriarcat méditerranéen que l’on pouvait trouver dans les cultures maghrébines au pays d’origine, était encore articulé au Nom du père par le fonctionnement de la communauté villageoise autour du respect des ancêtres et du traitement religieux et social de la différence des sexes.  En France cela est différent : on trouve cette image d’une femme (mère ?) qui sous couvert d’émancipation féminine est avant tout mère, formant parfois quasiment un couple avec l’un de ses fils, seule en charge de ses enfants sans l’aide de la communauté villageoise ou du père qui même quand il est là, même s’il est très macho, voire tyran (ce qui est loin d’être toujours le cas), n’en est pas moins souvent humilié socialement car immigré et s’il est parfois violent réellement, n’a aucune autorité symbolique sur son fils ou sur sa fille. Cela aboutit à un matriarcat non référé au Nom du Père qui préfigure sans doute ce que l’on retrouve dans la clinique ordinaire aujourd’hui. C’est alors la « mère-mais-dite-erronée », la méditerranée en perdant son petit a rend inopérante l’Altérité. C’est cette mère « erronée » qui contribuerait à créer une frontière entre les rives au lieu de  maintenir une littoralité méditerranéenne moebienne à une face comme effet de l’exogamie et de l’échange. Cela ne serait pas sans lien avec le monothéisme puisque ce matriarcat ne serait qu’un avatar imaginaire du patriarcat qui découle du monothéisme. C’est le désaveu du pas-tout phallique qui favoriserait en partie l’extension d’un matriarcat non référé au Nom du père et l’extinction du patriarcat en Europe et en Occident.

D’après les travaux d’Hélène l’Heuillet, l’Islamisme intégriste et terroriste, qui n’est pas l’Islam, se pose en instrument de critique radicale de l’Occident mais participe d’un modèle maternel qui  mène la jouissance jusqu’au matricide en tant qu’Autre intrusif et tout-puissant sous le  signifiant « l’Amérique ». L’attentat –suicide étant dans cette optique une façon de mettre fin à la séparation avec l’Autre maternel. « Le terrorisme serait la forme prise par la guerre quand le modèle paternel d’autorité s’éclipse au profit d’un modèle maternel. (…) Le terrorisme est une guerre qui fait l’économie de l’Altérité» [18]Hélène l’Heuillet rappelle que l’intégrisme de Ben Laden se veut d’ailleurs une défense de la virilité des musulmans. Il me semble qu’il n’est dans cette logique qu’une forme dévoyée de patriarc(h)at, un forme extrême de lutte contre ce qui serait perçu comme une féminisation de la société occidentale. Je me démarque de F. Benslama quand il analyse que l’Occident tend vers un « Destin identitaire de femme » après être parti du la toute puissance phallique à travers le judaïsme et le christianisme. Il semblerait que plus qu’un « Destin identitaire de femme » pour l’Occident, il s’agirait d’un destin matriarcal qui est pris pour une féminisation dans un amalgame féminité, maternité. [19]

Face au risque du National Socialisme, Freud s’est en son temps collé au démon de l’origine en instituant Moïse en « grand étranger » comme condition de la civilisation. Alors que sans doute il serait plus juste de dire que c’est la mère en tant que femme qui doit se situer comme Etrangère pour rendre le Nom du Père opérant. C’est-à-dire qu’il faudrait que l’exogamie soit effective mais l’est-elle ? Ces échanges commerciaux de tout temps actuellement encouragés par le projet Union pour la Méditerranée n’en seraient que des métonymies, des « avatars » pour utiliser un signifiant à la mode.

Pour revenir à Marseille, où les mamans musulmanes vont parfois faire offrande à Notre Dame de la Garde, contrairement à ce qui se dit, il nous apparaît que Marseille n’est ni toute cosmopolite (qui consisterait à des Uns sans Autre: le tissu social ne se résume pas à la coexistence de diverses « communautés » même si elles sont désignées comme telles) ni toute créole ou métissée (qui consisterait à de l’Autre sans Un) ni toute matriarcale (qui consiste à de l’Autre maternel soutenant l’index phallique: la capacité d’intégration des étrangers existe encore et laisse penser que l’Autre y fonctionne encore) mais alors serait-elle « pas toute » et donc multiple ? Ce qui laisserait la place pour de l’Autre, à du Un mais aussi à de la jouissance Autre. Pour reprendre la formule de Lacan, « se passer du père à condition de s’en servir », pourrait-on dire que les marseillais sauraient se servir de l’Autre – ce qui est finalement très lacanien – même si parfois, ils ne savent pas se passer du père – ce qui est très freudien !

Notes

[1] Ce texte est le résultat des travaux du cercle de recherche et d’études sur le brassage culturel et la question du phallus à Marseille. Cercle que j’anime depuis 3 ans selon une idée originale d’Edmonde Luttringer. Nous avons travaillé à partir de la clinique et d’après les concepts freudiens, lacaniens et aussi d’après les travaux de Charles Melman sur la question de la fonction paternelle en situation de brassage culturel, sur les effets subjectifs du changement de langue, sur les phénomènes identitaires, sur la question de l’(E)étranger et enfin sur le matriarcat et  la Nouvelle Economie Psychique.

[2] Migrance, histoire des migrations à Marseille, sous la direction d’Emile Témime, Editions Jeanne Laffitte, 2007

[3] En référence au travail de P.-C. Cathelineau dans, L’Autre, l’étranger, l’identité en préparation au colloque de Fez 2008site internet de l’ALI, 20/11/2007

[4] En référence à la conférence de Charles Melman, Les quatre composantes de l’identitéprononcée en 1990 à l’hôpital Bicêtre, site internet de l’ALI

[5] Idem

[6] Dans l’après coup des journées je me dis qu’il existe d’autres lectures de l’identité marseillaise: Celle dans laquelle la « bonne mère » tient lieu de composante réelle, le club de football l’OM de composante symbolique et l’étranger est cet ennemi imaginaire méprisé. Lecture qui rend compte des phénomènes identitaires  locaux. Mais une autre lecture apparaît, celle dans laquelle la  « bonne mère » tient lieu de composante imaginaire alors que le football est en symbolique et l’étranger en réel comme ennemi à expulser. Cette lecture se rapprochant plus d’un matriarcat traditionnel référé au Nom du Père mais n’en constitue pas moins un avatar de l’Altérité.

Ghislaine Chagourin

[7] En référence à Charles Melman, l’Homme sans gravité, jouir à tout prix,Ed. Denoël, Paris, 2002

[8] Expression empruntée à l’historien Alèssi Dell’Umbria, histoire universelle de Marseille – de l’an mil à l’an deux mille, Ed.Agone, Mémoires sociales, 2006

[9] J. Dakhlia, Mémoire des langues, La pensée de midi 2000/3, N° 3, p. 40-44.

[10] Ghislaine Chagourin, De Marseille « l’E(é)trangère » à Marseille-Provence capitale européenne de la culture en 2013article paru sur le site de l’Association lacanienne internationale

[11] Charles Melman, L’Homme sans gravité, jouir à tout prix, Ed. Denoël, Paris, 2002

[12] Mot emprunté à Jean-Pierre Lebrun dans la perversion ordinaire,vivre ensemble sans autrui, Ed. Denoël, 2007

[13] Fethi Benslama, La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Champs Flammarion,  Paris, 2002

[14] Sigmund Freud, L’homme Moïse et la religion  monothéiste, folio essais, Gallimard, Paris, 1939, 1986 

[15] Fethi Benslama, La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Champs Flammarion,  Paris, 2002

[16] Fethi Benslama, La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Champs Flammarion,  Paris, 2002

[17] Idem

[18] Hélène L’Heuillet, Aux sources du terrorisme, de la petite guerre aux attentats-suicides, p. 114-115, Fayard, 2009

[19] Cf. ce que Charles Melman a pu écrire au sujet de Ségolène Royale

À propos du film « Tom boy », quelques questions, par Rafaëlle Bernard

par Rafaëlle Bernard, mai 2011.

À propos du film « Tomboy* » où une petite fille d’une dizaine d’année se fait passer pour un garçon, à son arrivée dans une nouvelle résidence.

De ce qui se joue du phallus lorsque le genre est en question chez une petite fille…

D’emblée je proposerai de vaciller autour de ce « qui se joue » : entendre ce qui se joue…comme au théâtre, ou plus sérieusement du côté de l’enjeu ? Mais aussi un peu comme un « je me joue de toi, petit bonhomme… »

Je ferai tout dans le désordre, puisque c’est la panique au tableau de la sexuation…Commençons donc par la chute, qui m’a semblé la plus remarquable, le dénouement ( !). Vers la fin du film, la supercherie est découverte, bien sûr. Il faut alors à cette enfant supporter la révélation aux yeux de tous de son identité de fille. Elle va passer un moment manifestement pénible, humiliée par et devant le groupe de garçons dans lequel elle s’était faite admettre. Un moment de brutalité de la part de ces petits hommes incrédules devant cette fille qui a osé venir marcher sur leurs plates-bandes…Mais de ce fait aussi sec elle ne compte plus…Passé ce moment violent, pffuit, éliminée, « c’est rien qu’une fille ». Et Laure, du coup, pourra leur tourner le dos, il n’en restera pas grand-chose. A moins que ne compte cette blessure d’avoir été si facilement exilée, mais il semble que ce pourrait être quelque chose d’une grande règle du jeu que Laure serait à même d’admettre.

Une réflexion m’était apparue comme une évidence à la sortie du cinéma : à condition que Laure ait les moyens, et cela ne semble pas exclu, au fond, de renoncer sans trop de dégâts à la tentation d’être toute de ce côté-là, si elle choisit finalement le côté « fille », alors on peut dire qu’elle en était déjà indemne, de cette affaire…Tout simplement parce qu’ « elle ne l’a pas », qu’elle le savait quelque part fort bien, et que par conséquent elle n’avait « rien à perdre », ce qui explique peut-être l’excellence de sa  prestation de garçon. C’est si flagrant que sa petite copine, celle-là même qui était si séduite par « Laure-Michaël », et qui se sent un moment flouée à la découverte de « Laure-Laure », me semble reconnaître elle aussi cette force-là, (celle de « ne pas l’avoir » et de ce fait de « pouvoir s’en passer etc… »), en elle-même comme en Laure-Laure. Elle revient vers cette dernière, capable de complicité. Presque elle serait capable, si jeune, de s’avouer clairement que c’était Laure qui l’attirait en Michaël, la faisant se sentir comme qui dirait en terrain ami…Du côté des petits mecs, pré-pré-ados, il en va tout autrement, car  ce avec quoi Laure s’est permis de jouer, c’est plus qu’important, c’est majeur, c’est constitutif. On ne plaisante pas avec le phallus. C’est du sérieux. Faut que ça tienne. D’ailleurs, qu’on puisse jouer avec ça, ça les dépasse, tout simplement, et ils s’en détournent.

Voilà un premier point, mais ce qui reste ensuite c’est la question posée par Laure, et les racines de cette question que l’on peut interroger à la lumière de ce qui est donné à voir de son histoire familiale. Car ce film propose un schéma qui à mon avis appelle des commentaires. Dans ce schéma la mère est une grande femme blonde, nordique et androgyne. Le père, lui, est brun, chaud, plus enveloppant, plus méditerranéen, plus féminin, dirais-je d’emblée. La petite sœur de Laure, Jeanne, ronde et sensuelle, aux longs cheveux bruns, a aussi l’œil humide de son père, c’est déjà une petite femme, elle sait déjà tout du costume à endosser pour faire la femme. Laure, elle, « tient de sa mère », blonde et androgyne comme elle. Il y a ainsi une donne inscrite dans la dualité dans cette famille. Ça marche par paires et le couple parental en est comme effacé. La tentation est forte d’y noter la faiblesse d’une instance tierce qui viendrait remettre de l’ordre dans tout ça. Elle pointe toutefois le bout de son nez par l’intermédiaire du 5ème membre de la famille qui arrive, puisque le petit frère nait vers la fin du film. Il me semble vraiment avoir pour rôle celui de l’ordonnateur, petit trait Unaire en puissance…Dans la métaphore du film bien entendu.

Alors avec quoi Laure est-elle aux prises ? La place d’ainée, possiblement occupée par tant de fantasmes parentaux ? On ne peut s’empêcher de penser que s’y joue en grande partie l’énigme de ce couple où les attributs de genre semblent si curieusement distribués, presque inversés, y compris dans ce moment de maternité (point particulier à reprendre). Laure règle ça dans son corps même. A la faveur d’une transplantation de lieu…Peut-être parce que lorsque les racines s’arrachent et qu’il faut s’implanter ailleurs, on retourne pour une part de soi aux premiers stades embryonnaires…Quelque chose peut se re-jouer; il y a ce possible, et Laure va proposer une nouvelle mise en scène dans ce théâtre de marionnettes que les enfants voient les adultes jouer.

Elle va mettre en scène ce physique si lisse, si incertain, et ce corps non encore marqué par la puberté. Plus facile d’être un garçon, semble-t-il, même s’il faut se jeter dans la mêlée, voire se battre, suffit de fermer les yeux dira-t-elle. Alors que maquillée, c’est un petit clown fragile, elle n’est pas à l’aise avec les oripeaux de la féminité…

Revenons sur ce « Laure tient de sa mère » ; que tient-elle ? Se trouve-t-elle mise par sa mère à une place phallique ? Peut-on se trouver « désigné » par un dire inconscient de la mère à devoir tenir cela ? Son père semble entériner cet état de fait, témoin la scène où il lui apprend à conduire…Comment est-il question ici de la castration ? Celle de la mère ? Mère de qui émane par ailleurs une sorte de tristesse troublante. Simple fatigue de fin de grossesse, du déménagement ? Ou bien autre chose ? Cela restera mystérieux. Mais au moment de la découverte de la mise en scène de Laure, c’est elle qui va agir, sans prendre le temps de consulter son mari, et avec une certaine brutalité. Une attitude masculine, directe, visant avant tout l’efficacité. Il faut tout dire, et clarifier les choses au plus vite, pour ne pas rendre un peu plus tard la situation ingérable. Même si sa position peut se justifier, il manquera le temps de l’écoute. On peut se dire qu’elle aussi règle là quelque chose. Elle tranche dans le vif. Tranchant alors le cou aux interrogations de sa fille sans les affronter…Se joue-t-il quelque chose d’un évitement de la castration ? Ce qu’elle dit à sa fille c’est « ça ne me dérange pas que tu joues au garçon » Est-ce innocent ? Est-ce cela que cette petite fille a besoin d’entendre ? A quoi Laure peut-elle alors se référer pour faire la femme ? Met-elle en scène cette absence ? Cette absence chez le modèle maternel du jeu avec les attributs de la féminité, absence aussi de discours sur cette question ? De cette absence Laure fait-elle un manque ? Elle bouche le trou avec une naïveté maladroite et touchante, allant jusqu’à porter un faux pénis en pâte à modeler. Laure modèle, par manque de modèle, un, une micha-elle… provoquant au final un petit scandale qui montre à quel point elle a besoin que quelque chose soit dit de cette affaire de sexuation qui ne va pas toujours de soi.

*Un film de Céline Sciamma