CONSTRUCTION PSYCHIQUE DE LA FEMINITE Du « pénis rabougri » au « pas tout » On ne naît pas femme, on le devient

Enseignement de l’ALI- Provence – Ghislaine Chagourin – Année 2010-2011

Séminaire sur la féminité, la maternité et leurs articulations au «pas tout » et au phallus

séance du 15 novembre 2010

 

 Le thème de ce séminaire m’a été inspiré par les journées de Mars 2010 sur l’Unité spirituelle de la Méditerranée. Unité spirituelle supposée autour des 3 monothéismes dont nous avons pu constater qu’elle restait problématique sauf sur ce qu’il en est de la jouissance : « jouissance objectale d’un côté, narcissique de l’autre »1 comme a pu le dire Charles Melman en conclusion des journées. Donc frontière entre « Islam » et « Occident » par outrance de consommation d’un côté et outrance narcissique de l’autre indiquant que l’altérité et la borne phallique ne jouent plus leurs rôles et que les lois du langage ne sont plus repérées comme structurales ni déterminantes dans la constitution du sujet. Ce qui rend difficile voire impossible tout discours entre les deux rives. Pour ma part, il m’a semblé que si l’altérité et la borne phallique ne jouaient plus leur rôle c’est que dans le social, quelque chose autour de la question du féminin fait problème. Car comment entendre cette « jouissance objectale » sinon comme une jouissance sans limite, organisée hors borne phallique autour d’objets de consommation qui ne causent plus le désir mais poussent à l’addiction par exemple. Et comment entendre la « jouissance narcissique » autrement que comme une jouissance qui ne fait aucune place à l’Altérité et donc au féminin. Pourtant Lacan avec le « pas toute » de la position féminine nous a montré que l’Un ne va pas sans l’Autre sans que cela se réduise à une complémentarité imaginaire mais tient de la logique de la sexuation à savoir que , comme a pu le dire Charles Melman lors des mêmes journées, « le petit a, c’est ce qui fait que le Un n’est pas Tout»2c’est aussi ce qui permet d’échapper au tout phallique du totalitarisme ou au pas du tout phallique de la psychose. Alors, qu’en est-il aujourd’hui de la féminité et de son articulation au masculin ? Pour cela je vous propose 4 volets que j’ai découpés ainsi :

1/ Lundi 15 novembre : une séance introductive sur Construction de la féminité (outils de base de Freud à Lacan)

2/ Lundi 17 janvier : Rencontre du féminin à l’Adolescence avec S. Lesourd. Clinique

3/ Lundi 21 mars : Féminité et maternité, avortement et déni de grossesse. A partir de l’affaire Courjeault et autres exemples cliniques

4/ Lundi 16 mai : Féminité, matriarcat, patriarcat, NEP. Conséquences cliniques et politiques du pas tout.

Freud a découvert l’inconscient et la psychanalyse en travaillant avec des femmes et notamment des femmes hystériques. Il s’est intéressé à la féminité et a tenté d’en percer les modalités de construction psychique tout en parlant de « continent noir » et en disant que « l’énigme de la femme » dont les hommes parlent serait en fait l’expression de leur bisexualité. Comment entendre cette bisexualité qu’il dit plus importante chez les femmes? Mais il ne s’estimait pas très satisfait de ce qu’il avait réussi à théoriser notamment du fait que c’était, « incomplet et fragmentaire » et que « cela (ne) rend(ait) pas toujours non plus un son agréable ». Freud a donc essayé de dire la féminité alors qu’avec Lacan, on verra que ce qui se passe du côté des femmes si ça ne peut pas se dire, ça peut s’écrire. Lacan va aussi « sortir les femmes du préjugé freudien qui fait d’elles des hommes castrés » (une femme n’est pas un homme castré. Elle est pas-toute, nuance, Virginia Hasenbalg, 2010). Lacan éclaire les travaux de Freud sous une autre lumière qui prête moins le flan aux accusations de phallocratisme de misogynie ou de réductionnisme à l’anatomie qui ont été faites à Freud pas plus tard qu’avec Onfray. Dans Encore, Lacan lui-même disait concernant « la chère femme » que « Freud [qui] ne lui fait pas la partie belle » mais il le prend au sérieux sur ce qu’il a pu entendre dans sa clinique et dans le lien social.

Comment se construit cette féminité selon Freud ? Il a mis en évidence une sexualité infantile organisée autour de ce qu’il appelle le primat du phallus tant chez le garçon que chez la fille. Concernant ce primat du phallus il avoue ne pouvoir bien le décrire que chez le garçon ce qui est à entendre comme un universel mais qui est descriptible pour « pas tous ». La sexualité infantile est donc une sexualité qui vise à une satisfaction (le développement de la fonction sexuelle, 1938) et non à la reproduction et qui intéresse le devenir et l’organisation des pulsions sexuelles dès les premières années de la vie (jusqu’à 5 ans environ). Ainsi, il y a 3 stades d’organisation de cette sexualité infantile: le stade oral, le stade anal et finalement, le stade phallique. Le processus d’organisation de la sexualité est dit diphasé par Freud (le développement de la fonction sexuelle, 1938) car la phase infantile est suivie d’une phase de latence (eu égard à la sexualité) et l’organisation se parachève à la puberté avec l’accès à la génitalité et à l’opposition masculin-féminin. Serge Lesourd qui fait une lecture lacanienne de Freud a repris cela en disant que l’adolescence est ce passage où l’adolescent, garçon ou fille, devrait rencontrer « cette part de lui-même ignorée dans son enfance, le féminin ». Nous y reviendrons. L’adolescence consistant en une réorganisation de la sexualité qui avant était régie par une « libido d’essence mâle » comme a pu l’avancer Freud quand il dit que le stade phallique est un moment déterminant pour la construction du sujet en tant que sexué car dans cette phase : « un seul organe génital, l’organe mâle joue un rôle » (L’organisation génitale infantile, 1923). Au stade phallique: le pénis et le clitoris fonctionnent de la même façon (tumescence, détumescence) mais Freud rapporte que le clitoris est perçu comme un « pénis rabougri » (l’abrégé de psychanalyse, 1938). Freud dit qu’au stade phallique, « l’organe génital féminin semble n’être jamais découvert » (L’organisation génitale infantile, 1923) et que « la petite fille est un petit homme » (La féminité, 1933). Sur le plan clinique on vérifie bien qu’une petite fille ignore tout de son vagin y compris au sens anatomique. Si tel n’est pas le cas et qu’elle a par exemple des gestes obscènes sans pudeur, on retrouve, des abus sexuels ou des situations dans lesquelles la petite fille a pu voir des films pornos par exemple ce qui ne l’empêche pas d’avoir des théories sexuelles infantiles dont le vagin est forclos. La méconnaissance du vagin n’et pas à rabattre sur une question anatomique, c’est plutôt lié à l’idée que tout le monde a un phallus y compris la mère. Par ailleurs, quand Freud parle de l’organe mâle, il faut entendre le phallus au sens de symbole et non pas au sens de la réalité anatomique, au sens de pénis comme c’est souvent entendu et comme les travaux de Freud l’ont donné à entendre. Au point qu’Onfray, à la suite de nombreux autres détracteurs, traite Freud de misogyne notamment sur le fait qu’il ait dit en 1912 « le destin c’est l’anatomie » (du rabaissement généralisé de la vie amoureuse, 1912).

Comment Freud explique que seul le phallus joue un rôle ? Cela vient de ce que pour la fille comme pour le garçon, le premier objet d’amour c’est la mère et que le garçon ou la fille ont ce même désir inconscient de faire un enfant à la mère ou d’en mettre un au monde pour elle, cela étant plus prégnant chez la petite fille précise Freud (désir d’enfant qui n’est pas à confondre avec le vœu conscient de vouloir un enfant). Sur le plan clinique, il est effectivement très fréquent de recevoir aux urgences des enfants (filles et garçons) se plaignant de maux de ventre incompréhensibles pour les pédiatres et qui sont l’expression de ces vœux inconscients. Ces maux de ventre surviennent par exemple au moment de la grossesse de la maman ou après la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur. J’ai même rencontré une petite fille de 5 ou 6 ans qui avait développé une phobie des insectes qui était l’expression d’un tel vœu : elle avait peur de voir sortir une « phasme » de sa manche, équivalent imaginaire d’un accouchement. Bref, Freud avait bien entendu que les enfants ont un désir tout sexuel à l’égard de la mère bien qu’il ne s’agisse pas d’un désir sexuel au sens adulte et génital. La mère est d’autre part elle-même perçue comme détentrice d’un phallus, ce qui correspond à une théorie infantile, quelque soit le sexe, de la possession universelle du phallus. On conçoit qu’un tel propos pris au niveau anatomique puisse attirer les critiques. Au point qu’Onfray, toujours, met ces développements sur le compte des relations « tortueuses » de Freud aux femmes : relation incestueuse à sa mère puis à sa fille Anna, adultère avec sa belle soeur. Alors que l’on doit entendre cela comme la question de ce qui fait universel et du rapport que l’on entretient à cet universel.

Comment la fillette va devenir une femme dans ce contexte phallique décrit par Freud ? Il précise que c’est plus compliqué pour une fille de devenir une femme que pour le garçon de devenir un homme car elle doit accomplir 2 tâches de plus que le garçon et c’est l’attachement tendre préoedipien qui est déterminant pour l’accès à la féminité, c’est-à-dire l’attachement premier à la mère puis l’oedipe. Ce que Lacan a repris sous l’angle des premières interactions avec le grand Autre maternel (ou ses substituts) et notamment avec le stade du miroir.

Quelles sont ces 2 tâches supplémentaires, décrites par Freud, qui incombent à la fillette?

1ère tâche supplémentaire : elle doit changer de zone directrice: c’est-à-dire passer du clitoris – qui fonctionne au stade phallique comme un petit pénis – au vagin. « Le clitoris doit céder sa sensibilité, et du même coup son importance, au vagin, totalement ou en partie » (La féminité, 1933). Sur le plan clinique, beaucoup de femmes disent n’avoir d’orgasme que clitoridiennement et se demandent si c’est bien normal, si elles ne sont pas frigides. En tout cas, la formulation freudienne sonne comme un traité d’anatomie qui convoque l’imaginaire, càd la question de l’image corporelle que Lacan a repris avec le stade du miroir. Si on l’entend sur un plan plus métaphorique, on retiendra l’idée de la nécessité d’un passage d’une position phallique à une position Autre qui échappe en partie à la dialectique phallique (quelque soit le sexe anatomique) pour accéder à la féminité.

2ème tâche supplémentaire, elle doit changer d’objet d’amour, et aussi de sexe d’objet d’amour, c’est-à-dire passer de l’attachement préoedipien à la mère à l’attachement au père. Ceci se fait, dit Freud, quand elle s’aperçoit que la mère est castrée et qu’elle réalise son « infériorité » sur le garçon en cela qu’il est détenteur du pénis et pas elle. Elle se considère alors castrée comme la mère (Freud parle de « castration accomplie »). Voilà en quoi Freud fait d’une femme un homme castré. Ce terme « d’infériorité » de Freud n’est pas à prendre comme la preuve de sa misogynie mais comme le témoignage de ce qu’il a entendu et que l’on entend toujours dans l’inconscient sous diverses formes et quelque soit le sexe: mépris des femmes pour les hommes et pour les femmes, mépris des hommes pour les femmes, manque d’estime personnelle et de confiance en soi des femmes etc. Freud précise que la fillette tient sa mère pour responsable de ce manque de pénis et de sa castration ce qui va provoquer sa haine à l’égard de sa mère. Elle va alors succomber à « l’envie de pénis » qui, dit Freud, « laisse des traces indélébiles » dans son psychisme et n’est que très difficilement surmontée. Cette envie de pénis, ce pénisneid, est ce qui la fait entrer dans l’oedipe (la fillette rentre dans l’oedipe par la castration) et va éventuellement la conduire à la féminité. Du coup cela pose le problème du déclin de l’oedipe pour la fille : en effet comment renoncer au pénisneid sans sortir de la féminité? Freud disait qu’il n’y avait pas de motif de destruction de l’oedipe chez la femme alors que chez le garçon, le complexe d’oedipe disparaît sous l’effet du complexe de castration par la constitution d’un surmoi.

L a petite fille dispose de 3 façons pour réagir à cette « envie de pénis »:

1/ la blessure narcissique est telle qu’elle va rejeter l’amour pour sa mère, et refouler ses aspirations sexuelles, c’est l’inhibition sexuelle ou la névrose,

2/ elle peut développer ce que Freud appelle un fort complexe de masculinité càd refuser de renoncer à une sexualité phallique. Cela peut parfois déboucher sur une homosexualité manifeste ultérieure ou constituer le lit d’une homosexualité secondaire par régression à ce complexe de masculinité,

3/ La voie féminine normale est lorsqu’elle se tourne vers le père comme détenteur de ce pénis dont elle a envie. Elle ne deviendra femme que lorsque cette envie de pénis se sera muée en désir d’enfant (qui existait déjà avant) et que pour atteindre son but, elle s’identifiera à la mère. Càd en acceptant la castration de la mère, en la voyant comme celle qui a pu obtenir le pénis du père (qui a causé son désir) c’est-à-dire comme une femme. Cette identification pose de nombreux problèmes sur le plan clinique. Freud dit que peut-être l’envie de pénis même quand elle est remplacée par le désir d’enfant reste un désir masculin et que c’est peut-être un désir féminin par excellence ! Cela est intéressant car nous verrons avec Lacan qu’une mère est dans un rapport particulier au phallus.

Dans tous les cas, pour Freud, les avatars ultérieurs de la féminité sont des séquelles de la période masculine antérieure et de l’envie de pénis qui en résulte. Pour lui c’est donc l’envie de pénis qui règle la sexualité féminine. Cette envie de pénis peut se présenter sous diverses formes qui vont du désir inconscient de posséder soi-même un pénis à l’envie de jouir du pénis dans le coït ou encore, par substitution, au désir d’avoir un enfant. Bref, la féminité rime avec une certaine insatisfaction que seule la maternité peut venir alléger puisqu’elle correspond à une appropriation du pénis à travers l’équivalence symbolique enfant-pénis. Avec « l’envie de pénis », Freud témoigne de ce qu’il a entendu dans la clinique mais se fourvoie dans une impasse imaginaire qui rejoint celle couramment répandue (toujours de nos jours) qui confond différence de position et différence de valeur ce qui effectivement est difficilement surmontable. Confusion qui se forge sur une notion de complétude de type « tout » ou « nul » que la psychanalyse grâce aux mathématiques et à Lacan a pu relativiser. Toutefois, par l’emprunt de ces diverses formes, on voit bien qu’avec Freud, le pénis s’élève déjà à la valeur de symbole. C’est en effet autour du symbole phallique que s’organise la sexualité humaine, cela vaut pour tous. Ce « tous » est important, il induit un universel sur le plan logique. C’est ce que nous amène Lacan qui pour sa part et dans un esprit d’élargissement de la notion de sexualité va proposer le terme de sexuation. C’est-à-dire la façon dont dans l’inconscient, au-delà de la sexualité biologique, les 2 sexes se reconnaissent et se différencient. Cette question de la sexuation relativise la notion freudienne de l’envie de pénis puisque Lacan va encore accentuer la dimension de symbole du phallus. Lacan dans le séminaire Encore va proposer des formules de la sexuation qui supposent au moins comme préalable une redéfinition du phallus, ou de la fonction phallique, et une interrogation sur sa dimension d’universel. Puisque ce tableau montre comment le sujet a à se déterminer par rapport au phallus, à la castration et à la jouissance. Phallus ici est pris au sens de fonction phallique ou plus exactement de fonction de la castration. Elle porte symboliquement sur le phallus en tant qu’objet imaginaire (pas réel ou anatomique).

Position masculine le sexe anatomique

Position féminine le sexe anatomique

___

x Φx

x Φx

___ ___

x Φx

___

x Φx

$

Φ

s (A)

a La

Les quantificateurs :

: il existe

: quelque soit, pour tous

x : un être parlant, on voit que cette lettre se situe aussi bien d’un côté que de l’autre du tableau ce qui traduit bien que Lacan se démarque de l’idée d’une essence, d’une nature masculine ou féminine.

Φ: grand phi, fonction phallique, phallus symbolique

$ : le sujet de l’inconscient, le sujet divisé

Certaines formules sont surmontées d’une barre pour indiquer la négation de la formule. Le haut du tableau donne plutôt la répartition collective entre hommes et femmes alors que la partie basse est plutôt éclairante des relations privées entre un homme et une femme.

DU CÔTE HOMME:

Haut du tableau : 1ère ligne à gauche:

On peut lire: Il existe un x tel que non phi de x. Autrement dit: il y a un x qui n’est pas soumis à la castration, à la fonction phallique. c’est à dire que du côté homme, tous partent, tous s’ordonnent à partir d’un ancêtre, d’un père non castré. C’est le père de la horde primitive de Freud, c’est le père mort. C’est à dire que c’est ce père symbolique, tyrannique, qui a l’origine des temps régnait sur une horde de femmes dont il était le seul à avoir la jouissance, le commerce sexuel. Ses fils, sous peine de mort, n’avait pas droit aux femmes. un jour, ils se révoltèrent, tuèrent et mangèrent le père afin de pouvoir jouir des femmes. Mais ils furent vite pris de remords et se rendirent vite compte qu’ils se déchireraient à leur tour entre eux pour pouvoir jouir des femmes. Ils firent alors un pacte, celui de s’interdire – au nom du père mort – la jouissance des femmes du père afin de pouvoir vivre en paix et en communauté. C’est ce pacte qui rend possible la civilisation, la vie en groupe et plus largement en société. Ce pacte symbolique, c’est la castration, c’est l’interdit de la jouissance des femmes du père et donc de la mère mais il autorise une jouissance bornée par le phallus. Du côté homme c’est donc le passage pour tous, sauf un, le père, par la castration qui va permettre au sujet d’accéder au commerce des femmes et à la jouissance des biens. C’est en acceptant un interdit qu’il y a autorisation à une certaine liberté sexuelle.

Haut du tableau : 2ème ligne à gauche traduit cet universel de la castration du côté homme: quelque soit x, pour tous x, phi de x:. Il faut en passer par la castration. pour avoir le droit d’être un homme. Ces 2 formules indiquent que l’exception paternelle confirme la règle universelle phallique.

Dans le bas du tableau à gauche: Lacan place le sujet en tant que divisé, ce qui veut dire en tant qu’aux prises avec son inconscient et son désir.

C’est aussi là que trône le grand phi, la fonction phallique, la référence phallique. Du côté homme, on se prévaut de cette référence. Du côté homme, c’est le phallus qui fait la bannière sous laquelle on se rassemble.

On comprend bien alors la crainte que peut avoir un être parlant dans cette position, de ce côté ci du tableau, de le perdre (c’est imaginaire). Ce qui fait dire à Lacan, qu’un homme « n’est pas sans l’avoir ». Le défaut est du côté de l’avoir.

Dans le bas du tableau, il y a aussi cette flèche qui part du S barré vers l’autre côté du tableau, le côté féminin, vers le a. Dans le discours psychanalytique, cette flèche écrit la formule du fantasme. C’est à dire qu’un sujet en position masculine va trouver ce qui détermine son désir du côté féminin. C’est ce qui fait dire à Melman « le petit a, c’est ce qui fait que le Un n’est pas Tout»3.

DU CÔTE FEMME:

De ce côté pas d’ancêtre, c’est ce que l’on peut lire sur la première ligne des formules (en haut à droite): Il n’existe pas de femme qui échappe à la castration et à la fois, la 2ème ligne nous indique que « pas-tout » x est soumis à la fonction phallique. Ce « pas-tout » est à entendre comme cela: du côté femme on est pas entièrement soumise à la dialectique phallique, quelque chose y échappe. Et ceci est un grand apport par rapport à l’universel phallique de Freud. La dialectique phallique ne pèse pas de la même façon selon que l’on se tient du côté homme ou du côté femme.

C’est à dire que la castration est abordée de façon singulière du côté femme. On le conçoit puisque la petite fille aborde la castration, sous l’angle imaginaire de la privation et de la frustration, cette privation est attribuée à la mère phallique avant d’être transférée sur le père. A son propos, Lacan dira, une femme « est sans l’avoir » mais « n’est pas sans l’être » dans le sens où elle va être un semblant de phallus pour un homme puisque ne l’ayant pas, elle va faire fonction de signifiant du désir en tant qu’objet a.

Il n’y a donc pas de bannière sous laquelle puissent s’inscrire les femmes, c’est ce que traduit le « La »: « La femme n’existe pas », elle n’a pas vocation à faire universel.

le bas du tableau à droite : Comme on vient de le dire, une femme va faire fonction de signifiant du désir, c’est à dire que le « a » va s’inscrire de son côté. Elle va incarner pour un homme ce qui cause son désir. Alors bien sûr cela ne veut pas dire que pour être du côté femme il faut être l’objet d’un homme. Mais du côté femme, il y a ce qui détermine le désir d’un homme. Alors vous me dirai mais une femme, elle fantasme aussi ! Oui mais fantasmer pour une femme, c’est se glisser dans le fantasme d’un homme. Sinon c’est fantasmer comme un homme et on sort du côté femme du tableau. Etre femme c’est toujours pour un homme sinon la question ne se pose pas. D’où le fait que l’on puisse dire pas l’Autre sans l’Un.

Le point suivant dans le tableau côté femme c’est le S (A). C’est quelque chose de nouveau par rapport à Freud. Cela vient de ce fait qu’une femme n’est pas toute dans la dialectique phallique. Du côté femme, il y a un signifiant du manque. C’est à dire que c’est en tant que manquant qu’une femme va avoir à faire au phallus.

On voit bien les 2 flèches qui partent du « La » barré: d’un côté; elle franchit la ligne, elle va vers le côté homme, pour un accès au phallus, à la jouissance phallique et de l’autre, elle a à faire au phallus en tant que manquant. C’est à dire qu’elle va avoir accès à ce que Lacan a appelé la jouissance Autre. Cette jouissance est typiquement féminine. Un exemple de cette jouissance: la jouissance des mystiques.

Il faut bien percevoir qu’il y a des passages d’un côté à l’autre du tableau, on ne cesse de naviguer d’un côté à l’autre, ce n’est pas figé. Il n’y a que des semblants d’hommes et de femmes. D’autre part, il permet de repérer qu’on ne peut pas parler de rapport sexuel, rapport pris au sens mathématique, on ne peut parler que de fornication puisque « la femme n’existe pas ». Pour faire rapport, il faut 2 entités. Seul prévaut le phallus. Par contre il y a un rapport entre un avoir phallique et un être phallique: un homme pour une femme est celui qui détient le phallus, une femme pour un homme est le phallus mais de façon imaginaire. Ce qui nous différencie, les hommes et les femmes c’est plus en terme de jouissance : La jouissance sexuelle est une jouissance de type phallique, à laquelle ont accès les hommes et les femmes, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre du tableau. La jouissance Autre est une jouissance typiquement féminine, uniquement du côté femme, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des hommes au sens anatomique qui y aient accès.

1 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

2 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

3 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

La rencontre du féminin

Enseignement de l’ALI- Provence – Ghislaine Chagourin – Année 2010-2011

Séminaire sur la féminité, la maternité et leurs articulations au «pas tout » et au phallus

Séance du 17 janvier 2011

La féminité ne peut pas se transmettre mais elle s’invente au singulier à partir de cette rencontre

La dernière fois, vous m’avez demandé si la féminité pouvait se transmettre. Aujourd’hui, je vais tenter de répondre à cette question. Je partirai de ces propos de Vannina Micheli-Rechtman, qui nous rappelle que si, comme l’a énoncé Lacan, « La Femme n’existe pas », « alors chaque femme, une par une aura à inventer sa propre solution afin de suppléer à ce défaut du symbolique, donc à inventer sa propre façon d’être une femme »1. Je partirai aussi de ces propos de J.P. Lebrun : « le féminin n’est pas la propriété des femmes. Car effectivement, dès qu’il s’agit de dire le singulier , de créer, c’est le féminin qui est à l’œuvre »2. Ces propos qui pointent la nécessité d’une invention, d’une création, au singulier, écartent toute possibilité de transmission et relativisent la place de l’anatomie. En tout cas, concernant la créativité je ferai cette petite parenthèse clinique : si la créativité, notamment artistique, relève du féminin et s’entend aussi bien dans les paroles et les actes d’hommes que de femmes, on comprend mieux pourquoi il est souvent si difficile de s’appuyer dessus que ce soit pour gagner sa vie ou pour être socialement reconnu, c’est encore plus marqué du côté des femmes. Sans doute faut-il que cette créativité vienne se crocheter au phallique pour avoir une chance d‘émerger socialement.

Je me suis ensuite demandée comment se faisait cette rencontre du féminin pour les deux sexes et le rôle qu’elle jouait dans cette invention d’une solution pour chacune? Freud nous a légué que l’instauration de la vie sexuelle est diphasée, qu’elle débute avec la sexualité infantile et se parachève à la puberté avec l’inscription dans l’inconscient de l’opposition masculin-féminin et la génitalité. En d’autres termes, pour Freud, la différence des sexes comme logique organisatrice de la sexualité ne se parachève qu’à ce que nous appelons aujourd’hui l’adolescence. Comme nous l’avons vu, avant cela, la différence des sexes est connue des enfants mais dans un registre binaire « châtré, pas châtré » ou autrement dit « avoir, ne pas avoir le pénis » donc selon une référence toute phallique, une construction préœdipienne qu’il faut bien qualifier d’imaginaire.

Grâce aux avancées de Lacan nous pouvons dire que nous ne naissons pas homme ou femme, que nous naissons tous au phallique tout aliénés au désir de la mère. Ensuite Freud disait que nous devenons homme ou femme en nous identifiant à notre sexe selon notre position eu égard à la castration en fonction de notre sexe anatomique. C’est ce qu’il a développé avec le complexe d’Oedipe. Mais je pense aussi que cela dépend de la façon dont nous allons rencontrer le féminin. Ce qui va permettre de passer à une logique de l’être et de l’avoir et introduire le pas tout dans le meilleur des cas.

Pour rappel, le devenir femme pour Freud revient, sous l’effet de l’angoisse de castration, à passer du clitoris au vagin (passage d’une logique phallique à une Autre logique ?) puis de la mère au père et à l’homme (changement de sexe de l’objet d’amour mais selon quelle grammaire ?) et à transformer l’envie de pénis en un désir d’enfant. Toutefois avec cette lecture, l’acmé de la féminité se situe dans la maternité ou dans un désir de maternité càd dans un registre résolument phallique; Freud le dit d’ailleurs lui même puisqu’il note l’équivalence phallique de l’enfant, encore plus s’il s’agit d’un garçon. Il est vrai que dans de nombreuses cultures, mettre au monde un enfant mâle est le sommet de la consécration pour une mère.

Dans un article paru dans le JFP n° 32 sur l’Anorexie Boulimie, Vannina Micheli-Rechtman dit que si Freud a eu l’air de réduire la position féminine à la maternité, c’est qu’il faut le resituer dans son époque dans laquelle, la maternité était le seul substitut phallique socialement toléré pour une femme. Mais le fait que les femmes puissent aujourd’hui avoir accès à des substituts phalliques autres que les enfants « ne règle pas pour autant la question du manque phallique sur le versant de l’être »3 nous dit-elle. Ce qui laisse entendre que pour une femme cela va se jouer dans le registre d’être le phallus, nous y reviendrons. Ainsi, Freud rate la question du désir féminin hors de la mère, de ce qui du féminin échappe au phallique. Si le mérite de Freud a été de replacer les femmes dans le champ de l’humain en les incluant dans l’universel phallique, il ne leur fait pas la part belle quand il s’agit de décrire quelques uns de leurs traits (La féminité, 1933). Traits dont il avoue lui même qu’il est difficile de savoir s’ils relèvent d’une spécificité de la fonction sexuelle ou de l’influence du dressage social. Je vous propose qu’en fin d’exposé nous y revenions pour en discuter. Parmi ces traits relevons :

  1. un degré élevé de narcissisme qui fait que pour une femme être aimée est plus fort qu’aimer

  2. une vanité corporelle exacerbée par l’envie de pénis en dédommagement de son infériorité sexuelle initiale

  3. la pudeur qui est une façon de masquer le défaut de pénis et l’aptitude au tressage et au tissage qui poursuit le même but par métonymie

  4. un choix d’objet qui se fait sur « l ‘idéal narcissique de l’homme que la petite fille aurait souhaité devenir » ou d’après le père s’il y a eu fixation à cet attachement

  5. un sens de la justice et de la morale moindres du fait de la prédominance de « l’envie » dans sa vie psychique et d’un surmoi moins rigide

  6. des intérêts sociaux et une capacité de sublimation pulsionnelle moindres que chez les hommes

  7. une psychorigidité psychique plus précoce que chez l’homme

    Si ces traits restent à analyser à la lumière du pas tout de Lacan et des discours qu’il a formalisé, ils posent déjà à ce stade la question du type de lien social que peut entretenir une femme ? Car si elles aspirent à être aimées mais ne savent pas aimer, ne pensent qu’à leur apparence, à leur image et à cacher leur manque de pénis, qu’elles n’envisagent une relation à un homme qu’à travers un idéal narcissique, qu’elles sont injustes, immorales, non altruistes et psychorigides,

    comment peuvent elles venir se rattacher à un collectif, faire institution si elles incarnent le singulier ? Vannina Micheli-Rechtman, nous amène une première réponse et dit que la façon féminine d’être dans le lien social serait à travers l’amour, à travers le maintien de liens amoureux pour pallier à l’a-socialisation qui découle du discours de la science. Cela contredit Freud qui disait l’amour très asocial (repli amoureux) et les femmes moins versées dans les sublimations et les investissements sociaux que les hommes du fait d’un surmoi moins développé. Qu’en est-il ?

    Il est intéressant de noter que les institutions de femmes, c’est une entité clinique que Freud n’a jamais analysé, on peut se demander pourquoi, alors qu’il a parlé d’institutions d’hommes à travers l’armée ou l’église et des phénomènes de groupe autour d’un idéal du moi qui fait trait d’identification. Mais y a t-il institution de femmes ? Les premières qui me soient venues à l’idée sont les ordres religieux de femmes puis les prisons de femmes. Mais sont-elles autre chose que des institutions phalliquement organisées et regroupant des femmes. La seule institution de femme à laquelle je puisse penser et qui se développe aujourd’hui est celle de la famille matrocentrée.

    Car force est de constater qu’aujourd’hui les femmes fuient l’institution traditionnelle familiale en même temps que la violence conjugale se développe – c’est la plupart du temps elles qui demandent le divorce. Ces femmes forment de plus en plus souvent des familles dites monoparentales dans laquelle la relation à la mère devient prévalente. Au point que Ch. Melman parle de l’émergence d’un matriarcat. Ne serait ce pas l’effet de ce que dans l’institution familiale traditionnelle beaucoup de femmes n’y sont prises en compte que pour se faire traiter comme des hommes pour être maltraitées et battues et ce malgré tous les discours féministes? La question mérite d’être posée. J.P. Lebrun, dans La condition humaine n’est pas sans conditions, avance même que notre société n’aime pas les femmes, malgré les discours féministes, car elle aime les mères. Il semblerait intéressant d’être plus précis quand on parle d’une féminisation de la société.

    Autre point sur lequel Freud ne s’est pas étendu : comment un garçon va passer de sa mère aux femmes ? Il précise simplement que le garçon n’a pas à changer de zone génitale directrice ni de sexe d’objet d’amour et que c’est la menace de castration qui l’amène à renoncer à la mère. Mais Freud ne dit pas grand chose sur ce qui va le pousser à désirer du côté des femmes. Dans la logique freudienne, un garçon doit passer du désir incestueux pour sa mère à un désir pour une femme qu’il fait mère. Comme si vis à vis d’une femme il ne faisait que répondre à un désir d’enfant. Si dans la clinique on rencontre encore des hommes qui s’empressent de faire un enfant à chaque femme qu’ils rencontrent, cela ne semble pas épuiser la question. Pas plus que le fait que de plus en plus de femmes ont un enfant avec chaque homme qu’elles rencontrent. Reste à savoir si et comment pour un homme une femme peut être autre chose qu’une mère, y compris pour lui, ou une putain avec qui il fornique. Cette difficulté expliquerait la banalité clinique de la misogynie ou de l’homosexualité avec leur corollaire de violence tant sociale qu’individuelle.

    Comme l’écrit Ch. Melman, « le narcissisme du mâle l’amène facilement à dénigrer la femme, et quand il y renonce , c’est pour se faire son enfant »4ou encore « il est évident qu’à aimer le pouvoir du Un et à le respecter je ne peux l’aimer que dans le partage avec un partenaire semblable, identique lui même et qui vient rappeler la toute puissance de ce Un. Il y a là une forme d’homosexualité que vous connaissez et qui ne passe pas par une féminisation quelconque. Forme d’homosexualité adepte du culte, de la force, de la violence et du totalitarisme. D’ailleurs tout totalitarisme est une forme comme une autre d’homosexualité et vous voyez là où ça s’est produit les femmes être transformées ne serait ce que par le costume etc »5. En effet, l’actualité du monde avec les exactions des divers totalitarismes notamment envers les femmes sont tout à fait éclairantes sur ces impasses toutes phalliques. Une autre impasse toute phallique est celle du Don Juan puisqu’il s’agit là de trouver La Femme en tant que phallique. Dans notre social actuel nombre de femmes se plaignent de la lâcheté et de l’inconsistance des hommes qui semblent avoir renoncé au phallus, nombre d’entre eux étant passés dans un pas du tout phallique dont on sait la prédilection pour la toxicomanie et qui n’est pas à confondre avec un positionnement dans le pas tout mais plutôt du côté d’une jouissance Autre qui fait question. Ce qui fait que l’articulation de l’Un à l’Autre n’est plus toujours possible. C’est dire que la rencontre du féminin fait toujours et encore difficulté. Grâce à l’ouverture fantastique qu’apporte J. Lacan avec la logique du pas tout phallique les femmes peuvent sortir de l’enfermement dans lequel les laissait l’envie de pénis freudien et les hommes peuvent sortir du tout phallique.

    Pour ma part, il me semble que ce passage de la mère aux femmes pour un homme va beaucoup dépendre de la façon dont la mère se positionne elle même eu égard à la féminité et aussi du cas que le père fait de cette féminité. Lors de journées d’Espace Analytique à Paris intitulées Quel homme, Markos Zafiropoulos disait que la mère primordiale est du côté du réel, d’un rapport corps à corps avec l’enfant et qu’elle va partir en fragments (objets a) pour faire place à la mère symbolique. C’est-à-dire que peu à peu par l’entremise du langage, elle va devenir sans corps pour l’enfant et continuer à exister parce qu’un père prend le relais. J.P. Lebrun dans La condition humaine n’est pas sans conditions dit la même chose en ces termes: « c’est à la mère de faire ce travail qui consiste à transformer un rapport de corps à corps en un rapport qui passe par le langage » (p. 171). Cette place de la mère va être prépondérante aussi pour que la fille puisse construire sa féminité même si on ne peut pas parler de transmission. Claude Noëlle Pickman dit que le féminin ne renvoie jamais à un originaire d’avant le langage de type « sensoriel » sans mot ou « archaïque d’un corps à corps » mythique avec la mère.

    Cette rencontre du féminin, de l’au-delà phallique à travers la logique du pas tout va avoir lieu pour le garçon et la fille lors du passage adolescent sur les bases de ce qui s’est passé pour eux dans l’enfance. Ils vont rencontrer « cette part [d’eux mêmes] ignorée dans leur enfance, le féminin »6 comme le dit S. Lesourd à qui je me réfère pour les développements suivants.

    Il développe que l’adolescence est ce passage où il va s’agir de s’inscrire dans un lien social sous un signifiant partiellement autre que celui sous lequel l’enfant l’était dans le roman familial. Il va devoir découvrir un signifiant qui le représente dans le social. Afin que l’adolescent et l’adolescente puissent se construire une place structurale qui soutienne le rapport aux autres dans le lien social, il faudra qu’ils reconnaissent la place symbolique du phallus et qu’ils rencontrent chacun le féminin en soi. Il me semble que ceci est aujourd’hui complexifié par le fait que dans le social la valeur primordiale du phallus n’est plus soutenue ce qui peut faire croire à l’adolescent comme à l’adolescente que le phallus lui même n’est qu’un leurre et n’est pas symbolique alors même que ce n’est que par la destitution du phallus imaginaire de l’enfance qu’ils vont être confrontés à la jouissance Autre et à la position féminine. Jean Christophe Brunat dans son article le cours du phallus avance que « le phallus n’est plus en position d’exception, le seul à organiser notre social. Nous voilà passés d’une société toute phallique à une société pas toute »7. Là encore ne faut-il réfléchir avant d’en déduire que nous allons vers une féminisation de la société ?

    Jusqu’à l’adolescence, Freud nous a appris que le féminin est exclu de la construction de l’inconscient, ce qui d’un point de vue logique veut dire que jusque là, il n’y a rien qui vienne objecter à l’idée même d’un tout, de l’universel du phallus. Claude Noëlle Pickmann dit que le pas tout c’est ce qui sur le plan logique va permettre d’objecter à l’idée même d’un tout8. S. Lesourd rappelle qu’à partir de cette rencontre du féminin, l’adulte, homme ou femme, sera confronté au manque dans ses 3 registres:

  8. Symbolique : il n’y a pas de vérité absolue

  9. Imaginaire : il est impossible d’avoir le phallus en son nom propre

  10. Réel : il n’existe pas de rapport sexuel

    Comment peut se faire cette rencontre avec le féminin, avec l’Autre sexe ? Pour S. Lesourd, elle se fait, tant pour le garçon que pour la fille, à partir du bouleversement du corps pubertaire et des effets qu’il va produire sur l’image narcissique du corps telle qu’elle s’était construite lors du stade du miroir mais c’est aussi et avant tout une opération langagière. Cela passe aussi à travers la question de la jouissance (puisqu’il s’agit du corps). La jouissance de l’enfant est réglée sur le primat du phallus, c’est la jouissance phallique. Il précise que les adolescents garçon et fille vont être conviés à la rencontre avec la Jouissance Autre lors de la destitution du père phallique imaginaire.

    Par rapport au stade du miroir, S. Lesourd rappelle que c’est le stade au cours duquel l’anatomie avait déjà joué un rôle puisque ce qui différenciait garçon et fille c’était la présence du pénis comme visible, spécularisable pour le regard du grand Autre maternel ou son absence. Ce qui veut dire que l’anatomie n’est pas exclue de l’accès au féminin et fait d’ailleurs que pour la fille la pulsion privilégiée sera le regard à travers ce qui ne se voit pas sur son corps. S. Lesourd poursuit en disant qu’elle va représenter par son corps entier le fait que la mère est une fille aussi et par ailleurs elle n’a pas dans son corps le représentant de ce que la mère désire.

    Donc la fille est prise dans un désir de l’Autre dont elle attendra le regard (sans doute source de ce que Freud a repéré en termes de pudeur ou d’importance de l’apparence. Aujourd’hui cela se traduit par l’attrait à faire circuler des photos sur les blogs, portables et autres sites internet). Par rapport à la question du regard, les conséquences logiques à l’adolescence vont être pour la fille que le corps peut « prendrevaleur imaginaire de signifiant phallique » ce à quoi elle va pouvoir réagir de différentes façons qui sont autant de façons de refuser de renoncer à « être » imaginairement le phallus: S Lesourd donne 3 voies possibles à laquelle j’en rajoute une :

  11. exhibitionnisme de l’hyper séduction : cf string, cuissardes, vêtements moulants et décolletés, maquillage, coiffure etc

  12. refus de la féminité : cf tenues unisexes, jogging larges

  13. déni de son corps de femme : cf l’anorexique

  14. le port du voile intégral (quand il est voulu par les jeunes filles et n’est pas politisé) me semble pouvoir être aussi une façon de refuser de renoncer à être le phallus puisqu’il faut cacher le corps. Ce n’est pas un refus de la féminité toutefois mais c’est une sorte d’exhibitionnisme en négatif.

    Pour le garçon, S. Lesourd dit qu’au au stade du miroir, la présence spécularisable de l’objet pénien fera que la pulsion privilégiée sera la voix. Le garçon sera pris dans un désir de l’Autre auquel il lancera un appel (sans doute source de l’attrait pour la tchatche, la drague, bien qu’aujourd’hui la voix le cède à l’écriture sous forme de textos, SMS, MMS etc). Dans Le cours du phallus, J.C. Brunat dit que si le référent commun aux femmes et aux hommes renvoie à l’image de l’organe mâle, c’est je cite :

    « parce qu’il est possible de faire un nouage borroméen avec le sexe masculin :

    1/ C’est un organe en relief possédant une image spéculaire. [ imaginaire]

    2/ Il est impliqué dans le réel de la différence anatomique des sexes et de la reproduction. [réel]

    3/ Enfin et surtout, son fonctionnement physiologique est compatible avec la physiologie du symbolique [symbolique]:

  15. quand il n’est pas en état de marche il est quand même là et quand il est en état de marche il peut se dérober, donc présence sur fond d’absence et vice versa

  16. il échappe au contrôle de la volonté et il semble répondre à un commandement Autre, à savoir qu’il lui arrive de marcher quand il ne faudrait pas et vice versa

  17. enfin, son implication dans la reproduction et la filiation nécessite une certaine foi, ‘ pater incertus’ »9

    Mais l’anatomie ne recouvre pas la question, car l’enjeu du regard et de la voix du grand Autre maternel au stade du miroir sont étayés et renforcés par les dires parentaux précise S. Lesourd. En effet, il rappelle que dès la plus petite enfance, il n’y a pas la même adresse des parents à un bébé fille ou un bébé garçon, la place du regard et de la voix de la mère est déterminée par la différence sexuelle et est déterminante pour l’accès de l’enfant à son image sexuée mais le corps se constitue comme sexué avant tout dans le langage.

    Cette identité sexuée précoce au stade du miroir va faire que l’Oedipe, qui n’est que la remise en forme de l’image narcissique du stade du miroir, ne sera pas abordé de la même façon pour le garçon et pour la fille. L’entrée et sortie différente dans l’Oedipe est plus articulée à la façon dont le corps a été constitué comme sexué dans le langage au temps du stade du miroir, qu’au réel du corps.

    La fille va être confrontée à l’angoisse de castration du fait de la non spécularisation du pénis et va rester dans l’Oedipe alors que le garçon sera confronté à la menace de castration du fait de la présence du pénis ce qui le fera sortir de l’Oedipe. L’Oedipe qui va venir réordonner les raisons signifiantes et langagières du désir autour de la construction d’un signifiant maître :le phallus. L’Oedipe c’est ce qui sert à constituer le phallus comme objet symbolique comme le dit S. Lesourd. Cela répond à la nécessité pour l’enfant d’élaborer autour de ce qui lui manque pour répondre au désir de la mère, pour la satisfaire. D’une logique de « l’avoir ou ne pas l’avoir » imaginaire et pré-oedipienne, va devoir se construire une logique autour de « l’être et de l’avoir  (le phallus)» dans laquelle le phallus doit se constituer comme objet non plus imaginaire mais symbolique. C’est par le biais du devenir de l’attribution phallique faite au père dans l’enfance que cela va passer. Dans l’enfance, le phallus est attribué au père car « le père serait pourvu de ce qui satisfait le désir de la mère »10 c’est lui qui l’a par un don que lui fait l’enfant mais avec cette attente que cela lui soit rendu quand il sera grand. Pour la fille, le manque de pénis sur le plan anatomique va lui indiquer plus facilement qu’elle ne l’a pas et qu’il n’y aura pas réalisation future de la promesse oedipienne d’où l’angoisse de castration. Cette angoisse de castration est une signe du manque fondamental du phallus, de son inexistence ce qui facilite son passage au registre du symbolique et fait qu’elle va tenter de l’être. Il semble qu’aujourd’hui, pour de nombreuses petites filles et petits garçons, cette attribution phallique faite au père est très souvent problématique : le père est rejeté par la mère ou n’assume plus rien ou est humilié socialement etc : il est réellement déphallicisé. Comment alors constituer le phallus symboliquement, il va au mieux fonctionner sur un registre imaginaire du côté de la mère ou de l’être le phallus ou ne fera plus référence ou sera réduit à un objet comme un autre. Par exemple, on voit de plus en plus d’hommes faire la « mère bis », ils mettent leur honneur à faire mieux que la mère comme le dit J.P Lebrun dans La condition humaine n’est pas sans conditions.

    Mais pour revenir à la féminité, c’est donc en tant que « n’étant pas sans l’être (le phallus) que la jeune fille construit sa féminité », on la verra par exemple s’investir dans ce qui satisfait le désir des parents pour ne pas perdre leur amour (la petite fille modèle). Le danger pour une fille est qu’elle tente de le devenir, de l’être imaginairement ce phallus. La difficulté étant pour elle d’articuler les registres du réel du symbolique et de l’imaginaire sans tomber dans le registre hystérique. Le passage de la fillette à la jeune fille doit être parlé et notamment par la mère car c’est un moment crucial de reconstruction narcissique.

    Lors de journées de l’ALI qui ont eu lieu à Chambéry et qui s’intitulaient aliénation-séparation : qu’apprend une fille avec sa mère ? Il a été dit qu’il ne peut y avoir « transmission » d’un savoir sur le féminin que dans une communauté de différence : une fille ne peut apprendre que le pas tout de la féminité et éventuellement comment faire avec cette féminité dans le lien social avec la position masculine. Càd qu’elle apprend à « tisser », à faire du lien avec cette position Autre mais le reste, ce qui relève du phallique, elle l’apprend avec le père. Pour qu’une mère puisse apprendre quelque chose à sa fille, il faut qu’elle puisse supposer être apprise elle aussi par sa fille, qu’elle suppose à sa fille un savoir y faire autrement avec la différence. S. Lesourd pour sa part avance que sous l’effet de la désillusion phallique, l’image de la mère va être mise à mal car jusque là, elle était prise dans une pure logique phallique et l’enfant ignorait qu’elle est aussi une femme. Si elle est une femme désirante ailleurs que sur son enfant, si elle n’est « pas toute » dans la jouissance phallique et a elle même un accès à la jouissance Autre, elle va permettre à la fille comme au garçon de découvrir la position féminine. « par l’ex-istence de la femme dans la mère, par cette mise à l’extérieur de la femme dans la mère, du fait de la reconnaissance de la valeur symbolique du phallus, s’ouvre, pour l’adolescent, garçon ou fille, la question de la jouissance Autre de la femme ». J.P. Lebrun ne dit pas autre chose quand il avance « qu’il n’y a pas de mère sans femme » et que c’est seulement à condition de prendre en compte le sexuel, le mortel et le féminin qu’une mère peut être au service du symbolique.11

    Mais précisons un peu plus ce qu’il se passe pour une fille avec S. Lesourd. Pour la fille, les formes et les fonctions du corps changent donc à l’adolescence avec la puberté. Le corps devient contenant des représentants phalliques : le pénis et le bébé. L’image inconsciente du corps s’invagine. S. Lesourd rappelle qu’Annie Anzieu disait « le pénis est un objet, le vagin est un lieu ». Ce que Ch. Melman a pu formuler différemment en disant que « les organes en creux ne peuvent pas valoir comme un trait »12 càd qu’il ne peut y avoir un référent féminin symbolique comme le phallus côté homme. La jeune fille va donc devoir constituer le phallus comme symbolique et se positionner :

    1/ comme objet a, comme celle qui fait désirer l’homme avec pour corollaire l’acceptation d’un corps contenant du phallus. Le vaginisme étant un exemple de refus imaginaire et réel de ce type de positionnement du corps. Une autre défense plus classique se fait sur le mode hystérique du rapport à l’Autre, le corps restant le lieu fantasmatique du désir et de la revendication phallique. La défense dépressive existe aussi, le corps étant dévalorisé et ne pouvant plus servir de support narcissique. La défense obsessionnelle n’est plus si rare avec une mise en avant de l’ignorance de la transformation de son corps et une érotisation des rapports intellectuels. Il existe aussi la défense anorexique qui est un refus de la sexuation du corps

    2/ L’autre positionnement c’est d’accepter que son corps puisse être un lieu contenant d’un bébé. Comme on le sait, le symptôme étant là le surgissement d’une grossesse réelle précoce qui vise le bébé comme représentation du phallus. Je cite S. Lesourd : «  l’adolescente peut être tentée de mettre en acte une réassurance narcissique ‘en tombant enceinte’ ou au moins en en prenant le risque »13 ce qui constitue une « réassurance sur son corps en tant que lieu contenant qui constitue son être phallique » ces grossesses étant à distinguer d’un désir réel de maternité et finissent souvent par un avortement, elles sont des passages à l’acte qui situent imaginairement l’adolescente du côté masculin de la sexuation.

    S. Lesourd soutient que les règles, qui sont une perte sanguine réelle vont aider la fille à marquer symboliquement son accès au statut de jeune femme (ce qui est différent d’un statut de symbolique de femme et ne veut pas dire que ce sang soit Le signifiant féminin). Il me semble que le « sang » perdu tous les mois renvoie inexorablement au signifiant du manque, au « sans »; mais le sang vient aussi dire la possibilité future d’un bébé, il peut toutefois faire office d’un « pas tout sans » ou d’un pas « sans rien » qui diffère du pas tout. La perte d’un contenu vital vient inaugurer un corps de femme mûre qui peut être mère et contenir en son sein un bébé et qui peut être amante et contenir en son corps un pénis. Pour S. Lesourd, les règles ont fonction de rappel récurrent de, je cite, « la vacuité du contenant, qui l’empêche d’être tout à fait le phallus »14. C’est ce qui fait office de surmoi à une femme. Mais on sait aussi comment les règles peuvent être vécues de façon totalement différente d’une femme à l’autre. Par contre on peut se demander la pertinence du traitement scientifico-médical des règles à travers les pilules et hormones qui les suppriment.

    En définitive revenons sur les traits « féminins » décrits par Freud :

  18. On a vu que Freud disait qu’une femme avait un surmoi moins rigide que l’homme. Or le surmoi est un effet de la fonction symbolique du phallus. Si une femme n’est pas toute phallique, Freud avait raison,

  19. Sur le fait de préférer être aimée qu’aimer et sur l’importance de son apparence: cela vient de sa propension à fonctionner comme si elle était le phallus. Si le regard d’un garçon la constitue mieux dans son désir d’être le phallus, le corps entier étant pris comme objet d’amour, elle va se tourner vers lui et sera renforcée narcissiquement. C’est pour cela que les ruptures subies provoquent de graves failles narcissiques. Elle peut alors s’identifier à un déchet rejeté et peut passer à l’acte suicidaire.

  20. Sur la question du type de lien social à partir du féminin : Cl. Noëlle Pickman dit que le pas tout fait objection à l’exception et se présente comme une figure non ségrégative car il supprime la norme universelle qui fonde l’exception mais sans lui substituer un autre universel non phallique. Ce qui fait que le pas tout est « une critique radicale de la prise en masse des groupes », « c’est le dernier obstacle qui s’oppose à la stratégie en marche de la mondialisation, stratégie d’éradication de l’hétéros au profit de l’Un tout seul »15. Le pas tout remet en cause la norme de façon logique et non imaginaire, il n’implique pas le pas du tout (tout pas phallique).

1 Vannina Micheli-Rechtman, l’anorexique une hystérique contemporaine, JFP n°32 anorexie-boulimie, approche clinique et théorique, érès

2 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions, Denoël, 2010

3 Vannina Micheli-Rechtman, l’anorexique une hystérique contemporaine, JFP n°32 anorexie-boulimie, approche clinique et théorique, érès

4 Ch. Melman, clinique de l’homosexualité féminine, Le bulletin lacanien n°4, Sex and gender, publié par l’Association lacanienne internationale, 2008, p. 40

5 Ch Melman, la psychopathologie : état des lieux, inventaire et projet, conférence faite le 16 décembre 2010 à l’Ephep, Paris

6 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009, avant propos

7 Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

8 C.N. Pickmann, Le pas-tout….ou la déception, in La clinique lacanienne de la féminité n° 11, érès, 2007

9 Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

10 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009, p. 30

 

11 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions, Denoël, 2010

12 Ch. Melman cité par Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

13 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009

14 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009

15 C.N. Pickmann, Le pas-tout….ou la déception, in La clinique lacanienne de la féminité n° 11, érès, 2007

Incidences subjectives et collectives de la fonction phallique à Marseille : « Marseille banlieue de Paris » ou « Marseille l’E(é)trangère »

 Par l’entremise de C. Melman et de Marcel Czermak, il a été plusieurs fois question à l’ALI de l’Amérique Latine comme étant notre « futur antérieur » du fait de son histoire coloniale et des nouvelles identités qui en découlent et y font rage dans la violence, nous tenterons de voir si Marseille – qui comme l’Amérique Latine est en quelque sorte née moderne du fait de son histoire – peut être considérée comme un laboratoire pour analyser les possibles d’un avenir moins violent pour nos sociétés occidentales post coloniales et multiculturelles.

Marseille, la Cité phocéenne, a été fondée il y a 2600 ans par des représentants de la civilisation grecque (cf. Annexe 1, Marseille : survol historique), qui, rappelons le, ne situait pas le père de la même façon que nous le faisons aujourd’hui. « Ce que les Grecs ont essayé de faire il y a 2500 ans, c’est (…) d’essayer par le dialogue de découvrir quelles sont les lois spécifiques de l’humanité sans se référer à aucune autre autorité que les résultats de leur dialogue, c’est-à-dire d’une opération de langage »i.

Issue de ce colonialisme grec, restée longtemps culturellement grecque puis colonisée par les romains, redevenue indépendante et provençale puis tardivement colonisée par la France et enfin terre d’immigration post coloniale (cf. Annexe 1, Marseille : survol historique), il semble intéressant de voir si aujourd’hui, les composantes de son identité – au sens psychanalytique – l’inscrivent différemment ou pas dans la post modernité eu égard à ce qui y fait lien social et à la figure du père. Ce qui devrait pouvoir se lire au niveau du social et de la clinique que nous y rencontrons.

Au-delà des clichés et de la réputation de Marseille et des Marseillais qui relèvent bien souvent de l’imaginaire et qui masquent les processus à l’œuvre, nous tenterons de mettre à l’étude ce que cette ville doit au brassage culturel tant sur les plans individuels que collectifs et la façon dont y est prise en compte l’altérité avec plus ou moins de succès.

Contrairement à ce que la plupart des gens qui ne vivent pas à Marseille pensent, le social multiculturel a récemment pris une tournure moins violente qu’ailleurs lors des grandes crises tant nationales qu’internationales. L’enjeu sera de repérer si et comment cette ville a trouvé ou cherche à trouver les moyens de maintenir un lien social apaisé et de se passer de la figure du père tout en s’en servant.

Préambule 

C’est à partir d’une proposition d’Edmonde Luttringer de travailler autour de la question du phallus en Méditerranée que ce thème de travail s’est inscrit dans le programme d’enseignement psychanalytique 2007-2008 de l’école régionale de l’ALI-Provence. Il devrait se poursuivre en 2008-2009 sur des aspects plus cliniques.

Un cercle de recherche et d’étude s’est organisé autour d’un petit groupe de travail dont la composition a varié au fil de cinq séances et a pu réunir des psychanalystes,

une éducatrice des rues en formation de conseillère conjugale, des psychanalystes en formation, une formatrice d’éducateurs spécialisés, des psychologues et une chargée de mission en insertion professionnelle, tous et toutes concerné(e)s à divers titres par le brassage culturel et les avatars de la fonction phallique tels qu’on les rencontre à Marseille. Les séances se sont articulées autour d’un texte écrit ensuite soumis à la discussion. Le présent document reprend les textes présentés enrichis des éléments de la discussion, des lectures faites après la présentation et des conférences entendues notamment à l’ALI dans le cadre des travaux du Groupe de Cordoue autour de la question de l’étranger, ainsi que dans le cadre des journées « comment un enfant des banlieues devient un homme, une femme, un citoyen » (Paris 2008) et des journées « quête d’identité et relation d’altérité »(Grenoble 2006) qui ont été une source importante de réflexion et de références. Par ailleurs, le travail a bénéficié des apports du séminaire sur la Psychanalyse de l’Enfant et de l’atelier de topologie de l’AFI-Provence.

Afin de respecter une logique de lecture, l’agencement des textes a été modifié puisqu’il suivait initialement une logique d’enseignement et de recherche et la partie initiale concernant la fonction paternelle a été synthétisée.

FONCTION PATERNELLE, SUBJECTIVATION et LIEN SOCIAL

Notre objectif est de repérer quelles peuvent être les incidences tant subjectives que collectives de la fonction paternelle du fait du brassage culturel qui existe ici depuis la fondation de la cité par les Grecs phocéens en 600 avant Jésus Christ.

On sait que dans la société grecque le père n’occupait pas dans le sentiment religieux cette place particulière qu’il occupe dans le monothéisme et que cette société a essayé par le dialogue, par une opération de langage (la dialectique), de découvrir quelles étaient les lois spécifiques de l’humanité (mais si cette société est à l’origine de la démocratie, elle est toutefois restée profondément ségrégationniste).

Par l’entremise de Freud et de Lacan, on sait que la structure familiale proprement dite est plus formatrice que la rationalisation éducative et que la figure du père y est centrale et organisatrice mais aussi éminemment conflictuelle et constituante de la future sociabilité. On conçoit dès lors les interrogations que va soulever l’évolution actuelle de la famille : monoparentale, recomposée, éclatée, homosexuelle, pour ne citer que celles ci, dans lesquelles, cette figure du père n’est plus toujours porteuse de ses missions. Peut-on encore parler de famille patriarcale ? Ces évolutions auront donc obligatoirement des conséquences sur l’engagement des jeunes dans la vie sociale. Nous allons voir que le contexte pluriculturel vient illustrer comment l’assise réelle et symbolique du père peut être sapée et fabriquer du matriarcat et du père humilié avec les conséquences tant subjectives que collectives que cela engendre.

 

Concernant cette figure du père, on peut se référer en Annexe 2 aux paroles de la chanson de Diam’s : « Car tu porteras mon nom » ou encore à la chanson du rappeur marseillais Soprano : « parle-moi » et à la chanson de Diam’s « Daddy ».

 

Finalement, le brassage culturel permet de mettre en évidence les avatars de cette fonction paternelle mais ces avatars ne se réduisent pas au contexte de l’immigration et ne sont pas purement culturels, ils sont simplement plus lisibles dans ce contexte. En fait, la fonction paternelle est de plus en plus opaque dans le social et problématique du fait de la décomposition des familles, de l’évolution du droit civil et de la mondialisation. Pour donner une lisibilité clinique, cette fonction doit être déclinée selon les 3 registres :

  • Le père réel qui n’est pas à confondre avec l’intervention de celui qui fait fonction de père dans le registre du réel. L’agent du père réel c’est l’homme de la mère, celui qu’elle désire et qui la désire.
  • Le père symbolique c’est l’agent de la castration, celui qui noue avec le sujet un pacte symbolique: si le sujet consent à la perte virtuelle de l’objet pleinement satisfaisant, il aura les insignes de son identité sexuée qui lui rendra le réel apte à la jouissance et à la jouissance sexuelle. L’agent de ce père symbolique, c’est la mère : elle reconnaît qu’il y a de l’autre et qu’elle s’y réfère (si elle tente de faire don du phallus elle-même, ce ne peut être qu’imaginaire et on est alors dans le matriarcat).
  • Le père imaginaire c’est celui que l’enfant se construit pour réduire la discordance entre la puissance du père symbolique et la précarité de l’intervention du père réel.

 

Le travail de J. Lacan articule que la castration n’est pas particulièrement imputable à une volonté du père, elle est le fait de notre rapport au langage. De fait il ne faut pas confondre père et tiers au sens logique énoncé par J. Lacan. Ce tiers logique, c’est le phallus qui est le signifiant du manque et du désir pour les deux sexes, qui fait qu’un père et une mère ne font pas un tout, une complétude, un idéal d’amour comme c’est le cas dans la tradition chrétienne. C’est de sa mise en place que le sujet aura accès à la culture et par-là même aux conditions de l’identité et notamment de l’identité sexuelle.

 

Au niveau collectif, on peut dire qu’une culture c’est un social organisé autour d’une même castration, c’est-à-dire c’est un fait de langage. Ainsi avons nous préféré parler de fonction phallique avec pour souci de tenter de repérer à la suite de J. Lacan, comment et s’il était possible de se passer du Nom du Père (porteur de cette fonction) à condition de nous en servir.

 

Ce que met en évidence le brassage culturel c’est le problème de la double culture qui est ce que l’on retrouve toujours structurellement pour tout un chacun puisque pour nous inscrire comme désirant nous avons à passer de la mère au père c’est-à-dire de l’Autre à la logique phallique comme le passage entre 2 cultures différentes. La double culture dans un contexte de brassage peut donner lieu à diverses psychopathologies :

 

1- aboutir à une récusation de la culture d’origine (et donc à une récusation du père symbolique) concomitante à une non-admission par la culture d’adoption même si ceux qui sont confrontés à ce fonctionnement admettent imaginairement la culture d’adoption (donc un père imaginaire dont il est difficile de se détacher) et ce même si le père de la réalité existe et se fait parfois tyran. Ce qui laisse uniquement la place à une errance subjective dans laquelle le désir est en panne et la demande de jouissance prolifère et ouvre la porte à la délinquance pour rapter ce qui n’a pas été donné.

 

Ainsi l’histoire tristement banale de ce jeune homme rencontré à la prison des Baumettes à Marseille dans le cadre d’un groupe de parole. Il s’est retrouvé en prison après des vols de voitures dont il dit qu’il les a commis sous l’emprise de l’alcool. L’alcool il s’y était mis après avoir été toxicomane ce qui lui avait valu d’être séropositif. Il était plutôt charmant et séducteur, intelligent, son idéal de virilité était d’avoir une grosse voiture, de belles fringues de marque, tous les appareils indispensables à des jouissances perçues comme pouvant seules l’inscrire dans la société française en tant qu’homme (figure du père imaginaire ? idéal ?). A aucun moment je ne l’ai entendu parler de ses origines algériennes et si je me rappelle bien, il n’avait pas l’accent maghrébin mais plutôt marseillais. Il avait grand espoir pour s’en sortir dans une relation amoureuse nouvelle avec une femme plus âgée que lui qui avait un enfant dont il voulait s’occuper bien que l’enfant ne soit pas de lui.

 

2- aboutir à un accrochage farouche à la culture d’origine avec le risque de déboucher sur l’intégrisme ou le fanatisme en entretenant un rapport forcené au père symbolique d’origine fut-il religieux.

 

A Marseille, les jeunes issus des cultures maghrébines semblent accepter plus facilement la culture locale d’adoption marseillaise pour des raisons que nous analyserons mais qui relèvent sans doute de phénomènes identitaires.

 

Ce qui nous enjoint en tant que citoyens à :

  • Veiller par nos interventions et nos propos à ne pas minorer la culture d’origine de nos migrants encore moins quand elle a connu la colonisation.
  • Veiller par nos actes et nos propos à montrer que l’on admet les sujets issus d’autres cultures que celle que l’on reconnaît comme la sienne. Ce qui ne veut pas dire perdre notre identité.

 

Car le moteur du rejet ou de l’acceptation c’est la langue et les mots qu’elle véhicule et avec les mots, les valeurs. Si le mot qui désigne leur culture d’origine est repéré comme péjoratif, la culture d’origine sera minorée et eux rejetés. Des signifiants lapidaires comme « les Arabes » pour désigner indistinctement la diversité des cultures maghrébines ou « islamiste », « intégriste » voire « terroriste » pour désigner la religion musulmane ou « noir » pour stigmatiser une multitude de cultures à partir d’un trait identitaire renvoyant à un imaginaire ne peuvent déboucher que sur de la ségrégation.

 

Ce qui nous amène à repérer comment à Marseille nous acceptons d’autres cultures que la nôtre. En même temps, cela nous oblige à repérer ce qu’il en est de « notre » culture : quel est notre rapport au père ? Comment fonctionne le phallus ici, comment se transmet t-il ? Quelle est la place du religieux ? Dimension religieuse qui semble se cacher sous le dit cosmopolitisme marseillais. Nous verrons que Marseille est profondément chrétienne dans son organisation tant sociale que politique et que la «Bonne Mère » y tient lieu de père imaginaire.

 

 

IDENTIFICATION PRIVEE, IDENTITE COLLECTIVE,

IDENTITE SEXUELLE

Au cours de cette séance et lors de la prochaine, je souhaite commencer à répondre à plusieurs des questions que nous nous sommes proposés d’étudier cette année :

  • 1- Marseille peut-elle servir de laboratoire concernant les incidences subjectives et collectives de la fonction paternelle à partir du contexte de brassage culturel ?

  • 2 – En quoi Marseille permet- elle un repérage structural de la question de l’altérité ? Quelles conséquences peut-on en tirer eu égard à l’identité sexuelle ?

  • 3 – Peut-on parler à Marseille de brassage ou de métissage culturel? Quel lien entre culture et identité ? Comment une culture commune peut émerger d’un brassage culturel ou au contraire comment bascule t-on dans l’éclectisme culturel ou la ségrégation culturelle ou l’acculturation ou la quête identitaire de type communautarisme ?

Ce que je souhaite commencer à développer aujourd’hui c’est que :

  • si on a souvent cité Marseille en exemple lors de la révolte des banlieues en automne 2005 ou lors de l’agitation nationale lors de la déclaration de guerre à l’Irak par les Etats-Unis, le côté factice de ce calme relatif a aussi été dénoncé par certains sociologues,

  • si au fil des siècles, cette ville a donné lieu à des propos passionnels tant du côté du mépris (au point d’être appelée « la ville sans nom » car débaptisée par Fréron, un Représentant de la convention en 1794) et de la moquerie que du côté de la passion identitaire,

  • si on peut trouver de l’antiquité à aujourd’hui les plus belles histoires d’intégration voire d’assimilation de migrants mais aussi les pires ségrégations (les « babis » italiens, les « youtres », les « bicots », les « bananias », les « caraques », les « arabes » et les « gitans » aujourd’hui) et violences (ex : « le massacre des Mameluks » en 1817),

c’est que cette ville aurait un rapport structural fondateur à l’E(é)tranger, ce qui en ferait un excellent lecteur des effets du refus ou de l’acceptation de l’altérité dans le collectif et le privé tant au niveau local que national. Marseille a souvent été en tant que ville identifiée à l’(E)étrangère par le reste du pays faisant flamber les phénomènes identitaires différemment selon que ce trait imaginaire est interprété comme rivalité ou comme exotisme. Ceci va nous amener à repérer les composantes identitaires de Marseille. Outre ce rapport particulier à l’(E)étranger, on note aussi un rapport à la jouissance via le commerce maritime. Ces caractéristiques feraient de la ville le « futur antérieur » des sociétés occidentales multiculturelles, selon une expression utilisée par C. Melman et M. Czermak à propos des pays d’Amérique du sud. Car Marseille doit sa fondation à plusieurs colonisations et a aussi été capitaliste et dans une logique de brassage culturel avant l’heure.

Dans nos situations contemporaines de brassage culturel, on entend souvent parler de la montée des phénomènes identitaires tant à l’échelle locale que régionale ou nationale voire internationale (cf. les revendications indépendantistes et les intégrismes religieux pour ne citer que cela). On déplore et on redoute le « repli identitaire », les « quêtes identitaires » ou le « communautarisme ». Afin de rester dans le champ analytique et ne pas verser dans la sociologie ou le politique voire la psychologie, je vous propose un rappel et un repérage structural sur cette question de l’identité. Tout d’abord, il convient de ne pas confondre identité et identification. J’aborderai ces questions par les 4 accès que fournissent les élaborations de S. Freud , J. Lacan , C. Melman et tout récemment P. C. Cathelineau.

 

  1. S. Freuddécrit 3 identifications et parle de psychologie collective, pas d’identité

  2. J. Lacan revisite ces identifications freudiennes (toujours pas l’identité) à partir du stade du miroir, et va distinguer les identifications imaginaires constitutives du moi et l’identification symbolique fondatrice du sujet dont rend compte le trait unaire

  3. C. Melman à la suite de J. Lacan décrit 4 composantes de l’identité : les identifications imaginaire et symbolique, l’identité réelle (le désir inconscient) et le symptôme comme 4ème composante de l’identité

  4. P.-C. Cathelineau tente pour sa part de penser l’identification comme structure borroméenne relevant de l’universel et l’identité comme une nomination de RSI relevant du singulier.

1/ L’identification chez S. Freud , même avec la 2ème topique, n’a pas réussi à donner un véritable statut à l’identification même si celle-ci est mise au premier plan dès 1920 et qu’elle est le point central autour duquel tourne « psychologie collective et analyse du moi ». Il en décrit 3 formes :

1° une forme énigmatique « d’attachement affectif le plus ancien à une autre personne ». C’est par exemple, le petit garçon qui voudrait devenir et être comme son père c’est-à-dire qu’il en fait son idéal. L’autre est pris comme modèle. C’est quelque chose d’originaire et c’est la condition de la mise en place de l’Œdipe.

2° une forme d’identification dans laquelle le sujet s’identifie à un trait unique (einziger zug) de l’objet perdu. C’est par exemple la toux de Dora. C’est aussi ce type d’identification qui fonctionne dans la formation des masses. S. Freud montre comment « une foule primaire se présente comme une réunion d’individus ayant remplacé leur idéal du moi par le même objet, ce qui a eu pour conséquence l’identification de leur propre moi ». La liaison groupale, communautaire, se fait par un idéal commun et sous la conduite d’un meneur incontesté. Cette approche freudienne peut déjà tout à fait rendre compte de cette propension à se dire « Fiers d’être marseillais » ! ( slogan qui rappelle d’autres slogans identitaires revendiqués par certaines banlieues : « fiers d’être du 9, 3 »). Slogan qui à la fois rassemble ceux qui s’y reconnaissent et rebute les autres. Comment peut se faire ce sentiment d’identité marseillaise alors que la population est faite d’une juxtaposition de nombreuses cultures et origines ? Et pourquoi ce « Fiers » là où il suffirait de se dire « tous marseillais » pour revendiquer une identité ? Avant que s’entende ce slogan, un Marseillais se disait de tel ou tel quartier de la ville avant de se dire Marseillais ou Français et c’est encore un peu le cas. Quel est l’objet commun qui va rendre possible l’identification des Moi ? A suivre S. Freud , c’est dire qu’il y a à l’origine une hostilité les uns vis à vis des autres, ce qui trahit que le brassage permanent amène à considérer l’autre comme un étranger ce qui ne manque pas de susciter de forts sentiments hostiles. A partir de la logique de S. Freud, le sentiment social d’appartenance à la ville de Marseille pour se construire a consisté en un retournement de ces sentiments hostiles en une « liaison à tonalité positive», comme il dit, de la nature d’une identification imaginaire, ce qui a donné ce « Fiers d’être marseillais », identité marseillaise qui fait lien social mais fait symptôme identitaire. Selon le descriptif freudien, « ce retournement s’accomplirait sous l’influence d’une commune liaison de tendresse à une personne située hors de la masse » et désignée comme le meneur. Marseille, semble faire mentir S. Freud puisque le sentiment hostile se maintient (et ne devient pas amour) mais se déplace de l’objet précédemment haï (l’étranger) à un autre « étranger » situé hors de la masse et considéré comme le « meneur » qu’évoque S. Freud et qui à Marseille prend volontiers la figure de Paris comme meneur de la Nation (qui nous méprise, a honte de nous, d’où le « Fiers » du slogan), mis en place d’idéal du moi. En cela, Marseille se positionne en « fille insoumise » de la Nation française, en rebelle, en victime de l’impérialisme parisien ( l’enfant battue !) comme on entend si souvent dire depuis les années 80 notamment et ce, sous l’influence du football et de B. Tapie qui a institué cet antiparisianisme primaire et fait que Marseille fonctionne à l’égard de Paris comme certaines banlieues parisiennes dites difficiles. Mais on ne fait pas tant mentir S. Freud en cela que cette position d’insoumise, de rebelle, de victime de Paris peut aussi être lue comme un appel à l’amour puisque l’on sait que l’enfant ne se sent jamais autant aimé par le père que quand il est battu par le père. Par contre, il y a un autre cas de figure, un autre phénomène identitaire possible à Marseille, c’est quand ce retournement de l’hostilité en amour pour le meneur se fait, cette figure du meneur devenant celle d’un meneur que nous aimerions et qui nous aimerait et alors là on a une autre figure mise en place d’idéal du moi et c’est la figure du meneur fort, nationaliste, qui a déjà surgie autour de Marseille sous la forme d’un vote pour le Front National comme vous le savez. Pour les adeptes de ce type de sociabilité borgne, comme celui qui l’incarne, l’identification commune devient alors « Marseille aux Français ou aux Marseillais de souche », délitant par-là le lien social par la ségrégation desdits autres considérés comme étrangers et qu’il s’agit de ne plus voir et de rejeter. Alors même que M. Le Pen n’est pas Marseillais, il vient incarner, par le trait de sa demi-cécité, la figure du père originaire commun. L’identité collective passe alors au niveau national au lieu de se situer au niveau citadin comme cela a pu être le cas par le passé et pas plus tard qu’avec G. Deferre. Finalement, ces considérations permettent de vérifier qu’une identité de groupe se constitue contre d’autres identités, mais que le signifiant Paris, capitale de la nation, fait trait identitaire.

3° S. Freud décrit aussi une 3ème forme d’identification par le symptôme qui se motive de la rencontre fortuite d’un élément analogue et refoulé dans les 2 Moi en cause. Par exemple, c’est la contagion d’accès hystériques dans un pensionnat de jeunes filles après que l’une d’entre elles a reçu une lettre l’ayant rendue jalouse.

2/L’identification chez J. Lacan

La 2ème identification décrite par S. Freud avec la toux de Dora conduit J. Lacan à élaborer le trait unaire de l’identification symbolique et inversement, le trait unaire va permettre de relire les 3 identifications freudiennes avec une nouvelle ligne de partage entre identifications imaginaires constitutives du moi et identification symbolique fondatrice du sujet. Avec le stade du miroir, J. Lacan met en évidence la dimension imaginaire du moi et par-là même, la dimension paranoïaque inhérente à l’identification moïque (c’est lui ou moi, moi est un autre). Il va distinguer le moi idéal qui est une instance imaginaire support des identifications imaginaires du moi (identifications narcissiques) et l’idéal du moi qui est une instance symbolique, le point concret d’identification du sujet au signifiant radical (identification de signifiant), c’est-à-dire au signifiant phallique par l’intermédiaire du trait unaire. Le trait unaire introduit un registre symbolique dans lequel la différence et l’identité ne se fondent plus sur l’apparence. L’identité tient à ce que les traits sont lus comme des uns et la différence est introduite par la sériation des traits. Le trait unaire permet le comptage, il est le support de l’identification du sujet, l’incarnation du signifiant phallique et il en est aussi l’image. Par l’identification au trait unaire, le sujet est un un identique à tous ceux passés par la castration, inclus dans un même ensemble. Mais en même temps il a acquis la capacité de se distinguer des autres en faisant valoir sa singularité par un seul trait vis à vis des autres. Le trait unaire en tant que repère symbolique, soutient l’identification imaginaire lors du stade du miroir : l’enfant va intérioriser son image du corps par sa mise en jeu. Comment J. Lacan noue ce trait unaire et l’identité sexuelle ? L’index phallique ou autrement dit, le phallus, c’est le symbole de la libido pour les 2 sexes, c’est le signifiant du désir, de la castration, il représente l’ensemble des effets du signifiant sur le sujet, il est l’objet du refoulement originaire décrit par S. Freud . Ce qui va permettre de régler dans l’inconscient la différence des sexes c’est le rapport au phallus, à cet index phallique par l’intermédiaire de l’identification au trait unaire : le garçon devra renoncer à être le phallus maternel s’il veut l’avoir comme hérité du père et la fille devra renoncer à cet héritage pour s’identifier elle-même à l’objet du désir. Ainsi, J. Lacan dit « l’homme n’est pas sans l’avoir » et « la femme est sans l’avoir ».

3/ C. Melman : à partir des identifications freudiennes et lacaniennes, il développe « les 4 composantes de l’identité » lors d’une conférence prononcée le 27/10/90 à l’hôpital Bicêtre :

 

1ère composante : la dimension imaginaire de l’identité qui est la dimension paranoïaque inhérente à l’identification moïque, telle que J. Lacan l’a décrite avec le stade du miroir. Elle a pour conséquence de produire une asymétrie avec notre interlocuteur, une rivalité quant à savoir de quel côté se situe l’idéal. On peut dire identité imaginaire car elle a trait avec l’image que me renvoie mon prochain. Il dit aussi que si notre identité se réduisait à cette image, nous serions sans arrêt obligés à une grande plasticité pour nous mouler sur les circonstances, pour participer à telle ou telle communauté. Nous serions en quelque sorte exposés à un culte du « même » c’est-à-dire du Moi et de l’image, ce qui se retrouve par exemple dans le communautarisme. C. Melman donnera par la suite cette définition du communautarisme : « Le communautarisme ça veut dire que l’humanité s’arrête avec celui qui n’est pas identique à moi »ii. Cette première composante de l’identité qui n’assure pas vraiment de permanence, qui nous condamnerait à une grande plasticité. C’est par exemple la clinique de la cour des écoles : si tu n’es pas comme moi, que tu ne fais pas partie de mon groupe gares à toi ! Clinique en grande voie de développement !

 

2ème composante : Ce qui va nous donner une certaine permanence, c’est notre identité symbolique qui se fonde (via la fonction du signifiant et le trait unaire) sur les éléments de notre histoire personnelle, de nos origines, de notre famille, de notre religion, de notre formation culturelle, de notre patronyme. C’est l’équivalent de ce S. Freud disait de l’identification qui se fait primordialement dans une relation au père complexe et ambivalente (entre amour et haine). En fait, il s’agit de l’identification au trait unaire, cet index phallique, qui fait que dans le grand Autre, qui est fait de petits a, il y a de l’Un, il y en a au moins un et que c’est de celui-là que nous allons nous référer dans l’identification. L’index phallique que constitue le trait Un, va donner à un sujet le droit de figurer dans l’espace des représentations. Faute de cet index, le sujet se trouvera réduit à être un objet a et cela ne confère pas une identité fixe mais éminemment plastique. C’est cette identité symbolique qui peut venir assurer notre identité sexuée (c’est-à-dire la façon dont on va venir se positionner par rapport au phallus).C. Melman avance que lorsque nous nous sentons confortables avec nous-mêmes, c’est qu’il y a en général un accord entre identité imaginaire et identité symbolique car l’une dépend de l’autre (on a vu que le trait unaire en tant que repère symbolique, soutient l’identification imaginaire).

 

Mais il y a aussi ce qui se passe quand cette identification privée et symbolique prend appui sur la communauté à laquelle appartient le sujet et qu’elle devient un problème collectif en prenant une forme identitaire c’est-à-dire en prenant appui sur une sorte de mythique ancêtre collectif. C. Melman nous dit que c’est alors le communautarisme mais n’est ce pas non plus le « fiers d’être marseillais » (sauf que le mythique ancêtre collectif devient l’ennemi mythique) ou le nationalisme ? C. Melman dit aussi, je cite: « qu’entre l’identification privée et l’identité collective, il peut y avoir, du fait de phénomènes, aussi bien subjectifs que proprement historiques, c’est-à-dire migratoires, il peut y avoir des conflits et je peux m’appuyer sur l’identité collective pour contrer mon identification privée, ou inversement »iii. Ces conflits viennent de ce que sur le plan collectif, il y a des traits spécifiques à la façon de faire l’homme ou de faire la femme dans chaque culture et le trait identitaire n’est pas le même selon les cultures même si l’index phallique reste inchangé, seule change la représentation de cet index: ce qui va faire que notre identité imaginaire peut être mise en cause par des images autour de nous différentes des nôtres (images, langue, coutumes différentes) et cela peut produire une incertitude quant au bien fondé de notre identité symbolique. Cela concerne autant le migrant que celui qui le reçoit et aura des conséquences réciproques. C’est ce que je vous ai relaté la dernière fois concernant ces jeunes migrants qui ne peuvent se faire reconnaître comme homme ou comme femme dans aucune des deux cultures (celle d’origine et celle d’accueil) ce qui va leur laisser comme choix : le passage à l’acte – c’est-à-dire la violence ou la délinquance pour rapter (rap ?) ce qui leur a été refusé dans les deux cultures – ou l’intégrisme comme affirmation exacerbée de l’identification symbolique. Pour celui qui reçoit le migrant les incidences vont concerner le racisme, la xénophobie et toutes les ségrégations du fait du risque d’un sentiment « d’envahissement » par l’autre étranger.

 

Ces incidences ne se retrouvent pas que dans les situations de migrations et de brassage culturel, c’est vrai en général pour les enfants dans des contextes de familles décomposées où le père ne remplit plus ses missions (par carence du père réel et donc du père symbolique comme nous l’avons vu la dernière fois). Ces enfants ne savent plus non plus où trouver le trait un, l’index phallique qui leur donnerait le droit d’être phalliquement reconnus, qui leur permettrait de prendre leur autorité et de ne pas chercher perpétuellement à être aimés, acceptés etc. De ce fait ils peuvent être tentés d’entrer dans le communautarisme, c’est-à-dire dans le mythe d’un père originel fondateur avec lequel ils seraient dans une sorte de continuité sans coupure comme cela s’exemplifie avec le recours accru aux sectes.

 

Dans toutes ces situations de désaccord entre identité symbolique et imaginaire, l’identité au lieu d’être fondée sur l’unicité (trait unaire) c’est-à-dire sur l’altérité en tant que pure différence, va se fonder sur la mêmeté (c’est-à-dire va devenir imaginaire) et l’au moins un au lieu d’être du côté du grand Autre va être du côté de l’étranger. Ce passage de l’altérité à l’étranger s’illustre très bien dans le phénomène des bandes dans les cités (qui comme on le sait ont chacune un territoire) et s’est illustré de façon récurrente au fil des siècles dans l’histoire de Marseille, (c’est-à-dire c’est l’érection d’une frontière réelle et imaginaire entre moi et l’autre faute de la frontière symbolique de l’altérité). Un exemple bien visible de ce phénomène en général, c’est la muraille de Chine qui est l’érection dans le réel de cette frontière entre la Chine et l’étranger mongol. On sait aussi que la question de la « Nation » peut déboucher sur ce type d’érection d’une frontière réelle et imaginaire. Faute de cet index phallique qui fonde l’identité privée sur l’altérité et la pure différence, il peut y avoir tentative de la chercher dans la mêmeté du côté du collectif. Ce qui se lit très bien au niveau de l’identité sexuée : faute d’un repérage un peu sûr de cet index phallique, notamment reconnu par le social, on note une tendance à l’unisexe. Mais on peut aussi me semble t-il assister à une quête identitaire sexuée dans laquelle les sexes s’affrontent comme devenus étrangers l’un à l’autre. Les 2 tendances s’entendent fort bien dans la clinique individuelle et aussi dans la clinique collective à travers les chansons (cf. quelques-unes unes des paroles en Annexe 2):

 

-Christophe Wilhem chante un homme pour le moins déphallicisé, irresponsable, se tenant dans le registre du « je voudrais en avoir mais je n’y arrive pas et je n’y peux rien » (double je),

-le marseillais Faf Larage chante la virilité outragée face à la virilité agressive de certaines femmes dans les cités (ta meuf),

-Koxie (garçon (gare aux cons) chante, comme en réponse, la féminité outragée qui donne une leçon à ces jeunes hommes qui croyant être virils, abordent les femmes comme si elles étaient des prostituées,

-Clara Morgane (sexy girl) chante une femme qui se dit sexy car elle fait ce qu’elle veut sans écouter ce que dit son homme,

-le rapeur marseillais Soprano, chante la virilité et la paternité bafouées par une femme qui a eu un enfant et l’a abandonné sans rien en dire au père (parle moi),

-Le groupe Mokobé (C’est dans la joie), ou le chanteur Francky Vincent (fruit de la passion, au top dans le ghetto), mettent au contraire en scène de super hommes et super amants qui sont au service des femmes comme des machines sexuelles,

-Diam’s (jeune demoiselle) en appelle à un « mec » fait de bric et de broc, de traits imaginaires piqués à des stars de la musique ou du cinéma ou du sport ou à des personnages de films,

 

A travers ces chansons, les formules lacaniennes selon lesquelles « l’homme n’est pas sans l’avoir » et « la femme est sans l’avoir » sont mises à mal : trop phallique ou pas assez, pas du bon côté, croyant l’avoir vraiment ou refusant vraiment le semblant de l’avoir, ne sachant plus l’être ou refusant de l’être, pour les hommes comme pour les femmes, l’index phallique laisse à désirer en laissant le désir en panne et l’identité sexuelle en souffrance tout en dessinant le contour d’un réel nouveau. Ainsi, cet autre exemple relaté par une éducatrice des rues qui a accompagné des jeunes marseillais des cités en Seine saint Denis. Ceux-ci lui ont dit avoir trouvé très dures les relations entre les garçons et les filles dans la banlieue parisienne (« ils sont comme des étrangers, des ennemis » ont-ils déploré) alors qu’eux disent considérer les filles de leur cité comme des sœurs (sic !).

 

Il y a encore une autre possibilité pour l’identité collective en mal d’index phallique. C’est ce que C. Melman a développé dans une conférence récente donnée à Milan à la « Casa della cultura »iv. Il rappelle que jusqu’à présent, nos sociétés , du fait du patriarcat, se rassemblaient autour d’un pôle commun, un père symbolique commun national, religieux, linguistique ou même social ce qui impliquait le partage de devoirs communs. Ainsi si à Marseille on se reconnaît encore à partir de signifiants comme « français », « marseillais », « catholique », « provençal », « marin »,  « ouvrier » ou « de la plèbe », on note aussi une façon différente de se rassembler. Sans doute car, comme l’explique C. Melman, dans cette conférence, ce n’est plus cette organisation qui prime mais la constitution de groupes qui ont une revendication commune ou qui partagent une même jouissance. Ce qui à Marseille peut se retrouver dans le phénomène à la base du retournement d’image de Marseille qui amène certains à dire que la ville est dans un processus de « californisation » du fait que l’on est passé d’un rapport à la jouissance où l’on s’enrichissait par la mer et l’industrie à une pure jouissance de la mer et du soleil par les activités ultralibérales immobilières et touristiques qui se développent ici. Cette fonction identitaire particulière – qui contrevient à l’ancienne organisation patriarcale – est de venir faire Un tout, une masse, là où le sujet ne peut pas se soutenir d’un trait unaire (c’est-à-dire d’une identité symbolique). Ce qui serait l’indice d’une identité mouvante, multiple (comme au Brésil), fondée sur une jouissance du corps partagée. C. Melman indique que cette nouvelle organisation de notre économie sociale contribue aussi à annuler la différence des sexes et nuit grandement à la dimension de l’altérité pour laisser place à celle de l’étranger.

 

3ème composante: l’identité réelle, celle du sujet du désir qui est par exemple celle que trahit le lapsus. C’est celle où gît l’authenticité de l’être, la vérité de l’identité du sujet. C’est en quelque sorte le trait le plus inaliénable de l’identité. Il est à noter que les fantasmes qui organisent le désir sont partagés collectivement « le désir pour les uns et pour les autres fonctionne dans une culture donnée de façon à peu près semblable et avec des fantasmes à peu près identiques ».

4ème composante : c’est le symptôme névrotique. C’est celui dont nous ne pouvons pas nous défaire et qui est constitutif de notre identité. Cette composante est liée à l’identité réelle en cela que le symptôme est une défense contre le désir. Contrairement au désir qui est partagé collectivement, le symptôme est la marque individuelle, c’est le nôtre pas celui d’un autre. C’est ce qu’il y a de plus solide dans notre identité.

4/ P. C. Cathelineau lors du colloque de Fez en 2005 a proposé de penser les identités à partir du nœud borroméenv, travail qu’il a continué en 2006 notamment lors des journées « quête d’identité et relation d’altérité » à Grenoble en Novembre 2006vi. Il rappelle qu’avec le trait unaire, cette marque symbolique à laquelle s’identifie le sujet, c’est la différence pure qui fonde le sujet dans son rapport au signifiant. Mais alors il se demande comment penser les différences qualitatives c’est-à-dire ces traits imaginaires, réels ou symboliques qui distinguent les identités entre elles. Il questionne : que faire des coutumes, des institutions ? Sans doute faut-il les penser par rapport à l’identification au père mais il faut saisir la face matérielle et parfaitement contingente du trait d’identification pour comprendre que le partage de certains traits « fait renoncer à notre commune appartenance aux lois du signifiant et oblitère la dépendance à cette identification symbolique qui fait du trait différentiel universel le fondement du lien humain.(…) C’est l’identité contre l’identification.(…) Elle (l’identité) délimite un territoire entre un dedans et un dehors hostile. (…) L’identité est paranoïaque dans ses formes paroxystiques »vii. P.C. Cathelineau renvoie au nouage borroméen de l’identité chrétienne que propose J. Lacan lors du séminaire sur « les non-dupes-errent » le 18 décembre 1973. En fait, J. Lacan y montre qu’une identité religieuse c’est une nomination des registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Dans l’identité chrétienne : le Symbolique est nommé « amour de Dieu », le Réel « la mort » et l’Imaginaire « le corps ». C’est-à-dire que le corps meurt par le moyen de l’amour divin et on note comme effet un vidage de l’amour sexuel. P.C. Cathelineau à la suite de J. Lacan propose les nominations de l’identité juive et de l’identité musulmane. Dans l’identité juive : en symbolique, il place « le sexe » (ou le nom divin), en Réel, « la vie » et « le corps » pour l’Imaginaire. Avec comme effet un vidage de la mort réelle et le fait que le corps vit par le moyen du sexuel. Dans l’identité musulmane : il place « la loi écrite » en Symbolique (le Coran incréé), en Réel, « le désir », et toujours le « corps » en Imaginaire. L’effet est que le désir n’a pas de place dans le registre de la loi écrite, il y a un vidage du sujet qui est rejeté des prescriptions religieuses. Comme on le voit, ces nominations ne sont pas forcément compatibles entre elles mais on note un certain vidage du sexuel commun à la chrétienté et à l’islam. « Le nœud borroméen ainsi nommé permet de montrer que l’identification au trait unaire repose ordinairement sur des nominations qui donnent consistance aux dimensions du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire en les figeant dans la dimension d’un sens. (…) Le nœud borroméen paraît nécessairement se singulariser et se décliner sous différentes nominations »viii. P.C.Cathelineau dit que cela vaut aussi pour les identités nationales ou régionales qui supportent d’autres nominations sur le nœud. La quête identitaire ne serait donc pas un accident de l’histoire mais la traduction du fait que le sujet ne résulte presque jamais du coinçage de RSI dans leur seul caractère structural (qui lui est universel). Selon lui, le dialogue interculturel serait favorisé par le repérage des métaphores qui régissent le parlêtre dans chaque culture, l’ouverture à l’autre étant une référence un peu creuse pour le favoriser.

 

Marseille, de l’Etranger à l’étranger, du commerce à la plus value

Les 4 composantes de l’identité marseillaise d’hier et d’aujourd’hui

Les composantes symbolique, imaginaire et réelle de l’identité fondatrice de Marseille

Le mythe de Gyptis et Protis dit que la cité phocéenne a été fondée en 600 avant Jésus Christ, par Protis, le colon, le navigateur grec de Phocée (en Asie Mineure), qui reçut le territoire du Lacydon (port naturel, devenu le Vieux-Port actuel) en dot de son mariage avec Gyptis la Ligure autochtone pour y créer une colonie. Cette lecture mythique institue un moi idéal tout amour pour l’étranger: Gyptis choisit, par amour dit-on, parmi tous les hommes de sa culture présents lors du banquet au cours duquel son père Nann lui a demandé de choisir un époux, celui précisément qui n’en fait pas partie, c’est-à-dire l’Etranger. Ce que le mythe tait, ce qui en pointe la dimension inconsciente, c’est que ledit mariage d’amour est en fait une alliance commerciale, concrétisée par l’échange d’une femme. Le désir à l’œuvre lors de cette fondation, c’est-à-dire la composante réelle de l’identité fondatrice, c’est le commerce maritime. Marcel Roncayolo dit que Marseille a été « élevée comme un temple au dieu du commerce »ixet plus particulièrement aux trafics maritimes au long cours. Ce lien au commerce permet de situer l’altérité, l’Autre, l’Etrangercomme composante symbolique de l’identité fondatrice parce que le commerce maritime implique l’échange, c’est-à-dire d’aller ailleurs vers des étrangers mais semblables car ils partagent des principes logiques communs c’est-à-dire que chacun a quelque chose de radicalement différent ou nécessaire, donc convoitable, à échanger ou à vendre pour satisfaire à des besoins vitaux ou à des désirs, c’est-à-dire avec un espoir de jouissance. Ce désir à l’œuvre s’imaginarise dans l’histoire damourpour l’étrangerqui constitue la composante imaginaire de l’identité fondatrice Marseillaise. Ce que coince ce nouage borroméen c’est l’objet a – marchandise (une femme à l’origine devenue argent de nos jours ou main d’œuvre bon marché). Le sexe passe à la trappe (ce qui est une caractéristique commune avec les identités chrétienne et musulmane). Ce mythe issu de la culture grecque est fort connu à Marseille et on ne peut qu’admirer sa justesse structurale.

 

L’Etranger/Autre en symbolique soutient l’amour pour l’étranger en composante imaginaire ce qui permet de penser que la ville de Marseille peut être un bon « laboratoire » pour traiter de l’altérité, de la question de l’étranger, de la fonction phallique et des questions identitaires. Dans le procès de la subjectivation, on sait que le père symbolique est le premier étranger et le support de la fonction phallique et que l’on nourrit à son égard les sentiments les plus ambivalents. Qu’en est-il à Marseille de ce père symbolique ? Pour rejoindre les travaux de P. C. Cathelineau ces composantes sont intéressantes car justement, « l’identité ne peut se penser que par rapport à l’altérité fondatrice et une altérité qui se trouve dans un certain écart symbolique par rapport au peuple qu’elle est censée fonder. C’est-à-dire que le père dans cette conception, le père est étranger »x. Finalement dans cette optique, ce qui a présidé à sa fondation fait de Marseille la ville Autre, l’Etrangère, mais aussi une ville de marchands et ce n’est sans doute pas pour rien que Marseille a donné son nom à l’hymne qui symbolise l’unité de la nation française et pas pour rien non plus que de nombreux marseillais pensent que le drame de Marseille est de ne pas être une capitale : ni celle de la France, ni celle de la Provence. Qu’est-ce qui n’a pas marché alors que Marseille aurait pu symboliser la question de l’altérité sur le territoire français ? C’est à travers ses rapports à l’Etranger/Autre et au commerce, qui y ont toujours été centraux et déterminants que l’on peut relire son histoire et ses symptômes actuels et voir si cette lecture peut nous apporter des éléments pour une clinique individuelle et collective à plus grande échelle tant il est vrai que cette question de l’étranger et du plus de jouir est centrale dans le contexte actuel d’ultra libéralisme et de mondialisation. Or on sait que le commerce est l’ancêtre du capitalisme par la fonction de la plus value que la monnaie a rendu possible.

 

Les symptômes marseillais d’hier et d’aujourd’hui comme 4ème composante identitaire

 

Comme nous l’avons évoqué avec le travail de C. Melman, on peut lire les symptômes à partir de ce qui constitue la composante réelle de l’identité qui est celle qui organise le désir. Si on considère qu’à sa fondation, la nomination du rond du réel de l’identité marseillaise  était le commerce maritime et l’industrie qui y était liée, on retrouve bien ce qui a constitué pendant longtemps (et encore un peu aujourd’hui) le cortège des principaux symptômes de cette ville qui sont à lire comme autant de défenses contre le désir d’enrichissement à l’œuvre: La saleté qui est l’argent devenu sale, la pauvreté comme l’envers de la richesse et le résultat de l’exploitation capitaliste locale, une tendance récurrente à vouloir faire table rase des pauvres (évidemment étrangers) sur tous les plans, y compris urbanistique. C’est aussi la paresse comme inhibition au travail qui ne rapporte qu’un salaire. Ca a aussi été la mafia et ses parrains (jeux, prostitution puis drogue), le clientélisme politique comme commerce politique et donc l’indiscipline, la « tchatche » comme commerce de soi, les « càcous » comme façon de faire l’homme qui en a…de l’argent ! frimeur et m’as-tu-vu à la virilité de pacotille, la rébellion contre le pouvoir en place pour défendre ses privilèges notamment pécuniers et donc un rapport à la loi très élastique.

 

Aujourd’hui, il semble que ces symptômes se radicalisent car le commerce a changé d’éthique (même si avant d’être ultralibéral, le commerce a toujours tendu à se vouloir libre pour un libre échange), ce n’est plus uniquement le commerce maritime au sens ancien, fondé sur l’échange, où le profit est le fruit d’une prise de risque tant réelle que symbolique et imaginaire, mais un commerce mondialisé et ultralibéral ou un commerce touristique ou immobilier avant tout organisés par la plus value et par la jouissance de l’objet. Comme si, pour reprendre P.C.Cathelineau, la référence commune n’était plus toujours l’Un dans l’Autre mais l’objet ! Ainsi les symptômes évoluent et on note un recours de plus en plus important à l’assistanat, certes comme réponse à la pauvreté, mais aussi comme un droit à la jouissance. Le commerce illégal n’est plus l’affaire des parrains de la mafia qui ont disparu et perdu leur influence sur le monde politique. Ils sont remplacés par la délinquance des petites mafias, de la magouille et des petits trafics des cités portant sur des objets de consommation procurant des jouissances immédiates tels le haschich, la cigarette, les voitures, les copies de bijoux ou habits, les voitures, etc. Le désir d’enrichissement initial par le commerce est donc devenu cette aspiration à un « plus de jouir » largement partagé ailleurs qu’à Marseille mais rend cette ville plus à la mode qu’avant. Il n’est qu’à voir le succès du feuilleton « plus belle la vie » dont Marseille est le lieu de tournage et dont le titre dit bien ce qui est en jeu. S’il a pu être autrefois reproché à Marseille d’être une ville de marchands ne pensant qu’à s’enrichir, elle n’a été qu’un précurseur car cet appât du gain…de jouissance ne lui est plus spécifique.

 

Les rapports actuels de Marseille à l’Autre/(E)étranger et au commerce

 

1/ La clinique individuelle et collective indique que Marseille ne laisse jamais indifférent, de nombreux primo arrivants disent se sentir étrangers en arrivant ici quelle que soit leur origine nationale. Certains migrants se sentent vite hors circuit. En même temps, de nombreux témoignages disent que l’on peut assez vite « se sentir et se dire d’ici »xi au point – comme nous le fait remarquer le sociologue Bruno Le Dantecxii – de croiser des mamans musulmanes à Notre Dame de la Garde. Ce qui à mon sens est assez révélateur de ce qui organise le lien social à Marseille (nous y reviendrons). D’autres primo arrivants disent se sentir très vite marseillais du simple fait d’habiter Marseille ou encore parce qu’ils s’y sentent comme chez eux du fait de la ressemblance des paysages, du climat et de la nourriture par exemple (mais alors, où se situe la frontière identitaire, ce qui fait Un ?). Des visiteurs s’y sentent d’office à l’aise car ils trouvent la ville populaire ou ils repèrent ici une forte identité locale. D’ailleurs, l’historien Alèssi Dell’ Umbriaxiii développe l’idée qu’il existe ici une forte culture citadine à composante provençale, supérieure à la culture nationale, menacée aujourd’hui par la « californisation »xiv de Marseille, mais qui a permis dans le passé aux diverses vagues d’immigration de « s’assimiler » en l’espace d’une ou deux générations tout en l’enrichissant. Il dit aussi que « beaucoup de jeunes « fiers d’être marseillais » aiment proclamer, dans les virages du stade Vélodrome ou ailleurs, que ‘ Marseille, c’est pas la France’ (ce qui s’appuie historiquement sur le statut de « terre adjacente » et de ville autonome dont Marseille a bénéficié pendant longtemps). Immigrés et voyageurs s’accordent avec eux là dessus »xv. Alèssi Dell’ Umbria rappelle aussi que « bien longtemps après l’annexion de la Provence, les habitants de cette ville ont continué de considérer la France comme un pays étranger : ce que justifiait le statut particulier de Marseille dans le royaume et, plus généralement, la profondeur des différences culturelles »xvi. Il précise qu’au 19ème siècle encore, les Marseillais estimaient qu’au-dessus d’Avignon, ils étaient « en France », en retour, Marseille provoquait mépris et moquerie. Nous avons déjà lu freudiennement les processus identitaires qui sous tendent ces phénomènes et l’on peut à présent y lire la traduction de l’amour pour l’étranger occupant la dimension imaginaire avec toute l’ambivalence que cela peut provoquer.

 

2/ Mais la frontière de ce mépris n’est pas qu’extra muros, Alèssi Dell’ Umbriaxvii analyse que les propres élites de Marseille ont souvent exprimé un mépris à l’encontre des habitants pauvres et/ou immigrés, de nos jours « les Arabes », les « Comoriens », les « Gitans », les « babis » (Italiens) au 19ème siècle. Pour lui, ce mépris pour l’étranger se retrouve au sein même de la ville et il le met justement au centre de l’identité marseillaise. Ce qui a mon sens dénote une bascule de l’amour pour l’étranger en haine de l’étranger et l’amour ne soutenant plus l’Autre/Etranger en symbolique, l’Etranger devient l’étranger réel et haï dont il faut se débarrasser (selon la même logique qui a abouti au déclin des Nom du Père ?). Alèssi Dell’ Umbria note qu’à l’inverse du rejet par les élites, le plus « virulent sentiment d’appartenance à la ville »xviiiest affiché par les plus modestes. C’est, dit-il, comme si l’appartenance à des classes sociales modestes venait se conjuguer au fait de se vouer à la ville méprisée. De la part des élites marseillaises, Bruno Le Dantec parle d’une « phobie »xix des « pauvres »xx, des « petits »xxi, des « mal blanchis »xxii qui se manifeste par « l’obsession » de « changer radicalement Marseille, car Marseille n’est pas une ville comme il faut »xxiii. Il parle d’une volonté récurrente au fil des siècles de mettre au pli un « port trop populeux »xxiv. La mauvaise réputation de Marseille dans le passé et son actuelle image de ville à la mode sont selon lui, l’endroit et le revers d’une « même fausse monnaie »xxv qui masque la constance d’une « volonté de faire table rase »xxvi de la ville de Louis XIV au maire actuel en passant par les nazis qui ont voulu détruire Marseille la cosmopolite et ce parce que Marseille est « une ville jugée inadéquate »xxvii. Il me semble qu’il y a là un glissement de l’étranger au pauvre et finalement amalgame. De plus, E. Témime souligne la facilité avec laquelle dans le passé et depuis le 19ème siècle, un amalgame se fait entre délinquants, marginaux et masse des immigrés pauvres. « Du coup l’Etranger est dans la cité mais il est souvent insaisissable »xxviii. Comment peut-on lire cela ? Comme si le désir de fortune par le commerce dans l’échange avec l’Autre en devenant demande de jouissance faisait retour sous la forme symptomatique du mépris du pauvre et de l’étranger perçu comme ennemi dont il faut se débarrasser s’il ne permet pas de s’enrichir comme main d’œuvre bon marché ou s’il fait concurrence par un commerce populaire et incontrôlable ! Et du coup, on assiste à l’expulsion de l’étranger en tant qu’objet a devenu déchet avec des effets réels au niveau urbanistique:

a/ A Marseille, déjà sous Louis XIV, un agrandissement urbain survient qui marque le début d’une ségrégation sociale. Marseille a longtemps été conçue comme un assemblage de quartiers constituant autant de « villages » distincts par leur nomination et non clos par une frontière tangible. Ce qui suit tout à fait la vision aristotélicienne de la Cité. Au début du 19ème siècle, un programme de rénovation urbaine est entrepris qui consiste à libérer d’importants espaces urbains, ce qui a pour conséquence que Marseille ne se développera pas vers sa banlieue. Tout au long du 19ème siècle, l’urbanisation évolue par alternance, créant de nouveaux quartiers mais laissant de vastes espaces à l’habitat modeste d’un peuplement ouvrier. Une mixité sociale existe de fait et par le fait du tissu urbain. Toutefois, pour les migrants qui se fixent, c’est souvent le changement de quartier qui marque l’intégration, l’insertion dans la ville. Au 20ème siècle, l’urbanisation envahit le terroir marseillais, la population aisée va vers les villages de la périphérie, la ségrégation débutée sous Louis XIV s’accentue : quartiers nord pour les plus pauvres et quartiers sud pour les plus riches avec comme axe de séparation réelle et imaginaire, la Canebière. On ne peut pas toutefois parler de banlieues.

 

b/ En 1973, un plan de réhabilitation est lancé qui suit un plan directeur étatique, il n’est toujours pas achevé et se poursuit aujourd’hui par le biais d’Euromed. Certains sociologuesxxix lisent dans ce projet de « rénovation »xxx du centre villeune logique d’ethnicisation opposant les « vrais marseillais »xxxi et les « étrangers »xxxii qui auraient conquis, envahi le centre. Ceci ayant d’ailleurs abouti à des expulsions, dont il est difficile de connaître le nombre. La société bourgeoise locale appelle de ses vœux cette rénovationcar elle dénonce comme cause du marasme commercial du centre, son invasion par une forme de commerce trop populaire ou ethnique, c’est-à-dire au-delà de la Canebière vers le sud. Alors que pour B. Le Dantec, le commerce marseillais dans son essence consiste en un « souk, (…), unbazar transméditerranéen »xxxiii car cela colle à son histoire portuaire. Il pense que l’actuelle politique vise à éliminer ce type de commerce car jugé trop crasseux et trop miséreux et concurrentiel. La Canebière serait cet axe, dit imaginaire par certains sociologues, qui viendrait marquer une frontière entre la « bonne société »xxxiv et « l’étranger »xxxv. Or, les quartiers du centre ont toujours été un lieu de centralité et de transit pour les migrants, voyageurs et transitaires, plus qu’une « conquête »xxxvi il s’agit d’une continuité. Par contre, des études montrent dans le centre la disparition des populations moyennes (qui vont à la périphérie de Marseille) et l’arrivée d’une population de « nouveaux marseillais »xxxvii, diplômés ou marginaux (étudiants ou artistes) ou « établis »xxxviii(souvent fonction publique) qui sortent du lien politique local (clientélisme). Cette révolution urbanistique est perçue comme un risque de déliaison sociale : «à l’automne 2005, en pleine révolte des banlieues, les médias donnèrent Marseille en exemple. Un modèle d’intégration selon eux. Ils se livraient en fait à un exercice d’auto persuasion : la ville était dans un tel état, avec ses travaux sans fin et ses longues grèves, que la perspective d’un embrasement des quartiers dut provoquer une réelle panique chez les gérants de cet édifice à l’équilibre précaire. Le préfet de région crut conjurer l’incendie en déclarant : ‘ici, il n’y a pas de banlieues, on est tous Marseillais’. (…) Mais ce calme (relatif) est menacé par la machine de guerre des urbanistes. (…) si la ville n’a pas (trop) brûlé, c’est que les pauvres s’y sentent encore un peu chez eux. Et cette particularité de Marseille est gravement mise à mal par la politique urbaine »xxxix. Une autre théorie dit que si la ville n’a pas trop brûlé c’est que cela aurait nuit aux petits trafics dans les cités et que des accords entre les intéressés ont permis cette trêve.

 

c/ Politique urbaine qui a aussi débouché sur la construction de « cités ». On en recense 40 dispersées dans la ville. Elles ne forment en rien une banlieue au sens architectural ou au sens juridique ou politique mais elles fonctionnent comme des banlieues défavorisées en tant que lieu de stigmatisation et de ségrégation. On y note la très forte influence de l’action sociale par le biais des centres sociaux (malgré le plus fort taux d’emplois précaires de France) et de l’animation socioculturelle qui canalise les ferments de révolte et suscite le militantisme bien que des centres sociaux brûlent régulièrement à Marseille aussi sans que le processus émeutier ne dépasse toutefois l’enceinte des cités.

Donc politique urbanistique qui traduit le mépris du pauvre et de l’étranger et érige des frontières réelles et imaginaires. A ce mépris, réel, répond ce « fiers d’être marseillais » scandé comme un cri de guerre.

 

3/ Cri de guerre qui a son théâtre avec le stade vélodrome et le football. Le football à Marseille est bien plus qu’un sport, selon l’analyse de M. Peraldi et M. Samson, depuis la fin des années 80 le public du football a intégré la jeunesse de tous les quartiers de la ville (toutes origines et statut social confondus) et s’est fait jour un certain anti-parisianisme (il existait bien avant comme nous l’avons vu), réinventé par B. Tapie, à travers l’animosité entre PSG et OM. Cette guerre footbalistique et le discours des supporteurs se présentent comme discours politique quasi-religieux (le foot est devenu l’élément central de l’opinion publique à Marseille) et dessinent une vision de la ville et de son peuple censée définir « l’identité de la ville »xl. Le ballon de football est ainsi devenu le trait identitaire de la ville, un tenant lieu d’index phallique. D’après une enquête menée par les auteurs, les valeurs majoritairement défendues par les clubs sont les suivantes: « …politiquement, Marseille est une ville rebelle, c’est-à-dire rétive à l’autorité de l’Etat. Socialement c’est une ville populaire, ce qui l’oppose aux cités riches ou aristocratiques. Culturellement, elle est marquée par le métissage. Le tout sur fond de victimisme, cette idée vague et puissante selon laquelle la ville et ses habitants sont victimes de l’arrogance culturelle, politique et économique de l’Etat et de sa capitale »xli. Les auteurs analysent d’ailleurs justement cette identité comme la fable du « peuple bafoué qui prend sa revanche »xlii. Cette composante imaginaire de victime de Paris peut expliquer pourquoi pauvres et étrangers s’identifient si aisément (pauvre et/ou immigré = étranger), pourquoi de nombreux immigrés (notamment les populations maghrébines et noires africaines) n’ont pas de mal à se dire marseillais à côté de ceux qui se sentent méprisés par Paris depuis longtemps (même s’ils s’estiment marseillais de souche). Ainsi la haine pour Paris vient répondre à un mépris réel, comme une relation d’étranger à étranger ennemis (ce qui est aussi au principe du fonctionnement de certaines banlieues parisiennes). Ennemi contre lequel on se bat avec le ballon/phallique pour l’amour de l’OM (qui aime ?). Guerre qui se retrouve à travers l’idée de Marseille la rebelle. D’ailleurs, les auteurs reviennent aussi sur le « retournement d’image »xliii dont bénéficie Marseille depuis la fin des années 80 pour dire que « l’amour de Marseille n’est jamais loin du désamour pour Paris »xliv donnant à entendre par-là un fonctionnement en miroir entre Marseille et Paris. A l’égard du métissage revendiqué, si l’histoire de Marseillexlv relate que les Grecs fondateurs ont accueillis dans la ville une grande proportion « d’indigènes » (jusqu’à 40%) pour faire souche au point que ces historiens disent que dès l’origine Massalia la Grecque a été le fruit d’un « métissage »xlviavec les « barbares »xlvii, il est aussi rapporté les relations conflictuelles et meurtrières entre Massaliotes et habitants autochtones des territoires environnants. Faut-il lire là les prémisses d’un lien social organisé par un discours du colonialiste tel que le décrit C. Melman (dont nous reparlerons) et qui se perpétuerait encore aujourd’hui notamment à travers cette guerre symbolique footbalistique et ces phénomènes identitaires imaginaires qui peuvent tour à tour unifier la ville en la scindant de Paris (tous contre Paris) ou la scinder en 2 en son sein (les étrangers-immigrés et les Marseillais) ? En tout cas, de nos jours, cet élément colonial fait aussi retour au niveau identitaire; M. Péraldi et M. Simon observent que Marseille a un côté ville coloniale ou plutôt « ville colonisée »xlviii sans bourgeoisie autochtone (juste des « békés »xlix et des « zoreilles parvenus »l précisent -ils) avec un peuple pauvre, fragile, souffrant. Ce côté colonial/colonisé attire actuellement beaucoup d’artistes du fait d’un « topos imaginaire propre à exciter l’imagination créative : le sud, le peuple rebelle, la ville cosmopolite »li. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à cet engouement des artistes pour Marseille répond une prétention à devenir creuset culturel. Marseille postule d’ailleurs au titre de « capitale européenne de la culture » pour 2013. Mais de quelle culture parle t-on ?

 

4/ cosmopolitisme marseillais ou mythe de cosmopolitisme ?

Cosmopolite : vient de politès et kosmos : veut dire citoyen du monde, actuellement veut dire « qui comprend des personnes de tous pays, qui subit des influences de nombreux pays (opposé à national) ».

 

Force est de constater que les auteurs ne s’accordent pas sur la question du cosmopolitisme, car ils ne semblent pas faire un repérage structural. L’excellent et renommé historien et économiste E. Temime et ses co-auteurs disent que le cosmopolitisme marseillais est lié à la situation d’escale de la ville entre Occident et Orient et à l’amalgame entre activités portuaire et industrielle qui a poussé les négociants marseillais vers l’aventure et a attiré les populations proches ou lointaines à venir y chercher fortune. Pour eux le cosmopolitisme a pour cause la littoralité (au sens propre) et la situation géographique de Marseille et il consiste en une présence simultanée et réciproquement acceptée de différentes « communautés ». Donc finalement il s’agirait d’un ensemble de Uns ce qui évoquerait une culture plurielle dont ils ne disent pas ce qui l’unifierait. Pourtant, paradoxalement, E. Temime donne comme l’un des facteurs principaux à l’intégration une volonté de renoncer aux traditions communautaires ce qui évoque alors une dissolution des Uns dans un tout qu’il n’identifie pas. Ce qui à mon sens peut faire craindre à certains une perte d’identité avec les réactions de quêtes identitaires qui risquent d’en découler. Les autres facteurs qu’il évoque pour l’intégration sont les décisions politiques locales et nationales (tolérance ou officialisation de la pratique religieuse ou officialisation des lieux de culte et de sépulture, naturalisation), l’acquisition d’un logement, le changement de quartier et l’union matrimoniale. L’auteur est ambigu aussi quand il note à propos d’intégration que depuis que Marseille est française, « la barrière ‘nationale’ semble déterminante et (que) l’identification immigré-étranger (est) presque absolue »liimais avec toutefois une limite floue entre l’étranger et le national.  Il donne l’exemple des juifs qui n’ont eu droit officiel de cité à Marseille qu’à la fin du 18ème siècle (avec la révolution) alors que certains y résidaient depuis des années et y étaient intégrés. Le fait que la barrière religieuse soit infranchissable avant la révolution ne les a pas rendus inassimilables et les échevins (dirigeants de la ville) ont ignoré la présence de ces « étrangers indésirables »liii.

 

Cette conception du cosmopolitisme marseillais est remise en cause par M. Peraldi et M. Simonliv qui eux disent qu’on ne peut pas parler de cosmopolitisme à Marseille aujourd’hui au sens d’une « culture plurielle »lv, car il ne prend en compte que de très vieilles migrations. C’est me semble t-il toute la question de ce que veut dire le cosmopolitisme et de ce qui fait Un. M. Peraldi et M. Simon dénoncent l’idée selon laquelle le cosmopolitisme à Marseille se fonderait sur l’existence de communautés étrangères organisées. S’ils confirment qu’il existe quelques communautés organisées comme la communauté juive et surtout catholique (pas musulmane), il s’agit là pour eux d’un « mythe communautaire »lvi (le livre Migrance d’E. Témime est mis en cause sur la diffusion de ce mythe) qui présuppose quelque chose d’une nature « ethnique » collective qui se perpétuerait naturellement. Pourtant, ils notent qu’il existe à Marseille une gestion politique de ce qu’ils appellent la «symbolique communautaire »lvii car ils admettent que la ville reste conçue comme un fragile patchwork ethnique et religieux. Selon eux, l’idée du « communautaire » amène les politiques locaux à considérer la religion comme le seul ciment de tous ces groupes insaisissables et supposés hostiles les uns aux autres. Ils critiquent l’association Marseille Espérancelviii dont l’idéal est une entente entre les « communautés religieuses » qui composeraient la ville et qui serait une machine de pacification politique réagissant quand il y a danger supposé de conflits et de haines intercommunautaires ou inter-religieuses. Certes c’est bien là l’objectif de Marseille Espérance et il respecte en cela ce qui semble être un lien social qui tente de s’organiser officiellement à partir de la religion (Les 3 monothéismes et le bouddhisme) mais qui officieusement s’organise autour du catholicisme. Mais, effectivement, ce lien social tient-il du patriarcat ? En fait, si les auteurs repèrent qu’il y a de la symbolique, ils ne la nomment pas même s’il la dénonce comme religieuse. Or, c’est bien du religieux qui rend possible ici, peut-être un peu mieux qu’ailleurs, le lien entre les religions mais il s’exprime ici par le culte de la « Bonne mère » qui est l’expression d’une sorte de matriarcat religieux (d’où la présence de mamans non catholiques et notamment musulmanes à Notre Dame de la Garde). Quand les auteurs disent que penser la population en communautés revient à désigner ces communautés comme les autres d’une population ordinaire non communautaire évidemment blanche et catholique, alors même qu’ils observent que la communauté de l’église catholique est la plus hiérarchisée et organisée à Marseille, ils ont raison, mais, ils passent à côté de ce matriarcat religieux, qui se place comme composante imaginaire de l’identité marseillaise en tant qu’amour de l’Autre maternel. Pourtant, les auteurs soulignent que seul le groupe catholique n’est pas désigné comme communautaire, ce qui montre pour eux que le terme de communauté prend le sens implicite de minorité. Ils remarquent que cela va à l’encontre de la laïcité républicaine comme le fait que la ville soit consacrée au Sacré Cœur (rituel qui lit officiellement l’Eglise à la ville de Marseille) et que son monument le plus célèbre et symbolique soit une église catholique (ils parlent de Notre Dame de la Garde dite la « Bonne mère »).

 

Pour reprendre les nouvelles composantes de l’identité marseillaise, nous aurions en Symbolique (index phallique) le ballon de football, en Imaginaire l’amour de l’Autre maternelet en Réel l’étranger, le tout venant coincer le plus de jouir consommable pour une jouissance immédiate. Ce qui me semble t-il ouvre sur la question de l’Un dans l’Autre et de la transmission de phallus symbolique. On pourrait peut-être tenter de lire dans ce culte de la « Bonne Mère » toute-amour et imaginairement phallique une façon de se passer du Nom du Père tout en s’en servant. Mais comment peut se transmettre le phallus puisque l’Un n’est plus dans l’Autre, c’est en quelque sorte un Un hors de l’Autre? Un Un positivé, objectivé. L’Autre/Etranger n’est plus en symbolique mais s’est disjoint entre l’amour de l’Autre maternel en imaginaire (l’Autre est imaginarisé) et l’étranger réel. C’est sans doute pour cela que Marseille n’a pas pu symboliser l’altérité au plan national et qu’elle s’est trouvée traitée, et s’est comportée, comme « l’étrangère » par le reste de la nation si souvent. Quelles sont les conséquences de ce matriarcat ?

 

Effets du matriarcat :

quand l’identification symbolique se dénoue ou le primat de l’imaginaire

 

Chaque fois que c’est la mêmeté, sur un versant imaginaire, qui organise l’identité et non plus l’Etranger, l’altérité symbolique par l’entremise du trait unaire et de l’index phallique, l’au moins un (c’est-à-dire l’exception qui rassemble) au lieu d’être du côté du grand Autre va être du côté de l’étranger petit autre. Du coup l’autre différent de moi va être un étranger, réel cette fois ci, que je vais bien sûr haïr car il est devenu imaginairement un rival et je vais vouloir en être séparé par une frontière non plus symbolique mais réelle et imaginaire. Cela est structural, ce n’est pas un simple refus de l’autre. On assiste alors à un désamorçage de la métaphore paternelle (donc du symbolique) tant au niveau collectif qu’au niveau subjectif. Le culte pour la « Bonne Mère » – statue dorée, érigée au sommet de la basilique de Notre Dame de la Garde sur la plus haute colline de Marseille, tenant l’enfant Jésus dans ses bras – peut être lu comme l’expression d’un matriarcat au sens où l’entend C. Melman c’est-à-dire de transmission imaginaire du phallus en lieu et place d’une transmission symbolique telle que l’organise la métaphore paternelle (l’Un dans l’Autre) à partir de l’identification symbolique. Culte de la mère qui peut être vu comme l’avatar imaginaire, parce que christianisé, du culte que les Grecs fondateurs vouaient déjà à la déesse Athéna à Marseille et qui pouvait, lui, être lu comme culte d’une figure féminine en tant qu’Autre, que pure différence (historiquement, Marseille est réputée avoir été sauvée plusieurs fois par des femmes). Avec le culte de la « Bonne mère », exit la question de la femme en tant que désirante, elle n’est adulée qu’en tant que mère. Ce vidage de la sexualité et de la féminité semble être en résonance avec de nombreuses cultures méditerranéennes chrétiennes et avec la religion musulmane comme nous avons pu le voir précédemment.

 

Les effets de ce matriarcat se retrouvent au niveau de l’identité sexuelle à travers les modalités de faire l’homme ou la femme à Marseille : le « càcou » et la « càgole » (pâle reflet de ce qu’ont pu être autrefois le parrain dans la mafia et ses prostituées, cf l’histoire de la famille mafieuse des Guérini). C’est une exacerbation de la virilité qui correspond à une représentation très imaginaire du phallus. Voilà ce qu’en dit Jean Jaque dans « les càcous, le parler de Marseille » : Outre le fait qu’il est un fervent supporteur de l’OM, « le càcou est le frimeur marseillais (…), le càcou, c’est la bouche, (…) le càcou n’est pas, il paraît. Son objectif est de montrer, de se montrer; de plaire, de se plaire. (…) Le càcou n’est pas un voyou, il fait le « dur » mais ne l’est pas. C’est le mià d’aujourd’hui, il a l’insulte facile et le geste grossier au volant mais en fait le càcou n’est pas un réel violent, et, s’il feint d’aimer la violence, c’est uniquement parce que cela fait partie de sa conception de la virilité »lix.

 

Cette transmission imaginaire du phallus se retrouve aussi dans la clinique individuelle notamment avec les patients issus des cultures maghrébines. On retrouve cette image d’une femme avant tout mère, formant quasiment un couple avec l’un de ses fils, seule en charge de faire de son fils un homme et de ses filles des mères, sans l’aide du père qui pour être très macho, voire autoritaire, n’en est pas moins souvent humilié socialement car immigré et s’il est parfois violent réellement, n’a aucune autorité symbolique sur son fils ou sur sa fille.

 

En guise de vignette clinique je vous propose une évocation du personnage de Fanny et aussi de celui de Marius et Panisse dans l’œuvre de Marcel Pagnol.

Fanny une figure du matriarcat

 

Comme on le sait, M. Pagnol a tenté de rendre compte de la figure du père à travers son œuvre. Le succès de cette oeuvre n’est sans doute pas étranger au fait qu’elle est en soi une évocation du père idéal (imaginaire ?) à coloration culturelle marseillaise. Le père y est en effet présenté comme celui qui aime avant d’être celui qui donne la vie donc un père qui a tout à fait les attributs du christianisme. Le père c’est Panisse, le veuf bon teint, pas Marius le jeune célibataire, c’est Panisse le commerçant parvenu car travailleur, pas Marius le marin aventurier (ces traits identificatoires, le commerce et l’aventure, sont bien présents dans l’identité marseillaise comme nous le verrons). Deux figures du phallus, comme deux cultures différentes car organisées par des traits identificatoires différents. Ils n’ont en commun qu’un rapport prononcé à la jouissance. Mais c’est aussi Panisse humilié d’épouser une « petite » pas vierge, une femme qui en désire un autre et aussi Panisse lubrique d’en épouser une beaucoup plus jeune que lui. Ce tour de passe-passe est rendu possible par César, le père de Marius, qui consent à donner un coup de canif dans sa propre filiation en déniant à son propre fils le droit à la paternité, afin de faire triompher l’amour du père qu’il reconnaît en Panisse et celui qu’il conserve à Marius malgré sa défection à lui donner un petit-fils.

 

Le personnage de Fanny, indique bien la place dévolue à une femme dans cette opération : celle de la « Mère-avant-tout » qui sacrifie son désir de femme. L’interprétation surannée et insipide qu’en fait Orane Demazis dans le film est d’ailleurs peu congruente avec cette place de toute-Mère et de non-femme. Fanny accepte de considérer Panisse comme le père de son enfant et de le respecter comme tel mais quid du désir qu’elle peut avoir de lui ? Elle désire ailleurs, du côté de Marius celui qui est aussi porteur des insignes d’une virilité toute marseillaise : c’est le « cacou » c’est-à-dire beau gosse et frimeur, pas méchant, courageux/inconscient mais pas très responsable ni travailleur. Quels insignes phalliques vont se transmettre ? Car de quel père symbolique pourra se reconnaître cet enfant ? Il est en quelque sorte dans la situation de ces jeunes pris entre 2 cultures. Va t-il récuser ses origines ? Va t-il accepter son père d’adoption ? Il aura à choisir. Il pourra y avoir un écart considérable entre le père réel (absent, malgré la présence de Panisse et parce que le désir pour Marius est tu) et le père symbolique (les insignes virils de Panisse : parvenu mais humilié et impuissant à se faire désirer) au prix d’un père imaginaire particulier (la femme sacrifiée sur l’autel de la Mère, mais travailleuse) dont il sera difficile de se détacher. A moins que cet enfant s’accroche à ses origines en devenant un aventurier forcené. Le film, qui reste une fiction, lui fait un destin de brillant étudiant…en droit…(la loi mais laquelle ?) et d’homme comblé par le mariage (ce dont on peut douter).

 

 

 

 

 

MIGRATION LINGUISTIQUE, LANGUE MATERNELLE

ET

DISCOURS DU COLONIALISME

Pourquoi parler de migration linguistique et de discours du colonialisme ? Comme il est important de le rappeler, les migrations humaines ont toujours existé et ne constituent pas en soi un problème bien au contraire ! On sait que le monde s’est peuplé de cette façon. Ce qui compte c’est le rapport à l’altérité et les conditions d’accueil de cette altérité car nos sociétés occidentales sont à présent le lieu d’arrivée – peut-on encore dire d’accueil ? – de nombreuses et diverses migrations en provenance d’anciennes colonies et/ou de pays régis par des régimes politiques autoritaires ou théocratiques et/ou n’ayant pas le même rapport à la science. Nous avons pu voir qu’à Marseille, ces conditions de migration ont pris un nouveau tournant au milieu du 20ème siècle (cf. Annexe 2, Marseille, survol historique) lors de la décolonisation et ont modifié la façon dont pouvait se faire au préalable l’intégration des étrangers dans la cité du fait du changement de discours organisant le lien social. Nous allons aujourd’hui tenter de voir le rôle qu’a pu jouer la langue dans cette affaire. Car ces conditions de migrations débouchent sur un brassage culturel de fait et conduisent de nombreux sujets à changer de langue et de social ce qui me semble faire partie de ce qui caractérise notre social occidental actuel à côté d’autres caractéristiques qui sont – pour reprendre les formulations de J.-P. Lebrun dans son livre la perversion ordinairelx– la prolifération du discours techno-scientifique, la dérive de la démocratie en démocratisme et le développement d’un libéralisme économique sans limite ni frontière. La clinique psychanalytique permet de repérer que ces changements forcés de langue et de social ne sont pas sans effet sur la subjectivité et semblent être exemplaires des conséquences que peut avoir la mutation actuelle du lien social telle que la décrit J.-P. Lebrun . Mutation qui selon lui introduit la « disparition d’Autrui. Non pas du grand Autre, car nous parlons toujours, nous sommes toujours dans le langage, mais d’Autrui, entendu comme ce qui permet de donner sa place à l’irruption d’une altérité concrète, ce qui permet de soutenir le choc de l’étranger »lxi. Je voudrais partir de quelques faits linguistiques:

A- à propos de Marseille : c’est un nom propre dont on ne connaît pas exactement l’origine :

  • En grec c’est Massalia, l’accent tonique est sur le i. Deux hypothèses existentlxii :

  1. Mas-Salia : la résidence des Saliens. Or, Mas est provençal et Salia est latin ce qui fait question

  2. M:M(Massa) était un nom que les Phocéens apportaient d’Asie Mineure et qu’ils donnaient à des villes, des châteaux, rivières etc. Cela renvoie à M ou M qui en latin se traduit Libum, soit offrande de gâteaux sacrés.Quant à cela renvoie à ς qui est un formatif des adjectifs. Ce qui voudrait dire ville des sacrifices, des sacrificateurs

  • Ensuite, en latin cela devient Massilia, l’accent porte désormais sur le a de la première syllabe et le a de la deuxième syllabe devient un i. Migration littérale.

  • En provençal cela donne Marsiho ou Marselha : l’accent tonique est sur l’avant dernière syllabe comme cela se retrouve dans l’accent actuel en français. Le h provençal correspond à la graphie française [ill]. On note toutefois l’introduction de la lettre r qui serait une influence arabe car Mars en arabe signifie rade, portlxiii.

  • Marseille, le nom français, apparaît en 1489.

On note par ailleurs des prononciations et graphies différentes selon les langues : Marsiglia en italien, Marsella en catalan et en espagnol, Marselha en portugais, Marseilles ou Marseille en anglais ou américain ou en allemand actuel, Massilien en vieil allemand. D’où vient l’appropriation de ce nom propre par les langues ?

Voilà pour la musicalité du nom de la ville qui n’est pas sans lien avec la musicalité du français qui est parlé ici avec un accent « chantant » et typique. Mais le français n’est pas la seule langue à y avoir eu droit de cité. Ce qui nous amène à voir comment se constitue une langue parlée et ses liens avec la subjectivation.

B- Concernant la langue parlée à Marseille, on sait qu’au début de l’époque romaine, on parlait à Marseille le grec, le latin et le gaulois mais on y utilisait l’alphabet grec pour écrire (donc phénicien). Puis on a utilisé progressivement le latin pour écrire alors que le grec et le gaulois étaient toujours parlés à côté du latin. Ensuite à partir du haut moyen âge, la langue d’oc (c’est-à-dire l’occitan ou provençal qui est un bas latin) fut la langue historique de Marseille « celle dans laquelle se sont exprimés l’esprit et les formes de la civilité qui lui étaient propres. Elle (la langue d’oc) définit aussi très précisément la communauté culturelle dont faisait partie Marseille»lxiv.

Pour A. Dell’Umbria, cette « communauté culturelle » se reconnaît à partir d’une mêmeté de langue et de mœurs et concerne l’identité provençale (incluse dans l’identité occitane) alors que l’appartenance à la ville est d’ordre politique et définit la citoyenneté. Pour lui, à la charnière de l’identité culturelle et de l’identité citadine se trouve l’usage écrit de la langue parlée c’est-à-dire de l’occitan (le provençal) qui est écrit et parlé à Marseille à partir du 12ème siècle pour n’être progressivement plus que parlé (jusqu’à début du 20ème siècle toutefois), et considéré à tort comme un patois (car il s’agissait d’une langue bien avant le français), après que l’usage exclusif du français ait été imposé dans tout le royaume en 1539 par François 1er à travers l’édit de Villers-Cotterêts qui se trouva reconduit de fait par la République en 1794.

Ce qui fait de Marseille un lieu qui – malgré ou à cause de sa position d’exception (« république de Marseille », « terre adjacente ») lors de la constitution du royaume puis de la nation française – a connu une conquête linguistique forcée comme est forcé le changement de langue pour un immigré ou un colonisé. Au sens analytique cela paraît propice à l’instauration d’un discours du colonialiste. La division des populations marseillaises entre immigrés et marseillais, entre pauvres et riches et la division de son territoire urbain en quartiers sud et quartiers nord, me semblent découler du type de lien social que met en place ce discours du colonialiste. Ce qui à l’échelle nationale se retrouve dans la division entre les grandes villes et leurs banlieues mais aussi entre Marseille et Paris.

A propos du changement forcé de langue qui a eu lieu ici de façon un peu particulière par rapport au reste de la France, A. Dell’ Umbria dit que « par un abus de pouvoir qui postulait le français ‘langage maternel’ des Provençaux et des autres Occitans, la langue parlée était exclue de l’écrit public »lxv. Ce qui, pour l’auteur, eu pour conséquence l’anéantissement de l’occitan comme langue maternelle et l’anéantissement de la conscience d’une langue commune entre les divers pays occitans ainsi que la disqualification de la culture locale fondée sur l’occitan : « … les Marseillais qui écrivaient, forcés de suivre un modèle extérieur, se retrouvaient étrangers dans leur propre ville, où le français n’était encore, pour beaucoup, qu’une langue scolaire »lxvi. Avec l’auteur, je pense que ce changement a eu pour conséquence de faire de l’occitan, qui était une langue avant le français, une langue privée ou une langue maternelle qui n’est plus organisée par la loi paternelle. Il note aussi que si contrairement aux « petites gens », les bourgeois marseillais ont adhéré à cette « francisation agressive chargée de mépris »lxvii, ils ont continué d’être « traités comme d’indécrottables provinciaux par les élites parisiennes »lxviii. Elites parisiennes qui tout au long du 19ème siècle vont déplorer l’inculture marseillaise et étiqueter les Marseillais comme des marchands et des épiciers juste soucieux de gagner de l’argent. En 1870, un rapport de l’inspection académique stipule à propos de l’enseignement secondaire à Marseille que : « c’est un composé bizarre d’élèves de tout âge et de tout pays, dont il est impossible de tirer rien de bon »lxix. On note au passage la similitude avec les propos actuellement tenus sur l’école dans les banlieues (ou l’école tout court). On repère aussi pourquoi à Marseille il y a ce sentiment de peuple opprimé, colonisé qui peut paraître abusif mais qui s’appuie sans doute en partie sur ce phénomène de colonisation linguistique et explique comment Marseille a pu souvent être identifiée à sa population immigrée au fil de son histoire.

De nos jours, les visiteurs croient encore volontiers qu’un Marseillais parle nécessairement français avec « l’accent marseillais » (à prononcer « lassant » ou « laçant » marseillais), ce qui ne se vérifie pas toujours, alors que d’autres sont surpris quand ils entendent des Marseillais issus de l’immigration s’exprimer avec un fort accent marseillais. Peut-on considérer que cet accent est l’indicateur de ce qui a fonctionné autrefois comme langue maternelle et qui serait devenue ensuite une langue privée (de loi paternelle ?).

Ce qui est intéressant c’est qu’il existe ici ce qu’on appelle un « parler marseillais », qui autrefois était utilisé par toutes les populations y compris celles issues de l’immigration et qui est aujourd’hui fortement influencé par les rappeurs marseillais. Ce « parler » est un assemblage de mots issus de différentes langues dont le provençal (ainsi que l’italien, l’arabe, le gitan, l’espagnol et récemment l’anglais) mais de nombreux Marseillais n’y reconnaissent plus celui de leur enfance qui était beaucoup plus proche du provençal.

– Ainsi le « càcou »lxx (« frimeur marseillais » d’origine provençale de cacoua, ‘cadet’ ou espagnole de caco, ‘voleur’) devient le « mia » (qui renvoie au même personnage mais trouve ses origines dans le rap avec le groupe marseillais IAM, il peut s’agir d’un jeu d’interversion des lettres formant le sigle du groupe qui peut se lire Impérial Asiatic Men ou Indépendantistes Autonomes Marseillais ou encore « je suis » formule identitaire en anglais et du coup on peut en saisir les effets de sens : Mia = Marseillais Indépendantistes Autonomes),

– l’expression «foutre le Oaï (ou Ouaï ou Gouaï ou Ouaille)»lxxi, (« semer la pagaille » origine provençale ou origine napolitaine) est parfois remplacée par « foutre le halla (ou hala, ralla, ou darwa, « foutre le bordel » origine arabe et utilisé ailleurs qu’à Marseille, dans les cités ou les banlieues),

– le vieux mot provençal « dégun »lxxii (« personne » signant une absence, un vide) autrefois utilisé pour dire « ici on craint dégun » ( « on a peur de personne ») ou « il y a dégun » a été « verlanisé » par les jeunes qui disent « gundé » et il a pris de nouvelles significations dont la plus intéressante est peut être celle de Dieu évoquée dans une chanson par le groupe rap marseillais Massilia Sound System : « Le grand Dégun tient tout le monde sous son emprise. Même les dealers flippent sur leur marchandise »,

« Aïoli », (mot masculin ou féminin (!)) qui est un mot provençal « naturalisé marseillais »lxxiii – désignant initialement un coulis d’ail à l’huile d’olive ou un plat à base de morue et de légumes accompagné d’une sauce aïoli – s’est récemment enrichi de sens nouveaux : « dans la cosmopolite cité phocéenne, il est le synonyme par excellence de mélange. Il symbolise le métissage »lxxiv. Sens qui se retrouve aussi à travers le mot « pastis » (mélange d’eau et d’une liqueur à base de divers ingrédients et épices) qui est utilisé comme signifiant du « cosmopolitisme » marseillais: « je n’aime pas le pastis car ça ressemble à Marseille, c’est mélangé » me disait ce futur marin originaire de Bretagne venu étudier à Marseille.

De ce « parler marseillais », voici ce qu’en disent l’historien Daniel Armogathe et le linguiste Jean-Michel Kasbarian en couverture de leur dico marseillais : « Etal vivant de langues, criée hâbleuse, colorée, Marseille acclimate tous les mots du monde et, gourmande, elle les déguste comme des coquillages. L’exception linguistique de Marseille c’est d’abord un besoin de connivence collective et une aspiration identitaire de ses habitants : ne pas être fondu dans la masse, ne pas s’aligner sur le français national, revivifier le vieux fonds provençal pour inventer et nourrir son parler bien à soi. Mais la langue aujourd’hui évolue de façon spectaculaire, grâce à la créativité des Marseillais et à la démarche originale de ses artistes ‘’jongleurs de mots’’ ».lxxv

En préface du même ouvrage, on peut lire, de la plume du romancier marseillais Jean-Claude Izzo : « Le français n’est pas ma langue maternelle, c’est ma langue nationale. (…) A Marseille (…) on a un parler. Le parler marseillais. Cette langue n’a pas de préférence nationale. Depuis des siècles, elle est à l’image de la ville. Cosmopolite, disait-on hier. Métisse, dit-on aujourd’hui. Le provençal maritime qu’employait le poète Victor Gélu était ouvert à tous les ports du monde. (…)les mots (…) sont faits pour réunir, pas pour diviser, et ils peuvent se troquer comme s’échangent les marchandises. (…) ». Jean-Claude Izzo dit que le « parler marseillais » se définit comme un créole dans le sens où il est « un mouvement d’une langue préalablement appauvrie. (…) un processus d’emprunts et d’apports d’origines multiples, mais de sommes distinctes »lxxvi. Ce qui semble a priori rejoindre la définition de ce qu’est une langue créole telle que la donne E. Glissant: « les langues créoles sont constituées d’éléments linguistiques absolument hétérogènes les uns aux autres » lxxvii, « le créole c’est cette synthèse et ce dépassement imprédictibles des éléments linguistiques européens avec d’autres éléments linguistiques venus par exemple de l’Afrique »lxxviii.

Une parenthèse pour indiquer qu’E. Glissant distingue toutefois radicalement créolisation, cosmopolitisme et métissage. Pour lui, le métissage au sens ordinaire est une simple affaire de génétique, il est prédictible et ne renvoie pas à quelque chose de culturel (ce qui fait écho au fait que les jeunes dans les cités de Marseille parlent de métissage à propos de ceux qui sont « sangs mêlés »). Toujours selon lui, le cosmopolitisme est un processus culturel qui aboutit à la perte de tout ce qui rentre dans un mélange de cultures Unes et dans lequel il n’y a ni unité, ni diversité; C’est en cela qu’il fait peur et qu’il est historiquement chargé (c’est par exemple les nazis qui ont voulu raser Marseille dite « la cosmopolite »). La créolisation que défend E. Glissant porte à la fois sur la génétique et sur le culturel (c’est donc un métissage culturel avec une résultante imprédictible), c’est un terme qui fait référence au phénomène d’apparition imprévisible des langues créoles et non au créole directement. C’est une conception identitaire qui est faite de rencontres, qui ne serait plus fondée sur le Un de la racine unique mais sur une racine rhizomique, donc multiple, fondée sur la différence: « c’est la rencontre de réalités hétérogènes avec un résultat imprédictible »lxxix, « le fait de la créolisation, par delà ces conditions le plus souvent désastreuses (il parle de l’esclavage), est d’entretenir relation entre deux ou plusieurs zones culturelles, convoquées en un lieu de rencontre, tout comme une langue créole joue à partir de zones linguistiques différenciées, pour en tirer sa matière inédite »lxxx. «On peut appliquer ça aux situations des cultures du monde qui s’interpénètrent quoi qu’elles soient entièrement hétérogènes les unes par rapport aux autres, c’est-à-dire qu’on peut voir dans un lieu des manières, et une symbolique arabe, ou chinoise ou japonaise qui fait une synthèse imprévisible avec une symbolique maya ou aztèque,(…) et ça marche ! »lxxxi. Finalement, la créolisation est une façon de mettre l’Autre au centre de l’identité, mais c’est de l’Autre sans l’Un en quelque sorte. Ce qui n’est pas sans faire écho à cet Autre/Etranger que nous avons placé comme composante symbolique, comme trait unaire, index phallique de l’identité fondatrice de Marseille et qui s’est diffracté en amour de l’Autre maternel en imaginaire et en étranger réel alors que l’index phallique est représenté par le ballon de football. Mais faut-il concevoir cela comme de l’Autre sans Un? Nous avons parlé d’un Un hors de l’Autre est-ce la même chose?

Pour en revenir au « parler marseillais » et à la définition qu’en donne Jean-Claude Izzo, en tant que psychanalyste j’aurais tendance à lui répondre que le danger c’est quand les mots ne procèdent pas d’une opération de division subjective et qu’ils restent des signes sans accéder au rang de signifiant, dès lors l’usage de la parole reste inopérant à rapprocher ceux qui s’en servent et rendent toute « réunion », au sens d’un lien social, problématique. Avec P.C. Cathelineau je m’interroge sur « la fragilité d’une langue, lorsque se pose pour ceux qui l’énoncent la question de la filiation, cette question qui n’est pas mince du tremblement de la référence à l’Un »lxxxii. Ainsi peut-on se demander si le rap avec son « parler » assez spécifique ou si le « parler marseillais » font toujours lien social ou s’ils sont plutôt des expressions identitaires belliqueuses car orphelines de Un?

A Marseille, dans certains milieux aisés et/ou lettrés, on se fait un point d’honneur à gommer son accent ou au contraire on le cultive (comme certains hommes politiques locaux). Qu’en est-il du « parler marseillais »? Cet accent et ce « parler », procèdent-ils de la même logique ? Ce « parler » suffit-il à signer un processus de créolisation à Marseille? Comment articuler cela à la question de la langue maternelle pour les populations immigrantes ? Et quels liens avec les autres caractéristiques de notre social actuel ?

C- bilinguisme subjectif entre langue privée et langue maternelle.

Cette analyse peut nous rendre sensibles les raisons qui font que le brassage culturel et le libéralisme tel que l’organise notre social actuel sont propices à la mise en place d’un matriarcat – il n’y a qu’un pas pour la « mèreversion » au sens où l’entend J.-P. Lebrun – et du coup au développement de ce que C. Melman appelle la nouvelle économie psychique. Ceci du fait que le brassage culturel viendrait, par un effet de langage, créer artificiellement et réellement les conditions d’un déclin des Noms du Père.

Mais tout d’abord, d’un point de vue psychanalytique on doit distinguer entre langue privée, langue maternelle et langue parlée dans le social (qui est pour les immigrés langue d’emprunt). Nathalie Rizzo nous a récemment exposé cette distinction et je reprends ici son travail textuellement. La langue privée est la première langue entre un bébé et le grand Autre maternel, c’est le « mamanais ». « Le mamanais, c’est une grammaire, une ponctuation, une scansion, une prosodie c’est-à-dire un timbre de voix et un ton employé particulier. (…) Pour le bébé, l’opération de l’aliénation concerne ce qu’il en est de la mélopée, la musicalité de la voix, celle dont C. Melman dit qu’on ne l’oublie jamais, même lorsqu’on ne comprend plus les mots de la langue en question. Il s’agit alors de la langue privée, celle des vocalises, celle qui est porteuse du « bon vouloir » sans loi de la mère. (…) Quant à l’opération de séparation, elle concerne le registre de la signification. Il s’agit alors de la langue maternelle. Là, l’enfant trouvera les mots dans l’Autre pouvant rendre compte de la séparation. Nous avons donc 2 registres antagonistes en parallèle avec l’aliénation/séparation, 2 registres cependant inclus dans toutes les langues, celui de la langue originaire et celui de la langue maternelle. Peut-être pourrions nous dire que le bilinguisme est originaire pour chaque sujet»lxxxiii. Nathalie Rizzo explique aussi que la langue maternelle est celle qui apparaît au sujet comme venant de l’Autre, ce lieu par où le langage vient et qui est la langue qui le séparera de la mère en tant qu’objet d’une jouissance mythique. Elle a à voir avec la loi paternelle, c’est celle dans laquelle s’opère le refoulement, celle dans laquelle la mère est interdite. La langue maternelle n’est pas forcément celle que parle la mère, mais elle s’appuie sur la langue privée, sur « la mère de la parole » lxxxiv qui, elle, est faite de brins de sons arrachés à la jouissance de l’Autre. C’est d’ailleurs par ce biais des mères qu’une langue évolue. « Ce sont les femmes qui ont changé le bas latin en français, en espagnol, en portugais, en italien. En cela, il est correct de parler de langue maternelle puisque c’est par ajout et soustraction de traits distinctifs des mots du bas latin, c’est-à-dire en prononçant mal, que la langue a changé »lxxxv. C’est en cela je crois que l’on peut dire qu’un accent est une trace de ce qui a joué comme langue privée. Du coup si une mère ne parle pas à son enfant dans sa langue maternelle à elle, cela rend parfois difficile de savoir quelle est la langue maternelle d’un sujet et cela peut lui poser des problèmes au point qu’il doive aller chercher une langue tiercelxxxvi. Peut-on parler du « parler marseillais »  comme l’émergence en tant que langue tierce, en tant que créole? Pour E. Glissant, le français permet l’apparition des langues créoles  et il soutient qu’il y a des phénomènes linguistiques créoles dans les banlieues des grandes villes et qu’ils sont caractérisés par leur extraordinaire fugacité, « ils évoluent, ils changent à une vitesse foudroyante. (…) Les créoles apparaissent le plus souvent dans les sociétés dominées, forcément, pour des conditions historiques de mise en rapport dans des sociétés dominées. Et une langue ne peut vivre que quand elle sert à quelque chose »lxxxvii. On retrouve bien là les caractéristiques du « parler marseillais » qui n’est pas à confondre avec le provençal. Mais alors ce qui a fait passer le provençal du statut de langue maternelle à celui de créole serait à chercher à travers les avatars rencontrés, du fait de l’histoire migratoire et du changement forcé de langue, pour une partie importante de la population? Le « parler marseillais »  serait apparu quand il n’y a plus eu de langue maternelle. Est-ce pour autant que nous pouvons dire que nous sommes dans un processus de créolisation culturelle à Marseille au sens où l’entend E. Glissant?

D- Ces considérations nous permettent de concevoir que le changement forcé de langue, pour cause de colonisation, de migration ou d’exil, va compliquer l’affaire pour celui ou celle qui doit opérer ce changement et ensuite pour ses enfants. Dans « les effets subjectifs de la migration linguistique »lxxxviii, C. Melman développe comment le changement forcé de langue a des effets sur la topologie qui divise les parlêtres entre eux (c’est-à-dire sur le plan de la sexuation et de l’altérité au niveau collectif) et à l’intérieur d’eux-mêmes (c’est-à-dire sur le plan individuel de leur subjectivation).

1/ Une langue d’emprunt qui sert de langue dominante (notamment si elle a servi à la colonisation) va venir signifier à un sujet dont ce n’est pas la langue maternelle (notamment s’il vient d’un pays qui a été colonisé autrefois dans cette langue) qu’il n’a pas sa place dans cette langue, elle va lui renvoyer le fait qu’il est un étranger (alors qu’en général, l’enfant trouve sa place sexuée dans la langue maternelle). Du coup, dans la langue d’accueil, il ne sera pas un sujet mais une personne bizarrement fondée dans son identité (car ce n’est pas cette langue qui l’a divisé). Cela aura pour conséquence que le migrant sera expulsé au lieu Autre de la langue d’emprunt, ce qui le fait, dans cette langue, échapper à la castration et en même temps le féminise. Ce qui peut être vécu plus ou moins bien selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme.

 

Pour une femme, elle va se trouver confirmée dans sa féminité et va se trouver légitimée à conserver les valeurs d’origine, les valeurs ancestrales tout en revendiquant les valeurs du pays d’accueil si elles sont favorables aux femmes. D’où ce que j’appelle un phénomène de « pousse au matriarcat » car elle va pouvoir se réclamer de sa propre lignée, même si cela peut la faire basculer dans une certaine virilisation. Au point que, concernant l’éducation des enfants, et selon l’expression de Nazir Hamad, « le père de la réalité est la mère »lxxxix. Cela va même très loin et se présente sous des formes paradoxales, masquées : il n’est pas rare de recevoir à l’hôpital des mamans d’origine maghrébine venues consulter pour un enfant sans que le père le sache ou contre son avis. A leurs dires, l’enfant présente divers symptômes (crises de spasmophilie, absentéisme et échec scolaire par exemple) car le père ne s’en occupe pas. Elles sont divorcées (souvent à leur initiative et pour des raisons tout à fait légitimes à nos yeux d’occidentaux), élèvent seules leur(s) enfant(s) et traînent le père (effectivement complètement démissionnaire ou inconsistant et souvent en opposition avec la mère) de leurs enfants en justice afin d’obtenir par la contrainte que celui-ci assume son rôle de père entendu comme consistant au versement de la pension alimentaire, la visite et les cadeaux obligatoires aux enfants. Elles ne se rendent pas compte qu’ainsi elles font procès au Père en tant qu’instance symbolique et si elles obtiennent souvent gain de cause sur le plan juridique, le père n’en assume pas plus son rôle et se trouve encore plus disqualifié alors qu’elles occupent une place exacerbée, réelle et imaginaire, auprès des enfants. Cette virilisation des femmes est encore aggravée par le social occidental du fait du féminisme ambiant: par exemple à l’hôpital, quand une mère immigrée arrive avec son enfant accompagnée du père et que celui-ci se charge des démarches et des dialogues (souvent parce que la mère ne parle pas bien le français), cela est parfois très mal vu par les infirmières qui de façon ostentatoire s’adressent à la maman en ignorant parfois sciemment le papa. Ce qui vient entériner cette place privilégiée de la maman et disqualifier le papa.

Pour un homme, cette féminisation peut-être vécue sur un mode paranoïaque ou persécutif. Sans parler des bouffées délirantes que cela peut provoquer, on peut évoquer le cas de certains jeunes issus de l’immigration qui adoptent des attitudes ou des propos outranciers à l’égard des filles. La chanteuse Koxie dans son tube garçon (gare au con) dénonce cette virilisation paranoïaque. Mais cette féminisation peut aussi rendre fragile ou inopérante la future position de père car pour lutter contre cette féminisation, le père peut volontiers se faire tyran. Nazir Hamad parle très bien de ce père issu de l’immigration post-coloniale : « le père est souvent craint, mais il n’a pas d’autorité. On se tient tranquille en sa présence, mais sa présence est fausse parce que tout se passe en dehors de lui. Il est pris entre deux feux, le discours social qui lui signifie qu’il est indésirable, et les agissements révoltants d’un ou de tous ses fils »xc. Un autre effet subjectif sera que dans la langue d’emprunt, le migrant va pouvoir échapper à la castration ce qui peut favoriser la transgression de la loi du pays d’accueil car ce n’est plus un péché : « tel un frontalier, il se réfère à la loi de l’autre côté pour relativiser la loi de son pays le temps d’une affaire à saisir »xci. Nous avons déjà évoqué ce phénomène. Il n’est certes pas propre à l’immigration puisque le « tourisme sexuel » par exemple relève du même processus. Sur le plan clinique, on peut se référer au remarquable film d’Abdellatif Kechiche, laGraine et le mulet pour ce qui est de la féminisation (dévirilisation) d’un homme (même si c’est un brave et honnête homme).

2/ Si la langue maternelle est celle dans laquelle a eu lieu le refoulement, ce dernier n’aura pas lieu de la même façon dans une langue d’emprunt et de ce fait, c’est toute la relation au corps qui en sera modifiée ; car le refoulement, c’est celui des pulsions, celui qui va constituer le corps, sa fonctionnalité, son trouage symbolique. C. Melman précise que quand on participe au refoulement d’une langue d’emprunt, on va avoir une sorte de néo-corps. Ce qui se retrouve très bien dans la clinique auprès des populations immigrées. Ainsi cette femme d’origine marocaine et analphabète qui devient boiteuse du fait d’une atteinte grave au genou au moment où il lui est imposé d’apprendre le français. Ou bien cet homme de religion hindouiste d’origine mauricienne dont le nom propre assone avec « père » qui devient en France inapte au travail du fait d’une pathologie affectant sa colonne vertébrale – c’est-à-dire sa structure…osseuse – lui qui vient d’un pays au patriarcat prononcé et où la langue maternelle est un créole à base de français. Ou encore ce jeune guinéen venu étudier en France et atteint de drépanocytose (maladie héréditaire), qui voit ses crises s’espacer considérablement. On n’a pas forcément le même corps selon la langue que l’on parle.

 

3/ Enfin, C. Melman avance que la seule façon pour l’immigré de quitter ce lieu Autre dans lequel le fait basculer le changement de langue, c’est de se rendre maître de la langue d’emprunt. Il sera alors aimé de la langue du fait de la maîtrise parfaite qu’il en aura. C. Melman remarque que c’est facilement les immigrés qui se font les gardiens d’une langue d’accueil car pour eux introduire la moindre laxité dans la langue ne serait pas une liberté mais serait entendu comme une faute. L’opération de devoir passer d’une langue privée à une langue maternelle organisée par la loi symbolique qu’introduit le père, nous avons tous à la faire pour entrer dans le lien social, c’est cela la migration linguistique, cela ne concerne pas que l’immigré, c’est une migration de la mère au père. Sauf qu’un immigré pourra avoir le sentiment de devoir migrer d’un père à un père adoptif (ce qui n’est pas simple) et peut rester englué dans une langue maternelle « privatisée » du fait de la discrimination raciale ou être renvoyé au lieu Autre d’une langue dominante mal maîtrisée. Mon hypothèse est que la langue maternelle, selon comment elle est accueillie par la langue dominante ou d’accueil (même si elle n’est parlée qu’en privé), peut reprendre un statut de langue privée et va du coup favoriser l’inceste, l’indistinction des sexes par féminisation des hommes et virilisation des femmes, puisqu’elle se tient au lieu Autre. Ce qui veut dire que cela peut redoubler le fait d’échapper à la castration par l’usage imparfait de la langue d’emprunt. Il est connu que l’on apprend mieux une langue quand on en parle déjà parfaitement une ou deux autres. Si la langue maternelle est dépréciée, mal connue ou pas écrite et relève déjà d’une langue privée dans le pays d’origine, cela sera d’autant plus difficile de s’appuyer dessus pour apprendre la langue d’accueil et pouvoir tirer les conséquences des effets de langage sur le parlêtre. Cela me semble encore plus difficile quand la langue du pays d’origine est de tradition orale comme cela peut être parfois le cas en Afrique Noire (bien que dans certains pays le Griot tienne lieu de bibliothèque et que du coup le dialecte ne soit pas sans écrit) ou au Maghreb. Ce qui rend plus complexe l’analyse des raisons qui font que beaucoup d’immigré(e)s ont du mal à apprendre le français malgré leur bon vouloir. Le lien social, dans un contexte de brassage culturel ne peut être rendu pacifique qu’à la double condition de faire une place, un accueil respectueux, aux langues maternelles étrangères et pour le migrant de s’appuyer sur cette langue maternelle pour accéder à la langue d’accueil. A moins de se tourner vers la voie de créolisation telle qu’E. Glissant la décrit et l’appelle de ses vœux et qui semble « pousser » au matriarcat. Je finirai ce point avec cette phrase de Nazir Hamad : « la valeur que l’on accorde à ses références symboliques ne suscite pas nécessairement le rejet du groupe d’accueil. Au contraire, c’est plutôt la déchirure du tissu symbolique d’un groupe qui condamne ses membres à la marginalisation »xcii

 

E- Discours du colonialisme. En 1989 (il y a presque 20 ans !!), C. Melman lors d’une intervention à un colloque franco-brésilien à la Maison de l’Amérique latinexciii, a introduit une modification de l’écriture du discours du maître tel que l’avait énoncé J. Lacan dans l’élaboration de ses 4 discours. Il s’agit d’une écriture qui permet de rendre compte du type de subversion du lien social que mettent en place certaines formes de colonisations. C’est-à-dire que cela permet de penser la transformation du rapport au langage qu’introduit la situation coloniale.

 

C. Melman explique que quand les réels des protagonistes d’une colonisation (colons et colonisés) sont très différents, il peut se produire un dénouage structural du réel et du symbolique. C’est le cas quand ceux supposés représenter le symbolique exercent une action violente pour assurer la prise, le lien avec le réel, c’est-à-dire pour permettre la jouissance. C’est quand il s’agit d’imposer sa castration à l’autre dans un but de civilisation. Cela semble avoir été le cas à Marseille lors de la fondation de la cité avec la colonisation grecque mais aussi lors de la colonisation linguistique par le français entre le 16ème et le 20ème siècle, puis enfin de façon inversée, lors de la colonisation et décolonisation française au milieu du 20ème siècle. Ces conditions de colonisation ont donc pour effet de détruire la propriété du symbolique qui est de faire lien naturel avec le réel. C’est alors que « tout se passe comme si le trait de coupure se trouvait déplacé pour venir fonctionner entre S1 et S2 »xciv. Ce que C. Melman écrit :

S1 S2

 

$ a

et il en énonce les conséquences :

 

1- le sujet est radicalement séparé de son objet comme s’il lui avait été volé (il n’y a plus de poinçon dans l’écriture du fantasme). Du coup pour se maintenir, le sujet a tendance à se confondre avec le signifiant maître S1. Du côté des maîtres (à gauche), on aura donc un sujet dans une forme particulière d’hystérie et d’autre part, il confondra l’objet de sa jouissance avec l’objet a, c’est-à-dire que pour se maintenir comme sujet, il aura besoin d’une présentification de l’objet a ce qui est une modalité de la relation perverse propre notamment à l’émergence de ce que C. Melman a décrit comme la Nouvelle Economie Psychique. Cette forme particulière d’hystérie se retrouve avec le « càcou » marseillais.

 

2- à droite du trait, la femme qui vient s’y inscrire sera condamnée à une mascarade phallique car le lieu de la jouissance sera inévitablement habité de l’imaginaire phallique. Mascarade qui selon moi peut être un véritable « pousse au matriarcat », à la « mèreversion ».

 

3- comme le lieu de la jouissance est celui d’où ça gouverne, le maître se trouvera dans une relation singulière avec le lieu féminin du côté du S2. Il aura le sentiment d’accomplir sa virilité qu’en venant en ce lieu féminin. C’est ainsi qu’une culture opprimée va se préserver et se transmettre au prix d’une féminisation de ses membres.

 

4- Il n’y a plus de solidarité entre S1 et S2 du fait de la coupure radicale (érection d’un mur, d’une frontière entre S1 et S2) du coup pour les maintenir en lien cela ne peut se faire que par contrainte, par violence. C’est ainsi que l’on pourrait voir le fonctionnement de nos banlieues : elles fonctionnent comme des S2 en non rapport solidaire avec les grandes villes placées en S1. A Marseille, s’il n’y a pas de séparation réelle entre ville et banlieue, le même fonctionnement existe entre la ville et les cités ou entre les immigrés récents (post coloniaux et/ou clandestins) et les Marseillais (souvent et pour bon nombre issus d’anciennes migrations) ou entre quartiers nord et quartiers sud. Toutefois, à Marseille, ce qui fait peut-être la différence c’est qu’il existe des lieux de jouissance commune comme le stade vélodrome bien sûr (qui comme on l’a vu est aussi le lieu de l’identité phallique, de l’Un dans l’Autre), mais aussi les plages, l’opéra, la bibliothèque de l’Alcazar, les grandes fêtes locales, pour n’en citer que quelques-uns uns. Autre petite différence, c’est peut-être qu’à Marseille, S1 n’est pas considéré comme inaccessible, comme non solidaire mais plutôt comme illégitime ou alors, la violence va s’exprimer à travers la compétition sportive.

 

5- Cette coupure dans l’écriture va susciter une forme névrotique particulière que C. C. Melman décrit comme une « hystérie pseudo-paranoïaque » c’est-à-dire une « position subjective qui ne s’affirme que de la référence au signifiant maître et qui ressent comme une menace tout ce qui est de l’ordre de l’altérité »xcv. Dans cette écriture, le petit autre n’est pas forcément reconnu comme semblable, « il n’a de valeur qu’en tant qu’il assure ma jouissance. Et cette jouissance (…) ne vaut qu’à la condition de le traiter comme un pur déchet.(…) C’est-à-dire [que cette jouissance] est sans limite »xcviCes propos de C. Melman me semblent introduire ce qu’il a appelé par la suite la Nouvelle Economie Psychique (NEP) qui est une économie de la jouissance à tout prix. Dans ce dispositif, l’Autre est toujours le grand Autre, il est toujours menaçant, pas complètement civilisé, il risque toujours de m’absorber dans sa gueule et le problème de l’identification sexuelle est difficile à résoudre car je ne peux savoir si l’accomplissement authentique de la virilité ne se situe pas du côté féminin (cf. le phénomène de travestisme au Brésil par exemple).

 

Le problème que pose ce type de subversion du discours par l’effet colonial c’est que la place du sujet peut ne jamais être retrouvée tant pour le maître que pour l’esclave !!! Ce qui va à l’encontre du principe de la cure analytique en cela qu’elle est une quête du lieu du sujet et de son désir. Avec ce dispositif, il semble que la quête du lieu originel soit annulée et semble engager le sujet dans une prière forcené au père.

 

Toutefois, pour C. Melman, dans la mesure où la relation originelle au langage subsiste, même si elle est pervertie par le fait colonial, il est permis d’espérer que le sujet ait accès aux conséquences de la relation originelle au langage qui n’est non pas le fait d’un père réel mais celui de la castration symbolique, c’est-à-dire un effet de langage.

Annexe 1

Marseille : survol historique

Marseille est exemplaire en matière de pratiques d’immigration et de devenir de la société française car, je cite, « Les apports successifs de migrants résultent de combinaisons (autrement) complexes; la migration y est tantôt désirée, tantôt subie, au gré des événements, des besoins de l’emploi ou de causes tout simplement accidentelles »xcvii. Mais il ne faut pas confondre l’immigré et l’étranger, on note dans l’histoire de la ville, malgré des épisodes violents, une intégration successive des diverses communautés au point parfois de ne plus noter de différence dès la 3ème génération: « cet effacement de la mémoire identitaire fait aussi partie de l’histoire de la cité »xcviii. 6 périodes peuvent décrire les migrations à Marseille :

 

1- Une période de 600 avant J.C. à 1482 (moment où Marseille fait officiellement partie du royaume de France). Si un mythe romantique décrit sa fondation (nous en parlerons), pendant les 6 premiers siècles l’histoire de Massalia , montre qu’elle est une colonie, un morceau d’Ionie (Asie mineure) implanté en terre étrangère, entourée réellement de remparts (qui resteront jusqu’au 17ème siècle); Bien qu’il semble y avoir eu un certain métissage réel entre ces Grecs de Phocée et les dits « barbares » Ligures autochtones mais, aussi, de nombreux massacres. La Cité phocéenne est puissante et prospère grâce à la puissance de sa flotte qui contrôle la Méditerranée. Elle devient Massilia en devenant romaine, en 49 avant J.C. sous César, mais reste culturellement hellénique encore 3 siècles puis se conforme au modèle romain pendant 3 autres siècles tout en connaissant l’introduction du christianisme au début de 4ème siècle (qui apporte le principe d’une cité hiérarchique fondée sur l’autorité (père, abbé, chef). Sous les Romains, elle a une réputation d’être une ville de marchands où rayonnait l’esprit du fait de sa culture hellénique, elle est riche grâce à son port et à des marchands étrangers qu’elle accueille, Juifs et Syriens notamment (on y parle grec, latin, gaulois et on écrit en grec). En 736 elle devient en principe part du royaume des Francs mais reste encore 6 siècles séparée de ce qui devient la France, au point d’être dite « terre adjacente » à partir de 1252 jusqu’à la révolution. Pendant cette période, son sort reste lié à celui de la Provence. Elle joue le rôle de grand marché de commerce entre les pays du Levant et toute une partie de l’Europe et connaît un mélange d’hommes venus d’horizons différents (notamment les rapatriés angevins en provenance de Naples) qui sont accueillis et qui se retrouvent vite dans les élites de la cité. Dès le haut Moyen-âge, elle accueille des hommes venus d’Italie à la recherche d’un emploi. Pendant l’époque médiévale, la Cité prime sur le Royaume et des écrits (les «chapitres de paix ») viennent légitimer son statut particulier de ville autonome. Ils sont opposables aux exigences du pouvoir central jusqu’à la révolution. L’étranger est celui qui n’est pas citadin.

 

2- de 1482 à 1830 : période avant la prise d’Alger et avant l’époque coloniale dite par E. Témime & Co « la préhistoire de la migration »xcix. Marseille reste hostile au pouvoir « d’en haut » car jalouse de ses privilèges dont elle perd une part importante en 1660 avec Louis XIV qui va asseoir son autorité royale en donnant le pouvoir local au commerce. Elle est à la fois orientale par le commerce maritime et provençale, elle est hostile aux « Franciots ». A la révolution, Marseille perd ses privilèges. En 1797, Paris dénonce en Marseille « une des villes qui offrent le spectacle le plus scandaleux de l’insoumission aux lois »c. Au 18ème siècle, elle devient un port mondial et dès la fin du 18ème siècle apparaît une industrie locale liée à l’activité portuaire. L’Etranger est toujours celui qui n’est pas citadin c’est-à-dire qui n’a ni le droit de bourgeoisie ni de résidence dans la ville et est donc exclu des droits et aides que peut donner la Cité. La ville est en contact avec toute la méditerranée et bénéficie de l’apport d’un prolétariat gavot et piémontais, de marins et pêcheurs génois, de commis et de négociants venus du Nord de l’Europe ou de Méditerranée orientale. Les minorités religieuses juives (levantines) et protestantes (du Nord de l’Europe) font l’objet de rejets violents en tant qu’étrangers mais pour des raisons économiques (concurrence commerciale), des juifs ont toutefois été admis à la citoyenneté et les protestants ont pu rester sous couvert d’un pavillon étranger. Le demandeur d’emploi quel que soit son origine nationale est aussi considéré comme étranger et se distingue par son dialecte et ses conditions de vie. Il y a aussi des afflux d’étrangers qui font suite à des accidents démographiques, comme la peste de 1720 ou politiques. Mais on ne peut pas parler de l’existence d’une forte minorité étrangère. Pourtant, les minorités, renouvelées, souvent passagères, parfois victimes d’exclusion, quand elles se fixent, finissent par se fondre dans la cité dès la 2ème ou 3ème génération.

 

3- de 1830 à 1918 c’est « l’expansion marseillaise et l’invasion italienne »ci. On note une explosion du nombre d’habitants et d’étrangers avec un raz-de-marée italien à la fin du 19ème siècle. L’économie marseillaise, basée sur le commerce du port et des industries qui en dépendent (depuis la fin du 18ème siècle), fait appel à ces travailleurs essentiellement italiens mais aussi espagnols, grecs, syro-libanais, nord africains (début 19ème siècle). C’est le système de capitalisme local qui nécessite cette main d’œuvre précaire et renouvelée qui va finir par constituer un prolétariat immigré qui dès qu’il se structure pour se défendre est remplacé par une nouvelle immigration. Ce qui donne lieu à une cohabitation au quotidien de collectivités d’origines très différentes et à des réactions xénophobes teintées de mépris et parfois violentes notamment à l’encontre des italiens appelés « babi », « nervi » et des espagnols. La masse flottante d’origine étrangère n’est pas faite que de navigateurs, il y a aussi des ouvriers en bande, des exilés, des réfugiés politiques qui ne sont pas facilement intégrables. « Etranger » va s’opposer dorénavant prioritairement au « National » ce qui est une tendance à rattacher à la montée des nationalismes en Europe. L’espace urbain sort de ses remparts et de la ville du 17ème siècle. On assiste à un début de ségrégation sociale : les quartiers sud aux riches, les quartiers nord et la ville ancienne aux pauvres. Marseille à cette époque est identifiée par le reste de la France à ses populations étrangères et va être la cible du même dénigrement collectif que les régions du sud de l’Europe (Italie, Espagne).

 

4- « le cosmopolitisme de l’entre deux-guerres »ciide 1919 à 1945. Marseille est le port colonial par excellence ce qui masque le début d’un déclin des marchés traditionnels en Méditerranée. Malgré ce déclin, la migration a repris à la fin du conflit mondial : migration intérieure avec les Corses (années 20), réfugiés de guerre ou de révolution (Russes, Arméniens, Grecs, Syro-Libanais), opposants aux dictatures fascistes (Italiens, Espagnols, victimes des persécutions nazies), travailleurs italiens, Grecs, Espagnols et recours accru aux « travailleurs coloniaux » (c’est-à-dire Français à l’époque). Marseille devient un carrefour dit «cosmopolite » où viennent se rejoindre en un même instant et lieu les courants le plus divers par leurs motivations et leurs origines. Ces immigrés se plient mal au système marseillais (qui s’appuie sur une main d’œuvre bon marché constamment renouvelée) et vont se regrouper en réseaux associatifs et clientélistes. L’étranger est associé au délinquant, à l’agitateur politique et donne cette image de Marseille.

 

5- « le choc de la décolonisation »ciii se situe entre 1945 et 1990. On assiste au lent déclin de l’économie traditionnelle qui était dominée par un capitalisme familial inadapté à la nouvelle donne internationale. Marseille reçoit de plus en plus de travailleurs français d’origine algérienne et en 1962, c’est le grand exode des rapatriés d’Afrique du nord. La population « Française » est considérablement renouvelée en très peu de temps. L’Etranger est maintenant identifié au « maghrébin », à « l’Arabe » (sans considération de nationalité) et il est parfois brutalement rejeté comme en 1973 (meurtres et attentats à la bombe), on assiste à la fin du 20ème siècle au renouveau d’un discours xénophobe : la Cité serait livrée aux étrangers et le centre ville serait à reconquérir. L’espace urbain se modifie avec une poussée du port et de l’industrie à l’ouest, l’édification de cités pour supprimer les bidonvilles du centre ville, les vieux quartiers se vident et une poussée s’amorce vers la périphérie, la vie de quartier tend à s’effacer, si « Paris a chassé ses pauvres. Marseille les inclut, tout en les marginalisant»civ. Une des conclusions des auteurs de Migrance: « des pauvres et des marginaux, issus en grande partie des vagues migratoires successives, Marseille en a connu de tout temps. Ils ont constitué un sous prolétariat, qui a mis parfois plusieurs générations pour parvenir à s’intégrer dans la cité. »cvPour eux, cette intégration s’est faite grâce au travail fourni par le port et par l’industrie. Aujourd’hui les activités portuaires et industrielles sont moins source d’intégration pour ces immigrés car elles se sont modifiées à la nouvelle donne européenne et mondiale et ne requièrent plus autant ce type de main-d’œuvre faiblement qualifiée.

 

6- Depuis 1990 : période que je dirais de «mondialisation » : C’est l’après guerre froide et l’ouverture européenne, aux précédentes migrations se rajoutent celles des pays de l’Est, qu’il s’agisse pour ces populations de venir chercher du travail, de transiter ou de venir se réfugier du fait des guerres civiles (Kosovo); Mais la décolonisation/coopération fait toujours sentir ses effets et il existe une migration clandestine économique et sanitaire en provenance toujours du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) mais aussi d’Afrique noire (Sénégal, Mali, Soudan, Comores etc). Les projets pour relancer l’économie marseillaise ne font pas l’unanimité (Euromed, Fos) pas plus que la « réhabilitation » urbaine (Euromed) ou le retournement d’image de Marseille qui semble suspect dans ses causes et conséquences et lié à la mise en service du TGV dans les années 90. La ville est devenue la métropole et se veut culturelle, le port est devenu autonome (du pouvoir municipal et de la chambre de commerce notamment) et se tourne vers une activité de transport de passagers et de tourisme à travers la croisière. Comme dans les autres grandes villes françaises, le foncier a considérablement augmenté, interdisant aux plus pauvres et même aux classes moyennes ou aux jeunes d’accéder à la propriété. Cela creuse un peu plus la séparation réelle entre les quartiers nord pauvres et meilleur marché et les quartiers sud riches et chers et aussi avec la périphérie urbaine qui reçoit les populations aisées et moyennes. La mixité sociale tend ainsi à disparaître et la xénophobie à se développer.

 

 

 

 

 

Annexe 2

(textes de chansons copiés sur internet)

 

Diam’s

Car tu porteras mon nom

2006  « Dans ma bulle »


Comment te dire ce que j’ai sur le c.ur ?
À l’heure qu’il est je ne suis qu’une petite s.ur qui ne veut plus être baby sitter.
J’étais violente avant, j’avais dans le ventre de la ranc.ur à vendre, j’étais jamais dans les rangs.
J’étais féline et solitaire en cachette, solide et masculine de la tête aux baskets. Vu que la famille ne tenait qu’à un coup de fil, j’ai compris, j’ai pas tout dit, mais j’ai repris ma routine.
J’me suis demandé à quoi bon vivre, à quoi bon rester, j’ai chercher dans les livres un peu de paix, un peu de respect. J’ai attendu des heures près du téléphone, je croyais mon père mort mais on l’a vu sur le globe, alors, pas si facile d’être le fruit d’un fugitif,
Finirais-je par fuir moi aussi sans te donner la vie ?
Je le jure, mon enfant, tu verras le monde, et tu seras l’amour car tu porteras mon nom.

{Refrain:}
Ni le ciel, ni les étoiles ne m’éloignent de toi
Je te donnerai un père et une voix,
Je le jure, je serais là du berceau à la tombe,
Je serais le monde car tu porteras mon nom.

Adolescente, je ne me voyais pas être femme,
Les adultes étaient lâches face aux gosses de mon âge.
Toujours en quête de l’enfant parfait, les mères enquêtaient sur leurs mômes tandis que la mienne partait.
Trop souvent seule, j’ai fini par comprendre que l’argent était la fin et que sa fille était gourmande.
Alors ma mère, je l’ai aimé secrètement, maladroitement, je l’aime démesurément.
Tout cet amour qu’on a gâché, on le rattrape, mais je n’aurais jamais assez d’une vie pour lui rendre hommage.
Si je te parle de ma mère, c’est que je n’ai qu’elle, ta grand-mère est une reine,, et sa force je te lègue. Souviens toi qu’elle est ton sang, qu’elle est le pourquoi de ton cran, qu’elle était grande, et qu’il faudra qu’on lui ressemble.
Mon enfant, tu ne regretteras pas le monde, et tu connaîtras l’amour car tu porteras mon nom.

{au Refrain}

J’ai grandi, je le sais, je ne suis plus la même, mon c.ur si faible a retrouvé tous ses repères.
Je le jure, je te donnerais tout ce que j’ai reçu, mais sois sûr que je te dispenserai des blessures.
Je le jure, je t’épargnerai les peines, je serai toujours ton ciel dans la marelle.
Au fait, ton papa m’attend quelque part, des fois, je crois le voir, mais il ne te ressemble pas.
Je l’imagine père, je l’imagine mari, je l’imagine fier, je l’imagine fragile. Je nous visualise à trois dans le parc, toi sur la balançoire, puis tous les trois dans le sable.
Je m’imagine mère, je m’imagine bénie, je m’imagine fière d’avoir donné la vie.
On sera beaux, crois moi, on sera bien dans ce monde, avec le temps, on sera plein, et vous porterais mon nom.

 

 

Diam’s

Daddy

2003

On est le 7 juin et j’me décide à t’écrire,
Ça va faire 22 ans, on va dire que j’ai grandi.
Et j’ai tellement de chose à te dire,
Mais je ne sais pas si c’est le pire ou le meilleur
Que j’aimerai te faire parvenir.
Au fait c’est ta fille, tu sais : Mélanie
Que t’a laissé en France il y a 18 ans quand tu es parti.
Je me demande où tu es et ce que tu es devenu,
Je t’ai attendu si longtemps mais tu n’es jamais revenu.
Pourquoi ? Déjà ça je ne sais pas…
Parfois il y a des questions auxquelles on ne répond pas.
Papa, pourquoi se surnom sonne faux ?
Pourquoi tu n’étais pas là et pourquoi le téléphone sonne peu ?
Tu te souviens de moi ? Petite métisse à la peau d’or,
Tu sais maintenant j’suis blanche car en France le soleil dort.
Parce que j’ai mal c’est vrai.
Va pas croire que j’ai été mal sevrée au contraire,
Mais je crois qu’il n’y à pas de secret.

{Refrain:}
Si seulement t’étais là papa
Si seulement je ne t’en voulais pas papa
J’serai comment si t’étais là papa ?
J’sais pas,
Il y a des questions auxquelles on ne répond pas.

T’étais où pour mes dents de lait ?

Sur cette grande lettre, il y a des « t’étais où ? » car t’étais loin papa
T’as pas vu grandir ta fille, t’as pas sur lui dire je t’aime
Et quand t’es parti, t’as pas voulu que l’on te retienne.
Alors moi je fais comme si tu n’existais pas…
Car tu fais partie de ces gens qui souvent n’insistent pas.
Il y a toujours un vide dans nos vies, toi t’es un bide dans la mienne
Et dans mes lignes, t’es loin d’être un mythe.
J’avais besoin de ton soutien et je t’ai appelé,
Tu t’en souviens ? non. Moi oui, car t’as jamais rappelé.
Quand il n’y a pas de père, il manque quelqu’un et y’a pas de paix
Parce que tu n’y comprend rienet que tu dois faire
Avec trois petits points.
J’étais toi, j’étais elle et j’étais moi,
Et à moi seule j’étais nous trois.

{au Refrain}

T’as fait de moi une fille sans père,
Aigrie d’avoir vécu dans un couple en guerre.
Dieu merci Maman m’a élevée
Et même si j’étais dure, ben maman m’a aidée
J’ai manqué de ton amour,
Ça ma valu de me tromper ailleurs,
Je pensais trouver en l’homme
Ce que je n’avais pas de mon géniteur

 

 

Christophe Wilhem

Double je

2007  « Inventaire »

Quand je serai grand, je serai Bee Gees
Ou bien pilote de Formule 1
En attendant, je me déguise
C’est vrai que tous les costumes me vont bien

Le rouge, le noir
Le blues, l’espoir,
Et moi, de toutes les couleurs j’aime en voir

{Refrain, x2}
C’est comme ça, qu’est ce que j’y peux ?
C’est comme ça, qu’est ce que j’y peux ?
(Faudrait savoir ce que tu veux)
(Faudrait savoir ce que tu veux)

Oui, quand je serai grand, ce sera facile
Enfin, je saurai qui je suis
Oui, mais en attendant je me défile
C’est vrai, je me dérobe et je m’enfuis

Je pleure,
Je ris,
J’ai peur,
Envie

Je sais
De toutes les couleurs, je vais en voir

 

A qui la faute ?
Je suis l’un et l’autre
Double je
A qui la faute ?
Je suis l’un et l’autre

{au Refrain, x2}

(Faudrait savoir ce que tu veux) {x4}

Quand je serai grand, qu’on se le dise,
J’serai vendeur dans les magasins,
En attendant, je me déguise
En chanteur dans la salle de bain

{au Refrain, x2}

Quand je serai grand, je serai dans le show biz…

Faf Larage

Ta meuf

Texte actuellement interdit sur internet, retranscrit à partir d’un ancienne copie, fautes d’orthographe respectées

 

Ta meuf, c’est une caille, mec

Elle met des coups d’tête

Elle fume, elle boit, elle s’la pète

Elle est dingue, elle est raide, elle est pas nette

Elle met des balayettes, c’est une caille-ra

(bis)

 

Ta meuf, c’est une caille, mec, elle est grave, mec

Mais sérieux, tout l’monde en a marre mec

Elle se comporte comme le pire des mecs

Elle s’la pète, elle met des coups de tête et des balayettes

En Stan Smith et 501 serré

Elle traîne la jambe, façon Kaiser Sauzé (t’es fou !)

Elle pisse debout en chantant « le crime paye »

(Et ses dents en or, on croit qu’elle va nous bouffer)

Elle dort avec ses pitt’ et ses rott’

Dans la cuisine, elle organise des combats de coqs

Elle est fons-dé, fais gaffe à son Crew, le lady Unit

Gilets par-balle et tatoo

Pire que les Crips et les Bloods, elles ont toujours les boules

C’est pas le Pussicat Dolls, elles, elles te coupent les couilles (Aïe ! C’est chaud !)

Et l’autre jour, on m’a volé mon blouson

J’dis pas qu’c’est elle, mais putain, j’ai des soupçons.

 

(Refrain)

 

Quand elle traîne avec nous c’est glauque

Attends, la meuf elle a un glock

Elle a braqué un boucher pour une entrecôte

C’est l’autre jour, quand on a fait les courses

On l’a retrouvée torchée au rayon bière, à Carrefour

Je sais pas pourquoi tu la kiff, elle est pas sexy

Quand on sort, elle tape des mecs pour la sensi

Pour faire un barbecue, elle a brûlé ma 106 (Oh !)

Pour s’excuser, elle m’a taxé ma montre suisse

On peut pas mater la télé chez toi

 

Y en a que pour Scarface et pour Tony Montana

« Tu veux la guerre ? » « non ! Y en a marre de la guerre ! »

Elle nous fait peur, tu piges, quand elle est là, on se chie dessus

Les mecs se sont mis au karaté, au jiu-jitsu

Tu la croises dans la rue, au mieux elle te vomit dessus

Et t’as vu tout ses bijoux en affaire

J’en ai offert à ma mère, c’est pas de l’or c’est du fer

 

(Refrain)

 

Ta meuf, c’est trop une caille-ra

« Eh, vas-y, fais fumer toi !

Qu’est-ce qui y a ? Putain ! Qu’est-c’ qui y a, qu’est-c’qui y a ?

J’m’en bats les couilles ! »

Ta meuf, c’est trop une caille-a

« Mais ça va pas ou quoi là, sa mère ! J’ suis vénère, putain ! Ahhh ! »

 

Je vais pas parler dans son dos, c’est pas mon genre

Chaque fois qu’elle croise un agent, à la clé, un jugement

Ses roues arrières, son GSXR et son holster

Traînent des commissaires sur le goudron, derrière (Ahhh !)

Le cartier est désert quand elle a ses règles

Hier, elle a pé-cho ton cousin sur la poubelle

(Oh ! C’est pas vrai !)

Elle deal devant les maternelles (c’est abuser)

Elle est même maudite par l’éternel (Ouah !)

D’ailleurs, j’suis sûr qu’elle est impliquée dans la mort de Tupac

Quand elle se lève, on dirait Tyson sous crack

Et les mecs, elle leur fout la main au cul (Oh)

Si tu lui plais, c’est la mort, elle te casse le c…

Pas d’respect, elle est comme ça

Ta meuf, c’est une caille-ra et elle nous kiff pas

Et dis-lui tout, j’m’en fous, on est à bout

Demain je me casse au Pérou

 

(Refrain)

 

 

Koxie

Garçon (Gare aux cons)

Paroles: Bonvent- Koxie – Mazin. Musique: Koxie   2007
© Universal Music


Tout à l’heure
Je roulais sur mon scooter dans Paris
D’une voiture, au feu rouge, un mec me dit :
«Eh madame il est quelle heure ?»
Je lui réponds : «Midi»
Il me dit : «Madame qu’est ce que t’es bonne !
Tu veux pas m’faire une gâterie ?»
Ses potes rigolent
Sur le moment j’ai pas compris
Je réponds : «Mon grand,
C’est pas comme ça qu’on parle aux gens
Tu n’aimerais pas qu’on parle comme ça à ta maman»
Le mec me r’garde
Avec une tête de chien d’garde
Il m’fait : «Vas-y parle pas d’ma mère ou j’te défonce»
J’lui réponds : «Du calme Alphonse !
J’te connais pas, tu m’agresses

C’est quoi ce manque de délicatesse ?
On t’a pas dit d’traiter les femmes comme des princesses ?»
Il me dit : «Ouais, mais toi j’te baise !»
Je lui dis : «Ben nan justement
C’est bien ça l’malaise»
Tu sais que…

{Refrain, x2}
Garçon
Si t’enlèves la cédille
Ça fait gar-con
Et gare aux cons ma fille
Gare aux cons
Gare aux cons
Gare aux cons
Qui perdent leur cédille
Di di doum
Di di dam
Di di di di di di

J’continue mon chemin
Au feu suivant
J’entends : «Hé grosse cochonne !
Quand tu veux j’te prends»
C’est encore Alphonse avec sa tête de gland
Je lui dis : «Là tu t’enfonces, c’est indécent
J’y crois pas, mec, redescends d’ta planète
Tu t’prends pour Tony Montana
T’as même pas d’poils sur la quéquette !»
Il m’dit : «Vas-y, sois pas vulgaire
Tu vas voir où je vais t’la mettre !»
Je lui dis : «C’est moi qui suis vulgaire ?
Non mais là c’est la fête !
Je rêve, pour qui tu t’prends ?
Maintenant tu t’arrêtes !»
Je descends, il descend,
J’dis : «C’est l’bordel dans ta tête !
Qu’est-ce que tu comptes faire ?
Là t’es en galère, j’veux des excuses
J’attends, et j’lâcherai pas l’affaire»
Il me dit : «Nan, toi tu t’excuses
Espèce de vieille sorcière !»
«C’est la meilleure je t’ai donné l’heure,
J’aurais mieux fait d’me taire»
Tu sais que…

{au Refrain, x2}

Voilà comment parlent certains garçons
Quelle honte !
Ils mériteraient une bonne leçon
Tu veux jouer ? On va jouer
J’lui dis : «Baisse ton caleçon
Tu parles beaucoup, ça manque d’action
Tu m’as demandé ? Une fellation ?»
Tout à coup Alphonse a une révélation
Il renonce et me dit :
«Ouais, vas-y c’est bon !
Lâche-moi, pardon»
J’lui dis : «C’est bien

Là, t’as l’air moins con,
C’est pas normal d’avoir besoin
D’parler aux femmes de cette façon
Y a un sérieux problème d’éducation
Pourtant j’suis sûre que t’as un bon fond»
Il me dit : «T’as raison j’me sens tout bidon
C’est mes potes qui m’poussent, j’ai la pression !»
Je lui dis : «C’est bon, pleure pas !»
Il manquait plus qu’ça
Alphonse qui fond en larmes dans mes bras
Tu sais que…

{au Refrain, x2}

 

Francky Vincent

Fruit de la passion

Paroles et Musique: Francky Vincent   1994
© 1994 Disque JV


I ja sinké cé lindi
I lé pou nous aye travail
Ou pa vié léve ou amouré
An nous fé malélivé
Parait-il leur matinal
Apré on week end ki infernal
Sé oh bitin fondamental (Marie Chantal)
En ka senti vous toutouni
Et moin minme en toutouni
Caresse ar ka tranpoté moin
On mannié transpo en kommin
Ti boug la i bien coincé
Ke aye content i malelivé
A dan on sélé lése allé (kontinié)

Chéri tu me donnes ta passion
Et je trouve ça fabuleux
Je n’suis pas branché sentiments
J’suis plutôt super amant
Aujourd’hui tu vas oublier
Tous les tocards qui n’ont pas assuré
Y a pas que la fesse dans la vie
Y a le sex aussi

{Refrain:}
Vas-y Francky c’est bon
Vas-y Francky c’est bon bon bon
Vas-y Francky c’est bon
Vas-y Francky c’est bon bon bon
Vas-y Francky c’est bon
Vas-y Francky c’est bon bon bon
Vas-y Francky c’est bon
Vas-y Francky c’est bon bon bon

Pour caresser tes p’tits seins
Pas besoin de me faire un dessin
A pleines mains je prends tes hanches
Et tu cesses de faire la planche
Tiens voilà ton étalon

Qui enlève son pantalon

Et c’est avec émotion
Que je touche au fruit de la passion
{au Refrain}

Fruit de la passion
J’aime quand tu touches
Fruit de la passion
Ah ! c’est super
Fruit de la passion
Francky c’est génial
Fruit de la passion
Ton dessert mon amour
Fruit de la passion
Décidément c’est dément
Fruit de la passion
Quelle aventure !
Fruit de la passion
Ça me fait soupirer
Fruit de la passion…
{au Refrain}

 

 

Francky Vincent

Au top dans le ghetto


On t’appelle cochon sacré cochon {x2}

Je dédie cette chanson à tous ceux qui doutent de moi
Je tiens à vous dire que je suis le meilleur ouais je suis au top
Tu es le mammouth du zouk le meilleur de tous les temps
Le plus intelligent homme d’affaires, bon arrangeur
Tu adores les belles bagnoles, les jolies femmes et le champagne
T’es devenu un grand méchant
Les femmes adorent le loup chantant
Les artistes te respectent, ils te saluent bien bas
Ils ont besoin de toi car tu es au top
Ils ont tout à fait raison car tu es gentil garçon
Tu penses toujours à eux, t’es vraiment affectueux
On t’appelle cochon sacré cochon {x2}

Ton meilleur ami t’appelle cochon ce surnom ne te va pas du tout
Le vrai cochon c’est moi c’est moi c’est moi le roi
T’es pas l’unique intelligent, il faut aussi penser à moi
Je suis un homme d’affaires, les femmes adorent le cochon chantant
Je suis au top dans le ghetto, je fais hugo et le beau temps
Je suis aussi un grand sexant, le public me trouve intelligent
Le gentil petit fouk n’a rien à voir avec le grand méchant
J’suis pas un gros coup rapide, j’suis plutot un coup qui dure dure dure
Francky au top dans le ghetto {x2}

Je dédie ce morceau à la personne en question
Le papa des artistes antillais Cocob
Et aussi à Luc Léandry le vergeur
Sans oublier sans oublier Francky le beau-père
Le beau-père des artistes antillais au top
Francky au top dans le ghetto
Je suis le meilleur, je suis le roi, je suis le plus fort

Diam’s

Jeune demoiselle

2006  « Dans ma bulle »

Jeune demoiselle recherche un mec mortel
Un mec qui pourrait me donner des ailes
Un mec fidèle et qui n’a pas peur qu’on l’aime
Donc si t’as les critères babe laisse-moi ton e-mail
Jeune demoiselle recherche un mec mortel
Un mec qui pourrait me donner des ailes
Un mec qui rêve de famille et de toucher le ciel
Donc si t’as les critères babe laisse-moi ton e-mail

Dans mes rêves mon mec à moi a la voix de mes …
Il a du charme et du style à la Beckham
Il a la classe et le feeling tout droit sorti d’un film
Le charisme de Jay-Z et le sourire de Brad Pitt
Mon mec à moi n’aime pas les bimbos
Nan il aime les formes de J-Lo
Il a le torse de D’Angelo
Dans mes rêves mon mec me fait rire comme Jamel
Et me fait la cour sur du Cabrel

Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’enlève et m’emmène
Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’aime et me rend belle
Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’enlève et m’emmène
Si t’as les critères babe laisse-moi ton e-mail

{au Refrain}

Dans mes rêves mon mec me parle tout bas
Quand il m’écrit des lettres il a la plume de Booba
Mon mec a des valeurs et du respect pour ses soeurs
Il a du coeur et quand il danse mon mec c’est Usher
Pom pom pom pom
…il m’appelle tout le temps car il m’aime
Mon mec regarde Scarface, les Affranchis
Casino mais aussi Friends, Lost et les Sopranos
Mon mec est clean mais au-delà du style
Mon mec c’est une encyclopédie car il se cultive
Bah ouais mon mec est top entre l’intello et le beau gosse
Et peu m’importe qu’il se balade en Porsche

Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’enlève et m’emmène
Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’aime et me rend belle
Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’enlève et m’emmène
Si t’as les critères babe laisse-moi ton e-mail

{au Refrain}

Dans mes rêves mon mec a la carrière d’Eminem
Il a des airs de minet quand il m’emmène en week-end
Mon mec fait mal au crâne il a le calme de Zidane
Et le regard de Method Man
Mon mec c’est Hitch il insiste
Mon mec sait prendre des risques et ne regarde pas les bitches
Non mon mec connaît les femmes et sait bien qu’on est chiantes
Qu’on gueule tout le temps pour savoir quand il rentre
Mon mec est bon ouais mon mec est complet
Mon mec c’est un peu de mon ex mélangé à mon père
Dans la vie mon mec est digne à la Mohamed Ali
Et ses potes me font rire à la Eric et Ramzy

Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’enlève et m’emmène
Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’aime et me rend belle
Pom pom pom pom
Dans mes rêves mon mec m’enlève et m’emmène
Si t’as les critères babe laisse-moi ton e-mail

{au Refrain}

Hein j’t’ai pas trouvé sur la planète
J’te trouverais p’t’être sur Internet qui sait

Diam’s victime de l’an 2000
Tout les moyens sont bons pour trouver l’homme de sa vie
PS: l’adresse e-mail c’est jeunedemoisellerecherche@hotmail.fr
Si vous pouvez joindre 2 photos
Parce qu’une on sait qu’c’est d’la triche

 

i C. Melman, « Malaise dans la modernité, où est allée finir la loi sociale », conférence prononcée à la « Casa della cultura » à Milan, 2 Mars 2007, consultable sur le site internet de l’Association lacanienne internationale

ii C. Melman, « Malaise dans la modernité, où est allée finir la loi sociale », conférence prononcée à la « Casa della cultura » à Milan, 2 Mars 2007, consultable sur le site internet de l’Association lacanienne internationale

iii Charles Melman, « d’où organisons nous notre identité ? », conférence prononcée lors des journées « quête d’identité et relation d’altérité » à Grenoble le 12 novembre 2006, texte disponible sur le site internet de l’Association lacanienne internationale

iv Charles Melman, Malaise dans la modernité, où est allée finir la loi sociale, conférence prononcée à la « Casa della cultura », Milan le 2 mars 2007, site internet de l’Association lacanienne internationale

v Pierre Christophe Cathelineau, comment penser les identités à partir du nœud borroméen ? conférence prononcée à Fez en 2005, texte disponible sur le site interner de l’Association lacanienne internationale

vi Pierre Christophe Cathelineau, quels faits de structure sont-ils à l’origine des quêtes identitaires ? Essai de topologie appliquée au lien social, conférence prononcée à Grenoble en novembre 2006, texte disponible sur le site internet de l’Association lacanienne internationale

vii Pierre Christophe Cathelineau, comment penser les identités à partir du nœud borroméen ? conférence prononcée à Fez en 2005, texte disponible sur le site interner de l’Association lacanienne internationale

viii Pierre Christophe Cathelineau, « au-delà de l’identité, intervention modifiée du colloque de Fez 2005 », texte disponible sur le site internet de l’Association internationale

ix Marcel Roncayolo, l’Imaginaire de Marseille, Histoire du commerce et de l’industrie à Marseille – XIXe – Xxe siècles, chambre de commerce et d’industrie de Marseille

x P.C. Cathelineau, L’Autre, l’étranger, l’identité en préparation au colloque de Fez 2008, site internet de l’ALI, 20/11/2007

xi Bruno Le Dantec, La ville sans nom – Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent, édition Le chien rouge, 2007

xii Idem

xiii Alèssi Dell’Umbria, histoire universelle de Marseille – de l’an mil à l’an deux mille, Ed.Agone, Mémoires sociales, 2006

xiv Idem

xv Idem

xvi Idem

xvii Idem

xviii Alèssi Dell’Umbria, histoire universelle de Marseille – de l’an mil à l’an deux mille, Ed.Agone, Mémoires sociales, 2006

xix Bruno Le Dantec, La ville sans nom – Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent, édition Le chien rouge, 2007

xx Idem

xxi Idem

xxii Idem

xxiii Idem

xxiv Idem

xxv Idem

xxvi Idem

xxvii Idem

xxviii Migrance, histoire des migrations à Marseille, sous la direction d’Emile Témime, Editions Jeanne Laffitte

xxix Michel Peraldi, Michel Samson, Gouverner Marseille, enquête sur les mondes politiques marseillais, éditions La découverte, Paris, 2005, 2006

xxx Idem

xxxi Idem

xxxii Idem

xxxiii Bruno Le Dantec, La ville sans nom – Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent, édition Le chien rouge, 2007

xxxiv Idem

xxxv Idem

xxxvi Michel Peraldi, Michel Samson, Gouverner Marseille, enquête sur les mondes politiques marseillais, éditions La découverte, Paris, 2005, 2006

xxxvii Idem

xxxviii Idem

xxxix Bruno Le Dantec, La ville sans nom – Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent, édition Le chien rouge, 2007

xl Michel Peraldi, Michel Samson, Gouverner Marseille, enquête sur les mondes politiques marseillais, éditions La découverte, Paris, 2005, 2006

xli Idem

xlii Idem

xliii Idem

xliv Idem

xlv Roger Duchêne, Histoire de Marseille, 26 siècles d’aventures, Editions Autres Temps, 1999

xlvi Idem

xlvii Idem

xlviii Michel Peraldi, Michel Samson, Gouverner Marseille, enquête sur les mondes politiques marseillais, éditions La découverte, Paris, 2005, 2006

xlix Idem

l Idem

li Idem

lii Migrance, histoire des migrations à Marseille, sous la direction d’Emile Témime, Editions Jeanne Laffitte

liii Idem

liv Michel Peraldi, Michel Samson, Gouverner Marseille, enquête sur les mondes politiques marseillais, éditions La découverte, Paris, 2005, 2006

lv Idem

lvi Idem

lvii Idem

lviiiDepuis plus de 10 ans, les chefs religieux des principales communautés de Marseille se regroupent autour du premier magistrat de la ville pour se concerter et affirmer, chaque fois que la situation l’exige, leur volonté de vivre ensemble en paix et dans le respect de la spécificité de chacun. Les responsables arméniens, bouddhistes, catholiques, juifs, musulmans, orthodoxes et protestants ont établi un véritable partenariat des forces spirituelles, communautaires et culturelles de la Ville. Ils discutent régulièrement, non pas de religion, mais de toute question relative à la vie des communautés à Marseille. Ils prennent ou soutiennent toute initiative qui favorise le dialogue, l’échange et un climat d’ouverture et de respect de l’autre par la connaissance mutuelle. Leur but est également de réduire la méfiance de l’autre et de bannir la haine et les préjugés. Marseille Espérance édite un calendrier intercommunautaire tous les ans, organise un gala annuel chaque fin d’année et un forum tous les deux ans.

lix Jean Jaque, les càcous, le parler de Marseille, Ed. Aubéron, 1996

lx Jean-Pierre Lebrun, la perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Ed. Denoël, 2007

lxi Idem

lxii Encyclopédie Wikipédia, internet

lxiii Lexilogos, internet

lxiv Alèssi Dell’Umbria, Histoire universelle de Marseille, de l’an mil à l’an deux mille, Ed. Agone, 2006

lxv Idem

lxvi Idem

lxvii Idem

lxviii Idem

lxix Idem

lxx Daniel Armogathe/Jean-Michel Kasbarian, Dico marseillais, Editions Jeanne Laffitte, Marseille, 1998

lxxi Idem

lxxii Idem

lxxiii Idem

lxxiv Idem

lxxv Idem

lxxvi Idem

lxxvii Edouard Glissant, Analyse de la relation, texte d’une conférence donnée dans le cadre du Groupe de Cordoue le 18 février 2008, site internet de l’Association lacanienne internationale

lxxviii Idem

lxxix Idem

lxxx Edouard Glissant, cité par P. C. Cathelineau in l’Autre et l’identité(hommage et questions à Edouard Glissant), conférence donnée dans le cadre du Groupe de Cordoue, le 13 juillet 2007, site internet de l’Association lacanienne internationale

lxxxi Edouard Glissant, Analyse de la relation, texte d’une conférence donnée dans le cadre du Groupe de Cordoue le 18 février 2008, site internet de l’Association lacanienne internationale

lxxxii P. C. Cathelineau, l’Autre et l’identité(hommage et questions à Edouard Glissant), conférence donnée dans le cadre du Groupe de Cordoue, le 13 juillet 2007, site internet de l’Association lacanienne internationale

lxxxiii Nathalie Rizzo, exposé fait dans le cadre de l’enseignement sur la Psychanalyse de l’enfant, AFI-Provence, Marseille, Mars 2008

lxxxiv Hector Yankelevich, la mère de la parole, in « D’un Inconscient post-colonial s’il existe », recueil de conférences, Edition interne à L’Association freudienne internationale

lxxxv Idem

lxxxvi Idem

lxxxvii Idem

lxxxviii Charles Melman, les effets subjectifs de la migration linguistique, in « D’un Inconscient post-colonial s’il existe », recueil de conférences, Edition interne à L’Association freudienne internationale

lxxxix Nazir Hamad, la langue et la frontière, double culture et polyglottisme, Edition Denoël, Paris, 2004

xc Idem

xci Idem

xcii Nazir Hamad, la langue et la frontière, double culture et polyglottisme, Edition Denoël, Paris, 2004

xciii C. Melman, casa grande e senzale, in d’un inconscient post-colonial s’il existe, publication interne à l’Association lacanienne internationale (ex Association freudienne internationale)

xciv Idem

xcv Idem

xcvi Idem

xcvii Migrance, histoire des migrations à Marseille, sous la direction d’Emile Témime, Editions Jeanne Laffitte

xcviii Idem

xcix Idem

c Roger Duchêne, Histoire de Marseille, 26 siècles d’aventures, Editions Autres Temps, 1999

ci Migrance, histoire des migrations à Marseille, sous la direction d’Emile Témime, Editions Jeanne Laffitte,

cii Idem

ciii Idem

civ Idem

cv Idem

Mireille LACANAL-CARLIER : Commentaire du texte de P. C. CATHELINEAU « Quel choix éthique pour l’institution ? »

Introduction

Pour commenter ce texte, j’ai pris appui sur Encore, RSI et le Sinthome de Lacan, les textes de J.C.Cathelineau Topologie : Discours et noeuds  ALI 21/08/2013  et Se passer du Nom-du-Père, à condition de s’en servir 04/04/2013 ainsi que de la conférence donné par Lacan à la faculté universitaire Saint Louis à Bruxelles, le 9 mars 1960 « A cette place, je souhaite qu’achève de se consumer ma vie » titre donné quand le texte fut publié en 1986 et dont le titre original est «  La psychanalyse est-elle constituante pour une éthique qui serait celle que notre temps nécessite ? »

(Lire p 2)

« …comment se fait-il que ces hommes, support tous et chacun d’un certain savoir ou supporté par lui, comment se fait-il que ces hommes s’abandonnent les uns les autres, en proie à la capture de ces mirages par quoi leur vie, gaspillant l’occasion laisse fuir son essence, par quoi leur passion est jouée, par quoi leur être , au meilleur cas, n’atteint qu’à ce peu de réalité qui ne s’affirme que de n’avoir jamais être déçu ?

Voilà ce que me donne mon expérience, la question que je lègue, en ce point, sur le sujet éthique.»

J.C.Cathelineau pose la question du choix éthique du nœud borroméen à 3 ou du nœud borroméen à 4  individuellement et collectivement.

Nous verrons que le propos n’est pas tant au niveau d’un choix mais bien celui d’une éthique, une éthique du désir qui nous engage à lire autrement dégager de notre fantasme et de l’allégeance à l’Au-moins-Un ;

Il appuiera son propos sur ce que la psychanalyse lacanienne me semble-t-il vise avec les opérations d’aliénation et de séparation dans la cure, à savoir que le sujet puisse vivre, responsable de ses actes par rapport à son désir inconscient, avec d’autres, responsables eux aussi de leur désir.

Je laisserai le dernier mot à Charles Melman, ou plutôt les trois derniers, qui nous indiquent l’évidence qui guide sa voix.

Commentaire du texte de Pierre Christophe CATHELINEAU «Quel choix éthique pour l’institution ?» Clôture du séminaire été 2013

Qu’est ce qui justifie ce titre : le choix éthique ?

Certains pensent que c’est un débat idéologique, d’autres sont mal à l’aise qu’en à ce choix entre nœud à 3 ou nœud à 4.

Nous verrons que le choix ne se situe pas à ce niveau là.

Les partisans du nœud à 4 prennent appui sur la dernière séance de RSI et 1ére du Sinthome où Lacan élabore une théorie de la nomination à savoir

(lire p 179 RSI)

« C’est entre ces 3 termes,………..donner comme substance au nom du père. »

Imaginaire : inhibition

Réel : angoisse

Symbolique : symptôme

et une théorie du symptôme qui nécessite la mise en place d’un rond 4ème.

Ainsi pour ces derniers le nœud à 4 serait une réponse aux impasses du nœud à 3: noeud à 3 rendrait indistinctes entre elles les consistances, elle les homogénéiserait, rien ne les distingueraient entre elles.

Il serait le nœud à 3, le nœud préliminaire de la paranoïa (nœud de trèfle)

Mais ni le nœud à 3, ni le nœud à 4 ne sont une idéologie car ils ne constituent pas, à l’inverse des visions du monde aucun système d’idée car ce ne sont pas des idées mais le Réel, si l’on suit Lacan.

Ils ne constituent pas en soit un modèle du réel, il s’agit du Réel et c’est bien cela le problème.

Revenons à RSI, Lacan nous rappelle que chez Freud le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire ne sont noués que par le 4ème rond que Lacan appelle la réalité psychique, le Nom du Père, le complexe d’Oedipe.

Et Lacan de s’interroger si c’est indispensable ce 4ème rond.

Il en donne une réponse (lire P 85 RSI)

« Il est certain que, sans qu’on puisse……….un progrès dans la consistance. »

Il emploie le mot controuvé ( au début de la page 85) : c’est inventer au sens péjoratif du terme et il se demande si c’est un progrès le nœud à 3 par rapport au nœud à 4.. Ce n’est pas un progrès du fait qu’il soit 3 mais un progrès dans l’imaginaire, un progrès dans  la consistance.

La consistance Imaginaire du nœud borroméen où le R, le S et le I sont dits consistants du fait de tenir réellement ensemble.

C’est la définition de la consistance : ce qui tient ensemble, ce qui tient réellement.

Et il conclue ( p 85 lire fin RSI)  « Il est bien certain que dans l’état …………….l’état présent. »

Lacan revisite le complexe d’œdipe à la lumière du nœud à 3 en disant qu’il est implicite dans le nœud.

Ainsi l’échappement du 4ème ne supprimerait pas le complexe d’Oedipe et il nait du surmontement en 2 points du Réel sur le Symbolique. Il présentera cela comme la fin de la cure.

« Fin de la cure qui par ce surmontement permet de se passer du 4ème.»

On se passe du 4ème par ce surmontement en 2 points du S par Réel pour passer au noeud à 3.

Le rond 4ème n’est pas nécessaire, il est contingent. C’est l’effet d’une écriture, d’une écriture inconsciente. Il peut s’écrire ou ne pas s’écrire.

(Nécessité, ce qui ne cesse pas de s’écrire. Contingence, ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.)

Pourquoi est-il possible de dire que les psy sont à la croisée des chemins à la foi d’un point de vue topologique, éthique et clinique parce qu’il leur est donné de pouvoir choisir entre le noeud à 3 ou le noeud à 4 pour guider leur pratique ?

C’est dans la façon dont chacun conçoit sa propre fin de cure et celle de ses patients.

Pourquoi choix éthique voulu par Lacan ?

Le choix en psy relève toujours d’une dimension éthique car il engage pour le psy son désir et la façon dont sur ce désir il ne cède pas. Le désir de l’analyste n’est pas le désir de normaliser, de soigner, de guérir.

(lire extrait Séminaire sur l’Ethique Lacan)

« C’est parce que nous savons mieux reconnaître la nature du désir qu’une révision éthique est possible. Parce que c’est le désir de l’analyste qui est le moteur de l’expérience analytique et que c’est un désir averti.

 Il n’y a pas d’autre bien que ce qui peut servir à payer le prix pour l’accès au désir.

Le désir de l’analyste n’est pas un désir pur, c’est un désir d’obtenir la différence absolu.»

Ce choix est pour Lacan une hérésie qui signifie choix en grec ancien et qui procède depuis Aristote d’un acte volontaire.

Lacan va qualifier Joyce d’hérétique : c’est à dire que Joyce va choisir d’aller jusqu’à n’avoir plus soif et appréhender un bout de réel.

Il le dit également de lui même et l’on entend résonner RSI en hérésie pour autant que c’est son choix qu’il nous invite à suivre.

Un choix déviant par rapport à la norme admise, la religion admise et il soulignera que pour lui son symptôme c’est le réel.

Le Nœud à 4 c’est celui de la nomination Symbolique, Réelle ou Imaginaire et il rend possible l’inscription d’un Nom du Père comme nomination Symbolique ou Réelle ou dit Lacan la mise en place d’une suppléance (dès RSI).

Que ce soit dans RSI ou dans le  Sinthome la nomination réelle ou symbolique, le Nom du Père renvoie à la fonction du père dans la religion et dans la famille avec la triangulation œdipienne.

Pour caractériser cette dimension essentielle retournons aux  mathèmes de la sexuation.

Ce rond 4e pour autant qu’il est situable de ce statut d’exception se traduit dans les mathèmes par

« Il existe au moins 1 X qui nie phi de X ».( document tableau sexuation)

«  C’est là ce qu’on appelle la fonction du père en tant que celui ci n’est d’aucune façon inscriptible. Le tout repose donc ici sur l’exception posée comme terme sur ce qui, ce phi de x, le nie intégralement. » ( p101 « Encore » Points tableau de la sexuation)

Topologiquement, les consistances des ronds RSI sont superposées sans être nouées entre elles et c’est le rond 4ème qui vient traverser l’intersection des trois et établir un lien entre ces trois. Ce 4ème est une exception structurante que constitue le Nom du Père. En passant par les mathèmes nous pouvons voir qu’elle prend cette exception appuie sur la jouissance phallique considérée comme le point d’appui de l’Autre jouissance (p 101 Encore La barré)).

A ce stade la seule issue d’une cure comme le proposait Freud et d’aimer et de travailler. C’est à dire indiquer que si tout procède de l’exception, le père n’en est que le type, le pauvre type en général

(si trop d’exceptions : voir le cas de Freud avec Schreiber).

Le rond 4ème permet de positiver l’objet du fantasme car qui dit jouissance phallique dit arrimage de ladite jouissance au fantasme (cf mathèmes). La traversée par le 4ème de ce qui ne sera plus le trou central entre RSI. Le trou central est traversé par le Nom du Père : c’est un trou habité auquel a à faire alors le sujet. Dans le trou il n’y aurait plus seulement l’objet a mais également le Nom du Père.

D’où la question quel ensemble au sens mathématiques le Nom du Père permet-il de définir ?

Le Nom du Père définit un ensemble fermé à l’intérieur duquel se conçoit un universel.

La mise à plat du nœud permet de comprendre que ce type d’exception détermine un dehors et un dedans, une frontière entre ceux qui sont éligibles à la même castration et les autres,  ceux qui en sont exclus, natifs d’une autre origine, les fous, les femmes….ceux qui n’appartiennent pas au clan.

Le Nom du Père comme le rappelait Melman implique la ségrégation et l’exclusion c’est la norme mâle.

Au Nom du Père comme  4ème sont ainsi associés les effets des discours et en particulier les effets de domination et de ségrégation (cf intervention « Discours et nœuds »21/08/13 Cathelineau).

Après ces considérations pourquoi le nœud à 3 est-il une alternative crédible, un choix éthique pour dépasser ce qui apparaît comme le symptôme de la névrose ?.

C’est-à-dire un choix éthique pour dépasser le symptôme de la névrose.

Lacan situe lui-même dans le symptôme le rond 4ème comme un symptôme sinon comme le symptôme. Il parle de suppléance dans RSI, et de symptôme dans le Sinthome.

Qu’est-ce que cela signifie soutenir la structure au delà du 4ème ?

C’est faire un sort à l’Au-moins-Un. Dans le nœud à 3 chaque consistance constitue l’exception sans  qu’aucune ne fasse exception plus que l’autre.

C’est transposable au nœud à 4 qui peut être figuré par une chaîne. Le nœud à 4 est aussi borroméen que le nœud à 3.

De quel nœud le discours du maître dépend-il ?

Dans la première leçon du Sinthome, Lacan répond et évoque le nœud à 4 et le faux trou formé par ce qu’il appelle le Symbole et le Symptôme

(p 31 lire Leçon du 18 novembre 1975).

« C’est bien en tant que le discours du maître………..il n’y a je dirai qu’un faux-trou. »

Lacan passe d’une théorie des discours à une théorie des nœuds pour penser l’économie de l’objet a.

Dans le nœud à 3 est donné à un homme, un père de soutenir sa fonction en mettant une femme en place d’objet a pour lui.

C’est la définition qu’il donnera d’une femme comme symptôme.

Le symptôme comme père – version.

Quelle économie de la jouissance résulte du nœud  à 3 différent du noeud à 4 ?

C’est l’ek-sistence des jouissances qui prime et non plus la jouissance phallique. L’économie de la jouissance est ordonnée par l’ek-sistence des jouissances les unes par rapport aux autres. Des jouissances comme réelles sans en privilégier une par rapport aux autres.

Dans le nœud à 3 les trois dimensions RSI cernent l’objet a qui si il est représenté par une femme, en tant qu’elle est prise dans le fantasme, ouvre sur un pur trou.

Lacan évoque le trou fait par le S dans le R, il le situe également à la jonction de I et R.

Melman rappelle qu’il suffit de remarquer que les trois consistances sont trouées et qu’elles serrent un point central.

Ce trou créé par le serrage des trois consistances serait le point d’aboutissement éthique qui décentre les jouissances. (et entre autre la jouissance phallique).

Pour faire de l’objet a et du trou l’enjeu d’une fin de cure, il faut lire la mise à plat.

Le trou est bordé par RSI, par l’ek-sistence du R, l’ek-sistence du S, l’ek-sistence du I. Le trou se soutient de cette ek-sistence et renvoie à un non-être, Lacan parle de désêtre.

Le trou se soutient de cette dimension si importante dans RSI de l’ek-sistence.

Ainsi Lacan dans le Sinthome définit le sujet comme serrage des trois dimensions.

Ce trou n’est pas le rien (comme l’objet cause pour l’anorexique) mais ce dont se supporte la structure au-delà du semblant.

C’est un vide mais articulé au S au R au I. Conséquence éthique à faire reposée sur le trou, la logique du nœud : il n’y a pas de prima ni de la jouissance phallique, ni de la jouissance Autre, et encore moins du sens.

Le vide relativise et dépasse ce prima des jouissances et rend caduque leur élection éthique.

Le trou met à distance le fantasme et constitue son au-delà : ce que devrait être l’enjeu de la direction de cure et la fin de sa cure.

Alors voulons- nous une institution normale ?

Une institution qui consacrerait la référence à l’Au-moins-Un, à la jouissance phallique et au symptôme, en prenant appui sur le Nom du Père et la norme mâle. Cela institue le transfert de travail sur l’Amour du Père. (réf à Freud et à Massen psychologie : le père tue les fils ou les fils tuent le père). Cela entraîne des guerres fratricides de verrouillage de la théorie….

A aucun moment finalement et malgré les interrogations de Lacan, la question de la référence à l’Un dans l’institution n’a été franchement posée, sauf peut être à l’ALI où Charles Melman interroge cette référence au Un sans tenir compte de la place qu’on lui suppose d’ordinaire.

Bien sûr à la fin de RSI Lacan évoque la nécessaire identification à un point du groupe. Mais Freud le rappelle tous les groupes ne se valent pas.

La question c’est un groupe organisé par le nœud à 3 ou le nœud à 4 ?

Pour les cartels Lacan fait référence au plus Un, un 4ème comme plus Un.

Le nouage est borroméen pour n éléments. C’est ce que nous montre le texte sur le temps logique et la sortie des trois prisonniers. (lire  Lacan dans Les non-dupent-errent)

« J’avais autrefois commis un truc qui s’appelait le temps logique et c’est curieux que j’y aie mis un second temps, le temps pour comprendre. Le temps pour comprendre ce qu’il y a à comprendre. C’est la seule chose dans cette forme que j’ai faite aussi épurée que possible, c’est la seule chose qu’il y avait à comprendre c’est que le temps pour comprendre ne va pas s’il n’y a pas trois. ».

Lacan parle de chaîne borroméenne qu’il introduit dans Encore et reprend dans RSI c’est à une sortie collective de la prison que nous invite Cathelineau

(.lire texte p5 Cathelineau Discours et Nœud )

« C’est pour autant que je fonde mon raisonnement sur la couleur du cercle que j’ai dans mon dos……Cette logique borroméenne est une façon d’atteindre ensemble à la vérité, de telle sorte que chacun y joue son rôle, y compris en commettant des erreurs. »

Pour certain il faut qu’il y ait Au-moins-Un quatrième incarné par le directeur de la prison pour que les prisonniers puissent sortir. Mais à lire Lacan cet Au-moins-Un fondateur n’est pas utile pour qu’un savoir se déduise de façon concertée.

Alors qu’en est-il réellement du point où nous en sommes ?

Cela devient difficile de se référer à l’Au-moins-Un guide, l’Au-moins-Un Père et l’Au-moins-Un Maître car ils représentent les effets mortifères du nœud et les guerres de successions qu’impliquerait pour l’institution ce dispositif.

Dans le nœud ici ce que l’on voit c’est la possibilité donnée à chacun d’engager son désir autour de la reconnaissance d’un trou, inhabité, inhabitable, par quiconque et par quoique ce soit et de s’engager ainsi avec les collègues dans un transfert de travail. Dans la chaîne présentée dans Encore (image p9 du texte de cathelineau) on trouve le trou central et également la place spécifiée du fondateur comme rond particulier.

Mais  nous dit Darmon dans la discussion, ce rond particulier ne fait pas exception car comme les autres si un est rompu lui aussi est défait. C’est donc cette solidarité que l’on trouve dans le principe du nœud borroméen que nous pourrions souhaiter retrouver dans un groupe d’analystes.

Plus d’identification à un symptôme qui justifierait exclusion et ségrégation.

La question qui reste à l’étude sera comment y parvenir ?

Le nœud borroméen à 3 instaure une autre logique que celle du nœud à 4, une logique des discours en tant que le nœud à 4 consacre le discours du Maître et les autres à sa suite.

Une autre logique que celle des mathèmes de la sexuation : l’universel ne relève plus de l’ensemble fermé donné par l’exception, l’exception n’est plus la seule marque du symbolique, elle est aussi celle du R et du S et ainsi les ensembles qui en résultent sont ouverts et l’universel relève d’une logique du potentiel. Il y a toujours plus Un à ajouter pour qu’elle se constitue.

La question qui vient alors pourquoi parler de choix éthique si justement on ne peut pas choisir son nœud (structure : pas de chirurgie des nœuds pour la changer) et on hérite ainsi de sa structure une fois pour toute.

Parce que c’est une chose de prendre le nœud à 4 au pied de la lettre, sans est une autre de la lire à l’éclairage du nœud à 3. Le nœud à 4 éclairé par les conséquences du nœud à 3 lui donne un jeu qu’il n’avait pas quand il restait centré sur l’exception, la jouissance phallique et le fantasme.

Finalement réintroduire une lecture borroméenne appuyée sur le nœud à 3 : relativité des jouissances, dépassement de la jouissance phallique et du fantasme, fin du prima de l’Au-moins-Un, sortie de la logique ségrégative et exclusive des discours et centrage sur le trou qui ordonne les jouissances.

La NEP a depuis longtemps renoncé au 4ème.Melman

Nous sommes en mesure en suivant Lacan de proposer une écriture du nœud qui soit tenable individuellement et collectivement en pariant sur la logique collective et solidaire.

Une logique solidaire qui se dégage d’un lien débarrassé de la référence à l’Au-moins-Un.

Cathelineau précisera un point voir même deux qui me paraissent essentiels et que je résumerai par apprenons à lire autrement.

C’est à dire que l’intérêt c’est la propriété borroméenne : chaque rond constitue l’exception. Nous pouvons lire le nœud borroméen à 3 ou à 4 de cette manière.

Il ajoutera que la pente naturelle des institutions est d’être constituées autour de l’Au-moins-Un

Mais suivre sa pente c’est la pente du symptôme et il semble que ce ne soit pas le dernier mot de l’analyse.

Charles Melman conclura par une logique qui découle de ce qui vient d’être dit que la psychanalyse c’est que dans le nœud borroméen il y a une subversion de tous les savoirs voir de tous les pouvoirs. en s’appuyant dans la clinique sur une autre façon de voir  qu’il nomme l’évidence.

Il rappelle qu’avec le symptôme ce dont nous jouissons c’est ce qui fait obstacle à la jouissance.

« Je souffre de ce dont je jouis ou je jouis de ce dont je souffre.

Avec le symptôme je me dégage de la responsabilité que je peux avoir dans cette affaire. Je ne m’autorise pas de mon symptôme pas plus que je ne m’autorise de mon désir quand je me réfère au Père. »

Dans le nœud à 4 l’évidence c’est qu’ils sont empilés les trois premiers et que le 4ème vient les nouer, vient assurer leur solidarité. L’évidence du nœud à 4 celle du symptôme n’est qu’un mode d’écriture et autrement dit la névrose c’est une faute d’orthographe. C’est peut-être la faute heureuse. Evidemment, ajoute-t-il il y a dans le nœud à 4 cette faculté d’une lecture sinthomatique comme l’illustre Joyce.

Il posera enfin la question de savoir comment faire pour enchaîner des petits a sachant qu’en tant que psychanalyste c’est la place que chacun est tenu d’occuper. « C’est déchaîner des petits a » Comment les faire tenir ensemble  sans qu’ils soient liés soit par l’exclusion soit par venir ternir les petits camarades ?

Pour terminer il rappelle que les discours c’est organisé par le phallus. Dans le nœud borroméen il y a une subversion de tous les savoirs, de tous les pouvoirs.

Et il conclue :

Voilà, voilà, voilà !!!

Mireille LACANAL-CARLIER

                                                                            Mars  2014

Séminaire Le sinthome : Leçon II du 9 décembre 1975 : Travail de Cartel par Sylvie Liotard avec Odile Boccard, Elisabeth Fradet, Astrid Ha et Frank Salvan

Frank nous a suggéré ce début très intéressant : « De retour des Etats-Unis, où il a passé 15jours, Lacan reprend ses considérations sur le nœud borroméen et cette leçon est pour lui l’occasion d’insister sur le rôle du 4ème rond. Le nœud rosace du tout début de la leçon, est bien là pour illustrer l’intérêt qu’il va porter au nouage du nœud borroméen par le 4ème rond ».

Cela nous ramène effectivement à ce que Lacan nous dit à la fin de la leçon, sous une forme interrogative en parlant de Joyce : « ….ce 4ème terme, celui à propos de quoi, aujourd’hui, j’ai voulu simplement vous montrer qu’il est essentiel au nœud borroméen lui-même ? ».

Après avoir terminé de lire cette leçon, je me suis dit : « Mais où nous a-t-il dit que c’est essentiel ? », ceci m’a fait reprendre ma lecture, d’autres personnes dans le cartel ont eu ce même sentiment.

 

Nous avons donc suivi la leçon pas à pas, comme nous le dit Lacan concernant le nœud borroméen ou la fonction du nœud, il nous dit cela : « C’est en effet pas par hasard, n’est-ce pas, c’est peu à peu que vous avez vu… que vous avez pu voir, c’est à dire entendre, pas à pas, comment j’en suis venu à exprimer par la fonction du nœud ce que j’avais d’abord avancé comme, disons, triplice du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel » p.34.

On dirait que Lacan nous suggère qu’avec le nœud borroméen, pour en saisir quelque chose, il faudrait voir, entendre et manipuler par le mouvement du pas à pas.

Ne pas aller trop vite, c’est également ce que Charles Melman nous suggère en nous proposant de revenir cette année sur les séminaires des « Non-dupes errent » et « RSI ».

 

Avec nos difficultés, nos hésitations et nos divergences, petit à petit, ce que nous pouvions en dire a pris forme, ce qui ne serait peut-être pas identique à un autre moment, dans un autre contexte.

Tout ceci me semble en relation avec ce que nous dit Lacan concernant son cheminement avec le nœud borroméen dans cette leçon.

Il nous dit ceci : « Il est très difficile de penser au nœud », un peu plus loin il reprend : « Le nœud borroméen est constitué par une géométrie qu’on peut bien dire interdite à l’imaginaire », il poursuit  « qui ne s’imagine qu’à travers toutes sortes de résistances, voire de difficultés », ceci donnant sa substance au nœud. On peut remarquer la forme négative devant « s’imagine ».

Il nous dit également que « le désir de connaître rencontre des obstacles », ce qui peut être mis en lien avec le Réel et la science qu’il évoque plus loin. Il termine dans cette leçon sur le registre de la difficulté de penser le nœud par : « C’est pour incarner cet obstacle que j’ai inventé le nœud, et que au nœud il faut se rompre ».

La première définition de se rompre est « se casser, se briser », on trouve ensuite « s’accoutumer à », dans le « il faut se rompre », nous pouvons entendre  toute la difficulté du nœud borroméen. Dans la même leçon Lacan nous dit que le nœud sert à nous repérer.

 

Dans son texte : « La Dentellière » du 19/06/2012, sur le site de l’ALI, Marc Darmon débute son texte par un extrait d’un texte de Descartes que Lacan citait et qui est celui-ci : « Il ne faut pas s’occuper tout de suite des choses difficiles et ardues, mais qu’il faut approfondir tout d’abord les arts les moins importants et les plus simples……ceux des femmes qui brodent ou font de la dentelle…..tous ces arts exercent admirablement l’esprit pourvu que nous ne les apprenions pas des autres mais que nous les découvrions par nous mêmes….. ».

Ce court extrait, aborde l’importance de pouvoir manipuler, en commençant par le plus simple et en découvrant par soi-même. Il permet également de faire une transition avec la suite du texte de Marc Darmon sur notre difficulté à manipuler les ronds de ficelle pour faire les nœuds, il parle même de « répugnance », peut-être due au fait, d’après ce que nous dit Lacan dans RSI, que le nœud borroméen serait du côté du refoulé primordial lui-même.

 

D’après Darmon le concept donne une image rassurante d’un cercle qui contient, nous pourrions dire du côté de l’Imaginaire, avec les ronds de ficelle les cercles sont évidés  et donc de cette façon, il faut faire avec ce qui leur ex-siste, ce qui se tient au dehors, peut-on dire du côté du Réel ?

 

Il nous invite ensuite à faire un nœud à 4, mais avant, nous allons revenir sur le nœud borroméen à 3, en s’appuyant sur la partie du livre de Jeanne Granon Lafont « La topologie ordinaire de Jacques Lacan » concernant les nœuds borroméens.

Le nœud borroméen est une certaine façon de nouer des brins de ficelle et dès qu’il y a plusieurs ficelles, on peut parler de chaîne, ce qui est important pour le nœud à 4.

Le nœud borroméen désigne en fait une chaîne borroméenne et bien sûr, une chaîne borroméenne est telle que si l’on coupe un rond, n’importe lequel, tout se sépare.

 

Avec la chaîne, nous voyons une certaine linéarité du nœud et la possibilité de multiplier le brin central en forme de croissant, ce qui permet de passer au nœud à 4. Lacan utilise le plus souvent la représentation permettant de voir dans le tracé « la fonction identique de chacun des ronds ». Le compte commence à 3, le nœud borroméen apporte la nécessité du 3.

Les 3 ronds jouent chacun le même rôle, 2 ronds sont posés l’un sur l’autre et le 3ème vient les lier ensemble, ce qui permet de voir les intersections et les coincements. L’écriture du nœud à 3 montre l’homogénéité des 3 consistances du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Dans le nouage, ils ont la même fonction, ils sont de « communes mesures ». Dans le nœud à 4, il y a toujours apparition de sous-groupes 2 à 2.

 

Pour revenir à l’invitation de Marc Darmon de fabriquer un nœud à 4, j’en ai effectivement fabriqué un, peut-être pour me sortir de l’imaginaire du nœud, en effet, sur le papier, je ne voyais pas comment en coupant l’un des ronds, les autres se détacheraient (voir figure p.34).

Avec la manipulation des ronds de ficelle, il me semble avoir avancé dans ce que peut représenter un nœud à 4. J’ai pu ainsi visualiser où se situent les faux-trous, notion qui jusque-là m’était totalement abstraite.

Dans un nœud à 4, il y a 2 faux-trous et les ronds sont solidaires 2 à 2. Marc Darmon nous dit que le milieu est composé du 3ème et du 4ème rond, faisant faux-trou et venant lier le 1er et le 2ème. Un faux-trou est le trou situé entre les deux consistances pliées en demi-oreille.

 

La manipulation permet également de s’apercevoir que le nœud à 4 introduit un certain ordre, il n’y a plus d’indifférenciation des ronds comme avec le nœud à 3 puisque le 4ème rond vient s’accrocher à un particulier.

Il faut noter l’importance de ce « un particulier » pour la question de la nomination. Je cite Marc Darmon pour passer de 3 à 4, en introduisant la nomination comme 4ème terme : « Il faut le nombre 3 pour que ça tienne, mais aller dire là-dedans lequel est le réel….., lequel fait nœud…..Il semble qu’avec le 4ème une distinction s’introduise : le Nom-du-Père avec le 4ème comme nomination, Lacan nous dit que c’est la seule chose dont nous soyons sûrs que ça fasse trou ; mais il n’est pas obligé que ce soit au trou du symbolique que soit conjointe la nomination ». A la fin  de la leçon, nous reviendrons sur le 4ème terme et la nomination.

 

Ce 4ème terme resterait noué à l’une des consistances, par exemple R et S noués par le quatrième et le I. De cette configuration nous dit Marc Darmon, Lacan parle de nomination imaginaire qui serait le faux trou, c’est une nomination qui ferait faux trou avec les trous du corps, si l’on peut dire.

Cette nomination imaginaire reste liée au rond imaginaire, il y a donc une distinction des ronds par rapport au nœud à trois.

Marc Darmon en déduit que l’on pourrait penser de la même manière à une nomination symbolique, entre réel et imaginaire, liée au rond du symbolique et une nomination réelle, entre imaginaire et symbolique, liée au rond du réel.

 

Lacan, dans sa relecture de Inhibition, Symptôme et Angoisse de Freud, dans le séminaire R.S.I, rapporte l’inhibition à la nomination imaginaire, le symptôme à la nomination symbolique et l’angoisse à la nomination réelle.

 

Colette Soler, dans son livre L’aventure littéraire ou la psychose inspirée, nous dit que pour Joyce, le quatrième rond aurait permis de faire tenir le nœud de façon borroméenne.

Ce serait par la publication de ses livres que Joyce parviendrait à la nomination symbolique.

 

Patrick Guyomard, lors des journées du séminaire d’été sur RSI, nous a dit que la question de la  nomination, c’est de « se faire un nom », c’est avec la question de la nomination que le nœud à 4 s’imposait et que Joyce, dans son œuvre, se fabriquait du père. Ceci introduisait le séminaire sur le Sinthome.

 

Dans la suite de la leçon, Lacan passe, a priori sans transition, à la problématique de l’initiation en psychanalyse, il nous dit «  qu’il n’y a pas à proprement parler d’initiation ». Si l’initiation suppose un savoir défini à transmettre, la psychanalyse, elle, transforme sur la base d’un savoir supposé avec l’ambiguïté que souligne Lacan d’un sujet non seulement double, mais divisé.

 

Dans la dernière leçon de RSI, du 13 Mai 1975, Lacan écrit : « Je n’y suis, moi, que pour peu de choses, étant déterminé comme sujet par l’inconscient, ou bien, par la pratique, une pratique qui implique l’inconscient comme supposé. Est-ce à dire, que comme tout supposé, il soit imaginaire ? C’est le sens même du mot sujet, supposé comme imaginaire. »

 

Colette Soler dans une émission de France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, intitulée « le réel est-il supportable ? », nous dit : « qu’il n’y a qu’une façon pour la psychanalyse de se transmettre, c’est qu’il y ait des analystes ».

Tout ce qui est théorie bien sûr est capital, tout ce qui est de l’enseignement, l’étude de la clinique, est essentiel, aucun analyste ne s’avance dans la psychanalyse seulement avec son analyse. Mais, c’est par son analyse qu’il est supposé avoir été transformé comme sujet de telle sorte qu’il puisse assumer la tâche analytique.

On ne peut pas dire que cela se transmette de l’un à l’autre, ça se perpétue, par le fait qu’il y ait des analystes qui continuent : il y a de l’un, de l’un, de l’un…

 

Lacan dans RSI, leçon du 18 février 1975, nous dit que la pratique du nœud s’apparente à la pratique analytique.

Je le cite : « Il n’y a pas à ma connaissance, quoi que ce soit, sauf à apprendre à le constituer et à l’apprendre par la tresse, ce qui assurément n’est pas à proprement parler une façon mentale de résoudre la question… »

A la suite, toujours dans RSI, Lacan évoque le fait qu’il y aurait une relation entre l’expérience analytique et le nœud, est-ce dans son « il faut en user bêtement », ne pas être dans le savoir mais dans un décryptage.

Nous voyons courir dans cette leçon 2 du Sinthome, une intrication entre la pratique analytique et le nœud borroméen.

 

La parution contemporaine d’un ouvrage d’Erich Fromm intitulé La mission Sigmund Freud, va être l’occasion pour Lacan de revenir sur ce qu’il entend par vérité.

Il résume ainsi les propos de l’auteur « en quoi donc, si j’ai bien lu, Freud, un bourgeois, et un bourgeois bourré de préjugés, a-t-il atteint quelque chose qui fait la valeur propre de son dire, et qui n’est certes pas rien, qui est la visée de dire, sur l’Homme, la vérité ? ».

Lacan souhaite y apporter cette correction : la vérité dont la quête est l’objet ne peut que se mi-dire.

 

Toujours dans l’émission de France Culture, Colette Soler nous donne comme point de vue concernant la vérité ceci : «  Au début, Lacan valorise beaucoup la vérité. Puis il en est venu, à la dévaloriser. A dire, la vérité est trompeuse, c’est un mirage. De toute façon, elle ment. Pourquoi, il la dévalorise ? Parce que d’une part elle ment, -avec les mots on n’arrive pas à rejoindre le réel- (c’est ça son mensonge), mais en plus, elle n’est jamais que mi-dite ».

Comme il le dit, au début de Télévision en mars 74, les mots manquent. Le début du texte Télévision est celui-ci : « Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est impossible, matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. »

 

Dans « L’envers de la psychanalyse » p.71, Lacan nous dit que la vérité n’est pas d’accès facile, comme certains oiseaux, quand il était petit, on lui disait qu’il fallait leur mettre du sel sur la queue pour les attraper.

Il évoque également son premier livre de lecture, qui  s’intitulait « Histoire d’une moitié de poulet », qui n’est pas plus simple à attraper quand il faut lui mettre du sel sur la queue. Il fait le rapprochement avec son enseignement qui pourrait s’intituler « Histoire d’une moitié de sujet ».

Sur l’image, le poulet était du bon côté. Il écrit : « on ne voyait pas l’autre, la coupe, celle où elle était probablement, puisqu’on voyait sur sa face droite : sans cœur, mais pas sans foie, dans les deux sens du terme. »

 

Il en conclut que la vérité est cachée, mais qu’elle n’est peut-être qu’absence. Freud montre par  le mot d’esprit, le mot sans queue ni tête, l’importance du non-sens. Lacan reprend que la vérité s’envole quand on ne veut plus la saisir, il écrit : « d’ailleurs puisqu’elle n’avait pas de queue, comment auriez-vous pu ? ».

 

Concernant la vérité et le savoir, dans un texte de Slavoj Zizek sur « Désir : pulsions= Vérité : savoir » dans le livre « La subjectivité à venir », l’auteur fait un rapprochement entre vérité, désir et interprétation, alors que le savoir serait du côté de la pulsion et de la construction mentale. Si l’on prend le sujet supposé d’un savoir inconscient et divisé, qui ne peut que mi-dire sa vérité, nous pourrions faire l’hypothèse que la vérité ne s’approche que par l’interprétation et l’émergence du sujet de l’inconscient et du désir.

En considérant également le nœud borroméen à 3 mis à plat, on remarque que Lacan place l’inconscient du côté du symbolique mais aussi pour une petite part du côté du réel et de l’imaginaire (schéma dans RSI p.25).

Peut-on ainsi penser que cette vérité ne pourrait que se mi-dire par le fait qu’elle ne peut s’approcher du Réel qui n’est pas pensable ? Une partie de la vérité fait partie du Réel.

 

 

Quatre points, dans la leçon 2 du séminaire de Lacan, nous ont interrogés et vont dans le travail de Sylvie, permettre un éclairage plus clinique.

   Sylvie vous a parlé de l’initiation  de la psychanalyse, que Lacan évoque p.35 du Sinthome et des problèmes que cela soulève, et Lacan continue, dans l’analyse : « tout sujet y livre ceci qu’il est toujours et n’est jamais qu’une supposition ».

 

  Nous avons cherché dans le Littré la définition du mot supposition: « Hypothèse de l’esprit, un point géométrique est une supposition, une conjecture de l’esprit ».

 Cette définition s’adapte parfaitement à la théorie lacanienne du sujet supposé savoir, qui est la position dans laquelle l’analysant met l’analyste dans le transfert, mais aussi s’applique à l’analyste qui suppose lui aussi un sujet qui doit advenir.

 

La définition du sujet,  qui a évolué au cours des années  chez Lacan, a toujours été mise au travail dans tous ses séminaires. On peut citer le dictionnaire  de la Psychanalyse de l’ALI, dans la partie étymologie, le sujet est le sujet du  désir que Freud a découvert dans l’inconscient, c’est un effet de l’immersion de l’homme dans le langage, il ex -siste ce sujet, au prix d’une perte, la castration.

       Lacan, dans la suite de la phrase commentée, écrit : « Je veux dire que le sujet comme tel  est toujours,  non pas seulement double,  mais divisé. Il s’agit de rendre compte de ce qui, de cette division, fait le réel ». Cela m’évoque le langage  et  la castration, nous ne pouvons jamais dire ce que nous voulons dire, nous sommes pris dans un réseau langagier qui ordonne et sociabilise, mais en même temps nous fait perdre sans cesse quelque chose,  que nous ne pouvons  jamais dire et quand nous parlons  nous disons  autre chose  que ce que nous croyons. Dire le réel ne peut être symbolisé dans la parole.

 

Je voudrais raccrocher ceci, à ce que dit Mr Melman dans sa conférence sur le Réel. Je le mets volontiers à la discussion critique. Ces éléments « discrets » qui  tombent dans le réel,  sont pris dans une  combinatoire.  Je peux écrire a b c mais pas a c b  dans une langue donnée et donc certains chutent dans le réel. Ces déchets de lettre ne pourraient- ils pas former la  lalangue, à travers le prisme de l’Autre ?

 

    Au  paragraphe  suivant, Lacan parle du livre d’ Erich Fromm, qu’il nomme  « la psychanalyse appréhendée à travers son père »,  en travaillant sur le père réel nous citerons dans le séminaire sur «  la relation d’objet »  page 220 : « le père  réel dont l’enfant n’ a jamais qu’une appréhension très difficile en raison de l’interposition des fantasmes  et de la nécessité de la relation symbolique…s’ il y a une chose qui  est au fondement de notre expérience analytique,  c’est bien que nous avons énormément de peine à appréhender ce qu’il y a de plus réel autour de nous,  c’est à dire les êtres humains. »

Cette citation de Lacan,  nous permet de saisir d’une autre manière, qu’il n’y a pas d’initiation de la psychanalyse  puisqu’il n’y a que de l’un, ce qui rejoint ce que disait Freud « chaque histoire est singulière ».

 

Dans notre cartel, Astrid se rappelait avoir écouté une émission de radio où Michel Onfray  parlait de son livre sur Freud, il ne cessait de citer Fromm. Il prenait la biographie de Freud et en sortait  une psycho- analyse, il cherchait  le sens, tel fait entraîne tel caractère, il était dans une explication  de l’œuvre par la biographie.  Je me  sers de ce que dit  Colette  Soler,  dans « L’aventure littéraire ou  la psychose inspirée » où elle met en avant que  Lacan s’est efforcé de montrer,  que nous pouvons apprendre,  aussi bien de l’œuvre que de l’auteur,  de sa personne ou de sa vie,  mais sans pouvoir déduire l’une de l’autre. La psycho- biographie est possible mais elle n’explique pas l’œuvre.

Rien,  ni personne ne peut expliquer pourquoi Lacan est Lacan et Joyce est Joyce.  Les trois dimensions lacaniennes et le quatrième rond,  peuvent- ils nous permettre de saisir quelque chose du sujet dans ce nouage?

 

     Une amie magistrate,  me disait combien l’explication psychologique,  dont certains se servent pour expliquer la délinquance, est un  effet pernicieux  de la vulgarisation de la psychanalyse. De plus, depuis  Freud,  nous savons qu’un enfant qui a subi des violences, ne devient pas obligatoirement un délinquant mais qu’un délinquant  a souvent  subi des violences dans sa jeunesse.  L’après- coup est une des grandes découvertes de Freud.

 

 Nous reprenons le texte de la leçon 2. Lacan parle de son voyage aux Etats Unis et raconte qu’il a été « soufflé » par sa rencontre avec Chomsky. J’ai écouté une émission de radio sur France Culture,  où un linguiste parlait de Chomsky, il nous apprenait  que Chomsky avait une formation de mathématicien  et travaillait pour la CIA. Pour lui,  le langage  et la biologie sont des sciences à rapprocher et le chiffrage de l’ADN pouvait faire lien. On  ne peut pas ne pas penser à l’écriture de la lettre dans l’inconscient,  mais le rapprochement s’arrête là. Pour Chomsky il n’y a pas de sujet, cela fait penser à l’homme neuronal de Changeux,  qui avait fait grand bruit,  il y a quelques années. Dans un autre séminaire  Mr H parlait de l’impossibilité de discuter entre neurologue et psychanalyste  au sujet du schéma corporel,  pour les uns et de l’image du corps propre pour les autres.  Ce sont deux représentations différentes d’un même sujet (ce paragraphe mériterait un approfondissement, il est réducteur par rapport au travail de Chomsky).

 

A propos de ce qu’écrit Lacan p.39 : « le langage mange le réel », Colette Soler, dans l’émission  de radio déjà citée, dit que dès qu’ il y a émission d’un signifiant, il y a évidage du réel; c’est ainsi que l’on peut dire, que la découverte de l’ADN a permis à la médecine de faire de grands progrès . Par  exemple, la police scientifique a fait une grande avancée grâce à la recherche de l’ADN,  qui permet d’élucider des crimes,  mais on sait aussi que le réel se referme toujours sur une nouvelle opacité.

 

  Page 44,  Lacan écrit le mot pense et panse, cela nous a fait repenser à l’ émission  de  Colette Soler, où elle  disait que  les mots  font « mouche »  sur le corps, le tout petit apprend les mots à travers le discours de l’Autre pendant le nourrissage et les soins corporels, il les enregistre aussi  avec le discours  fait autour de son corps, de son sexe…

Nous pensons aussi à ce que dit Mr Melman au cours de sa conférence, quand il parle  de la pensée du névrosé obsessionnel ou hystérique (de mémoire : « il pense avec sa tête,  l’obsessionnel ? Non et l’hystérique ? Non ». Nous attendons la suite avec impatience.

 

Pour terminer, un cas clinique. Une analysante,  qui a perdu ses parents jeunes,  vers  20 ans, commence à pouvoir évoquer des souvenirs heureux que la famille a connu,  en évoquant  l’ un d’ eux , un pique nique dont elle avait pu  regarder la photo  en pleurant mais heureuse elle dit: « j’aurais aimé  manger cette photo pour les mettre à l’abri »,  je précise que cette analysante n’est pas psychotique. 

 

              E F

 

 

 

 

Dans la dernière leçon du 13/05/75 du séminaire RSI, Lacan nous dit que : » Le Réel tient dans ces termes que j’ai déjà fomentés du nom d’ek-sistence, de consistance et de trou, de faire de l’ek-sistence écrite comme je l’écris, à savoir ce qui joue jusqu’à une certaine limite dans le nœud, cela supporte le Réel. Ce qui fait consistance est de l’ordre Imaginaire comme le suppose ceci qui nous est vraiment tangible que s’il y a quelque chose de quoi relève la rupture, c’est bien la consistance, à lui donner le sens le plus réduit. Il reste alors, mais reste-t-il ? Pour le Symbolique l’affectation du terme trou… ».

Dans la leçon 2, il amène ces notions de consistance, de trou et d’ek-sistence du côté de la triplicité du nœud et de son rôle fondamental. Il écrit ainsi :  « la triplicité qui résulte d’une consistance qui n’est affectée que de l’Imaginaire, d’un trou comme fondamental qui ressortit au Symbolique, et, d’autre part, d’une ek-sistence qui, elle, appartient au Réel ».

 

Jeanne Granon-Lafont dans « La topologie ordinaire de Jacques Lacan » part du fait qu’il faudrait définir les relations entre les 3 ronds (Réel, Symbolique, Imaginaire) par l’existence, le trou et la consistance. En fait, ces 3 ronds ont une consistance (la corde), une ek-sistence ( ce qui se tient au dehors), et un trou ( ce qui vient faire bord), donc pour chaque rond, comme pour le nœud borroméen, il y a triplicité de la consistance, du trou et de l’ek-sistence, est-ce là la commune mesure ?

La consistance est du côté de l’imaginaire et l’imaginaire renvoie au corps, à la problématique de l’image dans le miroir. Lacan a montré la fonction structurante, pour le sujet, de la découverte de l’image de son corps dans le miroir. Jeanne Granon-Lafont nous dit, je la cite : «  Image d’un petit autre auquel l’enfant s’identifie dans une précipitation qui signe son entrée dans le symbolique. Il s’agit d’un nouage de 3 registres ».

 

Nous avons réfléchi à ce nouage, au moment du stade du miroir, et nous avons pensé que le Réel pourrait être ce qui est avant que l’enfant que l’enfant se reconnaisse dans le miroir, l’Imaginaire serait l’image de l’enfant dans le miroir et le Symbolique la nomination par l’Autre maternel avec un grand A, de cette image dans le miroir : « oui, là, c’est toi, Pédro mon fils ». Par le nouage, dans cette image, Jeanne Granon-Lafon nous dit que « l’enfant reconnaît l’objet du désir de sa mère. Il s’y identifie, il s’en habille et, par ce moyen, se met à consister le trou symbolique, auquel équivaut le manque que présentifie le regard de la mère ».

 

En conclusion, nous nous rapportons à la dernière interrogation de Lacan pour  cette leçon 2. Il nous dit ceci : « Comment un art peut-il viser, de façon expressément divinatoire, à substantialiser dans sa consistance, sa consistance comme telle, mais aussi bien son ex-sistence, et aussi bien ce troisième terme, qui est le trou…. ce quatrième terme, celui à propos de quoi, aujourd’hui, j’ai voulu simplement vous montrer qu’il est essentiel au nœud borroméen lui-même ? ».

Comme je j’ai dit au début de l’exposé de notre travail, le fait qu’il nous dise comme ça, tout simplement à la fin qu’il a voulu nous montrer dans cette leçon, que ce quatrième est essentiel au nœud borroméen lui-même, nous laisse toujours dans cette interrogation par rapport au nœud à trois.

 

Claire Duguet dans un texte s’intitulant « Quelques notes sur le père dans RSI et le Sinthome », nous dit que dans RSI, Lacan aborde la question de la nécessité d’un quatrième terme qui pourrait représenter les Nom-du-Père en s’appuyant sur la théorie freudienne où la réalité psychique et le complexe d’Œdipe représente le quatrième terme. L’interdit représente le trou dans le symbolique car le symbolique est nécessaire pour qu’il y ait du Nom-du-Père. Le trou dans le symbolique est le trou du refoulé originaire, celui du réel de la castration.

A partir de son travail sur Joyce, Lacan pense le quatrième rond impliqué dans le nœud borroméen. La topologie des nœuds est telle, qu’il faut un quatrième rond pour distinguer les trois autres.

Dans le Sinthome, la fonction des Nom-du-Père devient nommante et Joyce permet de saisir, que si les trois registres ne sont pas noués, il est possible, si la personne se fait un nom aux yeux d’un public, que cet «événement de nomination » fasse acte de filiation.

 

Pour terminer, elle nous dit que pour Lacan, le nœud est une représentation de l’inconscient, c’est à dire, et elle le cite « nous sommes dedans, nous y sommes pris ».

MALAISE DANS LE TRAVAIL Ou d’une maltraitance ordinaire généralisée par Ghislaine Chagourin

Que nous vaut le développement récent de notions telles que le « burn out » (épuisement professionnel) ou le « harcèlement moral » ? Elles semblent en tout cas faire signe d’une évolution de la souffrance au travail.  Mais quelles sont les coordonnées structurales de cette souffrance et ces notions suffisent-elles à en rendre compte ? C’est ce que je vous propose de mettre ensemble au travail cette année.

 

Si on s’en tient à ce qui s’entend sur le divan à propos du monde du travail ou à ce qui se dit dans le cadre de la formation continue de divers personnels des secteurs privé ou public et notamment des soignants, on retiendra que depuis quelques années déjà, semble croître un sentiment de maltraitance et une grande souffrance sur les lieux de travail qu’il s’agisse d’institutions publiques ou d’entreprises privées. Sans parler des vagues de suicides à France Télécom  – ou ailleurs – qui sont médiatisés et récupérées à outrance – mais qui font toutefois question – partons de ces propos entendus à l’hôpital: « je ne sais pas comment je fais pour tenir, je n’en peux plus, ce n’est pas le travail qui est pénible, c’est la façon dont on nous demande de le faire et la façon dont on nous traite : on nous traite comme de la merde ! » ou encore « quand je suis entré à l’hôpital, j’étais fier de mon travail et de dire où je travaillais, à présent, je n’ai plus l’impression d’exercer mon métier, on est plus dans l’humain mais dans l’efficacité, je reste parce que je ne peux pas faire autrement mais j’ai du mal à me lever le matin et ce que je redoute le plus c’est d’avoir à être hospitalisé ou à faire hospitaliser quelqu’un de ma famille ». Plaintes qui mettent en avant un sentiment d’épuisement et de grande démotivation. Ces plaintes-essoufflement ne sont pas à entendre comme des revendications hystériques, on y entend l’éminence d’un écroulement subjectif, l’identification mortifère à un déchet et la panne du désir. En tout cas, elles indiquent sans doute que la souffrance endurée au travail a changé de nature et n’est plus d’ordre majoritairement physique comme dans les siècles passés mais plus d’ordre psychique et touchant à  la subjectivité.

 

Comment faire la part des choses ? Car il s’agit de ne pas confondre la dimension de souffrance inhérente au travail et une dimension de souffrance en excès due par exemple à des conditions de travail ou à des modalités de management abusives, mais de quelle nature sont ces abus ? Dans La perversion ordinaire, J.P. Lebrun rappelle que le travail est un des destins les plus sociaux de la pulsion et qu’il existe une dimension de « torture » inhérente au travail puisque le travail est un mode habituel de sublimation et que comme toute sublimation, il exige obligatoirement un renoncement pulsionnel. Mais s’agit-il encore de ce type de souffrance ? Depuis 2002, dans l’Homme sans gravité, Ch. Melman parle de l’émergence d’une Nouvelle Economie Psychique qu’il définit ainsi : « La NEP , c’est l’idéologie de l’économie de marché », il précise que dans cette économie psychique, le sujet n’est plus divisé car le lieu de l’instance phallique a été vidé, il y a en quelque sorte « forclusion du grand Autre ». En 2009 dans La Nouvelle Economie Psychique il parle du développement d’une certaine misère psychique en ces termes : « lorsque le progrès ne vient s’inscrire que dans le chiffre de la production des biens, nous pouvons apprécier que la misère sociale diminue, mais nous pouvons craindre que la misère psychique ne fasse que s’aggraver ». Il rappelle que Lacan disait que ceux que le travail rend serfs, ne sont pas serfs du maître, mais de la jouissance. Ces abus concerneraient-ils la jouissance ? Mais alors il y aurait un lien avec la perversion? En 2007, JP. Lebrun avançait que nous allons vers la généralisation d’une perversion ordinaire – d’où ma référence à une maltraitance généralisée. Je le cite «tout se passe comme si le double discours actuel du social, proposant de jouir sans entrave de la société de consommation tout en sachant en même temps très bien que la limite de la jouissance est toujours nécessaire, invitait d’emblée le sujet à la loucherie » càd au déni ou au démenti qui est aussi le mécanisme à l’œuvre dans la perversion. D’où d’ailleurs une difficulté à subjectiver car la subjectivation nécessite une perte de jouissance. Sur la question de la perversion, J.P. Lebrun rejoint Ch. Melman quand il dit que « notre culture promeut plutôt la perversion » et que celle ci devient une norme sociale. Je cite Ch. Melman dans L’Homme sans gravité : « elle (la perversion) est aujourd’hui au principe des relations sociales, à travers la façon de se servir du partenaire comme d’un objet que l’on jette dès qu’on l’estime insuffisant. La société va inévitablement être amenée à traiter ses membres de la sorte, non seulement dans le cadre des relations de travail, mais en toutes circonstances ». Si cela a évolué dans ce sens c’est qu’avec l’économie libérale, nous sommes tous devenus dépendants d’objets réels comme le pervers organise sa jouissance autour de la saisie de l’objet et de sa présence-absence. Du coup l’objet est aujourd’hui dans le champ de la réalité et nous entretenons une nouvelle relation à l’objet  qui ne vaut que tant que son être est source de bénéfices. Il semblerait donc que la souffrance au travail ne soit plus liée à la perte de jouissance inhérente au renoncement pulsionnel qu’il induisait jadis mais bien plutôt à notre rapport vicié à la jouissance et à ce qu’il détermine dans nos relations aux autres.

 

Avant d’aller plus loin, une remarque. Je sais que ce thème de réflexion n’est pas ordinaire pour la psychanalyse et qu’il n’est pas courant qu’elle se saisisse des problèmes de la Cité ou plus exactement ici, d’un problème ayant trait à la vie collective, à la vie professionnelle. Tant il est vrai qu’il est ordinaire de penser que la psychanalyse doit se cantonner à la sphère individuelle et thérapeutique et s’exclure du champ social et collectif. C’est oublier que Freud s’est intéressé à la vie collective, dès son ouvrage, écrit en 1921 : « Psychologie collective et analyse du moi » dans lequel il analyse, entre autres, les processus d’identification à l’idéal du moi qui rendent compte de la façon dont Hitler a pu regrouper les foules autour de lui et qui lui a permis de mener à bout un action dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle s’est révélée une forme aboutie de ce que je qualifierai « d’acharcèlement » à l’égard de diverses populations – dont les juifs plus particulièrement – visant à la destruction scientifique de petits autres par d’autres petits autres dans un élan massif de désubjectivation collective. Donc danger de l’identification communautariste à un chef ou à une figure paternelle, à  partir d’un trait. Qu’en est-il aujourd’hui de cette modalité communautariste de rassemblement ?  C. Melman semble dire qu’elle se développe avec la NEP mais sous une autre forme, celle qui consiste à faire des groupes de semblables qui rejettent le dissemblable, où la dimension de l’étranger remplace celle d’altérité, débouchant sur une société de « frères » avec une identification purement imaginaire des membres entre eux, dont la violence et les actions ne connaissent pas de limites (groupes de supporters par exemple). Ce vœu d’égalité cela revient à nous débarrasser du désir car celui ci ne peut advenir que de ce que l’autre semble posséder l’objet qui a l’air de le satisfaire et que je ne possède pas. Donc un passage du chef-père au frère qui dénature le lien social car il bannit l’altérité et la question du désir. Avec l’idéologie de l’économie libérale nous ne sommes plus dépendants d’un chef mais d’objets, car il s’agit d’avoir tous accès à l’objet de jouissance de manière égalitaire et ce sans entrave et sans limites. Dans La Nouvelle Economie Psychique, Ch. Melman dit « le nouveau chef qui nous commande, c’est l’objet, c’est la satisfaction, c’est la jouissance ». Avec pour conséquence que de nos jours, l’intervention d’un chef est vécue de façon paranoïaque – ce que nous aurons à interroger dans ses conséquences – et que nous assistons à une promotion sociale de l’objet a.  Cet objet est de plus en plus présent dans le monde des représentations.  Ce qui, nous dit Ch. Melman, change notre rapport à la question de la vie : celle ci devient une valeur marchande aussi (càd que  ma valeur est liée à celle que les autres m’accordent). Ce qui, on s’en doute, risque de ne pas être sans effet sur la façon dont nous serons soignés. Cela s’entend à travers l’incompréhension croissante des personnels face à ce qui est qualifié d’acharnement thérapeutique vis à vis des personnes âgées sans qu’il y ait toujours discernement entre ce qui relève d’un soin palliatif ou d’un acharnement (qui existe aussi). Il faut dire que nous manquons de repérage structural. L’idée d’un coût trop élevé payé par la société est souvent avancée concernant ces prises en charge. A côté de cela, dans notre social, la préservation de la vie ne fait plus limite à toute une série de jouissances (cigarettes et autres addictions, obésité, anorexie, conduites à risque etc…). Ch. Melman souligne que nous sommes dans un monde où « le respect de la vie, que ce soit la sienne ou celle du prochain, ne constitue plus une valeur ».

 

En 1929, dans « malaise dans la civilisation », Freud avait décrit le travail (intellectuel ou ordinaire) comme l’une des voies possibles de la pulsion, comme une sublimation, càd comme ce qu’il y a de plus socialisant, car il déplace les buts pulsionnels mais il dit aussi que l’intérêt de la communauté de travail n’assure pas à lui seul la cohésion de la société car les passions pulsionnelles sont plus fortes que les intérêts rationnels. Il précise aussi que la civilisation est édifiée sur du renoncement pulsionnel car la vie en commun suppose une restriction de la liberté individuelle, il dit aussi que la conscience morale est la conséquence du renoncement pulsionnel. Comme on l’a dit, aujourd’hui, plus de renoncement pulsionnel et la perversion ordinaire en guise de conscience morale.

 

A la suite de Freud, J. Lacan aussi s’est intéressé au collectif au point de dire que « l’inconscient c’est le social ». Il a aussi formalisé les 5 discours qui sous tendaient le lien social : le discours du maître, de l’universitaire, de l’hystérique, du psychanalyste et pour finir, du capitaliste. Lacan écrivait le discours du capitaliste ainsi :

 

$ S2

S1        a

 

C’était un discours du maître perverti. On y repère que c’est un discours qui produit de l’objet.  Il se référait me semble t-il à un capitalisme industriel lié à la production de biens où le travail était une valeur. En est-on encore là aujourd’hui ? Du fait du développement planétaire de l’économie libérale, semble primer un discours du capitaliste qui comme le dit Dany-Robert Dufour, n’est plus référé à l’industriel mais à la finance, càd quelque chose de purement virtuel, acéphale et automatique qui pousse à jouir sans limites pour s’autoentretenir.

 

A la lumière de ce qu’ont avancé CH. Melman et J.P. Lebrun et en m’appuyant aussi sur ce que Dany-Robert Dufour a pu écrire sur ce qu’il a appelé le Divin Marché, je me suis demandée si aujourd’hui on ne pourrait pas écrire ce discours du capitaliste de la façon suivante :

 

a S2

S1      S

 

C’est à dire comme un discours universitaire perverti (relation au savoir pervertie par la science et l’argent et mise au premier plan de l’objet)

Discours dans lequel la vérité c’est l’argent qui est le signifiant  maître du marché où ce qui est produit, c’est un sujet qui n’est plus divisé, qui passe dans les dessous du savoir scientifique, où l’autre est chosifié, objectivé, par le savoir scientifique et où l’agent, c’est l’objet de jouissance. D.R. Dufour parle d’une religion du Marché, celui-ci est ce qui tient lieu de Dieu à l’économie libérale, un tenant lieu de grand Autre qui ne nous divise plus. Dans ce discours et le « lien » social qu’il instaure, le personnel est un « facteur de coût parmi d’autres » comme le dit D.R. Dufour, parce que tout se vend et s’achète. Du coup, comment faire institution aujourd’hui – notamment institution soignante ou d’accueil – qu’en est-il de la prise en compte de la subjectivité dans le lien social actuel et comment ne pas confondre ce qui est désigné comme « harcèlement » et relation perverse généralisée à l’autre ?

 

A l’hôpital, ce sentiment de maltraitance s’entend par les plaintes formulées que j’ai évoquées. Même si cela passe souvent par une plainte autour du salaire, on ne peut les réduire à une simple revendication hystérique. Les personnels se plaignent du manque de moyens et de temps, du poids d’impératifs purement gestionnaires et d’évaluation qui donnent le sentiment de ne plus pouvoir ou de mal faire son travail, de l’absence de dialogue avec la hiérarchie et de son manque de reconnaissance ou de considération et de la précarité de certains statuts. Il est aussi souvent dénoncé une déshumanisation de l’hôpital. Ainsi, comme je l’ai dit, de nombreux membres des personnels hospitaliers redoutent avoir un jour affaire à l’hôpital pour eux mêmes ou pour leur famille et de nombreux autres quittent la fonction publique hospitalière sans que la direction comprenne pourquoi au point d’avoir créé à la DRH une cellule d’écoute du personnel tenue par une cadre soignante !

 

Cette maltraitance a des retentissements sur les patients : plusieurs événements engageant des patients se sont produits dans le service d’urgences pédiatriques dans lequel j’interviens. L’un de ces événements a d’ailleurs justifié la rédaction d’un article intitulé « le sujet en désarroi » qui est paru sur le site de l’ALI en octobre dernier. Article co- écrit avec une pédiatre du service. Cet événement a mis en jeu une adolescente placée en foyer qui avait fait une TS et à qui des infirmières – se croyant autorisées – sans concerter  les médecins, avaient refusé l’accès aux urgences et aux soins en s’appuyant sur des antécédents qui avaient donné lieu à des directives administratives formulées,  relayées et interprétées au pied de la lettre. Une autre série d’événements a abouti à la mise en place d’un protocole « d’accueil » pour un jeune garçon de 9 ans consistant en de la contention physique et chimique quasi d’office suivie d’une orientation en psychiatrie adulte. A l’occasion de ces événement, nombreux ont été ceux et celles qui se sont retrouvés pris dans une logique infernale d’exclusion – du sujet, du transfert, du signifiant, du désir, du singulier et même de l’acte soignant –  à leur insu et sous forme de passages à l’acte et d’acting out en série aux divers échelons de la hiérarchie médicale et administrative et du personnel infirmier et de sécurité. Ces événements se sont avérés tout à fait révélateurs des impasses dans lesquelles sont pris actuellement les patients mais aussi tous les personnels hospitaliers – médical, chirurgical, soignant, paramédical, administratif, de la base à la direction –  qui soit provoquent aussi chez eux un grand désarroi, au sens d’un désordre de leur subjectivité qui va bien au-delà d’un effet de division subjective, soit un renoncement mortifère à toute subjectivité. Comment expliquer cela et s’y retrouver?

 

Tous les services hospitaliers ont récemment été absorbés par la logique de pôles hospitaliers qui regroupent diverses spécialisations médicales ou chirurgicales selon une organisation très scientifique qui respecte en cela le discours médical mais qui se veut une logique bureaucratique et gestionnaire. Comme on le sait, c’est une logique qui affiche un but légitime de meilleure prise en charge de la santé publique. Pour cela elle se veut gestionnaire c’est-à-dire qu’elle obéit à un souci d’efficacité des soins qui sur le plan médical pousse à aller à l’essentiel du « somatique » en visant une résolution rapide de la symptomatologie. Le but économique affiché est de limiter les dépenses publiques, avec un souci de rentabilité de l’acte de santé qui pour cela doit être « évalué »  en quantité. Ce qui pour le personnel a pour conséquences de devoir en faire toujours plus avec moins de temps et de moyens. Afin de mieux comprendre les effets que cela peut avoir dans la façon dont les décisions sont prises concernant les soins, l’accueil des patients et la prise en compte du personnel et de son travail, il convient de s’arrêter un moment sur le type de logique à laquelle nous avons à faire.

 

Lors de journées sur le cognitivo-comportementalisme[1], Charles Melman nous  a rappelé que « nous assistons à une résurgence du biologisme, idéologie qui occupa les esprits scientifiques et populaires de l’Occident durant la première moitié du XXe siècle. Pavlov, Jackson en font partie. Cette théorie avance que les pensées et les conduites sont déterminées chez l’homme comme chez l’animal par les réactions d’un organisme habité par la mémoire de ses expériences[2] », c’est-à-dire obéissant à un schéma stimulus-réponse bipolaire dans lequel le stimulus n’est pas forcément en rapport avec la fonction qu’il déclenche ce qui permet de le conditionner ou de le déconditionner. Le cognitivo-comportementalisme est un héritage du biologisme et se veut une approche pragmatique du monde qui ne relève pas d’un discours qui ferait lien social comme les discours du maître, de l’universitaire, de l’hystérique ou du psychanalyste tels que les a formulé J. Lacan. Ce qui m’a plus particulièrement intéressée lors de ces journées c’est que la dynamique gestionnaire a été rapprochée de la logique cognitivo-comportementale. Sans doute par leur commune affinité avec le discours du capitaliste (dont il nous a été montré comment il venait évacuer celui du  psychanalyste) parce qu’un « acte » (de quel acte s’agit-il ?) est mis en rapport avec sa rentabilité  comme si cela n’avait pas d’effet sur la subjectivité  des patients et du personnel qui s’en occupe…. Force est de constater que ce n’est pas sans effet sur eux car la subjectivité est malmenée, puisque  cette logique procède à un ravalement du signifiant au rang de signe par l’adoption d’une sorte de « novlangue » « langue du contrôle et de la bureaucratie[3] » : on ne parle plus de patients ou de malades ou de soignants mais de protocoles, de gestion des lits et du personnel, de gestion du temps de travail, de file active, ce qui vient renforcer la désubjectivation déjà à l’œuvre du fait du discours médical qui place, là de façon légitime, la pathologie comme signifiant maître. La dimension transférentielle est pareillement niée pour en faire une fonction de service technique. Du coup, tout comme les théories cognitivo-comportementales, la dynamique gestionnaire s’appuie sur les deux signifiants que sont la science (avec la complicité de la médecine et de la chirurgie qui se veulent de plus en plus scientifiques et s’en retrouvent  les dupes de l’affaire)  et l’évaluation. Evaluation des pratiques qui est  ravalée à  une procédure informatisée intitulée RMM pour Revue Morbidité Mortalité. Evaluation des symptômes mais qui sont rabattus sur des troubles notamment du comportement, à des dysfonctionnements  qu’il convient bien sûr de corriger ou de rééduquer et à des déficits auxquels il faudra pallier. Et enfin, évaluation du temps de travail et des résultats mais sur le plan quantitatif et financier bien sûr[4]. Dans notre article, nous avons pu montrer que les patients et le personnel sont de plus en plus pris dans  des enchaînements de schémas stimulus-réponse qui réduisent les sujets à leur comportement et les pousse aux acting out et passages à l’acte y compris suicidaires. : Rappelons avec Marcel Czermak que « l’acting out est une monstration phallique, équivalent psychotique, comme tel ininterprétable (…). Quant au passage à l’acte, il exclut la dimension phallique et réduit le sujet à l’objet a qu’il est devenu »[5].

 

Ces exemples illustrent bien à quel point il est facile dans notre social actuel, et encore plus à l’hôpital où nous avons affaire à des sujets dépendants, déjà désubjectivés par la logique médicale, ce qui est normal, de chosifier les patients, de les traiter comme des objets ou de les réduire à leurs comportements.

 


[1] Journées de l’Association lacanienne internationale, « études théoriques et cliniques du cognitivo-comportementalisme », 12 et 13 juin 2010, Paris

[2] Charles Melman, argument des journées de l’ Association lacanienne internationale, « études théoriques et cliniques du cognitivo-comportementalisme », 12 et 13 juin 2010, Paris

[3] Thierry Florentin, Le cognitivisme, ça sert à faire la guerre, conférence faite lors des journées de l’ Association lacanienne internationale, « études théoriques et cliniques du cognitivo-comportementalisme », 12 et 13 juin 2010, Paris

[4] Christine Gintz, TCC et Classifications internationales : Une convergence de structure ? conférence faite lors des journées de l’ Association lacanienne internationale, « études théoriques et cliniques du cognitivo-comportementalisme », 12 et 13 juin 2010, Paris

[5] Marcel Czermak, Patronymies,considérations cliniques sur les psychoses, Symptôme, acting-out et passage à l’acte, Masson, Paris, 1998, p. 41

 

le continent noir ? Espace du ravage? Le ravage entre mère et fille par Ghislaine Chagourin

 

Dans la suite de la dernière séance au cours de laquelle nous avons parlé de la féminité et de l’amour, je voudrais aujourd’hui revenir sur un point que je n’ai fait qu’aborder succinctement mais qui me paraît essentiel à propos de la féminité. Il s’agit en effet de ce qui se passe entre une mère et sa fille.

La dernière fois, j’avais juste rappelé que chez Freud, le devenir d’une femme passe pour la fillette par le rejet de l’amour pour la mère (et de la mère ?). J’avais rappelé qu’il disait que ce rejet doit s’accompagner d’un refoulement du désir sexuel phallique. Il dit aussi que c’est la haine de ne pas avoir été pourvue de pénis par la mère qui conduit principalement la fillette à rejeter l’amour pour la mère et à renoncer à la sexualité phallique, ce qui emporte la question du statut du corps dans ce rejet. Selon cette articulation, sa capacité à aimer et sa sexualité futures s’appuieront sur la haine d’avoir du renoncer à l’amour et au désir ce qui revient à dire qu’elle a été privée par la mère de la jouissance de celle-ci (ce qui n’est pas pareil qu’être castrée par le père). Freud insiste pour dire que les rapports amoureux et le développement de la sexualité féminine dépendent beaucoup de ce premier attachement à la mère.

Lacan a repris cette version freudienne du premier attachement à la mère et de la haine pour la mère à travers la logique du non rapport sexuel et des formules de la sexuation (pas tout phallique, jouissance phallique et Autre) mais aussi avec le NB. Pour avancer sur cette question, je me suis appuyée sur des citations de Lacan, puis sur 3 textes de femmes : un article de Jessica Choukroun Schenowitz : « Le ravage au féminin : une quasi-structure inscrite dans la logique de l’amour » 1le livre de Marie-Magdeleine Lessana (ex Chatel) : « entre mère et fille : un ravage »2 avec le magnifique exemple clinique que constitue le cas de la marquise de Sévigné et de sa fille la comtesse de Grignan et enfin, le livre de Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich : « Mères-filles, une relation à trois »3Nous n’aurons sans doute pas le temps de tout traiter aujourd’hui et je vous propose de poursuivre sur la séance prochaine (Mme de Sévigné et d’autres situations cliniques de ravage mère fille).

 

 

Concernant Lacan, comme vous le savez, il s’est servi de la logique du non rapport sexuel et des formules de la sexuation pour avancer sur la question du féminin et la sortir de l’imaginaire freudien du pénis rabougri et du continent noir. En 1973, dans « l’Etourdit », il disait que « l’élucubration freudienne du complexe d’oedipe qui fait la femme poisson dans l’eau de ce que la castration soit chez elle de départ (Freud dixit) contraste douloureusement avec le fait du ravage qu’est chez la femme, pour la plupart, le rapport à sa mère d’où elle semble bien attendre comme femme plus de subsistance que de son père, ce qui ne va pas avec lui étant second dans ce ravage ». Ainsis’il n’y a pas de rapport sexuel inscriptible comme tel entre un homme et une femme, il y aurait un rapport entre une femme et sa mère ? Mais alors de quelle nature est-il, concernerait t-il la jouissance, laquelle ? Est-il inscriptible et sous quelle forme puisque les femmes se comptent une par une et ne sont pas toutes ? De quelle subsistance parle Lacan ? Comment s’articulent les questions du phallus de l’amour et de la haine dans ce dit rapport ?

Une façon d’appréhender ces questions c’est de considérer avec JCS que le ravage est une alternative au symptôme (à entendre comme ce qu’une femme peut représenter pour un homme sans doute) et une suppléance au non rapport sexuel au prix d’une désubjectivation, parce que dit-elle :« le ravage est une mise à l’épreuve de l’amour avec la volonté de faire exister l’Autre (un Autre consistant pour le coup) au lieu de s’éprouver soi-même comme Autre ». Le ravage est ainsi toujours affaire d’amour et de haine mais aussi de corps dans sa logique. Voyons comment : JCS à la suite de Lacan avance qu’une femme à travers le pas tout et la jouissance Autre est en proie à l’illimité du hors phallique. Or, l’amour surgit à partir du manque càd hors logique phallique (aimer c’est donner ce que l’on a pas). Ce qui fait que pour aimer, il faut être une femme comme a pu le dire Lacan. JCS dit que « les territoires intérieurs marqués par l’illimitation sont ceux du ravage». Du fait de l’absence d’un trait identificatoire féminin, et à partir de ce trou dans le symbolique, se déploie donc le ravage du fait de ce que S. Lesourd a appelé « le dévoilement de la vacuité de l’Autre ». De ce fait, « L’amour mène au ravage quand il demande encore plus d’identité, encore plus d’être. (…) c’est dans cette logique du non rapport sexuel qu’il convient d’inscrire et d’étudier le ravage. Nourri des passions de l’être, le ravage est lié à l’impossible subjectivation du corps de jouissance de celle qui se dit femme par le langage mais que la logique phallocentrique ne suffit pas à identifier ». La subsistance dont parle Lacan est réclamée dans la demande massive d’une fille à sa mère.

 

Ce qui m’a évoqué le cas de Liliane, 4 ans, (cas supprimé pour raison de confidentialité) le risque qui se profile c’est que Liliane s’empare de l’objet oral pour manifester son désir que la mère n’entend que comme demande et que l’opposition se transforme en prémices d’anorexie qui est le paradigme du ravage mère-fille en vertu de ce que JCS appelle : « la folle demande d’amour à un Autre tout-puissant, de la négation du corps comme substance vivante et de la haine du féminin qu’illustre et qu’opère le sujet anorexique ».

Car, comme le dit JCS, si la mère demeure incastrable – càd si elle est trop prise dans la jouissance Autre, celle qui désubjective – alors le ravage se déploieCe que JCS énonce ainsi : « La mère ravage quand elle ne peut faire l’objet de cette disjonction entre mère et femme». L’enjeu selon JCS est que « devant l’incapacité du symbolique à dire le réel du corps dont le ravage rend compte, il s’agira de réconcilier une femme avec son sexe, quelle que soit son histoire ». Liliane et sa mère ont du travail.

Cette approche du ravage rejoint assez celui de MML qui reprend aussi la citation de Lacan dans L’Etourdit en 1973. A son sens, le mot « ravage » éclaire la difficulté que Freud avait à cerner la féminité au point d’en parler comme d’un continent noir. S’appuyant sur Lacan, elle situe le ravage entre mère et fille dans le champ du pas tout phallique et reprend ce « comme femme » de la citation de l’Etourdit. En effet, qu’est ce qu’une femme « comme femme » attend de sa mère bien plus que de son père si ce n’est de savoir comment habiter son corps ?

Car MML souligne que pour une femme, la question du corps est centrale, qu’il s’agisse d’être mère, épouse ou amante. C’est ce dont se font écho les thèmes traités par les magazines féminins qui sont autant de témoignages « sans cesse relancés sur une énigme qui fait difficulté » et qui ne sont pas à lire comme une tentative de transmission d’un savoir entre femmes. En effet, à mon sens, il faudrait même lire le ravage comme le fait même de l’impossibilité d’une transmission, car c’est dans le corps qu’il s’éprouve, selon une modalité de dénouage qui le rapproche de la folie dans le sens d’un hors phallique. Comme le dit MML : « le ravage est l’épreuve d’une impossible transmission du sexe ». Ce côté de folie, la clinique en témoigne quand il est question des relations entre mères et filles. Et ce dès le plus jeune âge comme le cas de Liliane le montre bien.

Ainsi, pour MML , je cite: « que la fille se tourne vers sa mère, ou vers une autre femme, pour trouver les repères de ce qui l’attend, qu’elle connaisse avec celle-ci une relation amoureuse torturante, passionnelle, minée par les reproches, qu’elle se sente trop ou mal aimée, qu’elle ait des curiosités sur les jouissances érotiques de sa mère comme énigmes auxquelles elle se mesure, qu’elle soit bouleversée par l’approche du corps féminin, lieu du désirable, obscène et fascinant, constitue peut-être ce dont le mot ravage fait écho ». La thèse principale de MML est de dire qu’au cœur du ravage, on trouve « l’image fascinante d’un corps de femme désirable, (qui) s’édifie à l’endroit où il n’y a ni identité sexuelle, ni transmission de traits féminins de mère à fille ».

MML donne ces quelques autres définitions du ravage : « le ravage entre fille et mère n’est pas un duel, ni le partage d’un bien, c’est l’expérience qui consiste à donner corps à la haine torturante, sourde, présente dans l’amour exclusif entre elles, par l’expression d’une agressivité directe. Le ravage se joue entre les deux femmes touchées par l’image de splendeur d’un corps de femme désiré par un homme. Il relève l’impossible harmonie de leur amour qui se heurte à l’impossible activité sexuelle entre elles ». Selon elle, sortir du ravage pour la fille, c’est s’arracher à cette emprise érotique maternelle, c’est quand cette image sera déchue. Parfois cet arrachement ne se fait pas et du coup la fille reste privée de s’accepter comme Autre et comme désirable dans la sexualité. Pour la mère il s’agira de renoncer aux plaisirs érotiques de la première enfance avec sa fille, MML évoque le nourrissage, la surveillance, l’enveloppement, la présentation de sa fille etc. Ce renoncement laisse la mère blessée.

MML : « Il arrive que la mère glisse en position de fille pour se faire réparer par sa fille du dommage qu’elle appréhende, dans une sorte de chantage à la maladie ou à la mort. Les enfants nés ou à naître, de la fille sont souvent négociés dans ce chantage ».

Exemple de ravage mère-fille.  Cas supprimé pour raison de confidentialité

 

1In L’évolution psychiatrique 2011 ; 76 (1)

2Ed Hachette, 2000

3Ed Albin Michel, 2002

 

 

Le sinthome, leçon IV du 13 Janvier 1976 par Mireille Lacanal-Carlier

 

Lacan dans cette leçon insiste sur le réel. C’est le fil qu’il nous donne à suivre.fil pour nous guider à travers le corps et l’écriture, le corps comme écriture, la lettre «  a letter, a litter » pour arriver à la question « Qu’est ce qui opère dans la cure ? »

 

7 décembre 1921 , 7 rue de l’Odéon, Jacques Lacan, il n’a que 20 ans assiste chez Adrienne Monnier à une lecture d’Ulysse par nul autre que James Joyce., Ainsi l’Irlandais ne quittera plus Lacan.

 

Lacan commence donc  la leçon en posant la question  « Qu’est ce que le savoir faire ? »

Il ébauche une réponse en disant que c’est l’art, l’artifice, ce qui donne à l’art dont on est capable une valeur remarquable « .Remarquable en quoi, puisqu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour opérer le Jugement dernier » (fresque de Michel Ange peinte entre 1536 et 1541 alors qu’il avait une soixantaine d’année dans la chapelle Sixtine à Rome. Une des figures en bas à droite serait une représentation de lui-même qui enlève sa vieille peau) Pas de complétude à attendre.

Une limite est posée à la jouissance Quelque chose dont nous ne pouvons jouir.

Le sinthome comme nous le verrons sous-entend un savoir faire, un talent, quelque chose que le sujet a et propose.

 

Lacan prend appui dans ce séminaire sur le savoir faire de Joyce pour illustrer  ce point de rebroussement du symptôme au sinthome dans une création artistique.

Il nous propose comme paradigme le sinthome de Joyce.

« Joyce a orienté son art comme symptôme.

L’ics forme une consistance de nature langagière. Dans son œuvre c’est l‘embrouille des nœuds qui se trouvent faire le tissu, le texte essentiel de ce qu’il nous apporte ». Lacan 24 janvier 1976 Centre universitaire de Nice

Lacan fait l’hypothèse d’une suppléance au Nom du Père par un travail par rapport à l’art de la lettre qui s’appuie sur la vie et l’œuvre de Joyce.

 

Symptôme et sinthome

 

Philippe Julien dans Du symptôme au sinthome article cairn info nous informe que

le mot symptôme est né en 1495 dans la langue française en traduction du latin médical symptoma, pour signifier une co-incidence (cum incidere), c’est-à-dire ce qui « tombe ensemble » : telle maladie et tel signe pour le médecin.

Or le dico d’un certain  Bloch et von Wartburg nous dit que ce nom là s’écrivait « sinthome » qui vient du grec « suntithémi » qui veut dire  «  mettre ensemble. »

Equivocité homophonique

On voit donc là ce qui « tombe » du symptôme et ce qui se rassemble du sinthome.

 

Lacan a définit le symptôme de plusieurs façons : comme une métaphore, comme ce qui vient du réel, comme ce qui ne va pas et à la fin de son enseignement, comme un fait de structure dont la nécessité doit être interrogée.

A partir de 1953 Lacan fait valoir que le symptôme analytique est soutenu par une structure de langage, par des signifiants et par des lettres qui en sont les éléments matériels.

Le symptôme névrotique est l’équivalent d’une parole enclose à entendre et à déchiffrer. Lacan y voit à l’œuvre le mécanisme de la métaphore : la substitution du signifiant d’un trauma sexuel à un élément de la chaîne signifiante actuelle fixe le symptôme et produit son sens…..

Avec le nœud à quatre ronds, c’est la fonction du symptôme qui est précisé. La réalité psychique qui détermine avec Freud la formation du symptôme organisée par le complexe d’Œdipe ; cette réalité, Lacan l’a dit religieuse parce que fondée sur la croyance que le père est le castrateur, alors que ce sont les lois du langage qui imposent à renoncer à être ou à avoir le phallus. Le symptôme apparait comme ce qui maintient avec le Père un lien qui soutient l’identification et la jouissance sexuelle : le rond du symptôme dit aussi « rond du Nom du Père » permet de nouer RSI.

Pour Lacan le symptôme est la façon dont chacun jouit de son inconscient.

Dictionnaire international de la psy. Article de Valentin Nusinovici.

 

A partir de RSI (73-74) Lacan va donc montrer un nœud, un autre nœud, un nœud à quatre éléments. Le quart élément est compensatoire ; il a fonction de suppléance, dans la mesure où le nœud à trois ne tient pas de lui-même. Telle est la fonction du sinthome comme quart élément.

Le sinthome est réel c’est ce à quoi veut  arriver Lacan. Le sinthome comme réel et non comme « manifestations/formation » de l’Ics.

Le sinthome produit un tout autre abord du symptôme qui n’est plus forcément ce qui doit être réduit par l’interprétation. Lacan en vient à formuler le travail de l’analyse comme  produisant « un savoir y faire » avec son symptôme.

Et pour Lacan Joyce n’a pas un sinthome il est le sinthome. Il est ce quart élément de part son ego. Celui-ci à fonction  réparatrice grâce à l’art de Joyce. Cela lui permet de se faire un nom.

Il nous propose le sinthome de Joyce dans la mesure où il illustre par son écriture l’effet de l’usage du sens au point limite du hors sens, le sinthome donc inanalysable. Joyce est pour lui celui qui « sait y faire » avec son symptôme.

 

« l’ics c’est la face du réel…c’est la face du réel dont on est empêtré.

L’analyse ne consiste pas à ce qu’on soit libéré de ses sinthomes, l’analyse consiste à ce  qu’on sache pourquoi on est empêtré. » Le moment de conclure 10/01/78 Lacan

« Cela se produit du fait qu’il y a le symbolique. Le symbolique c’est le langage : on apprend à parler, ça laisse des traces,, ça laisse des traces et de ce fait ça laisse des conséquences qui ne sont rien que le « sinthome » et l’analyse consiste à rendre compte pourquoi on a ces « sinthomes » de sorte que l’analyse est lié au savoir »

Un savoir qui ne s’acquiert qu’à travers la perplexité.

Et Joyce l’illustre dans sa littérature par son opération de hachage de la langue, de brisure, de dislocation, de déchirure. Il dégage ainsi la langue de tout usage de communication et même de tout effet de littérature. Joyce arrive à être illisible.

Il laisse une œuvre qui pose mille énigmes pouvant entretenir les universitaires  pour de longues années. C’était d’ailleurs son souhait.

L e symptôme serait la non acceptation de la castration symbolique du père, alors que le sinthome serait de l’ordre d’une création de la part du sujet, comme dans Joyce, qui avec son art vidait de sens ce qui s’imposait à lui comme symptôme ( Hiltenbrand La clinique du réel)

 

Les vérités premières : le ronron des vérités premières : dieu et le jugement dernier. Les vérités premières qui sont une connaissance trompeuse.

Peut-on sortir du ronron des habitudes qui nous endorment ?

Ce ronron serait celui des religions qui induisent une manière de penser. Ce serait le ronron d’un Dieu créateur, du rapport du créateur à sa créature. Dans la perspective chrétienne nous parlons d’un dieu –père. C’est de cette religion dont Freud en la traitant d’illusion essayer de nous débarrasser.

L’idée de Dieu voir la croyance soutient la fonction et le sens du symptôme névrotique.

La psychanalyse peut-elle nous sortir de ce ronron ?

« Le ronron c’est la jouissance du chat »  ( La troisième Lacan 31/10/74)) Pour ne pas ronronner servons-nous des ronds de ficelle, de la topologie.

 

Le Nom du père est la forme laïque de cette présence dans la doctrine psy, de nos attaches à ce fond religieux.

Lacan va alors chercher à élaborer un nœud pour support des vérités premières. Le nœud ce qui supporte notre consistance .Et il pointe ici la différence entre une chaîne et un nœud ( le nœud se déduit de la chaîne).La chaîne est  au-delà  de 2.(Marie PierreBossy nous faisait remarquer que pourtant nous disons noeud.) D’ailleurs Lacan  p83, fin de la leçon  pose la question s’il n’y a pas abus à dire :

« faire un nœud avec ce que j’appellerai une chaî-neoud »

 

Il revient sur les vérités premières et nous amène à ce qu’on appelle la pensée. La pensée est liée à l’acte sexuel, elle gravite autour de cet acte. Cet acte qui de par sa nature implique une polarité actif-passif ce qui déjà engage dans un faux-sens. C’est ce qu’on appelle la connaissance

Mais la connaissance est trompeuse car l’actif c’est ce que nous connaissons mais comme nous faisons un effort pour connaître nous nous imaginons que nous sommes actif.. La pensée nous imaginons qu’elle est active . La connaissance participe du fantasme d’une inscription au lien sexuel.

En effet le sexuel ne fonde en rien quelque rapport qu’il soit. Il n’y a de rapport sexuel que sinthomatique

Le phallus n’appartient à aucun sexe, c’est ce qui circule entre, ce qui fait coupure. On ne peut saisir ce qui fait rapport, il n’y adonc pas de rapport. La fonction phallique c’est l’entre deux, le vide qui fait distinguer les choses.

« C’est en ça que consiste la pensée, que des mots introduisent dans le corps quelques représentations imbéciles » Lacan La troisième

Le sens se loge dans l’imaginaire. La pensée introduit des mots qui nous « rengorge », qui nous dégorge, que nous vomissons, ce qui va nous donner à vomir une vérité de plus.

« Vous vous imaginez que la pensée c’est ça,… se tient dans la cervelle…Moi je suis sûr …que ça se tient dans les peauciers du front….Enfin, si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds » La troisième

Les pieds qui eux permettent de se mettre en marche. Ils permettent de faire un pas de côté.

 

Ainsi si la connaissance est trompeuse il nous faut repartir du début, de l’opacité sexuelle. Opacité car du sexuel ne fonde en rien quelque rapport que se soit. Et de nous rappeler qu’il n’y a de responsabilité dans le sens de réponse à côté que sexuelle. On est responsable que de notre position sexuelle .p 70 « On impute à Dieu ce qui est affaire de l’artiste » L’Autre de l’Autre c’est-à-dire impossible ce serait cela l’artifice ?

L’artiste est responsable au sens où c’est sa réponse c’est-à-dire son symptôme par rapport au fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel.  Comment l’homme peut-il  être créateur si dieu l’est ? J. RUFF institut du champ freudien

« L’homme et non pas Dieu est un composé trinitaire » Lacan séminaire XXIII

 

Il revient sur la notion de Réel, distincte du symbolique et de l’imaginaire. Un Réel qui ne se fonde, n’existe qu’à en exclure le sens.

Le réel se fonde n’existe qu’à en exclure le sens.

 

Et il prend la consistance comme la forme la plus dépourvue de sens et qui pourtant s’imagine. Il n’y a de consistance que du nouage de RSI ( nœud c’est lier, relier, lire : c’est ce qui fait consistance).

La consistance c’est ce qui tient ensemble et c’est symbolisé par la surface ce qui nous donne l’idée du sac. Et de prendre l’exemple du corps qui se présente comme peau retenant dans son sac un tas d’organe et c’est comme ça que nous le sentons. Le corps comme amas de pièces détachées. C’est cette consistance qui nous montre la corde. Une corde comme résidu de la consistance et  qui exclut le nœud. Ainsi dans une corde le nœud est tout ce qui ex-iste à l’élément corde.

« Un nœud donc ça peut se faire » p 72 Le sinthome

 

Qu’est ce qu’un fait ? Il n’y a de fait que d’artifice car il n’y a de fait que du fait que le parlêtre le dise.

Il nous amène sur la voie de l’imagination. Le parlêtre parce qu’il parle ment et par là instaure dans la reconnaissance de faux faits. Et de revenir sur le corps qui est la seule consistance du sujet parlant et qui entretient avec son corps un rapport  d’adoration, un rapport imaginaire ( Je le pense donc j’essuie p72) imaginaire. Pour Lacan « Je suis où je ne pense pas » cad « Je suis où je n’articule pas, où je ne produis pas de sens ». Quand je pense, quand j’articule du sens je ne suis pas.

C’est le sexuel dit il qui ment la dedans à trop s’en raconter.

Mais finalement le seul concret que nous connaissons c’est toujours l’adoration sexuelle qui conduit à la méprise autrement dit au mépris même quand il adore un autre corps c’est le même mépris –véritable puisqu’il s’agit de vérité. (qui  elle ne peut être que mi-dite)

 

Alors qu’est ce que la vérité, qu’est ce que dire le vrai sur le vrai ? : suivre à la trace le réel qui ne consiste et qui n’existe que dans le nœud.

Mais ne nous hâtons pas et faisons comme si nous avions trouvé (« Je ne cherche pas je trouve » Picasso) Et pour cela Lacan repart de l’hystérie et sur la réalité de ce qu’il en est du rapport sexuel.

La tache de l’hystérique est de faire exister l’homme en l’incarnant, car il n’est pas question de laisser cette place vide. La douleur mal située de l’hystérique cherche dans son corps un lieu d’inscription.

Il y a toujours un problème majeur qui est celui de l’hystérique et de son corps, car ce corps lui

ek-siste parce que c’est le lieu de l’Autre

. « Ce lien de son corps est effectivement un lien étrange puisqu’il fonctionne comme un dépotoir, dépotoir de cet objet immonde qui est l’objet a, cause du désir de son partenaire » Melman  Problèmes posés à la psychanalyse

En tant qu’elle est – l’hystérique- la dernière réalité perceptible (husteron voulant dire « dernier » en  grec) pour nous rappeler que Freud n’a pu poser la question qui le taraudait «  Que veut la femme ?

(avec le sinthome il ne s’agira plus de résoudre l’énigme de la jouissance)

W w d W        Was will das Weib ,

Pour Lacan l’erreur de Freud c’est d’avoir pensé das weib au lieu de ein weib (une femme)

WweW

On ne peut pas parler de « La femme » qui n’ek-siste pas, une femme, pas toute.

« Toutes les femmes est un ensemble vide mais en revanche les femmes font série, une par une  Et si ça ek siste c’est donc du réel. Mais c’en est la consistance donc imaginaire du Réel. (Marie Charlotte Cadeau commentaire de RSI leçon du 21/01/1975)

L’énigme pour l’Homme c’est que la jouissance féminine n’est pas toute réglée par la loi de la castration. La jouissance féminine est hors langage, au-delà du phallus.

Cet excès de jouissance que la loi de la castration échoue à régler un symptôme peut l’appareiller et donner naissance à un art. Lacan écrit alors ce symptôme sinthome c’est-à-dire coupé du pêché.

«  sinthome » « sin » pêché.  «  Lacan fait le lien avec le pêché originel, la 1ère faute, de la doctrine chrétienne. Dans l’œuvre de Joyce le pêché en question c’est celui du père. Son père carent à suivi la même chute qu’Adam et Eve, et le sinthome de Joyce, sans la ptoma, sans la chute compense l’erreur de son père (Matinées lacaniennes Tom  Dezell)

 

Le sens en question révèle une énigme. En grec la parole est le radical d’énigme « ainos » « ainigma », en français parole et énigme n’ont aucune parenté. Enigme et réponse aussi énigmatique l’une que l’autre : registre de l’équivoque interprétative.

L’énigme c’est autre chose qu’une simple question. Chez les grecs c’est le Dieu qui prononce l’énigme par la voie de la Phytie : parole obscure qui défie l’entendement.

Ainigma l’énigme vient donc de ainos, parole prophétique. La puissance de l’énigme tient à ceci elle est une parole qui fait signe vers ce qui dépasse toute parole, fait vaciller la frontière du symbolique et du sens. Et au-delà  c’est le réel.

Le névrosé cherche à résoudre l’énigme des symptômes.

Joyce qu’en à lui croit à son sinthome et n’a pas intérêt à leur résolution. Il ne veut pas accepter la dette, l’héritage paternel.

Et Lacan présente cela comme une énigme : E énonciation e énoncé.

L’énigme c’est une énonciation tel qu’on en a pas trouve l’énoncé. L’énoncé se trouve dans la langue dans laquelle l’enfant a reçu ses premiers soins, celle de sa prime enfance, sa lalangue, la langue dans laquelle s’est constitué son symptôme ; ce qui fait retour en tant que lettre en est l’énonciation.

La lettre c’est le signifiant en tant que détaché de sa valeur de signification, détaché du signifié. Ce qui revient comme lettre n’est pas à lire puisque telle qu’elle elle ne nous dit rien du signifiant refoulé.

Lacan avec le travail sur la lettre nous indique que le travail de l’analyse consiste à réduire ce qui fait sens pour le patient, à réduire la lettre à un déchet. Il reprendra l’équivoque de Joyce sur «  a letter, a litter » «  une lettre, une ordure »

Avec ce glissement représentant la transformation de la lettre en déchet, Lacan montre l’usage que l’on peut faire pour aborder et réduire le symptôme dans l’analyse.

( Patricia Dahan La lettre entre savoir et jouissance)

La lettre contient une dimension de réel, elle n’est pas du côté du sens, elle est du côté du hors sens

L’énigme c’est l’art d’entre les lignes (allusion à la corde). et cela à un rapport avec l’écriture. C’est par des petits bouts d’écriture qu’on est entré dans le Réel, qu’on a cessé d’imaginer. L’écriture des petites lettres, des petites lettres mathématiques, c’est qui supporte le réel.p 75

Lacan  nous propose que l’écriture ça devait avoir un lien avec la façon dont nous écrivons le nœud et il fait référence à l’instance de la lettre. En dessinant un S avec une barre pour écrire un noeud. Cela nous rappelle aussi un corps.

La lettre est le support matériel que le discours concret emprunte au langage S/s  signifiant/signifié

« Ni dans ce que dit l’analysant, ni dans ce que dit l’analyste il n’y a autre chose que l’écriture »

leçon du 20/12/77 Lacan

Notre corps n’est-il pas porteur des traits, d’une écriture qui si nous savions les interpréter nous lirait.( lier) Marque sur le corps.

Histoire de Rémi.qui est en ULIS …….lui aussi aura à affronter de terribles épreuves avant de pouvoir peut être un jour mettre pied sur une terre d’accueil un Heim dont parle Freud. En attendant il se débat comme il peut avec une histoire de père dénié jusqu ‘à l’âge de 12 ans et mis en mots il y a quelques temps sous les signifiants « ordures déchets » induits «  Ton père je l’ai trouvé dans la rue tu ne crois pas que je me souviens de qui c’est ! »

Rémy tache sur les mains avec stylo de la mère en svt en cours sur les volcans. Il ne peut plus faire et cache ses mains dans ses poches.

Histoire de la banderole, prolongement du corps. Un corps de cortège avec sa tête et sa queue. Banderole comme un tatouage sur le corps.( Le Monde des livres 25 avril 2013)

MARINA

Revenons à Stephen ( S) qui est Joyce dans le roman. Il déchiffre sa propre énigme mais il ne va pas loin car il croit à tous ses symptômes. Le père de Joyce est un père carrant, toujours absent. Dans le livre Bloom cherche un fils. Stephen lui répond «  Non merci, trop peu pour moi. »

Ulysse est un témoignage de ce par quoi Joyce reste enraciné dans son père tout en le reniant : c’est ça son symptôme. «  J’ai dit qu’il était le symptôme » Lacan

 

Pour Lacan toute l’œuvre de Joyce est un long témoignage de cet enracinement du père tout en le reniant. Il fait référence à Exiles(1918). C’est l’unique œuvre théâtrale de Joyce. Le personnage est exilé de son propre pays comme l’était Joyce au moment d’écrire Exiles à Trieste. Lacan traduit « Les exils » : les différents exils du parlêtre ?

L’homme veut entraîner la femme à la trahison et il met en jeu une dialectique du doute qui accomplit un cycle en 4 temps  qui aboutit à « une blessure sans cause , ni origine, une blessure autonome qui ne peut se refermer »

Dans sa vie pour Joyce il n’y a qu’ « une seule femme » cad que Nora est alternativement la Vierge et la putain. Il  voudrait ne former qu’un seul être avec elle. L’Une femme c’est Nora.

« …qu’au regard de sa femme, il a les sentiments d’une mère…. » p 83

Exils exprime le non rapport sexuel, le fantasme de faire Un à deux.

Joyce : se faire livre aurait du se faire nœud.

 

Lacan revient à Ulysse et à l’énigme que propose Joyce sous les traits de Stephen (p 42 Ulysse folio)

Ulysse écrit entre 1914 et 1915, raconte un jour de la vie de L. Bloom le 16 juin 1904. Joyce rencontra sa femme cette journée là.

Lacan nous dit analysons Ulysse : mettons nous en position d’analyste et à cette énigme donnant ce fait  qu’elle est incompréhensible, et la réponse tout autant. L’analyse c’est la réponse à une énigme.

Réponse r tout à fait « conne » cad bête, déplacée, absurde. Et c’est pour cela qu’il faut garder la corde

L’analyste devra ainsi tenir la corde et apprendre à nouer d’un fil singulier les trous de cette singularité particulière. Nouages qui comme chez Joyce supposent une articulation  qui serve à retarder la rencontre fatidique avec les excès de la jouissance (Hétérité J. Adams ))

L’analyste celui qui peut soutenir la corde et devient ainsi « causeur de noeud. »

Il n’y a que des lettres dans l’ics, il n’y a que des cordes avec ses chaines et ses nœuds. La corde du noeud borroméen c’est l’écriture du réel, donc bien tenir la corde. Cela aboutit au nœud du non rapport sexuel.

« Le symptôme est le langage dont la parole doit être délivré » Les ecrits p 235 Lacan

 

Le sens résulte d’un champ entre Imaginaire et Symbolique. Faire une épissure pour obtenir un sens  qui se déplace : c’est l’objet de la réponse de l’analyste à l’exposé de l’analysant.

Quand nous faisons une épissure nous en faisons une autre entre symptôme et le Réel.

Qu’est ce qui opère dans l’analyse, c’est de suture et d’épissure qu’il s’agit dans l’analyse. C’est de structure et d’épissure qu’il s’agit. Qu’est ce qui opère dans la cure ?

Le statut de l’interprétation tient son efficacité à deux opérations : épissure et suture.

L’épissure consiste en un raccordement qui permet à une discontinuité de disparaître, de s’évanouir. C’est un raboutage. La suture (opération inverse de la coupure- métaphore est une coupure-) de 2 bords ou d’un bord sur lui-même- établit une nouvelle surface dont les propriétés dépendront de son articulation aux autres surfaces.

Cela permet le passage du 2 au 1 sans rupture.L’épissure comme mise en continuité.

La seconde qui procède de la première permet la fermeture, la clôture et installe donc une limite.et à un effet de surface avec la mise à plat du nœud.

La suture comme avènement d’une surface fermée.

Dans l’analyse il s’agit d’un raccordement d’une formation imaginaire avec le savoir inconscient. Cela produit un sens qui serait cette suture.

Qui produit une nouvelle épissure où symbolique vient toucher au réel : entrelacs entre symptôme et réel, réel parasite de la jouissance. Cela rend ainsi cette jouissance possible (par la suture) sous la forme  j’oui-sens cad ouïr un sens (ordinairement la compréhension d’un sens se met en travers d’un ouïr)

P83 « Trouver un sens implique de savoir quel est le nœud, et de le bien rabouter grâce à un artifice. » Sinthome Lacan

Ainsi le couple épissure suture contribue à résorber l’effet de sens dans un effet d’apprentissage ( un effet de faire, de savoir y faire) celui qui consiste à se faire une certaine jouissance.

 

L’analyse ne peut opérer qu’à partir de ce que se présentifie d’un réel par rapport au désir. ( Clinique du réel  Hiltenbrand leçon du 15 nov. 1995)

Le Réel se manifeste exclusivement sous la condition du désir cad que si vous vous abstenez, si vous inhibez votre désir vous êtes parfaitement tranquilles. Parce que ce réel alors à aucun moment ne risque de surgir.

Le Réel fait partie de la structure soit avec RSI soit avec le 4ème rond : l’impossible comme nécessaire ;

Lacan situe le réel en tant que c’est un heurt, un obstacle rencontré (Melman Ste Tulle le redit)

« Le réel n’est pas pour être su «  nous dit Lacan

Ca nous fait suer mais ce n’est pas pour être su, parce que c’est toujours de l’Autre que vient à se présenter le Réel pour un sujet. Et ce qui vient de l’Autre on ne sait pas. Et c’est dans cette perception de la réponse du manque qui est le sien ( réponse aperçue dans l’ Autre ) et où le sujet entrevoit sa propre perte, c’est là que se dessine la 1ère appréhension du Réel( ex ; du commandement de l’Autre)

 

La troisième : «  Le nœud il faut l’être…il n’en reste pas moins que de l’être, il faut que vous n’en fassiez que le semblant »

Le monde est imaginaire : fonction de représentation est dans le corps. Le réel n’est pas le monde. Aucun espoir d’atteindre le réel par la représentation.

« J’appelle symptôme ce qui vient du réel. »

Melman Travaux pratiques clinique psychanalytique p 57…………………..(à lire)

Le Réel dans la structure, c’est, pour reprendre une image de Lacan, la gueule d’un crocodile.

 

 

 

Mireille Lacanal-Carlier Juin 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE SINTHOME JACQUES LACAN

LECON IV  13 janvier 1976

Lacan dans cette leçon insiste sur le réel. C’est le fil qu’il nous donne à suivre.fil pour nous guider à travers le corps et l’écriture, le corps comme écriture, la lettre «  a letter, a litter » pour arriver à la question « Qu’est ce qui opère dans la cure ? »

 

7 décembre 1921 , 7 rue de l’Odéon, Jacques Lacan, il n’a que 20 ans assiste chez Adrienne Monnier à une lecture d’Ulysse par nul autre que James Joyce., Ainsi l’Irlandais ne quittera plus Lacan.

 

Lacan commence donc  la leçon en posant la question  « Qu’est ce que le savoir faire ? »

Il ébauche une réponse en disant que c’est l’art, l’artifice, ce qui donne à l’art dont on est capable une valeur remarquable « .Remarquable en quoi, puisqu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour opérer le Jugement dernier » (fresque de Michel Ange peinte entre 1536 et 1541 alors qu’il avait une soixantaine d’année dans la chapelle Sixtine à Rome. Une des figures en bas à droite serait une représentation de lui-même qui enlève sa vieille peau) Pas de complétude à attendre.

Une limite est posée à la jouissance Quelque chose dont nous ne pouvons jouir.

Le sinthome comme nous le verrons sous-entend un savoir faire, un talent, quelque chose que le sujet a et propose.

 

Lacan prend appui dans ce séminaire sur le savoir faire de Joyce pour illustrer  ce point de rebroussement du symptôme au sinthome dans une création artistique.

Il nous propose comme paradigme le sinthome de Joyce.

« Joyce a orienté son art comme symptôme.

L’ics forme une consistance de nature langagière. Dans son œuvre c’est l‘embrouille des nœuds qui se trouvent faire le tissu, le texte essentiel de ce qu’il nous apporte ». Lacan 24 janvier 1976 Centre universitaire de Nice

Lacan fait l’hypothèse d’une suppléance au Nom du Père par un travail par rapport à l’art de la lettre qui s’appuie sur la vie et l’œuvre de Joyce.

 

Symptôme et sinthome

 

Philippe Julien dans Du symptôme au sinthome article cairn info nous informe que

le mot symptôme est né en 1495 dans la langue française en traduction du latin médical symptoma, pour signifier une co-incidence (cum incidere), c’est-à-dire ce qui « tombe ensemble » : telle maladie et tel signe pour le médecin.

Or le dico d’un certain  Bloch et von Wartburg nous dit que ce nom là s’écrivait « sinthome » qui vient du grec « suntithémi » qui veut dire  «  mettre ensemble. »

Equivocité homophonique

On voit donc là ce qui « tombe » du symptôme et ce qui se rassemble du sinthome.

 

Lacan a définit le symptôme de plusieurs façons : comme une métaphore, comme ce qui vient du réel, comme ce qui ne va pas et à la fin de son enseignement, comme un fait de structure dont la nécessité doit être interrogée.

A partir de 1953 Lacan fait valoir que le symptôme analytique est soutenu par une structure de langage, par des signifiants et par des lettres qui en sont les éléments matériels.

Le symptôme névrotique est l’équivalent d’une parole enclose à entendre et à déchiffrer. Lacan y voit à l’œuvre le mécanisme de la métaphore : la substitution du signifiant d’un trauma sexuel à un élément de la chaîne signifiante actuelle fixe le symptôme et produit son sens…..

Avec le nœud à quatre ronds, c’est la fonction du symptôme qui est précisé. La réalité psychique qui détermine avec Freud la formation du symptôme organisée par le complexe d’Œdipe ; cette réalité, Lacan l’a dit religieuse parce que fondée sur la croyance que le père est le castrateur, alors que ce sont les lois du langage qui imposent à renoncer à être ou à avoir le phallus. Le symptôme apparait comme ce qui maintient avec le Père un lien qui soutient l’identification et la jouissance sexuelle : le rond du symptôme dit aussi « rond du Nom du Père » permet de nouer RSI.

Pour Lacan le symptôme est la façon dont chacun jouit de son inconscient.

Dictionnaire international de la psy. Article de Valentin Nusinovici.

 

A partir de RSI (73-74) Lacan va donc montrer un nœud, un autre nœud, un nœud à quatre éléments. Le quart élément est compensatoire ; il a fonction de suppléance, dans la mesure où le nœud à trois ne tient pas de lui-même. Telle est la fonction du sinthome comme quart élément.

Le sinthome est réel c’est ce à quoi veut  arriver Lacan. Le sinthome comme réel et non comme « manifestations/formation » de l’Ics.

Le sinthome produit un tout autre abord du symptôme qui n’est plus forcément ce qui doit être réduit par l’interprétation. Lacan en vient à formuler le travail de l’analyse comme  produisant « un savoir y faire » avec son symptôme.

Et pour Lacan Joyce n’a pas un sinthome il est le sinthome. Il est ce quart élément de part son ego. Celui-ci à fonction  réparatrice grâce à l’art de Joyce. Cela lui permet de se faire un nom.

Il nous propose le sinthome de Joyce dans la mesure où il illustre par son écriture l’effet de l’usage du sens au point limite du hors sens, le sinthome donc inanalysable. Joyce est pour lui celui qui « sait y faire » avec son symptôme.

 

« l’ics c’est la face du réel…c’est la face du réel dont on est empêtré.

L’analyse ne consiste pas à ce qu’on soit libéré de ses sinthomes, l’analyse consiste à ce  qu’on sache pourquoi on est empêtré. » Le moment de conclure 10/01/78 Lacan

« Cela se produit du fait qu’il y a le symbolique. Le symbolique c’est le langage : on apprend à parler, ça laisse des traces,, ça laisse des traces et de ce fait ça laisse des conséquences qui ne sont rien que le « sinthome » et l’analyse consiste à rendre compte pourquoi on a ces « sinthomes » de sorte que l’analyse est lié au savoir »

Un savoir qui ne s’acquiert qu’à travers la perplexité.

Et Joyce l’illustre dans sa littérature par son opération de hachage de la langue, de brisure, de dislocation, de déchirure. Il dégage ainsi la langue de tout usage de communication et même de tout effet de littérature. Joyce arrive à être illisible.

Il laisse une œuvre qui pose mille énigmes pouvant entretenir les universitaires  pour de longues années. C’était d’ailleurs son souhait.

L e symptôme serait la non acceptation de la castration symbolique du père, alors que le sinthome serait de l’ordre d’une création de la part du sujet, comme dans Joyce, qui avec son art vidait de sens ce qui s’imposait à lui comme symptôme ( Hiltenbrand La clinique du réel)

 

Les vérités premières : le ronron des vérités premières : dieu et le jugement dernier. Les vérités premières qui sont une connaissance trompeuse.

Peut-on sortir du ronron des habitudes qui nous endorment ?

Ce ronron serait celui des religions qui induisent une manière de penser. Ce serait le ronron d’un Dieu créateur, du rapport du créateur à sa créature. Dans la perspective chrétienne nous parlons d’un dieu –père. C’est de cette religion dont Freud en la traitant d’illusion essayer de nous débarrasser.

L’idée de Dieu voir la croyance soutient la fonction et le sens du symptôme névrotique.

La psychanalyse peut-elle nous sortir de ce ronron ?

« Le ronron c’est la jouissance du chat »  ( La troisième Lacan 31/10/74)) Pour ne pas ronronner servons-nous des ronds de ficelle, de la topologie.

 

Le Nom du père est la forme laïque de cette présence dans la doctrine psy, de nos attaches à ce fond religieux.

Lacan va alors chercher à élaborer un nœud pour support des vérités premières. Le nœud ce qui supporte notre consistance .Et il pointe ici la différence entre une chaîne et un nœud ( le nœud se déduit de la chaîne).La chaîne est  au-delà  de 2.(Marie PierreBossy nous faisait remarquer que pourtant nous disons noeud.) D’ailleurs Lacan  p83, fin de la leçon  pose la question s’il n’y a pas abus à dire :

« faire un nœud avec ce que j’appellerai une chaî-neoud »

 

Il revient sur les vérités premières et nous amène à ce qu’on appelle la pensée. La pensée est liée à l’acte sexuel, elle gravite autour de cet acte. Cet acte qui de par sa nature implique une polarité actif-passif ce qui déjà engage dans un faux-sens. C’est ce qu’on appelle la connaissance

Mais la connaissance est trompeuse car l’actif c’est ce que nous connaissons mais comme nous faisons un effort pour connaître nous nous imaginons que nous sommes actif.. La pensée nous imaginons qu’elle est active . La connaissance participe du fantasme d’une inscription au lien sexuel.

En effet le sexuel ne fonde en rien quelque rapport qu’il soit. Il n’y a de rapport sexuel que sinthomatique

Le phallus n’appartient à aucun sexe, c’est ce qui circule entre, ce qui fait coupure. On ne peut saisir ce qui fait rapport, il n’y adonc pas de rapport. La fonction phallique c’est l’entre deux, le vide qui fait distinguer les choses.

« C’est en ça que consiste la pensée, que des mots introduisent dans le corps quelques représentations imbéciles » Lacan La troisième

Le sens se loge dans l’imaginaire. La pensée introduit des mots qui nous « rengorge », qui nous dégorge, que nous vomissons, ce qui va nous donner à vomir une vérité de plus.

« Vous vous imaginez que la pensée c’est ça,… se tient dans la cervelle…Moi je suis sûr …que ça se tient dans les peauciers du front….Enfin, si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds » La troisième

Les pieds qui eux permettent de se mettre en marche. Ils permettent de faire un pas de côté.

 

Ainsi si la connaissance est trompeuse il nous faut repartir du début, de l’opacité sexuelle. Opacité car du sexuel ne fonde en rien quelque rapport que se soit. Et de nous rappeler qu’il n’y a de responsabilité dans le sens de réponse à côté que sexuelle. On est responsable que de notre position sexuelle .p 70 « On impute à Dieu ce qui est affaire de l’artiste » L’Autre de l’Autre c’est-à-dire impossible ce serait cela l’artifice ?

L’artiste est responsable au sens où c’est sa réponse c’est-à-dire son symptôme par rapport au fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel.  Comment l’homme peut-il  être créateur si dieu l’est ? J. RUFF institut du champ freudien

« L’homme et non pas Dieu est un composé trinitaire » Lacan séminaire XXIII

 

Il revient sur la notion de Réel, distincte du symbolique et de l’imaginaire. Un Réel qui ne se fonde, n’existe qu’à en exclure le sens.

Le réel se fonde n’existe qu’à en exclure le sens.

 

Et il prend la consistance comme la forme la plus dépourvue de sens et qui pourtant s’imagine. Il n’y a de consistance que du nouage de RSI ( nœud c’est lier, relier, lire : c’est ce qui fait consistance).

La consistance c’est ce qui tient ensemble et c’est symbolisé par la surface ce qui nous donne l’idée du sac. Et de prendre l’exemple du corps qui se présente comme peau retenant dans son sac un tas d’organe et c’est comme ça que nous le sentons. Le corps comme amas de pièces détachées. C’est cette consistance qui nous montre la corde. Une corde comme résidu de la consistance et  qui exclut le nœud. Ainsi dans une corde le nœud est tout ce qui ex-iste à l’élément corde.

« Un nœud donc ça peut se faire » p 72 Le sinthome

 

Qu’est ce qu’un fait ? Il n’y a de fait que d’artifice car il n’y a de fait que du fait que le parlêtre le dise.

Il nous amène sur la voie de l’imagination. Le parlêtre parce qu’il parle ment et par là instaure dans la reconnaissance de faux faits. Et de revenir sur le corps qui est la seule consistance du sujet parlant et qui entretient avec son corps un rapport  d’adoration, un rapport imaginaire ( Je le pense donc j’essuie p72) imaginaire. Pour Lacan « Je suis où je ne pense pas » cad « Je suis où je n’articule pas, où je ne produis pas de sens ». Quand je pense, quand j’articule du sens je ne suis pas.

C’est le sexuel dit il qui ment la dedans à trop s’en raconter.

Mais finalement le seul concret que nous connaissons c’est toujours l’adoration sexuelle qui conduit à la méprise autrement dit au mépris même quand il adore un autre corps c’est le même mépris –véritable puisqu’il s’agit de vérité. (qui  elle ne peut être que mi-dite)

 

Alors qu’est ce que la vérité, qu’est ce que dire le vrai sur le vrai ? : suivre à la trace le réel qui ne consiste et qui n’existe que dans le nœud.

Mais ne nous hâtons pas et faisons comme si nous avions trouvé (« Je ne cherche pas je trouve » Picasso) Et pour cela Lacan repart de l’hystérie et sur la réalité de ce qu’il en est du rapport sexuel.

La tache de l’hystérique est de faire exister l’homme en l’incarnant, car il n’est pas question de laisser cette place vide. La douleur mal située de l’hystérique cherche dans son corps un lieu d’inscription.

Il y a toujours un problème majeur qui est celui de l’hystérique et de son corps, car ce corps lui

ek-siste parce que c’est le lieu de l’Autre

. « Ce lien de son corps est effectivement un lien étrange puisqu’il fonctionne comme un dépotoir, dépotoir de cet objet immonde qui est l’objet a, cause du désir de son partenaire » Melman  Problèmes posés à la psychanalyse

En tant qu’elle est – l’hystérique- la dernière réalité perceptible (husteron voulant dire « dernier » en  grec) pour nous rappeler que Freud n’a pu poser la question qui le taraudait «  Que veut la femme ?

(avec le sinthome il ne s’agira plus de résoudre l’énigme de la jouissance)

W w d W        Was will das Weib ,

Pour Lacan l’erreur de Freud c’est d’avoir pensé das weib au lieu de ein weib (une femme)

WweW

On ne peut pas parler de « La femme » qui n’ek-siste pas, une femme, pas toute.

« Toutes les femmes est un ensemble vide mais en revanche les femmes font série, une par une  Et si ça ek siste c’est donc du réel. Mais c’en est la consistance donc imaginaire du Réel. (Marie Charlotte Cadeau commentaire de RSI leçon du 21/01/1975)

L’énigme pour l’Homme c’est que la jouissance féminine n’est pas toute réglée par la loi de la castration. La jouissance féminine est hors langage, au-delà du phallus.

Cet excès de jouissance que la loi de la castration échoue à régler un symptôme peut l’appareiller et donner naissance à un art. Lacan écrit alors ce symptôme sinthome c’est-à-dire coupé du pêché.

«  sinthome » « sin » pêché.  «  Lacan fait le lien avec le pêché originel, la 1ère faute, de la doctrine chrétienne. Dans l’œuvre de Joyce le pêché en question c’est celui du père. Son père carent à suivi la même chute qu’Adam et Eve, et le sinthome de Joyce, sans la ptoma, sans la chute compense l’erreur de son père (Matinées lacaniennes Tom  Dezell)

 

Le sens en question révèle une énigme. En grec la parole est le radical d’énigme « ainos » « ainigma », en français parole et énigme n’ont aucune parenté. Enigme et réponse aussi énigmatique l’une que l’autre : registre de l’équivoque interprétative.

L’énigme c’est autre chose qu’une simple question. Chez les grecs c’est le Dieu qui prononce l’énigme par la voie de la Phytie : parole obscure qui défie l’entendement.

Ainigma l’énigme vient donc de ainos, parole prophétique. La puissance de l’énigme tient à ceci elle est une parole qui fait signe vers ce qui dépasse toute parole, fait vaciller la frontière du symbolique et du sens. Et au-delà  c’est le réel.

Le névrosé cherche à résoudre l’énigme des symptômes.

Joyce qu’en à lui croit à son sinthome et n’a pas intérêt à leur résolution. Il ne veut pas accepter la dette, l’héritage paternel.

Et Lacan présente cela comme une énigme : E énonciation e énoncé.

L’énigme c’est une énonciation tel qu’on en a pas trouve l’énoncé. L’énoncé se trouve dans la langue dans laquelle l’enfant a reçu ses premiers soins, celle de sa prime enfance, sa lalangue, la langue dans laquelle s’est constitué son symptôme ; ce qui fait retour en tant que lettre en est l’énonciation.

La lettre c’est le signifiant en tant que détaché de sa valeur de signification, détaché du signifié. Ce qui revient comme lettre n’est pas à lire puisque telle qu’elle elle ne nous dit rien du signifiant refoulé.

Lacan avec le travail sur la lettre nous indique que le travail de l’analyse consiste à réduire ce qui fait sens pour le patient, à réduire la lettre à un déchet. Il reprendra l’équivoque de Joyce sur «  a letter, a litter » «  une lettre, une ordure »

Avec ce glissement représentant la transformation de la lettre en déchet, Lacan montre l’usage que l’on peut faire pour aborder et réduire le symptôme dans l’analyse.

( Patricia Dahan La lettre entre savoir et jouissance)

La lettre contient une dimension de réel, elle n’est pas du côté du sens, elle est du côté du hors sens

L’énigme c’est l’art d’entre les lignes (allusion à la corde). et cela à un rapport avec l’écriture. C’est par des petits bouts d’écriture qu’on est entré dans le Réel, qu’on a cessé d’imaginer. L’écriture des petites lettres, des petites lettres mathématiques, c’est qui supporte le réel.p 75

Lacan  nous propose que l’écriture ça devait avoir un lien avec la façon dont nous écrivons le nœud et il fait référence à l’instance de la lettre. En dessinant un S avec une barre pour écrire un noeud. Cela nous rappelle aussi un corps.

La lettre est le support matériel que le discours concret emprunte au langage S/s  signifiant/signifié

« Ni dans ce que dit l’analysant, ni dans ce que dit l’analyste il n’y a autre chose que l’écriture »

leçon du 20/12/77 Lacan

Notre corps n’est-il pas porteur des traits, d’une écriture qui si nous savions les interpréter nous lirait.( lier) Marque sur le corps.

Histoire de Rémi.qui est en ULIS …….lui aussi aura à affronter de terribles épreuves avant de pouvoir peut être un jour mettre pied sur une terre d’accueil un Heim dont parle Freud. En attendant il se débat comme il peut avec une histoire de père dénié jusqu ‘à l’âge de 12 ans et mis en mots il y a quelques temps sous les signifiants « ordures déchets » induits «  Ton père je l’ai trouvé dans la rue tu ne crois pas que je me souviens de qui c’est ! »

Rémy tache sur les mains avec stylo de la mère en svt en cours sur les volcans. Il ne peut plus faire et cache ses mains dans ses poches.

Histoire de la banderole, prolongement du corps. Un corps de cortège avec sa tête et sa queue. Banderole comme un tatouage sur le corps.( Le Monde des livres 25 avril 2013)

MARINA

Revenons à Stephen ( S) qui est Joyce dans le roman. Il déchiffre sa propre énigme mais il ne va pas loin car il croit à tous ses symptômes. Le père de Joyce est un père carrant, toujours absent. Dans le livre Bloom cherche un fils. Stephen lui répond «  Non merci, trop peu pour moi. »

Ulysse est un témoignage de ce par quoi Joyce reste enraciné dans son père tout en le reniant : c’est ça son symptôme. «  J’ai dit qu’il était le symptôme » Lacan

 

Pour Lacan toute l’œuvre de Joyce est un long témoignage de cet enracinement du père tout en le reniant. Il fait référence à Exiles(1918). C’est l’unique œuvre théâtrale de Joyce. Le personnage est exilé de son propre pays comme l’était Joyce au moment d’écrire Exiles à Trieste. Lacan traduit « Les exils » : les différents exils du parlêtre ?

L’homme veut entraîner la femme à la trahison et il met en jeu une dialectique du doute qui accomplit un cycle en 4 temps  qui aboutit à « une blessure sans cause , ni origine, une blessure autonome qui ne peut se refermer »

Dans sa vie pour Joyce il n’y a qu’ « une seule femme » cad que Nora est alternativement la Vierge et la putain. Il  voudrait ne former qu’un seul être avec elle. L’Une femme c’est Nora.

« …qu’au regard de sa femme, il a les sentiments d’une mère…. » p 83

Exils exprime le non rapport sexuel, le fantasme de faire Un à deux.

Joyce : se faire livre aurait du se faire nœud.

 

Lacan revient à Ulysse et à l’énigme que propose Joyce sous les traits de Stephen (p 42 Ulysse folio)

Ulysse écrit entre 1914 et 1915, raconte un jour de la vie de L. Bloom le 16 juin 1904. Joyce rencontra sa femme cette journée là.

Lacan nous dit analysons Ulysse : mettons nous en position d’analyste et à cette énigme donnant ce fait  qu’elle est incompréhensible, et la réponse tout autant. L’analyse c’est la réponse à une énigme.

Réponse r tout à fait « conne » cad bête, déplacée, absurde. Et c’est pour cela qu’il faut garder la corde

L’analyste devra ainsi tenir la corde et apprendre à nouer d’un fil singulier les trous de cette singularité particulière. Nouages qui comme chez Joyce supposent une articulation  qui serve à retarder la rencontre fatidique avec les excès de la jouissance (Hétérité J. Adams ))

L’analyste celui qui peut soutenir la corde et devient ainsi « causeur de noeud. »

Il n’y a que des lettres dans l’ics, il n’y a que des cordes avec ses chaines et ses nœuds. La corde du noeud borroméen c’est l’écriture du réel, donc bien tenir la corde. Cela aboutit au nœud du non rapport sexuel.

« Le symptôme est le langage dont la parole doit être délivré » Les ecrits p 235 Lacan

 

Le sens résulte d’un champ entre Imaginaire et Symbolique. Faire une épissure pour obtenir un sens  qui se déplace : c’est l’objet de la réponse de l’analyste à l’exposé de l’analysant.

Quand nous faisons une épissure nous en faisons une autre entre symptôme et le Réel.

Qu’est ce qui opère dans l’analyse, c’est de suture et d’épissure qu’il s’agit dans l’analyse. C’est de structure et d’épissure qu’il s’agit. Qu’est ce qui opère dans la cure ?

Le statut de l’interprétation tient son efficacité à deux opérations : épissure et suture.

L’épissure consiste en un raccordement qui permet à une discontinuité de disparaître, de s’évanouir. C’est un raboutage. La suture (opération inverse de la coupure- métaphore est une coupure-) de 2 bords ou d’un bord sur lui-même- établit une nouvelle surface dont les propriétés dépendront de son articulation aux autres surfaces.

Cela permet le passage du 2 au 1 sans rupture.L’épissure comme mise en continuité.

La seconde qui procède de la première permet la fermeture, la clôture et installe donc une limite.et à un effet de surface avec la mise à plat du nœud.

La suture comme avènement d’une surface fermée.

Dans l’analyse il s’agit d’un raccordement d’une formation imaginaire avec le savoir inconscient. Cela produit un sens qui serait cette suture.

Qui produit une nouvelle épissure où symbolique vient toucher au réel : entrelacs entre symptôme et réel, réel parasite de la jouissance. Cela rend ainsi cette jouissance possible (par la suture) sous la forme  j’oui-sens cad ouïr un sens (ordinairement la compréhension d’un sens se met en travers d’un ouïr)

P83 « Trouver un sens implique de savoir quel est le nœud, et de le bien rabouter grâce à un artifice. » Sinthome Lacan

Ainsi le couple épissure suture contribue à résorber l’effet de sens dans un effet d’apprentissage ( un effet de faire, de savoir y faire) celui qui consiste à se faire une certaine jouissance.

 

L’analyse ne peut opérer qu’à partir de ce que se présentifie d’un réel par rapport au désir. ( Clinique du réel  Hiltenbrand leçon du 15 nov. 1995)

Le Réel se manifeste exclusivement sous la condition du désir cad que si vous vous abstenez, si vous inhibez votre désir vous êtes parfaitement tranquilles. Parce que ce réel alors à aucun moment ne risque de surgir.

Le Réel fait partie de la structure soit avec RSI soit avec le 4ème rond : l’impossible comme nécessaire ;

Lacan situe le réel en tant que c’est un heurt, un obstacle rencontré (Melman Ste Tulle le redit)

« Le réel n’est pas pour être su «  nous dit Lacan

Ca nous fait suer mais ce n’est pas pour être su, parce que c’est toujours de l’Autre que vient à se présenter le Réel pour un sujet. Et ce qui vient de l’Autre on ne sait pas. Et c’est dans cette perception de la réponse du manque qui est le sien ( réponse aperçue dans l’ Autre ) et où le sujet entrevoit sa propre perte, c’est là que se dessine la 1ère appréhension du Réel( ex ; du commandement de l’Autre)

 

La troisième : «  Le nœud il faut l’être…il n’en reste pas moins que de l’être, il faut que vous n’en fassiez que le semblant »

Le monde est imaginaire : fonction de représentation est dans le corps. Le réel n’est pas le monde. Aucun espoir d’atteindre le réel par la représentation.

« J’appelle symptôme ce qui vient du réel. »

Melman Travaux pratiques clinique psychanalytique p 57…………………..(à lire)

Le Réel dans la structure, c’est, pour reprendre une image de Lacan, la gueule d’un crocodile.

 

 

 

Mireille Lacanal-Carlier Juin 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Leçon I du séminaire « Le sinthome » par Catherine Prudhomme

Cette première leçon fait le lien entre le travail en devenir dans le séminaire, soit les pistes que Lacan va emprunter, et le travail effectué dans le dernier séminaire R.S.I. qui se poursuit ici : Le symptôme, dans la triade Inhibition, Symptôme, Angoisse, localisé dans le nœud borroméen entre Symbolique et Réel, les trois nominations, seule la nomination symbolique sera reprise, et le nouage par le Nom du Père.

L’écriture du mot sinthome montre d’emblée le lien entre :

– L’écriture de Joyce et le rôle qu’elle a tenu dans sa structure, soit la fonction de l’écriture pour Joyce. L’écriture comme un effet du dit, du langage.

– et L’écriture de Lacan, écriture du nœud borroméen, élaboré à partir de sa pratique analytique, écriture primaire qui appelle un dit.

Lacan dit helléniser sa lalangue pour réinventer ce mot sinthome en fait ancienne graphie du symptôme, passage dû à Rabelais, sous tendu par la  science, la médecine. Cette nouvelle graphie sinthome fait apparaitre la chute (ptôme), le sin, la faute, au cœur de l’œuvre de Joyce ainsi que la nomination le saint homme en référence à l’admiration qu’avait Joyce pour saint thomas d’Aquin, sous la forme d’une discussion que l’on retrouve dans Portrait de l’artiste en jeune homme, autour de la claritas et du beau. Cette nomination de Joyce en Saint Homme éclaire cette identification à son symptôme que Lacan met en évidence dans le titre de sa conférence « Joyce le symptôme ».

L’écriture de Joyce, celle d’Ulysse et de Finnegans wake, par l’intermédiaire de la langue anglaise et non sa lalangue gaélique,  joue sur la langue, les langues, les homophonies, allant du sens au hors sens, devenant quasi illisible sinon à la lecture à haute  voix, jouissance à ciel ouvert. La langue pour Joyce n’a pas trouvé à s’ordonner dans le régime du Père dont c’est pourtant la mission celle de délivrer un sens, la jouis-sens phallique, à la langue. Mais cette langue a été recrée d’une certaine façon, ce devoir auquel Joyce se tient comme il l’exprime à la fin du Portrait, point de bascule vers une écriture plus singulière, «Je pars rencontrer la réalité de l’expérience et façonner dans la forge de mon âme  l’esprit incréé de ma race ». De renouer sa lalangue à sa langue cela amène son écriture qui fait tenir sa structure.

Avec le nœud borroméen, ce n’est pas seulement la parole qui a une fonction chez le sujet, ce nœud intéresse la manière par laquelle un sujet s’accommode de l’existence du langage. Lacan a promu le concept de parlêtre à la place du sujet dès lors qu’il ne repère plus celui-ci de la seule articulation du signifiant mais de l’articulation du nouage du Réel, Symbolique ,Imaginaire .Dans les névroses, cette articulation s’organise par un nouage entre les trois registres enserrant un trou, le nœud est borroméen, mais à la fin du séminaire R.S.I.lacan  introduit le Nom du Père pour renforcer ce nouage toujours borroméen. Ce nouage est différent dans les psychoses, soit d’une part, par la mise en continuité des trois registres : le nœud de trèfle, soit d’autre part, par l’impossibilité pour l’un de ces registres de se lier aux autres, donc ratage du nœud. Chez Joyce, la possibilité d’existence d’un symptôme psychotique a permis à Lacan de souligner que le rond de l’imaginaire ne se nouait pas aux ronds du symbolique et du réel. Par contre, l’absence avérée du développement d’un délire psychotique et l’originalité de l’écriture de Joyce amènent Lacan à considérer que l’écriture comme œuvre d’art avait une fonction particulière dans ce nouage ; elle ferait tenir les trois R.S.I. à la condition d’un quatrième rond. Mais ce nouage à quatre sera –t-il encore borroméen ,et le sinthome sera-t-il  le nom de ce quatrième rond ou bien le nom de cette équivalence du nom du père et du symptôme , ou bien encore le nom de cette identification au symptôme ? Pour Joyce, mal structuré sur du trois, dont l’imaginaire fuit de façon indépendante et qui agit en son insu, son écriture, création d’un objet condensateur de jouissance, son sinthôme, va consolider ce nouage lui permettant d’en faire un usage logique. Lacan parle de lapsus du nœud chez Joyce.

En ce début de séminaire, Lacan revient sur la nomination : «La nature ne se spécifie que d’être un potpourri de hors nature. » Elle est donc nommée c’est-à-dire appartenant aux trois registres R.S.I. L’unité du corps vivant le UN n’est plus supporté par la seule image et opération symbolique du passage par le A mais des trois dimensions, le réel participant de l’animation du corps vivant. Ainsi le parlêtre est donc ce passage relatif à un déplacement du sujet du signifiant au corps parlant. Ceci impliquant d’une part que le Un n’existe pas dans la nature, autrement dit qu’il  il n’y a pas de rapport naturellement sexuel, et d’autre part que pour comprendre le clivage entre nature et chaos, il nous faut saisir en quoi une part de réel est informé par le symbolique alors, qu’une autre part ne reçoit aucune information. Dans le séminaire R.S.I, « On ne remarque pas que l’idée  créationniste du fiat lux inaugural n’est pas une nomination. Que du symbolique surgisse le réel c’est ça l’idée de la création, n’a rien à faire avec le fait que dans un temps second, un nom soit donné. »

Ainsi dans la clôture des journées d’avril 75, « c’est à ce niveau qu’intervient la distinction du trou de l’urverdräng (non pas fiat lux mais fiat trou) et la nomination de ce trou. » Cela amène la question de la différence entre ce que Lacan nomme nomination symbolique où il repère l’activité de nomination par laquelle un nom est donné, par Adam, à chacun des animaux, et la nomination du réel qu’il impute au père nommant, ce dans R.S.I.

Lacan reprend   cette nomination   en pastichant Joyce dans Ulysse.  Joyce lequel par le nom de Joyce va nommer son père. Dieu charge Adam (jeu avec la dame chez Joyce) de nommer. Mais cette nomination ne peut se faire que dans lalangue, « l’Evie », Eve étant la première personne qui se sert de la langue pour parler au serpent, le serre-fesse, faille, phallus pour faire un faux-pas. La faute, sin du sintome, de la femme sera attribuée par Joyce à la femme, soit une autre façon de la désigner. La faute, le péché, sin du sinthome contre lequel Stephen règle sa conduite face à la défaillance du père. Donc il y a jeu entre la nomination et le jeu des signifiants A barré pour que ne cesse pas la faille. Le symptôme, comme on l’a vu antérieurement est  ce qui ne cesse pas de s’écrire. Pour Joyce, il en va un peu différement,ce que Lacan décrit en reprenant  la proposition logique « ce qui cesse de s’écrire » modalité du possible, Lacan  dit «  il faut y mettre la virgule , une petite verge  », ce que désigne la latin virgula, «  qui joue comme coupure, comme cesse de la castration. » Le sinthome. Le sinthome est une nomination, réponse au défaut d’un Autre du nom. C’est en raison de sa fonction connectrice  partagée du Nom du Père, réduit à sa fonction de nomination et du symptôme que Lacan peut finalement faire équivaloir le père et le symptôme, d’où l’équivalence sémantique entre symptôme et saint homme dont se fonde le terme de sinthome.

Mais note Lacan, pour Joyce la position de la femme, liée à la faute, serait une position d’exception particulière, non pas pas-toute, le pas tout écarté de la logique aristotélicienne mais plutôt du côté de « mais pas ça ».Le tout mais pas ça, de Socrate qui se voulant dans cette position d’exception donc immortelle, ne veut pas que sa femme vienne assister à sa mort. « Le mais pas ça, c’est ce que j’introduis sous mon titre de cette année le sinthome » faisant apparaitre que pour Joyce le sinthome pourrait faire exister le rapport sexuel. Cela ouvre des conséquences importantes :  jusque-là quand Lacan disait la femme est le symptôme de l’homme, cela conservait cet impossible du rapport sexuel sous tendu par : La femme n’existe pas et elle n’est pas-toute dans le rapport phallique.

Le sinthome apparait comme une construction  par le travail d’écriture de Joyce, entre le sinthome madaquin et le sint’home rule, du religieux au politique, comme un choix, un autre rapport à la Vérité, une hérésie. Hérétique du Nom du Père mais soumettant son hérésie à L’Autre. Il faut en passer par l’Autre pour qu’il y ait réalisation du sinthome, Lacan parle d’une soumission à la confirmation de l’Autre. « La bonne façon est celle qui, d’avoir bien reconnu la nature du sinthome, ne se prive pas d’en user logiquement c’est-à-dire d’en user jusqu’à atteindre son réel, au bout de quoi il n’a plus soif. »

Le symptôme de Joyce crée artificiellement un Nom-du Père qui fait défaut, il ne s’agit pas d’une forclusion du Nom-du Père mais d’une autre façon d’atteindre le Réel. Joyce décrit son père comme un père carent : « Etudiant en médecine, champion d’aviron, ténor, acteur amateur,  politicien braillard, petit propriétaire terrien, petit rentier, grand buveur, bon garçon, conteur d’anecdotes, secrétaire de quelqu’un, quelque chose dans une distillerie, percepteur de contributions, banqueroutier et actuellement laudateur de son propre passé ». De même sur sa manière d’être père « je te parle en ami Stephen, jouer les pères rigides ce n’est pas mon genre. Je ne crois pas qu’un fils doive craindre son père. Non je te traite comme ton grand-père me traitait quand j’étais jeune. Nous étions deux frères plutôt que père et fils »

Le sinthome de Joyce est cette suppléance au Père, suppléance du phallus, et Lacan ajoute que comme il avait un phallus un peu lâche, c’est son art qui a suppléé à la fonction phallique, son art comme vrai répondant de son phallus.

Joyce soutient le père, il va être chargé de père, projet qu’il énonce à la fin du livre Le Portrait : « façonner dans la forge de mon âme la conscience incréé de ma race » Joyce se fait un nom lequel soutient le père, et ce qui a fondé son S1 c’est la notoriété de son nom, S1 qui ne tient que par les appuis de l’Imaginaire et du Réel. La particularité de Joyce de son symptôme ou plus précisément sinthome c’est qu’il est le produit d’un art, d’un savoir-faire, l’inconscient n’intervenant pas dans sa fabrication, Lacan dira Joyce est désabonné de l’inconscient. Qu’en est-il alors du S2 ?

Lacan propose de mettre en relation le nœud à quatre et l’inscription dans le discours du Maître.

Lacan revient sur L’imaginaire. L’Imaginaire serait un sac non pas infatué d’un Un mais un sac vide, l’ensemble vide où l’Un trouve son origine dans les mathématiques modernes, c’est le réel qui est ici en jeu.

Chez Joyce l’Imaginaire ne serait lié au symbolique que par le réel. On peut illustrer cela par :

– Le déplacement de L’imaginaire de sens. Dans son écriture le sens évacué, évidé  se déverse au niveau phonologique, donnant du sens décalé, du hors-sens. C’est du niveau de la lettre.

– L’analyse de la scène de la raclée, narration où Stephen coincé contre des barbelés reçoit une raclée de Héron et ses deux amis. Se remémorant la scène, Stephen, dans l’après-coup « se demandait pourquoi il ne portait pas malice à ceux qui l’avait tourmenté. Il n’avait pas oublié un seul détail de leur lâcheté mauvaise, mais leur souvenir n’éveillait en lui aucune colère. Toutes les descriptions d’amour et de haine farouches qu’il avait rencontrée dans les livres lui paraissaient, de ce fait, dépourvues de réalité. Même cette nuit-là, pendant qu’il s’en retournait en titubant par la Jones’road, il avait senti qu’une certaine puissance le dépouillait de cette colère subitement tissée aussi  aisément qu’un fruit se dépouille de sa peau tendre et mûre ». Il n’y a pas morsure du signifiant sur le corps, mais ce n’est pas du côté de la perversion car il n’y a pas trace de jouissance dans le récit, mais il y a écriture.

– Les épiphanies, où la langue est en semi-extériorité. Le signifiant à l’extérieur produit un effet sur le corps. Joyce reçoit ces signifiants pour en faire quelque chose, un écrit. Les sons, fragments sonores qui se détachent de la langue prennent une valeur d’extériorité (scène du réfectoire, de l’infirmerie) de même le regard, ces lettres inscrites sur le bureau, Joyce écrit, il décide d’épiphaniser. Lacan rappelle que les pulsions ne sont que l’écho dans le corps du fait qu’il y ait un dire.

On voit donc là et dans l’écriture de Joyce comment c’est par le réel, réel de la lettre que tiennent ensemble Symbolique et Imaginaire

C’est par l’objet voix que Joyce rejoint ce qui permet à la pulsion de faire le tour du vide, d’en passer par l’Autre avant de revenir, trajet de la pulsion qui permet à Joyce de se faire artiste.

Donc l’imaginaire serait noué mais alors cela implique que S2, lieu du savoir inconscient, non opérationnel chez Joyce, à la place de l’Autre dans le discours du Maître, soit divisé en symbole et sinthome, division qui permet le nouage à quatre.

Le symbolique se trouve divisé entre le symbole qui selon Lacan en remet sur l’imaginaire et un symptôme qui vise le réel.

En citant Pierre-Christophe Cathelineau : « Lacan parle d’une division du savoir qui coïnciderait avec celle du symbole et du symptôme. Il est plausible d’y reconnaître  la division qu’institue la pensée médiévale entre les vérités de Foi et les vérités de raison, celles qu’on accepte et celles qu’on démontre. C’est le nouage de ces deux savoirs en une seule tresse, qui constitue la division du symbole et du symptôme. Le rond est successivement appelé sinthome ou symptôme. Lacan le désigne comme une version du Père, une père-version. Sans doute, il y a une différence entre la révélation comme savoir et le savoir rationnel qui répond à cette révélation par le Saint Homme (Saint Thomas). Ainsi le Saint Homme apparait-il à la frontière de la Trinité chrétienne pour en faire tenir par la raison les trois dimensions, en y ajoutant une quatrième, celle du sinthome. C’est du moins l’assertion que je souhaite soutenir. »

« En quoi l’art, l’artisanat peut-il déjouer ce qui s’impose du symptôme ? – à savoir la vérité ». Lacan reprend le discours du maître, où la vérité est la division subjective du sujet. Cette vérité est déjouée par cet artifice qu’est l’art. Joyce soutient le père et déjoue par cette suppléance la vérité de la faillite paternelle. Symptôme et symbole ne forme qu’un faux trou, cela s’entend par le fait que le symbole que propose l’artiste, c’est son symptôme, identifiable à son œuvre, donc selon Lacan Joyce en rajouterait sur S1 et déjouerait la vérité de sa division à travers la production de son œuvre, l’artiste avec son œuvre illustre son nom.