journées: la parité, est-ce un progrès d’être tous semblables?
après-midi du 29/03/2014
journées: la parité, est-ce un progrès d’être tous semblables?
après-midi du 29/03/2014
journées: la parité, est-ce un progrès d’être tous semblables?
matinée du 29/03/2014
journées: la parité, est-ce un progrès d’être tous semblables?
matinée du 29/03/2014 ; 1ère partie
L’injonction de parité peut se lire dans des assertions parentales qui se soutiennent de gommer toute disparité entre fille et garçon.
Ainsi d’un père( d’une petite fille) à qui je présente un jouet égaré et inconnu que je viens de trouver, en formulant cette hypothèse qu’il pourrait s’agir d’un jouet de fille, je reçois cette réponse : « parce qu’il y a des jouets de fille et des jouets de garçon ?!!! ».
Les jouets doivent maintenant être unisexes et ne doivent pas discriminer dans leur adresse filles et garçons.Il s’agit pour les parents de ne pas imposer à leurs enfants des repères qui pourraient, redoutent-ils, les formater selon leurs sexes.
Ces repères ne sont plus perçus que comme socioculturels, ne véhiculant que des prescriptions de rôles caricaturaux.
A Marseille, la première exposition temporaire de notre très réussi MUCEM, s’est appelée de façon très moderne : « Au bazar du genre ». « Au bazar du sexe », cela aurait pu être porteur mais aurait fait mauvais genre.
Une partie y est consacrée aux jouets et s’intitule sans ambiguïté : « Contre les jouets sexistes ». Le texte (intégral dans le catalogue de l’exposition) est signé par Florence Rochefort. Comme toute l’exposition il ne s’appuie que sur des données sociologiques et dans ce domaine les chercheurs sont surpris. Je cite Florence Rochefort : « L’univers du jouet résiste aux mutations dugenre…s’agit-il d’une résistance concertée ou d’une stratégie commerciale… ? »(1) Parents et enfants seraient d’un conformisme inexplicable selon les chercheurs pourtant très en avance. « Des enquêtes de terrain en milieu scolaire ont été menées et ont inspiré des expériences mises en place dès la maternelle et même dans des crèches pour tenter de changer les habitudes,notamment celles concernant l’offre des jouets. »(2)
Pourtant les mouvements homosexuels font tout ce qu’ils peuvent pour dénoncer les normes de genre. Ces jouets sexués induiraient une contrainte à l’hétérosexualité. Ils sont qualifiés de « sexistes ». Ce terme, d’abord employé pour désigner la discrimination à l’égard du sexe féminin prend un autre poids quand le concept de sexisme est assimilé à celui de racisme par ces mouvements, avec la portée juridique que cela implique. Verrons-nous bientôt la justice venir vérifier le choix des jouets dans la hotte du Père Noël ?
Pourtant ce qu’il choisit n’est pas sans effet sur les petits parlêtres qui ne font pas que reproduire des rôles qui seraient prescrits dans les jouets. Ils sont bien accessibles à la dimension du semblant inhérente au jeu.
Faisons l’hypothèse que ce que Florence Rochefort appelle « résistance » soit chez une mère et un père un savoir sur ce qu’ils peuvent donner à leurs enfants pour se repérer et construire leurs identités sexuelles.
La mère d’un jeune garçon qui jouait devant nous me confiait comment elle avait souffert quand elle était petite fille de n’avoir jamais reçu de ses parents aucune poupée qu’elle demandait, n’obtenant d’eux que des jeux de construction.Ils partageaient déjà les bonnes intentions antisexistes. Cela a- t- il à voir avec sa difficulté actuelle à se mirer en son enfant ? Qu’est-ce qui a manqué pour elle dans le fait de ne pouvoir être ainsi reconnue symboliquement comme fille par un père et une mère ? Qu’est-ce qui en a été marqué d’un interdit, quel message est passé dans ce choix sociologiquement correct ?
Les enfants disent ce qu’ils en pensent sans détour. Nous avons tous le souvenir de ces chagrins de filles ou de garçons qui manifestent que cet adulte s’est trompé d’adresse en ne les reconnaissant pas dans leur sexe par ce qui pour eux est le signifiant d’une différence.
Ce qui fait penser les enfants sont les questions fondamentales : d’où viennent les enfants, qu’est ce que la vie, qu’est ce que la mort ? Pour y répondre ils deviennent chercheurs et échafaudent des théories sexuelles qui sont typiques et constantes chez tous les enfants selon Freud(3).
La première théorie sexuelle infantile, celle du sexe unique( nous pourrions l’appeler celle du tout phallique), aboutit à l’échec inévitablement. Aucun lieu de recel n’est pensable.
Avec la seconde, la théorie cloacale, un grand pas est fait : c’est en mangeant quelque chose de « spécial »(4) que les humains conçoivent un enfant. Une origine est concevable à partir d’une disparité qui s’avère fondamentale : il faut bien que ce soit d’ailleurs que vienne cette chose « spéciale » ou cette petite graine. Les contes de fées nous le confirment. La parthénogénèse n’est pas une théorie sexuelle infantile mais un fantasme d’adulte.
En grandissant, tout ceci étant passé dans les dessous, c’est ce qui constitue la différence entre fille et garçon qui anime les recherches des enfants.Cette différence est chantée, dansée, jouée dans les cours de récréation.
Par exemple voici un jeu qui occupe une de mes petites patientes âgée de 8 ans, qui ne sait comment y faire avec les garçons. Nous l’appellerons Ludivine.
C’est un jeu avec un élastique. Avec les doigts des deux mains les enfants forment une figure.
1 (deux triangles opposés par leurs sommets) « ça c’est une fille ». Ludivine me montre sur cette figure le bas de sa robe.
2 (un ovale) « ça c’est un garçon, ça c’est un homme ».
La surprise est qu’il y en a une troisième.
3 (le rond se retourne vers le bas et ressemble ainsi à un sexe masculin)
« ça c’est un homo, un homme et un homme, une boucle plus une boucle »
L’affaire est bouclée : voici comment les enfants se débrouillent avec la modernité.
La parité,les deux mêmes, nous amène un troisième.
Parce que les enfants ne doivent pas être limités par leur genre (ce sont mot à mot les termes employés) une crèche suédoise décide de bannir les pronoms masculin ( han :il ) et féminin(hon :elle ) et de les remplacer par un pronom neutre (hen ) qui n’existe pas dans la langue (5). C’est un journaliste lassé de décider entre les deux pronoms qui a créé ce néologisme.
A ne pas vouloir choisir entre « il » et « elle », un troisième s’impose, celui de l’indécidé où tout est possible,où rien n’est perdu. L’indécidé qui relève d’un choix, se différencie de l’indécidable qui renvoie à la catégorie de l’impossible.
Ce père paritaire qui ouvre mon propos a tenu par la suite à m’informer de la toute dernière évolution de la législation allemande qui permet de déclarer à la naissance un enfant de sexe indéterminé sous une troisième rubrique: sexe neutre. Une organisation d’intersexués (OLL) en réponse aux réactions dans la presse a dénié qu’il s’agissait d’un troisième sexe.
A gommer toute disparité dans les repères proposés par les parents à leurs enfants, pour ne pas prescrire des rôles de genre, pour les laisser en fin de compte choisir celui qui leur convienne, ces enfants se trouvent seuls en charge de soutenir une disparité qui leur donne quelques repères symboliques pour construire leur sexualité.
Il semblerait qu’une conséquence de cette prescription de parité puisse être la promotion d’un troisième sexe qui serait le bon.
Bernard Moullé
Bibliographie
1. Rochefort F., Au bazar du genre, Textuel, 2013, p. 115
2. Ibid., p. 118
3. Freud S., Les théories sexuelles infantiles, La vie sexuelle, puf, 1989
4. Freud S., Trois essais sur la théorie de la sexualité, idées/Gallimard, p. 93
5. Hivert A.F., Libération, 20-3-2012
C’est dans le groupe de travail : «cercle d’étude et de recherche droit et psychanalyse», qu’Elisabeth la Selve, que je remercie, m’a demandé de venir parler des notions d’égalité et de parité en mathématique.
Le nouveau projet de loi pour «l’égalité entre les femmes et les hommes» a été adopté par le sénat dernièrement.
Charles Melman a intitulé son propos lors d’une journée à sainte tulle « entre parité et différence dans la relation homme femme». Il nous rappelle que «Lacan à la suite de Freud a estimé que le malaise, le défaut de rapport correct, compatible, parfaitement satisfaisant entre homme et femme était la source majeure du malaise dans la culture et qu’un certain nombre de conséquences sociales s’en trouvaient ainsi déterminées.»
Il semble que cette tentative, légitime, de rendre hommes et femmes égaux tente, encore une fois, de répondre et de résoudre ce malaise.
«Egaux en droit» semble fonder notre citoyenneté.
Le droit, nous allons y revenir, se trouve ainsi dans une affinité particulière avec la question de l’égalité.Dans les textes de loi, le terme de parité est employée finalement assez rarement.
«Parité et égalité» sont des termes que nous trouvons associés, parfois confondus, parfois distingués. . Et c’est souvent, au nom de l’égalité que la parité est réclamée, voire exigée.
Alors nous pourrions nous demander, si parité il y a, que cherche-t-on à atteindre par la parité que l’égalité ne permettrait pas?
L’égalité se retrouve dans cette devise inscrite sur toute les mairies de France «Liberté, égalité, fraternité». Dans une commune non loin de Marseille, sur tous les moyens de transports en commun sont écrits à la manière d’un slogan«liberté, égalité, gratuité». Ca n’a pas été sans me surprendre. Je ne crois pas qu’on puisse dire que la fraternité soit troquée contre la gratuité, l’effet d’étonnement vient davantage du glissement d’égalité à gratuité et une gratuité sur fond de fraternité.
Nous pouvons dire que dans cette commune on accède à la possibilité de se déplacer gratuitement et pour tous. Il m’a semblé que dans cette commune, nous étions très moderne : Nous pouvons jouir d’un certain transport sans prix à payer.
Je vous propose, avant d’en venir aux mathématiques de revenir sur les journées à Chambéry, en décembre 2012, puisque ce travail s’est inscrit à la suite et que nous avions la chance que juristes et magistrats nous aient fait part de leur réflexions.
Yves Lebideau juge des affaires familiales soulignait combien le «projet parental» se substitue à la question du désir d’enfant.
Jean-Marie Forget soulignait qu’ «on se retrouve avec 2 parents qui ont un projet d’enfant. Il y a là une économie où il n’ y a pas de référence à la différence ni à la perte. Cette absence de représentation de la différence fondamentale va organiser l’économie du couple, éprouvé à essayer de bricoler et l’abandon ne cesse de se faire. L’enfant se retrouve tout à la fois investi et abandonné. Les parents se retrouvent dans la méconnaissance de leur propre savoir.»
Le texte de Jean-Pierre Gasnier s’intitulait «autorité parentable». Il reprend pour nous l’historique et l’évolution des lois qui concernent la question de l’autorité parentale. Il nous indique qu’a été présentée à l’assemblée Nationale le 7 février 2012 une proposition de loi destiné à supprimer la notion d’autorité parentale au profit de la responsabilité parentale.
«Dans l’art.371_1du C.civil l’autorité parentale est défini comme «un ensemble de droits et de devoir ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.» JP Gasnier nous dit «il s’agit également avec ce texte comme le souligne plusieurs auteurs «d’améliorer la parité parentale» en instaurant la coparentalité. Cette parité est, notamment, assurée par le principe, en cas de séparation des enfants, de la garde alternée. «Elément fondamental pour lutter contre la précarisation de l’une ou l’autre des fonctions parentales.» avait prononcé un député lors de débats parlementaires.
Soulignons que la garde alternée, c’est un temps évoquant un partage réel entre le père et la mère. Un temps divisible et divisé en deux .C’est ce partage réel qui évoque la parité. On y entend dans ces textes la parité, mais elle n’est jamais énoncée comme tel. Cette notion court dans les dessous et d’autant plus sûrement que ça n’y figure pas. (Sauf peut-être sur la scène politique, c’est certes plus simple ils sont tous dirigeants, donc d’une certaine homogénéité même si dans leur vie privé ils sont hommes ou femmes! Avec cette homogénéité l’égalité entre hommes et femmes n’a pas lieu d’être, faire un comptage et exiger qu’il y ait autant d’hommes que de femmes ne remet rien fondamentalement en question!).
Une proposition de loi a été soumise à l’assemblée nationale le 24 octobre 2012.
«Il appartient dorénavant à celui qui souhaite s’opposer à cette résidence paritaire de l’exprimer et de justifier sa position. La question n’est pas de généraliser la résidence alternée mais de remettre l’enfant au centre du débat en lui offrant la possibilité, si les conditions sont réunies (notamment l’âge de l’enfant supérieur à deux ans et demi), d’être élevé par ses deux parents car nous défendons l’idée que la construction d’un enfant se fait en présence de ses deux parents». (De quelle présence s’agit-il? d’une présence réelle? Suffit-il qu’il y est la présence de 2 parents pour qu’il y est un père et une mère?) «Nous pensons qu’il est nécessaire de traiter avec une plus grande égalité les demandes des deux conjoints et ce même si l’un des deux s’oppose à la résidence alternée.»
Il y a là une préoccupation du droit qui, nous dit Jean-Pierre Gasnier, «sert à répartir la jouissance et en ce qui concerne l’autorité parentale on entend bien à quel point il s’agit de ne pas céder une once de jouissance à l’autre, de jouir en l’occurrence de l’enfant, non pas tant ensemble, qu’à égalité, paritairement.
Déplaçons nous dans un autre domaine, celui des mathématiques, pour interroger ce qu’il en est de la parité et de l’égalité.
Tout d’abord le terme de parité est en relation avec «pair», le nombre pair, parité a pris en mathématique le sens de caractère de « qui se divise par deux». Mais la parité, c’est aussi ce que nous avons tous déjà rencontré dans l’étude des fonctions où après avoir étudié le domaine de définition de la fonction, c’est à dire l’ensemble des points, le domaine, sur lequel la fonction est définie, (Par exemple la fonction qui à tout x fait correspondre 1/x n’admet pas 0 dans son domaine de définition) vient l’étude de la parité. Il s’agit de dire pour la représentation d’une fonction, si cette représentation admet une symétrie ou pas. Il s’agit d’une représentation sur le plan euclidien de la fonction. C’est l’intérêt.
Qu’elle soit axiale ou centrale s’il y a symétrie nous pouvons réduire l’étude de la fonction à la moitié du domaine de définition.
(c’est à dire pour tous x du domaine de définition, si f(-x)=f(x) on dit que la fonction est paire, elle admet alors un axe de symétrie. Si f(-x)=-f(x) on dit qu’elle est impaire, elle admet alors un centre de symétrie ).
Une fois la moitié de la fonction représentée par symétrie nous aurons la représentation entière. Ce n’est pas une notion très importante en mathématique. De plus cette parité dépend du repère orthonormé dans lequel nous étudions la fonction. Il se peut que la représentation de la fonction admette une symétrie dont l’axe n’est pas l’axe des ordonnés, ou que le centre de symétrie ne soit pas sur le centre du repère, il faut à ce moment là pour rendre compte de la parité de cette fonction faire un changement de repère.
Représentation de la fonction carré, elle admet un axe de symétrie, l’axe des ordonnés.
Représentation de la fonction inverse qui à x fait correspondre 1/x, elle admet un centre de symétrie, le centre du repère.
L’égalité est bien plus large, bien plus fondamental en mathématique.
L’égalité, prenons 1+1=2, d’un côté nous avons 1 et 1 sur lesquels l’addition vient opérer. De l’autre côté nous avons la valeur 2. L’égalité permet de dire que de part et d’autre il y a la même valeur. Même valeur mais deux écritures différentes. C’est le sens d’une égalité. Elle se fonde d’une disparité d’écriture. Les fameuses identités remarquables
(a+b) au carré= a au carré+2ab+ b au carré.
Cette égalité permet dans des calculs de passer d’une forme factorisée c’est à dire qu’il s’agit d’un produit (résultat d’une multiplication) à une somme. On peut passer d’une écriture à l’autre, l’égalité nous permet de le faire. C’est ce jeu d’écriture qui donne beaucoup de souplesse aux calculs.
C’est donc toujours une égalité entre deux écritures différentes. L’égalité n’a de sens que parce qu’il y a une différence (1+1=1+1 ou 2=2, n’a pas d’intérêt, nous n’allons pas dire qu’il y a une égalité entre 2 et 2 ! ) et ce n’est pas nécessairement pour l’abolir.
Si les courants actuels sont à la lutte pour la parité et l’égalité entre hommes et femmes. Nous pourrions nous éclairer un peu des mathématiques, pour souligner que l’égalité des sexes relève d’un fantasme celui de l’existence d’un rapport entre 2 écritures différentes un xRy qui s’écrit x=y.
Charles Melman disait que «le deuxième sexe» de Simone de Beauvoir est un fantasme. Y a-t-il deux sexes? Ou x et y de part et d’autre en rapport avec le phallus? «La libido est une» nous dit Freud. Unique référence pour 2 sexes avec des jouissances : la jouissance phallique et une autre jouissance, autre que phallique.
Lacan nous rappelle que un rapport entre x et y n’est pas inscriptible comme tel même s’il peut être tentant de chercher à l’écrire x=y et d’établir ainsi, fantasmatiquement, un rapport entre deux écritures.
La parité n’est que symétrie donc strictement duelle. Peut on encore dire homme et femme? Ou tout simplement ils sont au nombre de deux. Ils forment une paire. «Ils font bien la paire ces deux là !»Voilà qui nous permettrait d’évacuer le sexuel!
Dans la première leçon du séminaire Encore Lacan énonce «l’essence du droit, c’est de répartir, de distribuer, de rétribuer ce qu’il en est de la jouissance».
Mon hypothèse c’est que le droit infiltré par l’économie de marché, s’inscrit dans notre nouvelle économie psychique, dont la norme, la mesure est la jouissance à tout prix, un impératif à jouir. Est ce que à laurée de cette mesure le droit ne traite-t-il pas l’égalité en la réduisant à la parité ?
Bernard Vandermesch posait la question : «la parité est-elle un produit du savoir-faire juridique?». Il me semble que nous arrivons au même point.
Ch Melman, rappelle souvent que c’est l’altérité qui est garante des places de chacun dans la sexuation. Places qui sont foncièrement disparates même si, comme il le dit, hommes et femmes sont à parité de devoir vis à vis de l’instance phallique. « Les deux sexes se trouvent à parité dans leur responsabilité à l’égard de l’instance phallique, même s’il y a entre ces deux sexes une disparité des charges et une disparité des places(…) cette disparité n’est que la représentation figurée d’une parité fondamentale1». C’est cette parité fondamentale qui engage qu’ils soient dans une altérité l’un par rapport à l’autre et non pas étrangers. Cette altérité ne peut être opérante que dans un discours structuré par une perte et qui ménage une place d’exception. J-P Lebrun, parle d’un effacement de l’altérité dans la structure langagière collective (altérité = ni étrangeté ni mêmeté, mais place Autre qu’occupent les femmes et un sexe par rapport à l’autre). Il ne s’agit pas d’être passéiste et de contester l’avancée sociale qui est visée par la revendication paritaire actuelle. Mais alors que jusqu’à récemment la parité était une revendication de droit – entre pairs non pas pareils mais ayant accès au même droit – elle sous tend actuellement les champs du social et du privé non sans conséquences pour les enfants. La parentalité est un effet de ce vœu de parité et renvoie à l’imaginaire d’une symétrie des places père/mère du côté du pareil, hors différence des sexes ce qui ne favorise pas l’accès à l’altérité. Cette parité père/mère vient dans le prolongement d’une exigence d’égalité homme/femme qui est elle même de plus en plus sous tendue par le concept de genre. Concept qui postule que le sexe biologique ne suffit pas à faire un homme ou une femme car les normes sociales y participent grandement. D’où l’idée d’intervenir juridiquement sur les normes sociales en étendant la parité aux champs du social et du privé. Tout cela débouche sur des pseudodiscours et des pseudosavoirs dont les parents se font les portes parole. Il faut dire que c’est compliqué pour les parents ou les éducateurs, les repères viennent à manquer ou à se dérober ou au contraire se démultiplient faisant valoir tout et le contraire de tout. Est-ce pour cela que les parents et les éducateurs ont du mal à donner aux enfants les signifiants nécessaires à la constitution de leur identité sexuelle en se référant à leur propres signifiants en tant qu’homme ou femme? Tout leur laisse penser qu’il existe un savoir pédagogique pour être un bon parent. Ainsi, il n’est pas rare que les parents arrivent en cabinet avec une demande de conseil éducatif ou avec un diagnostic posé à partir de ce qu’ils ont lu sur internet par exemple. Une autre de leurs difficultés semble être un gommage de la place de l’enfant au profit d’une parité parents/enfant sous tendue par le souci du respect des droits de l’enfant de plus en plus souvent à l’exclusion de toute figure d’autorité ou d’exception et au profit de la négociation.
Comme l’a déjà évoqué N Rizzo, notre titre recouvre l’idée que même si l’enfant baigne dans un pseudo discours paritaire, il ne manquera pas de poser les questions concernant sa sexuation et son accès au désir à travers ses actes et ses symptômes. Si personne ne les entend ou qu’aucune réponse consistante ne lui est donnée, symboliser cette disparité restera à sa charge hors transmission symbolique et il risque de rester arrimé à une version imaginaire de la différence des sexes. D’où la nécessité pour le clinicien, mais tout aussi bien pour les éducateurs, de mettre en œuvre leur subjectivité pour, selon une formule de J.M. Forget, offrir aux enfants l’autorité qu’ils tirent de leurs propres signifiants et de leur propre savoir inconscient à condition qu’ils s’inscrivent dans un discours qui respecte les lois du langage.
Voici un premier très court exemple. Je viens chercher en salle d’attente une petite patiente de 10 ans accompagnée de son papa. Le papa lui dit « allez mademoiselle ! » il se reprend aussitôt et dit « non il ne faut pas dire mademoiselle », il hésite puis dit « Madame » et il fait suivre le Madame de son nom de famille. Bel exemple de détournement, de forçage de son savoir inconscient. Face à mon étonnement et celui de sa fille, il explique qu’il ne faut plus dire mademoiselle car on ne dit pas damoiseau pour un homme non marié et que c’est donc discriminant pour une fille non mariée de l’appeler ainsi (donc c’est un souci d’égalité paritaire homme/femme). Je lui fais remarquer que dire à sa fille Madame suivi de son nom de famille à lui ne convient pas non plus !Ce qui a mis au travail le père à qui je l’ai donné à entendre et a fait réagir sa fille qui elle l’a entendu d’emblée. Voilà un papa qui dans son souci d’égalitarisme et de bien faire vient à nommer sa fille comme sa femme sans même qu’il s’agisse d’un lapsus, si ce n’est pas « discriminant », c’est un tant soit peu « criminisant » sur le plan incestueux tout de même. Cela dit, comme beaucoup de femmes ne portent plus le même nom que le père de leurs enfants ou de leur mari, cela ne revêtira peut être plus la même dimension dans quelques temps. C’est en tout cas un peu compliqué pour cette petite fille car elle a à déchiffrer cette complexité et elle est aussi livrée à elle même pour beaucoup de décisions dans un gommage de sa place d’enfant. Certes à présent elle a une adresse et lors de la séance qui a suivi ce propos de son père, elle me dira qu’elle trouve que son papa et sa maman sont très gentils et respectueux de ses envies mais qu’ils lui font trop confiance pour certaines décisions qu’elle préférerait qu’ils prennent pour elle !!!
Autre exemple : Lors d’une séance, cet autre papa tout à fait moderne a affirmé de façon très convenue à sa fille que « les garçons et les filles c’est pareil » croyant me soutenir quand je me suis étonnée que sa fille de 7ans dise en le déplorant et avec véhémence que « c’est toujours les garçons qui gagnent ! ». Dans le cadre d’un transfert bien en place avec ce papa et sa fille Lilas, j’ai dit au papa, « Mais que lui dites vous Monsieur ! » et à Lilas « C’est vrai qu’il y a une règle grammaticale qui dit que le masculin l’emporte sur le féminin pour accorder l’adjectif mais tu sais il arrive aux garçons de perdre aussi et on ne gagne pas toujours à vouloir être un garçon quand on est une fille». Mon intervention a permis au père de se repositionner et d’être plus en accord avec son savoir qui est moins politiquement correct que ce qu’il s’est cru obligé de dire. Ce qui a permis à Lilas de lui énoncer : « j’aurais aimé être un garçon ». Tout étonné et enfin à son écoute, il lui a répondu quelque chose du style « mais moi je suis content que tu sois une fille ». Les parents de Lilas l’ont amenée en consultation car selon eux, Lilas se pose en victime de sa petite sœur de 2ans et de sa maman. Selon le père et la mère, elle fait cela exprès pour pouvoir se plaindre ce qui provoque les cris de la maman et du papa. Derrière ce qu’ils considèrent comme un comportement déviant, ils échouent à lire le questionnement difficile que traverse Lilas concernant justement son identité de fille qui actuellement oscille entre la position de victime (objet déchet) et celle de maîtresse d’école (position de savoir) à laquelle elle s’essaye vis à vis de ses petits cousins. Lors d’une séance, alors que je relatais à la mère ce qui s’était passé lors de la dernière séance avec le papa, celle ci a entendu autrement sa fille. Même si chaque fille doit trouver pour elle-même les réponses, à sa féminité, cela sera plus facile si ses parents consentent à ne pas stigmatiser le questionnement de leur fille comme un problème éducatif et l’écoutent chacun de leur place singulière et non pas dans un discours convenu et unisexe. Là où Lilas lit la disparité des places hystériquement, comme une injustice, ils répondent par l’imaginaire d’une justice paritairequi ne fait que renforcer son sentiment d’injustice et sa revendication.
Voilà encore cette autre maman qui veut avoir de bonnes relations avec sa fille de 12 ans que nous nommerons Fleur. Elle cultive une grande complicité et un grand copinage avec sa fille. Sous couvert de « copinage », qui est une forme de parité enfant /parent qui exclut toute place d’exception et gomme la place de l’enfant, elle lui donne sa guêpière noire très sexy devenue trop petite pour elle lui dit-elle. Par ailleurs et dans le même temps, elle lui reproche de se maquiller pour aller au collège. Cette très jeune fille vierge, qui ressemble déjà à une femme mais se sent encore une petite fille, s’étonne à juste titre de ce cadeau de la part de sa mère. Quand lors d’un entretien, Fleur signifie son étonnement et sa gêne à sa mère, celle-ci lui répond que le maquillage ça se voit alors que la guêpière non ! J’ai fait remarquer à la mère que la différence c’est que sa fille saurait qu’elle portait la guêpière de sa mère qui plus est. Contrairement à la mère, Fleur a bien perçu l’inconséquence de son discours et sa dimension sexuelle qui vient faire effraction de façon déplacée dans leur relation. Cette mère a sans doute voulu coller à un discours éducatif convenu sur la question du maquillage alors que dans le même temps elle ne rend plus lisible sa place de maman en se voulant la copine de sa fille et en lui offrant une guêpière. Ce qui fait flamber le symptôme hystérique chez cette jeune fille qui à 5 ans avait été hospitalisée quelques temps pour hypersomnie et anorexie et à qui on avait parlé d’un « syndrome de la belle au bois dormant » alors que, dit-elle, elle suçait à son insu les anxiolytiques que sa mère prenait à l’époque, là encore comme si ce qui est à la mère est à la fille aussi ce qui n’est pas sans conséquence !
Nous venons de voir en quoi la logique paritaire reprise par les parents vient laisser à la charge des enfants de symboliser la disparité structurelle des places sexuées. Pour finir, voici un cas qui semble en contradiction avec cela alors qu’il ne l’est pas. Les éducateurs connaissent bien ce genre de famille. Il s’agit d’une famille très matriarcale dite « monoparentale » par le social dont la configuration et le fonctionnement mettent pourtant en scène une disparité radicale puisque la place du père y est très détériorée et que la mère y occupe la place de l’autorité. C’est donc une configuration familiale très moderne qui met aussi à mal l’accès à la féminité et à l’altérité et donc à la disparité en la laissant à la charge des enfants. Remarquons qu’en désignant cette famille comme « monoparentale », le social vient renforcer les résistances à l’œuvre pour accéder à la sexuation. N. Hamad fait souvent remarquer, à juste titre, que la famille monoparentale n’existe pas sur un plan psychique sauf comme mythe originel où elle occulte d’ailleurs la différence des sexes. Elle n’existe qu’en tant qu’entité sociologique2. Il se trouve que j’ai eu l’opportunité d’écouter une famille où ce type de dispositif règne depuis 3 générations.
1ère génération : Mme N 53 ans
1er mari 2ème mari
2ème génération : Fille 1 : Mme C 35 ans Fille 2 : Mariam 16ans
+ mari
3ème génération Fille 2 Fille 1 Nadia 13 ans
Cet ensemble de femmes fonctionne comme une seule famille. Les positions d’autorité sont clairement occupées par Mme N et Mme C. Elles sont toutes les 2 dans le désir légitime que leurs filles connaissent un meilleur sort qu’elles et cela se traduit par un vœu de réussite sociale pour elles qui s’inscrit tout à fait dans la modernité.
Mme N, est une vraie mère courage qui a élevé seule ses 2 filles issues de 2 mariages différents. Ses 2 maris l’ont quittée la laissant sans ressources. Pour elle un homme n’est qu’un géniteur au point de dire qu’elle ne se remariera jamais car elle ne peut plus avoir d’enfants. Pour elle, il est clair que la féminité se réduit à la maternité et que le phallus (instance symbolique de la castration) n’est pas du côté des hommes, où il est réduit au pénis reproducteur, tant elle a une image dégradée des hommes, non sans raisons.
A la 2ème génération, avec Mme C, la féminité en tant que maternité s’est bien transmise, mais il existe un certain mépris des hommes qui entrave à sa féminité. Elle a bien eu 3 filles avec un homme mais qui est lui même orphelin et qui n’est plus à la maison par décision de justice car il buvait et était violent avec sa femme et ses filles. Là non plus il n’est pas porteur du phallus, tout au plus est-il un géniteur. Mme C fait un travail très dur et peu rémunéré, elle élève ses 3 filles de façon très autoritaire tout en déléguant beaucoup de responsabilités à l’aînée. Mme C, comme sa mère, attend du droit de lui rendre justice. Leur revendication sonne bien sûr comme celle d’une plus grande égalité homme/femme.
La petite sœur de Mme C, Mariam, a 16ans. Elle a longtemps récusé son père qu’elle a très peu connu. A ce jour, elle refuse toujours de parler de lui. Elle est devenue une très jolie jeune fille toutefois capable de devenir très agressive quand il s’agit de se défendre ou de défendre ses nièces. Elle est farouchement dédiée à ses études puisqu’elle souhaite plus tard faire un métier reconnu socialement. De façon très moderne, sa position de jeune femme, elle l’envisage à travers la réussite sociale par le travail et l’autonomie financière, ce qui est bien légitime, mais la sexualité est tenue très à l’écart ainsi que la nécessité d’un homme dans sa vie sauf peut-être comme géniteur mais pas sûr car avec la science…. La place qu’elle brigue dans l’espace public n’est pas éloignée de celle que brigue un homme et il est clair que pour elle un homme est avant tout un étranger dont elle n’a pas à provoquer ou à entretenir le désir car elle n’a pas à se tenir en position d’altérité vis-à-vis de lui. La question reste ouverte du type de relation qu’elle pourra établir ou pas avec un homme.
Enfin, au niveau de la 3ème génération, il y a Nadia 13 ans. Sa mère lui interdit toute fréquentation notamment de filles qui pourraient l’inciter à se maquiller, s’habiller de façon trop délurée ou à fumer ; ce faisant, elle lui désigne tout de même ce qu’elle doit désirer comme insignes de féminité. Elle a été une enfant très inhibée et mutique mais aujourd’hui, elle s’ouvre à l’autre et réussit à établir des amitiés avec des petites camarades « sérieuses » selon les critères de sa maman. Le travail sur sa féminité n’est pas simple pour elle et j’ai parfois pensé que la question était forclose mais des événements récents me font penser qu’elle s’y essaye enfin. Sans doute que l’adresse à un tiers qui vient par sa parole soutenir l’ouverture de ce questionnement n’y est pas pour rien. Mais c’est sous une forme qui n’est pas sans faire problème puisque par exemple, elle considère comme son petit copain celui qui lui offre des objets très onéreux alors qu’elle ne le connaît pas. Son discours à ce sujet n’est pas sans faire penser à une modalité de relation homme/femme en pleine expansion et qui est régie par les lois du marché. C’est au plus offrant !
On entend dans la clinique avec les enfants à quel point la mise en place de l’altérité est devenue compliquée dans notre société régie par les discours capitaliste technoscientifique et paritaire. La symbolisation de la disparité des places inhérente à la différence des sexes reste de plus en plus à leur charge. Quelle place cela ménage pour les futurs hommes et femmes de notre société ? Car si ce qui permet à l’enfant de se construire comme sujet désirant c’est le repérage de l’inscription phallique de ses parents quelque soit la configuration familiale – par exemple dans des familles ordinaires, la mise à l’épreuve des difficultés d’entente entre son père et sa mère en tant qu’homme et femme – en ce que l’objet de leur désir est différent, qu’est ce qu’il en est lorsque l’enfant ne peut plus en faire l’expérience? Nous ne pouvons que nous joindre à Ch. Melman quand il dit que beaucoup de jeunes femmes font passer leur accomplissement social et professionnel avant le destin singulier et conjugal et qu’elles ont beaucoup de mal à s’engager dans une vie privée qui serait infériorisante par rapport à leur réussite. Par ailleurs, il note que beaucoup de jeunes hommes mercantilisent leurs relations sexuelles pour ne pas subir le coût psychologique, matériel, d’entretenir un ménage. Avec la guerre des sexes qui flambe à travers l’exigence d’égalité homme/femme, Ch. Melman pose la question dérangeante mais qui est la question de nombreuses femmes en analyse: les femmes se retrouvent dans l’espace public mais est-ce au titre de femmes ? Car peuvent -elles y figurer autrement qu’en tant que mères ou en tant qu’hommes ? Et n’est-ce pas au prix d’une désexualisation ? Il remarque aussi cette difficulté pour les jeunes filles << à faire que la légitimité de leur présence dans l’espace public ne soit pas confondue avec ce que serait une attitude provocatrice et une invitation >>3. Il note que les conjugos en arrivent à relever <<d’association, de copinage associé : on partage les frais, les charges, les tâches….. >>4 avec comme effet une désacralisation de la relation sexuelle et bascule dans le registre de l’échange de façon pragmatique et positivée.
1 Ch. Melman, Entre parité et différence dans la relation homme-femme, conférence du 06/04/2013 à Sainte Tulle, Site ALI
2 Nazir Hamad, Adoption de parenté : questions actuelles – Erès 2007
3 Ch. Melman, Entre parité et différence dans la relation homme-femme, conférence prononcée à Sainte Tulle le 6 avril 2013, site de l’ALI
4 Ch. Melman, Une culotte pour deux. L’idéal de la parité dans le monde industriel, conférence prononcée le 14 mai 2008 à la Maison de l’Amérique Latine, site ALI
Nous voudrions mes collegues et moi meme remercier Elisabeth La Selve d’avoir sollicité le département de psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent pour participer à ces journées parce que sa proposition nous a invité à nous mettre au travail et à nous essayer à une lecture de la clinique articulée à cette question.
Nous avons pris le parti de venir témoigner de ce que nous nous pouvions repérer des effets et des conséquences structurelles que peut avoir le discours actuel paritaire au niveau de la famille qui y adhère, au niveau de son organisation intime, de la place de chacun en son sein et des enfants que nous recevons.
Notre question a été celle-ci : comment s’organise ce que nous avons appelé une disparité qui nous semble structurelle du fait d’être des sujets parlants, dans les situations ou le discours paritaire n’est pas sans effet ?
Que les parents se positionnent ou pas dans une parité, l’enfant en tant que petit parletre n’aura de cessede venir questionner sa place, celle de ses parents et la question de la différence des sexes. Nous en avons un témoignage dans la clinique et notamment avec les enfants qui présentent des troubles du comportement, hyperactivité..
Jm Forget nous rappelle dans un texte « un pour tous, tous pour un sans exception.. » que « la rigueur du langage peut nous permettre de tenir compte de la perte inhérente à notre statut de sujets parlants et peut nous rappeler que le lien sexuel est l’instrument qui permet au sein de la famille, de transmettre entre générations ce qui est le propre de notre humanité. »
Dans les situations d’une adhésion au discours paritaire, le sexuel organise t’il tj les lois du langage ? et alors qu’en est il pour l’enfant ?
Pour cheminer sur cette question, nous allons parler de familles plutôt « classiques » et pour ma part, composées d’un père et d’une mère qui vivent ensemble et on verra que ce « vivre ensemble » peut se révéler sous des formes quelque fois paradoxales, et de leur enfant pour qui ou « à cause de qui » la consultation est demandée et je m’appuierai aussi sur quelques remarques très banales concernant le milieu de la toute petite enfance.
Il nous a semblé possible de poser que les effets et conséquences structurelles du discours paritaire que peuvent tenir les parents sont de venir révéler, accentuer voire justifier ce qui est à l’oeuvre au niveau du lien dans la famille et qui concerne l’économie du désir et la fragilité de la référence à la fonction paternelle.
Bien sûr, pas question d’être nostalgique d’un temps d’avant ou la famille était organisée sous l’ autorité du père, avec une répartition inégale des charges et des devoirs, les mères s’occupant des enfants puis de leur travail et les pères de leur travail… c’est ainsi que se présentaient les familles dans le milieu de la petite enfance, je parle des crèches, qui étaient un milieu essentiellement féminin, on y croisait il y a encore quelques années essentiellement des professionnelles (et c’est encore le cas) et des femmes devenues mères, des hommes devenus pères nous en croisions très très peu.
Aujourd’hui et c’est sans conteste un progrès, les pères sont beaucoup plus présents dans le vécu et la prise en charge de leur bébé et nourrisson à la crèche et concernés, et ils se chargent au coté de la mère ou « comme » la mère, et c’est peut être cela qui différencie un positionnement égalitaire dans un cas et paritaire dans l’autre, des soins, des accompagnements, des traitements…qui sont le quotidien de la vie de bébé à la crèche.
Quand il s’agit d’un positionnement égalitaire, le père et la mère sont engagés en tant que homme et femme dans un pacte symbolique, c’est-à-dire dans des relations ou il y aurait une place pour la question du désir dont chacun peut être animé. Rappelons que c’est lorsque ce désir est articulé au sexuel que dans des situations ordinaires, un homme et une femme deviendront un père et une mère avec un enfant. A partir de cette référence au sexuel, l’enfant viendra interroger ce qu’il en est de la question du manque du fait d’être un être parlant ; s’il peut repérer la nature sexuelle de ce manque il pourra se constituer pour lui-même son fantasme qui va en retour lui désigner une place sexuée.
Mais qu’en est il lorsque le discours est ramené du coté non plus de l’égalité mais de la parité ? Qu’en est il lorsque la question du sexuel est élidée au profit d’un positionnement imaginaire du coté du « même » ? l’enfant est alors est confronté à un manque hors sexualité.
On a affaire à des relations de type « co », « copinage » ou « coparentalité ».
Par exemple, en crèche les professionnels sont de plus en plus embarrassés pour designer l’autre parent au parent présent quand ils doivent le faire. Et s’ils se risquent à un « votre femme, votre mari a dit que.. etc » qui était tt à fait accepté il y a encore quelques temps voire bienvenu, aujourd’hui il est très fréquent que le parent rectifie, avec plus ou moins d’agressivité, « c’est mon copain, c’est pas mon mari.. » et inversement..
Nous en arrivons à ne plus parler que de « parent », « le père de votre enfant, la mère de votre enfant »..ce qui élude, il me semble, la dimension du couple que forment les parents et de la sexualité, pour en rester prudemment à une dimension de parentalité.
A la crèche nous recevons donc des « parents » engagés dans leur « parentalité » et quand ils sont séparés dans leur « coparentalité » ; distribution paritaire des charges, des soins, des contraintes, tout cela est géré dans un gommage de la position sexuée de chacun.
La parentalité à quelques lettres de moins pres donne « parité ». c’est à la mode et même source de subvention pour les crèches qui proposent des projets d’accompagnement à la parentalité. Elle renvoie à un engagement de type contractuel des parents. L’autorité parentale est conjointement exercée même en cas de séparation des parents qui se retrouvent engagés dans une coparentalité ou il ne devrait pas y avoir de heurt…
C’est sans doute ce qui se passe pour Mateo, un petit garçon de moins de 6 ans qui a amené ses parents en consultation puisque à notre deuxième rencontre alors que je le reçois seul il me dira « tu as compris, moi je vais très bien. Mais alors « papamaman » ne va pas bien ! » je relèverai d’emblée ce « papamaman » qui se présente en un seul bloc comme un tout indifférencié et d’ailleurs Mateo le conjugue au singulier alors qu’il sait très bien accorder les verbes puisqu’il parle comme un adulte. Devant mon étonnement il dira « je dis exprès comme ça « papamaman » parce que papa et maman, ils font « tout ensemble ». c’est « ce tout ensemble » que Mateo essayera de débrouiller, question d’autant plus compliquée car ses parents se présentent comme séparés. Ils le précisent d’emblée, avant même d’en venir à ce qui a motivé leur démarche. Ce « on est séparé » sera dit par la mère puis le père qui répète en écholalie pourrait on dire ce qu’elle dit. Ce « on » est d’ailleurs permanent dans leur discours, et il faudra un grand moment avant que chacun puissent y mettre un peu de « je ».
Si les parents ont fait cette demande de consultation pour Mateo c’est parce qu’ils n’arrivent plus à gérer leur fils, celui-ci s’oppose à tout, et au besoin hurle, casse tout dans sa chambre quand ils l’y punissent, « on ne le maitrise plus » diront la mère puis le père. Il dort toutes les nuits avec ses parents, il a encore la couche la nuit, mange que ce qu’il veut, refuse d’aller à l’école certain matin, refuse de s’habiller….enfin la liste est infinie.
Alors que je m’étonne que Mateo puisse dormir dans le lit de ses parents puisqu’ils sont séparés, ceux ci expliquent qu’ils sont séparés mais cependant vivent pour le moment encore « ensemble » sous le même toit pour des questions « d’organisation » qui se révéleront être une impossibilité pour chacun des parents de ne pas être avec Mateo.
C’est à ce moment là que je vais entendre pour la première fois Mateo, qui s’arrêtant de jouer, se campera devant moi, me regardant fixement et dira « c’est nul hein ? » sans pouvoir ensuite préciser ce qui est nul. Est-ce donc que ça s’annule le « séparer » et le « ensemble » faisant au final du rien, ni séparé ni ensemble…les parents dorment dans le même lit mais insistent sur le fait qu’il y a séparation…il y a de quoi peut être perdre le fil ou le compte…c’est d’ailleurs en mathématiques à l’école que ça ne se passe pas bien du tout, et les parents s’en inquiètent alors que Mateo est d’une vivacité et intelligence manifeste. Mais comment compter quand tout et son contraire est possible ? comment ordonner les choses faire du plus et du moins ? ainsi échoue t’il alors qu’il sait très bien compter par ailleurs. « jusqu’à 100 ! » qui est peut être à entendre « sans » me confiera t’il lors d’une séance alors que les parents catastrophés ont amené ses « résultats » scolaires et s’inquiètent des échecs en math, c’est-à-dire des exercices de logique ou il s’agit d’ajouter et enlever. Mais peut être que de la perte il ne peut pas y en avoir.
Jm Forget écrit dans son texte « un pour tous… » que quand « un homme et une femme sont solidaires dans la recherche commune de satisfaction d’un objet positivé dont la consistance serait accessible par une appropriation, l’objet du désir perd sa particularité d’être insaisissable ».
Ils ont alors un fonctionnement de groupe ou les membres sont identiques, sans différence. A ce moment là, c’est la référence de chaque membre à la castration symbolique ou à l’assise qui assure son identité qui est abandonnée et exclue.
Jm Forget parle alors de discours sans contradiction ou tout et son contraire peut se dire. Ce discours est organisé autour d’un objet positivé qui perd donc son caractère d’etre insaisissable, il n’est plus organisé par la perte que les marques symboliques viendraient borner.
N’est ce pas ce qui se présente pour Mateo avec ce « papamaman » ?
Le discours des parents est une suite de propos sans restriction de jouissance. Chacun entend profiter de Mateo à part égale.. « en s’organisant comme ça, on profite de lui » me diront ils l’un et l’autre, ce « profite » étant sans doute à entendre du coté du profit qu’ils peuvent en tirer.
S’ils jouissent de leur enfant, pour Mateo il ne peut y avoir de restriction de jouissance non plus. Ainsi expliquent ils un jour les difficultés qu’ils ont avec Mateo lorsque celui-ci va le weekend chez un petit camarade.tout est autorisé chez cet enfant, ils font ce ils veulent, il n’y a pas d’interdits, et quand il revient à la maison il est dans une excitation qu’ils ne peuvent pas gérer. Cependant Mateo y va chaque weekend. Lorsque je leur demande pourquoi ils acceptent qu’il y aille puisque manifestement ce n’est pas intéressant pour leur fils, « c’est parce que ça lui fait plaisir ».
Ce « parce que ça lui fait plaisir », justifie tout. Cet impératif de jouissance est tel que aucun des deux parents n’avaient pensé qu’ils pouvaient décider que Mateo n’irait plus chez ce camarade et ce d’autant plus que Mateo n’est pas demandeur d’ y aller.
Pour ces parents pas de conflit entre eux mais du coup peut être sont ils dans l’impossibilité du fait de cet abandon de la référence à la castration symbolique d’exercer une position d’autorité à l’égard de leur fils.
Ils ne savent pas comment intervenir quand Mateo refuse de faire quelque chose ou quand il fait une crise mais ne sont jamais en désaccord. Ils sont impuissants l’un comme l’autre.
Au cours du travail, ils passeront d’un « on ne peut rien faire » à se questionner sur ce que chacun pourrait faire introduisant un peu de différenciation. Mais alors le père est rattrapé par cette question qui est d’où peut il s’autoriser pour poser une limite et occuper une position d’autorité et quand il se l’autorise c’est dans le registre imaginaire que cela se déploie, du coté d’un autoritarisme très exagéré ou il traque Mateo dans les moindres détails.
La mère elle continuera à déplier les choses du coté du « faire plaisir ».
Si Mateo est au centre de la préoccupation de ses parents, il n’est pas sûr pour autant que leur discours lui ménage une place de sujet. Car les parents se présentent chacun du coté d’un « tout » tel un Autre complet qui ne lui ménage pas de lieu.
Reste à Mateo en l’absence d’un lieu d’où il peut se faire entendre, l’agitation et les crises . Depuis que je le reçois et que je reçois ses parents, il y tient beaucoup, Mateo s’est beaucoup calmé et accepte d’écouter son père et sa mère. Il sait qu’il ne commande pas, qu’il n’a pas à assurer cette charge. Il fatigue beaucoup ses parents car il s’est mis à poser des « tonnes de question ».
Du coté de Mr et MMe, ils envisagent depuis peu de prendre chacun un appartement mais reste dans le calcul de comment ils vont se « partager Mateo » je les cite. Ce « partage » reste leur question et donne à entendre ce fonctionnement sans perte possible, autour d’un objet partageable qui s’articule avec ce que le discours paritaire véhicule. Ils sont très au fait de la loi sur l’autorité parentale, la question de la garde alternée, et ils justifient leur décision en y faisant référence et en s’autorisant de ce que la loi prescrit dans l’intêret de l’enfant.
Le discours paritaire ne vient il pas pour cette famille légitimer leur recherche commune de satisfaction autour de cet objet que Mateo incarne ?
Voici une autre vignette clinique :J’ai reçu Pauline il y a 3 ans. la mère m’a appelé il y a peu, car elle souhaite venir parler « en tant que parent » précise et insiste t’elle. C’est aussi en tant que parents mais au pluriel cette fois que cette femme et son compagnon s’étaient présentés lorsque j’avais reçu leur fille pour des problèmes d’agressivité à leur endroit, « alors que tout allait si bien entre eux » c’est-à-dire entre eux 3.. La naissance de Pauline était l’aboutissement d’un projet commun qui les avait réunis « celui de devenir parents ». ils avaient réalisé leur projet qui se passait si bien, c’est-à-dire qu’ils s’occupaient de Pauline « ensemble » ou « pareil », quand l’un des deux était absent l’autre était là.. on pourrait dire que c’était l’un et l’autre pareil ou bien, l’un ou l’autre puisque c’est pareil, comme s’ils étaient interchangeables, peut être dans un abandon de leur subjectivité au profit d’une position paritaire.
L’exercice de l’autorité se dépliait sur le même mode. Ils s’essayaient à l’exercer de façon « équivalente », prenaient les décisions en « concertation et en bonne intelligence et en commun » je les cite, incluant Pauline dans cette communauté. Mais depuis peu ils se disputaient beaucoup avec Pauline qui ne coopérait plus et les parents s’étaient trouvés tout à fait démunis.
Pauline du haut de ces 4 ans semblait occuper une place de partenaire de ses de ses parents, sans distinction ne serait ce que de génération ; elle parlait d’ailleurs comme une adulte et les parents acceptaient dans le cadre de ce « tout va si bien » de répondre de leur décisions devant leur fille.
Au cours du travail qui a pu se faire pour cette famille, il s’est agit pour le père et la mère de lâcher ce « c est pareil » pour se repositionner en tant que sujet pris dans le langage et la parole et en tant que sujet occupant des positions sexuées distinctes.
Peut-on penser que c’est Pauline qui est venue le leur rappeler en s’opposant et en venant mettre du ratage dans leur idylle à 3?
Quoi qu’il en soit, c’est la mise en route d’un second bébé, qui est venue réintroduire du sexuel et du désir, puisque ce bébé a été conçu en dehors de tout projet parental. Cet évènement avait permis aussi que Pauline trouve une place de fille ainée de la famille, de future grande sœur du bébé à venir. Les choses s’étaient donc organisées, ordonnées mais sans doute pas sans difficulté puisque lorsque cette femme est venue parler d’elle « en tant que parent », c’est surtout d’un lien « ravageant » avec sa fille dont il a été question.
Pour conclure cette première partie, jp Lebrun (dans les paradoxes de la parentalité), rappelle que ce que fait disparaître la parentalité c’est la dissymétrie qu’implique notre dette au langage. Elle propose la possibilité d’une entente parfaite entre « des parents ». elle permet d’éviter la rencontre avec le réel c’est-à-dire une part irréductible, un manque, qui ne peut se régler par quelque contrat que ce soit.. est ce cette tentative là qui était à l’œuvre pour ces deux familles ? pour Pauline, du sexuel est venu réordonner le manque, en ce qui concerne Mateo et ses parents il semblerait que ce ne soit pas « si simple ».
Reste au clinicien la rigueur de son engagement dans la parole, sa prise en compte de la perte inhérente du fait de parler ; c’est sans doute de cette position là que quelque chose peut se mettre au travail pour ces familles si modernes.
La fin de l’empire gaulois : point, point d’exclamation, point d’interrogation. On va peut-être travailler autour de ce trois de la ponctuation, d’une tiercéïté. Cela nous donne un espace pour penser autrement que dans le binaire qui ne peut que nous contraindre, nous limiter et bien sûr nous normer. L’empire gaulois : peut-être serait-ce la fin du seul empire qui n’est pas totalitaire ? Goscinny ne me contredirait pas, lui qui n’a pas été sans jouer des stéréotypes.
Comment vous parler aujourd’hui ? comment m’adresser à vous alors que nous sommes dans un temps où il semble que l’argumentation n’est plus de mise et que les idéologies progressistes actuelles sont souvent sourdes aux avertissements tel celui que le professeur Sicard, parlant à propos de l’euthanasie sur France Culture , lançait en soulignant que « l’espace vital de l’Homme, sa finitude, son humanité sont maintenant sous la coupe du médical et du financier » (Sicard le 17/02 sur France Culture) La parole n’est pas sans condition pour tous : s’il n’y a plus de déterminisme qui nous échappe, on ne peut plus parler dans ce que parler veut dire, ce qui suppose la dimension de la vérité. Aujourd’hui on nous impose une unique détermination du sexe par le social. Alors comment m’adresser à vous à partir de ma place de psychanalyste et de clinicienne ?
Je vais commencer par une confidence: mes collègues ne trouveront pas cela politiquement correct, bien sûr ! Les confidences sont d’habitude réservées au divan et il est vrai que les confidences débordent toujours un petit peu ! Donc j’ouvre mon poste un matin et un journaliste réellement questionnant (rare chez les journalistes !) qui disait ne pas comprendre les avancées de la loi sur la parité femme/homme et les propositions de l’ABCD de l’éducation interrogeait une dame du ministère, pas très paritaire lui, celui des droits des femmes ! Il lui demandait ce qu’une nouvelle loi allait apporter. La dame du ministère annonçait que c’était une révolution, une grande désaliénation par rapport aux valeurs imposées, qu’une femme allait pouvoir être plombier, non : plombière comme on est auteure, penseure ou penseuse (la langue résiste un peu !), et un homme danseur. Alors là je me dis ouf ! Pas trop de changement : les femmes se sont toujours intéressées aux tuyaux et aux robinets (cf la statue de Miro à Barcelone : « jeune fille s’évadant » 1968) et quant à danser, les hommes les ont toujours fait danser, les femmes, il y a toujours eu un pas de 2 entre hommes et femmes ; et puis, tant que l’homme tient à ses valseuses ça ira !! Je me suis souvenu aussi d’un passage du mariage de Figaro de Beaumarchais (acte 5 scène 3) concernant la nomination d’un ministre où Figaro disait: « j’y étais propre, il fallait un calculateur ;
on y mit un danseur » ; rien de nouveau, donc, sur ce registre ! la révolution veut dire tourner en rond.
Je pensais à l’homogénéisation des places et des lieux dans les équations paritaires ou égalitaires et je me disais que cela devait avoir pour effet de remettre en question, démonter la séparation des espaces privés et publics et ne serait pas sans incidence sur la clinique ordinaire, en particulier celle des adolescents.
Et puis surtout, à propos des frasques de notre jeune Gaulois de président je me suis intéressée à un livre annoncé comme politiquement correct sur le débat privé/public, ce livre sous la direction d’Anne Muxel s’appelle « la vie privée des convictions : politique affectivité, intimité » et là je tombe sur un article de Jeanine Mossus Lavau qui est une sociologue très scientifique du CNRS, qui a fait des recherches sur la sexualité des français en comptabilisant le nombre de masturbations, de fellations, de sodomies, etc… C’était comme cela qu’elle envisageait le commerce entre les humains, un commerce plus marketing–sexe qu’amoureux. Le commerce amoureux est plus du ressort du discours, du récit, de l’imaginaire que de la compta alors que madame Mossus Lavau ne voit dans l’amour qu’ « une sorte d’imposition sociale, inhibant le sexe pour le sexe »! Mais la note était bonne et elle trouvait que les français faisaient des progrès, alors ! … Son article s’appelle :« la marche vers l’indifférenciation » ; elle souligne que nous y allons mais qu’il y a encore quelques embuches.
Là je me dis : Zut ! je venais de recevoir un garçon entre 6 et 7 ans dyslexique, avec une dyscalculie annoncée qui me semblait aller mieux dans l’entreprise de différenciation où je l’amenais lui avec sa famille, car comment traiter ce collage imaginaire sur le corps de la mère ou des parents de la même paire, pour pouvoir décoller la lettre et l’amener à lire et écrire ? Je me dis que quand j’ai commencé ma pratique il y avait 10% de dyslexie, qu’aujourd’hui nous sommes en train de dépasser 30%. Madame Mossus-Lavau a raison : nous sommes en train d’organiser l’indifférenciation et je me dis : mince ! La loi organise le symptôme ! Je le savais déjà : la victimologie ambiante aliène de façon quasi- définitive ceux ou celles qui en deviennent les otages identitaire.
J’avais lors des journées préparatoires situé mon propos sous le signifiant de l’embarras qui est resté le signifiant de cette demi-journée. Mon embarras premier (et je vais vous faire état de plusieurs autres !) résulte du fait que lire demande du temps et que c’est dans l’après coup qu’il faut appréhender le sens de ce qui se passe pour ne pas tomber dans la moralisation ou les travers d’une sociologie idéologique. Toutefois la temporalité a changé et efface les scansions et demande de réduire le temps pour comprendre ; les choses sont déjà là et j’espère vous en parler.
Mon 2°embarras est d’une autre nature. Il résulte de la lecture de la première page du projet de loi du 13 juillet proposé au Sénat par notre ministre des Droits de la Femme qui passait
allègrement de la nécessité d’une « politique des droits des femmes redevenue une priorité politique » à l’annonce d’une « ambition : celle de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », parité réelle dans la loi mais la ministre formulait pour l’assemblée nationale : égalité réelle
Mon embarras est celui suscité par l’usage de ce mot « réel » et de l’inversion proposée dans le terme d’égalité « femme-homme » qui annule le générique homme pour les femmes. Bien sûr on entend que l’égalité femmes- hommes, ce n’est pas pareil que l’égalité « hommes femmes ». J’ai tout de suite supposé que notre ministre et son cabinet savaient ce qu’elles écrivaient, cad F=H.
On devrait éclater de rire entre femmes : les hommes, on est supposées les connaître ! Puisqu’on accuse la domination masculine d’être la cause de notre malheur. Les femmes veulent-elles être réellement des hommes ? Je n’en ai pour ma part jamais écouté le dire, je n’ai curieusement entendu que des hommes qui voulaient devenir des femmes, la transsexualité est plus manifeste dans ce sens, on peut se demander pourquoi !
Enfin quel paradoxe de vouloir être le dominant que l’on récuse ! Comment comprendre la fureur législative actuelle qui se fonde sur une définition victimaire des femmes, définies comme une classe sociale victimisée et discriminée ? N’avons-nous pas toujours été en tant que femmes ce qui fait tourner le langage, « das ding », la chose énigmatique informulable, qui fait parler. N’avons nous pas la charge de transformer les vagissements des marmots en performances linguistiques !
Verrions- nous la représentante de la liberté (le tableau de Delacroix), de la victoire (Samothrace), de la vérité sortant toute nue du puits, du dreyfusard Jean Gérôme, ou Marianne représentées par des barbus ? Substituer une femme par un homme dans ces représentations en transforme, vous l’entendez bien, le sens et le rend pour tout dire croquignolet. Ce serait comme mettre des moustaches à la Joconde !
En faisant fi du sens et de la portée civilisatrice de ces représentations pour l’humanité, ne voudrait-on pas ravaler les femmes et leur identité dans la dimension mesquine du semblable ?
Avant de vous situer l’autre dimension de la femme, son altérité qui tuerait la civilisation si on ne la prend pas en compte, je voudrais vous dire que les femmes ont besoin de la loi, elles ont besoin du tiers pour exister et aujourd’hui pour se défendre, elles à qui on demande tout, cad l’égalité avec les bonshommes. Il y a bien sûr à tenir compte des déplacements qui organisent des mutations puisqu’elles ont appris mieux que les garçons à l’école, puisque les hommes ne meurent plus au champ d’honneur( c’est peut-être triste pour les femmes) et que la place qu’elles occupaient entre nature et culture a été modifiée par la science.
Donc c’est cette autre dimension d’altérité que je voudrais vous rappeler car elle a l’air aujourd’hui annulée, déniée, en m’excusant de vous infliger ici mon topo alors que nous pourrions lire ensemble « Les mamelles de Tirésias », drame surréaliste d’Apollinaire écrit en 1916, « quand
les obus ont fait tomber les astres », désastre, et qu’est apparue la garçonne. Les femmes, on s’en aperçoit à cette époque, peuvent tout faire, elles ont fait tout ce qu’on leur avait demandé ; elles se dévouent maintenant à être égales et à se désaliéner. Thérèse crève ses ballons de mamelles et se transsexualise : c’est un drame qu’Apollinaire dit surréaliste car il n’y avait pas les progrès transformationnels du bistouri et de la science. Thérèse devenue Tirésias déclare dans l’enthousiasme d’une égalisation réelle comique et pathétique qui la fait devenir un homme :
« Je me sens virile en diable, je suis un étalon, de la tête au talon »
et après avoir été soldat elle veut être : « artiste, député, avocat, sénateur, ministre président de la chose publique, médecin physique ou bien psychique, mathématicien philosophe, chimiste, groom télégraphiste, mais faire des enfants, la cuisine, non, c’est trop ! » Est-ce là le projet d’une égalité réelle ?
Avec beaucoup de sérieux, le copain du corniaud de mari de Thérèse, un vrai débrouillard aussi, se pose la question de la nomination des femmes en ces termes :
« Comment faut-il que tu les nommes, elles sont tout ce que nous sommes, et cependant elles ne sont pas hommes »
Autrement formulé, elles sont autres et outrepassent la dimension qu’on pourrait dire fonctionnelle qu’on voudrait bien leur assigner. En effet, si la participation à l’Un les identifie au même titre que les hommes, elles ne sont pas limitées à l’Un et excèdent comme hétéros, comme autre. Peut-on dire qu’elles bénéficient d’un gain d’être par rapport à l’autre sexe ? Est-ce cela qui justifierait toutes les revendications ?…. Elles sont autres mais aussi entre elles, et là c’est plus qu’un embarras que je vous transmets quand, dans le projet de loi sur la parité, on fait appel à tous les représentants symboliques de la nation et qu’on en appelle à ce qui est désigné comme : « le mouvement féministe » au singulier. Le pire malheur pour les femmes, ce sont ces identités imposées pour toutes. Les femmes ont à tenir à un minimum d’éthique entre elles qui consiste à accepter que les femmes soient plurielles car en cela réside leur liberté.
Mon embarras principal est donc d’être face à un projet sociétal qui a pour intention d’accélérer le rythme d’une histoire dont on tient la direction comme inéluctable, qui serait celui d’une refondation des jouissances imparties aux hommes et aux femmes ; cela suppose une possible jouissance égalitaire et donc une parité comptable qui sous-entendrait que la jouissance est calculable.
Ce qui bien sûr dans mon embarras m’a amené à poser la question : est-ce tenable ? Le devin grec Tirésias, transformé en femme, le premier vrai transsexuel, avait répondu à la question de Zeus qu’elles, les femmes, jouissaient sept fois plus que les hommes. Mais n’oublions pas que cette loi n’apparait pas seule, elle apparaît avec ce qui est amené comme une évidence idéologique, la théorie du genre dont je vous reparlerai, et qui s’attaque aux dites stéréotypies sexuelles ; mention en est faîte dans la loi même, ce qui est une nouveauté! Je savais que l’on n’avait pas le droit de se promener tout nu, je ne savais pas qu’on n’aurait plus le droit d’avoir des stéréotypes
ni qu’il pouvait advenir des hommes nouveaux et des femmes nouvelles qui n’en auraient pas, ceci grâce aux bienfaits d’une rééducation!…
Bien sûr je ne suis pas dans la naïveté de penser que les imaginaires ne dépendent pas d’un collectif et d’un état de civilisation, mais il y a là une intervention de l’état et un contrôle, via la loi, des imaginaires qui, vous l’entendez bien, n’est pas sans conséquences!
Je vais vous en donner des exemples :
– dans les pages suivantes du projet de loi, la séparation des espaces privé et public se trouve annulée puisque la première disparité combattue est celle des tâches domestiques, ce que l’on appelle faire le ménage apparemment assuré à 80% par les femmes. Je me suis dit que faire le ménage c’était faire le couple, et c’est le rôle imparti aux femmes dans la civilisation. Cette intrusion par le législatif dans ce qui fait le style d’un couple me paraît pousser vers un couple stéréotypé (50/50) et donc qu’il s’agit de défaire les couples qui ont chacun leur dosage ; je me suis demandé s’il s’agissait aussi que les femmes fassent à 50/50 les poubelles, la problématique du déchet étant dans nos sociétés plutôt dévolue aux H.
– D’autre part vous avez peut-être été témoins de la présentation d’une émission de télévision sur FR3 à 21h20 le 3 mars sur la loi sur l’égalité et la lutte contre les stéréotypies sexuelles, présentant une enquête menée par l’éducation nationale sur 2 villes ( je ne me souviens que de Limoges) Il était posé à des enfants de CM1, de 8/9 ans donc, 3 questions frappantes dans leur libellé et dans l’interprétation qu’en donnait l’éducation nationale :
1°) qu’est-ce qu’une mère ?
2°) qu’est-ce qu’un père ?
3°) pourquoi le papa gagne plus que la maman ?
J’espère que vous avez les réponses ? Moi je les cherche encore en m’étant pas mal trompée. Pour les enfants elles étaient les suivantes : maman s’occupe de la maison et des enfants, papa travaille et regarde donc la télé (qui comme chacun sait est une fenêtre sur le monde !) les enfants répondent très bien à la 3° question en disant que c’est normal, papa gagne plus parce qu’il est plus gros ou parce qu’il est plus grand. Vous pouvez par vous-même penser que pour certains enfants il est compliqué d’y répondre. Mais ce qui est particulièrement choquant, c’est à nouveau une intrusion questionnante de l’état dans l’imaginaire de l’enfant.
Que penser de cette instrumentalisation de la parole des enfants que l’on amène à dénoncer ce qui se passe chez eux ? On y reconnaitra des actions qui ont eu lieu dans toutes les dictatures. Ne peut-on être inquiet d’une éducation qui confond les dimensions du symbolique, du réel et de l’imaginaire. Pour un enfant répondre que la mère s’occupe du dedans et que le père est plus à l’extérieur n’est pas un rendu réaliste de la situation familiale mais se réfère à une topologie qui tient compte de ces différentes dimensions qui sont coextensives à l’acquisition du langage.
Comme le situait fort bien récemment Marcel Gauchet sur France Info, le malaise actuel se situe d’une part dans le fait que l’on pourrait légitimement considérer qu’il y a dans notre école des choses plus urgentes à corriger sur les enseignements fondamentaux qui sont, selon toutes les enquêtes actuelles, mal assurés et d’autre part dans le fait que l’on se situe non pas dans les apprentissages mais dans une frange idéologique dont les concepts ne sont ni bien explicités ni bien maîtrisés par ceux à qui il est demandé d’en faire enseignement. Et simultanément on voyait dans cette émission des petites filles de 8/10 ans aller à l’école maquillées et les ongles faits, dans la suite des promotions mercantiles d’Euro Disney ; l’école n’est pas ce lieu là, le lieu de cet affichage, le lieu d’une exacerbation du sexuel à l’instigation de stéréotypies marchandes.
Est-ce bien tenable d’écrire F=H, nous qui parlons et qui parlons avec des mots et entre les mots ? Le signifiant en lui-même n’est rien d’autre qu’une différence avec un autre signifiant. Vous l’avez entendu égalité H/F et égalité F/H : ce n’est pas le même mot. Cela introduit donc, si F=H, à une signalétique que l’on rencontre très bien dans cette histoire de la théorie des genres et dans la dénonciation des stéréotypes. Dès à présent je tiens à souligner que cette équation F=H n’entraine pas un acte de reconnaissance ou l’appui d’un sexe sur l’autre. Je me souviens d’un texte préfacé par Pierre Vidal Naquet qui s’appelle : « Histoire de l’autre », il s’agissait des juifs et des Palestiniens qui dans une reconnaissance réciproque ne pouvaient qu’être amenés à de la tolérance et de la tempérance. Pour être dans une laïcité égalitaire ne tombons pas dans l’unicité totalitaire du Un. Des féministes subtils comme D. Lessing, prix Nobel, soulignaient la responsabilité de tenir ce Un par rapport l’Autre pour éviter les excès de l’un et peut-être de l’autre aujourd’hui ou d’une Autre qui se voudrait être un Un dans le champ exclusif de la réalité.
L’équation F=H pousse à une indifférenciation, donc à une désexualisation qui est une entreprise d’asepsie par rapport à la consistance affective de tout imaginaire qui est toujours gorgé d’amour (et vous venez de l’entendre dans la réponse des enfants sur « il est plus gros » ou « il est plus grand » !), et parfois de haine : cette haine, l’indifférenciation ne pouvant la traiter, sera la source de tous les passages à l’acte.
Je reformule donc mon embarras, en espagnol « embarasada », je suis embarrassée, étant porteuse de cet enfant amour, le petit éros. Et je formulais récemment lors des journées que nous avions à l’AMC PSY que les analystes ont une responsabilité par rapport à l’éros. Dans sa 2° topique, Freud, je vous le rappelle avait mis en place éros et thanatos : faut-il entendre que l’éradication d’éros, ce principe d’union, dans cette signalétique qui ne couple plus les humains a à voir avec de la pulsion de mort ? Dans cet éros, la libido que Freud avait en s’opposant à l’anglais Jones définie comme paritaire, une même libido pour l’homme et pour la femme, Lacan disait le phallus, il se conjuguait homme et femme dans une répartition dissymétrique entre l’être et l’avoir. Mais est-ce une discrimination ? L’être est-il moins bien que l’avoir ? La passion d’un objet paritaire et d’une jouissance calculable ne peut que placer les hommes et les femmes sur un axe imaginaire qui les sépare, qui les compare et qui ne les conjugue plus, ce qui ne peut que raviver à l’infini la guerre des sexes. Ne se prive-t-on pas de l’exigence de l’amour et du singulier que représente le féminin, et de la portée civilisatrice de l’amour jaloux des femmes dans le lien social
du conjugo, articulation de l’un à l’autre. Ce mouvement d’égalisation ne prend pas en compte la mission civilisatrice des femmes qui a fait barrage de longue date à la « touthommie ».
L’égalité réelle F/H est-elle vraiment une avancée civilisatrice pour les hommes et pour les femmes ? Le respect de l’altérité n’en est-il pas plutôt la condition ?
Bien sûr qu’il faut remédier aux excès que cet ordre masculin impose, avec une visée qui peut être unifiée et mondialisée, mais faut-il pour cela araser les différences culturelles et les moyens que les différentes cultures avaient trouvé dans la conjugaison des hommes et des femmes ? La nôtre n’avait pas été mauvaise sur le discours amoureux, le bien dire et la galanterie.
Je me souviendrai toujours de ce petit garçon qui aujourd’hui, je l’ai appris, a trouvé compagne et qui trouvait que son côté n’était pas le meilleur, que c’était sa sœur qui avait eu le meilleur lot et qui me disait : « vous vous rendez compte, on me dit en plus qu’il faut que je lui tienne la porte ! »
Dans cette nouvelle signalétique y a-t-il une place pour le discours amoureux ? Et si on veut traiter les choses de façon vétérinaire (un sexe=un sexe) on est arrêté, par exemple, par le fait que la PMA réussit à 99% chez les vaches et à moins de 25% chez les humains : peut-être peut-on dire que le différentiel ce sont les difficultés imparties à l’amour, le propre des humains ?
Peut-on imposer une parité libidinale ? Peut-on toucher si facilement à la disparité libidinale des hommes et des femmes en la considérant comme le fruit de stéréotypies ? Il y a danger si la parité doit aboutir à l’arasement de la disparité, comme cela est proposé dans la 1° page du projet de loi.
Il n’est pas suffisant de dire que nous sommes tous d’accord sur l’égalité des droits et qu’il faudrait revoir la répartition des places. Il y a bien sûr une question très importante, difficile à traiter pour le citoyen et les politiciens qui est celle-ci : comment introduire de l’hétéros dans l’homogène économique et social alors que l’hommes et la femme ne sont pas dans la même dimension et ne participent pas à l’humanité de façon identique ? Pour traiter cette question il faut au moins en mesurer la difficulté et ne pas répondre dans une passion aveugle, une utopie égalitariste.
Les femmes sont autres et cela serait une erreur que de faire de la femme un équivalent masculin, cad de ne pas tenir compte de son statut d’altérité. Faut-il instrumentaliser les hommes et les femmes jusqu’à les indifférencier ou transformer les hommes en femmes ou les femmes en hommes, ce qui ne résout pas la question ? L’axe paritaire imaginaire proposé par la loi qui met les hommes et les femmes en équivalence, en concurrence, en alternance sans tenir compte de ce réel outrepasse son projet.
Il y a d’ailleurs plusieurs signes par lesquels ce réel se rappelle à nous :
-on constate maintenant que les filles réussissent mieux que les garçons dans leur scolarité et que la suite montre des inégalités professionnelles et salariales au détriment des femmes ; on trouve dans Eduscol, le portail national des professions de l’éducation, l’analyse suivante : « Le genre est un système de normes de sexe qui institue une différenciation sociale et psychologique hiérarchisante des sexes, subordonnant sous couvert de complémentarité ce qui est reconnu
comme masculin à ce qui est reconnu en miroir comme féminin. Ce système de normes de sexe est un puissant outil de naturalisation de la différence des sexes qui légitime dans notre univers symbolique la domination masculine »
Et ailleurs: « cette division socio sexuée des savoirs se prolonge en une division socio-sexuée du travail socioprofessionnel et familial…contre ce stéréotype puissant l’école n’agit plus ! »
Tout est de travers dans cette mauvaise sociologie ! L’interprétation par la domination masculine et par le fait d’en rajouter pour favoriser les filles à l’intérieur de l’éducation n’est pas prendre la question là où elle est, me semble-t-il. Et le but évident est plutôt de faire rentrer les femmes dans le marché du travail et pour ce faire de les homogénéiser (je vous rappelle au passage l’étymologie du mot travail : tribalium cad torture)
-on constate par ailleurs, sans qu’Eduscol le souligne, que certaines professions normalement valorisées sont actuellement totalement féminisées : l’éducation nationale, le travail social par exemple ; je vous apprends aussi que depuis l’an dernier il sort plus de femmes médecins que d’hommes, que l’on a péniblement réussi à nommer au concours de la Magistrature 11% d’H. Ce succès des femmes dans ces dimensions ne sont pas sans rapport avec leur position d’altérité. Est-ce que d’assurer plus de parité dans l’école va avoir de l’effet dans l’emploi ? Elle a rempli son office puisque les filles travaillent déjà mieux. Cela m’inquiète beaucoup sur la façon dont on apprend l’intelligence critique à nos enfants. N’aurait-il pas mieux fallu se demander quel est ce réel qui fait obstacle et qui amène les femmes à s’orienter, à l’heure où elles deviennent femmes (18/20 ans), dans des choix qui tiennent compte de leur altérité.
-si l’on se plait à souligner que les hommes constituent une forte majorité des dirigeants du CAC 40, on ne dit pas qu’ils sont aussi dans une écrasante majorité dans les professions les plus basses de l’échelle sociale et parmi les laissés pour compte de la société….
Bien sûr l’évolution de la société et l’advenue des femmes sur la scène publique impose des redistributions mais il ne semble donc pas suffisant de proposer que les femmes soient conducteurs de poids lourds et les hommes puériculteurs pour réaliser une égalité professionnelle.
Avant de passer de mon embarras à l’angoisse, je voudrais vous faire partager ma perplexité : je l’étais parce que je ne comprenais rien à l’articulation théorie du genre / parité ; je me disais : y’a quelque chose qui ne va pas, qui cloche, avec cette même colère lorsque les vis ne rentrent pas dans les bons trous ; je ne comprenais rien à la parité de l’anti culture de la Queer theory, à ces traductions de performatifs, performance en lien avec l’idée de spectacle et au constat d’une certaine discordance historique dans l’histoire du mouvement féministe. Je vais remercier ici une de mes patientes car ce sont nos patients qui nous permettent d’aller plus loin, qui nous imposent de comprendre au-delà de l’évidence et des façades. Cette patiente m’a apporté un livre : « Le grand théâtre du genre » d’Anne Emmanuelle Berger. Un mot rapide sur l’auteur : madame Berger cherche à préserver une position non partisane à partir d’une connaissance très exhaustive des textes, articles et confrontations sur les études de genre, bref un travail universitaire de très
grande qualité, après quelques 20 ans d’enseignement à Cornell et depuis un poste de professeur à Paris 8 et la direction du nouvel institut du genre CNRS/Université.
A.E. Berger m’a fait comprendre que « tous les passeurs de frontières connaissent cette dislocation des espaces et des lieux par téléscopage d’espaces temps hétérogènes à l’heure de la mondialisation », des échanges matériels et symboliques, me faisant entendre que les théories passant les frontières, dans un sens et dans un autre, de la French Theory (Foucault, Derrida, Freud et Lacan) importée aux USA et en retour la théorie du genre non pas telle que l’entendent les US mais telle que , comme le dit Eric Fassin, se la sont appropriés les mouvements féministes. Ces théories subissent des dislocations, des transformations tant dans les difficultés de traduction que du fait du réel de leur advenue. La lecture de ce livre ouvre à un mouvement d’idées assez foisonnant outre atlantique qui n’avait pas les mêmes enjeux qu’en Europe, l’enjeu majeur aux USA étant celui de la reconnaissance et de la dépénalisation de certaines pratiques sexuelles. Ces auteurs (Butler, Gayle Robin, Monique Wittig, Joan Scott, également Goffman mais autrement) imprégnés de Lacan, Foucault, Derrida et Freud, n’ont pas pu articuler leurs théories sans en passer par la psychanalyse ; on est étonné en France que le genre soit utilisé pour une mise à l’écart de la psychanalyse, ça reste une question sauf si l’on comprend que cette mise à l’écart sert à l’imposition d’un déterminisme uniquement social.
Tous ces auteurs sont donc embarrassés par les problèmes de traduction majeurs : le mot sexe en anglais recouvre l’idée des caractéristiques sexuelles et la pratique de la sexualité. Faire l’amour se dit : « to have sex », vous voyez déjà l’écart ! Inversement différence des sexes est intraduisible en anglais et si l’on traduit littéralement cela veut dire différence des pratiques sexuelles, ce qui n’a rien à voir. Il en est de même du mot performance, performatif qui a accompagné la théorie du genre et qui veut dire en anglais spectacularisation, exhibition et autofiction qui fait référence à la nécessité pour ces mouvements homosexuels, transsexuels, etc… d’être dans un souci de visibilité avec pour idéal de la représentation féminine la « drag queen » en tant que pur système sémiologique, femme parfaite dans l’image et la surface, et c’est un mec !
Sous jacent à cette question le débat culturaliste contre naturaliste est bien dépassé outre atlantique, ce qui ne semble pas être le cas en France ; les « penseuses » de là-bas l’ont trouvé intenable. Joan Scott s’est interrogée récemment dans un article paru dans la revue Diogène sur l’utilité du concept de genre qu’elle avait pourtant contribué à promouvoir dans les années 80. « Pendant qu’on fait sauter toutes ces définitions outre atlantique, nous dit A.E. Berger, on s’essaie à les consolider de ce côté ».
Rien à voir aussi entre un état américain hétérogène en ses multiples communautés qui font souvent lobby et l’inscription au frontispice de nos mairies « liberté, égalité, fraternité », qui sont la traduction de l’universalisme de la République. L’importation des standards américains a plutôt l’effet de constituer des chimères.
On se lance ainsi actuellement dans la dénonciation des stéréotypes de genre, comme s’il y avait un possible degré zéro des stéréotypes et comme si les stéréotypes n’avaient pas plus d’épaisseur
que celle d’un comportement. Tout idéal s’habille de modèles et de stéréotypes. La négation des stéréotypes est la négation de l’imaginaire qui fait lien entre les sexes.
Il est certain que la clinique des banlieues, ce point difficile d’assimilation des populations immigrées, a favorisé l’accusation des traits de stéréotypies dans les communautés comme défenses identitaires.
Le traitement comportementaliste du sexe en genre, en prônant inversion et neutralisation, ne fait que générer d’autres stéréotypes, par exemple celui de l’indifférenciation. On voit bien là ce que sont les comportementalistes, des techniciens de surface qui ne sauront pas reconnaître les passages à l’acte résultant d’une normativation sans fondement.
Il va s’agir donc pour ces mouvements du genre ,du nivellement des différentes pratiques sexuelles pour qu’elles s’équivalent et non de la parité entre les sexes, au moment où même les Queer abandonnent l’idée du féminisme, où Monique Wittig prône l’abolition du signifiant femme et Gayle Robin l’apologie de la désertion de la cause féminine. Et il y a plus : vous pourrez constater par vous-même que dans le dictionnaire des sexualités très récemment paru sous la direction de Mme Mossus Lavau, a disparu comme entrée le terme d’hétérosexualité !
L’indifférenciation conduit bien à l’abolition du fait féminin, un crime commis contre l’Autre, au cœur de tous les racismes. Et par le biais d’une colonisation internationale, nous aboutissons à une norme internationale de l’indifférenciation.
Alors voilà comment avec cette désexualisation, cette indifférenciation attendue, cet hygiénisme des comportements, on peut avec les meilleures intentions neutraliser la question des femmes. Ne serait-ce pas plutôt l’advenue de l’unisexe, « le 3° sexe pour tous » ?
Est-ce le progrès annoncé par notre République au monde entier dans les débats sur la loi à l’assemblée nationale?
Et c’est là où je passe de l’embarras à l’angoisse : dans la version du projet de loi sur l’égalité F / H proposée au Sénat en juillet 2013 en 1° lecture, p.7, Mme NVB a eu cette phrase : « les mères subissent une pénalité à la naissance dont les pères sont exonérés ».
A la télévision la ministre a aussi situé la maternité comme un handicap. J’entends bien que notre ministre voulait dire que la reprise du travail pour les femmes n’est pas simple, en particulier de part la gymnastique subjective que cela requiert de passer de leur enfant au travail, ce qui n’a rien à voir avec le retour d’un père d’un congé paternité. Autrement formulé, la maternité ce n’est pas du plus pour une femme, c’est du moins pour l’emploi ! C’est une curieuse inscription de la maternité, une destitution de la relation privilégiée et fondamentalement disparitaire de la relation mère/enfant, le refus d’entendre l’inouï au sens étymologique du terme de chaque naissance pour une femme si on ne veut pas considérer la maternité comme un simple fait biologique. Je vous ferai remarquer que je ne crois pas qu’un homme dans un texte de loi aurait
eu l’outrecuidance d’écrire cela : il y a pour lui ce réel qui n’est jamais totalement absorbé par du symbolique, de sortir d’un corps féminin. Si un homme avait dit cela, on aurait crié au scandale.
La révolution française avait en 1789 introduit l’idée que la maternité était d’utilité publique ; c’était la 1° trace de l’instrumentalisation des femmes et de l’intime dans le social. Aujourd’hui on va plus loin : c’est une pénalité ! On n’est plus dans un monde surréaliste d’Apollinaire mais dans un monde sous réaliste du marché de l’emploi. J’avais aussi rappelé lors des journées préparatoires que cette conception participe à la genèse de petits délinquants : car si l’enfant est une pénalité et non un don, nous avons là, la naissance du délinquant qui cherchera toujours dans le réel par ses actes le don symbolique et imaginaire qui ne lui a pas été octroyé dès le départ.
Autre remarque importante : dans l’idée de n’introduire aucune disparité, il n’y a pas dans ce projet de loi de proposition d’allongement du congé maternité. Pour ma part, en tant que clinicienne, alors que l’on porte en grande pompe le congé accordé au conjoint à 6 mois, je déplore un congé maternité si court quand on sait les difficultés de laisser en crèche ou à une aide maternelle un enfant qui n’est pas advenu dans la relation, temps qui s’accompagne de nombreux symptômes (dépression, angoisse, manifestations psychosomatiques) tant de l’enfant que de la mère et les bienfaits de l’allaitement pour la protection des enfants des épidémies ( Un amendement à la loi proposera peut-être un allaitement par les pères en mettant les femmes à la trayeuse!)
Même si cet allongement n’était pas réalisable en temps de crise, on aurait pu le déplorer. On fait simplement prévaloir un principe d’équivalence père/mère dans l’attribution des congés, la mère pouvant être remplacée par les pères ( Les PMI ne pensent surement pas cela !)
Nous avons en souvenir Mr Eribon, Foucaldien émérite, grand théoricien de la procréation masculine homosexuée qui avait commencé à dépecer les mères en mère d’intention, mère porteuse et mère d’éducation ; il se reconnaissait dans la première et la troisième. La GPA lui offrira le titre absolu de mère ! Donc, aujourd’hui, il faut que les femmes retournent au travail au plus vite et les pères aux langes et aux couches. Bon courage pour les PMI dans les zones de forte précarité !
Je parlais avec une jeune pédo-psychiatre , praticien hospitalier de ce dé-nouage de la relation mère enfant qui est en route. Elle me faisait remarquer que parallèlement on ne parlait dans les abords conceptuels contemporains de la clinique de l’enfant que de troubles de « l’attachement » et de la « séparation ». Faisons le lien !
On peut se demander pourquoi un discours abolissant les disparités entre les hommes et les femmes est possible aujourd’hui : il l’est, et le professeur Sicard le mentionnait, par l’évolution de la science qui, comme nous le savons, est folle si on ne sait pas lui mettre quelques balises ou bien est un outil propre à servir la perversion. La procréation comme le corps féminin sont aujourd’hui la propriété de la science et travaillent de conserve avec la marchandise.
Il faut savoir le prix que nous payons de ces progrès : pilule, PMA, GPA et bientôt procréation hors utero.
La science a déplacé les femmes de là où elles se situaient, à la jointure entre nature et culture en tentant de les exproprier de l’énigme de la vie et de l’énigme qu’elles recèlent pour elle-même et pour les hommes. Le mariage pour tous n’entraine-t-il pas la mercantilisation des gamètes en Fr, à l’identique des USA, ouvrant son champ à la stérilité sociale qui homogénéise les divers couples dans la procréation.
Autre question (il y en a beaucoup quand même !) qui poursuit le malmenage des femmes : comment une femme dans l’égalité peut-elle appréhender sa féminité, l’égalité ayant pour fonction d’écraser tout ce qui serait de l’ordre du manque et toute adresse ?
Je vous ai situé tout à l’heure que les symptômes n’étaient pas égalitaires : il faudrait peut être demander à nos législateurs d’en tenir compte !
Les troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysorthographie et autres dys…), l’hyper activité touchent presque uniquement les garçons. Il y a un symptôme féminin qui aujourd’hui flambe dans la parité : c’est l’anorexie qui touche aujourd’hui 20% des jeunes filles et 1% en meurent. L’anorexie est une passion qui rencontre dans notre modernité la passion de s’affranchir du réel sexuel, cad de la mixité ; elle « s’effemme », réalisant le vœux de la Queer theory ; c’est une égalitariste à tous crins ; on pourrait la prendre comme l’égérie de la femme indépendante, se refusant à tout partage avec l’autre sexe et allant jusqu’à récuser ce que le langage trimbale entre les mots, l’éros porté par la lettre. On peut toujours constater que ces jeunes filles qui sont en fin de ce parcours don quichottesque n’ont plus qu’un discours signalétique du type de celui que j’ai précédemment annoncé. Ces petites anorexiques, elles ne parlent pas, elles meurent et les sortir de leur symptôme consiste à les réintroduire dans la parole c’est à dire les sortir de la signalétique qui les cadavérise.
Un petit mot pour finir à l’adresse des hommes : quel serait le fantasme d’un homme dans la parité ? D’être une femme comme les autres ?
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CONFERENCES D’INTRODUCTION A LA CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE Année 2012-2013
Responsables : Maryvonne Febvin, JP Hiltenbrand, Claude Rivet
Dr Charles MELMAN, psychiatre, psychanalyste fondateur de l’ALI
le 6 avril 2013 à Sainte Tulle (Alpes de haute Provence)
Les sujets contemporains ne ressemblent plus guère à ceux d’hier, tant dans leur mode de vie et de relations que dans leurs idéaux. Nous en repérons les effets dans les évolutions de la famille moderne, dans l’organisation et la place du travail, dans les modalités de jouissance et de consommation. Ces mutations sociales ont-elles une incidence profonde sur la structure et l’identité des hommes et des femmes ? Notre cycle de conférences viendra interroger cette évolution.